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University of Toronto

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LA

MYSTIQUE

DIVINE , NATURELLE ET DIABOLIQUE

TOME III

Tout exemplaire de cet ouvrage, non revêtu de ma signature Fera réputé contrefait.

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LA

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N AT U RElLt^ JE 'T^^J^ABO LI Q U E PAK^'GÔRÉËS

OUVRAGE ^RADllT DE UALLEMAND

PAR M. CHARLES SAIME-FOI

TOME III

SECONDE PARTIE

LA MYSTIQUE îsATURELLK

DEUXIEME EDITION

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PARIS

LIBRAIRIE DE M"^ POUSSIELGUE-RUSA^D

RUE S A 1 N T - SU L P 1 C E , '23 1861

LA

MYSTIQUE NATURELLE

Dj^C

LIVRE CINQUIÈME

Du fondement historique, légendaire, physique et psychique de la Mystique infernale.

CHAPITRE PREMIER

De l'origine du mal. Satan et son royaume. Le déluge. Le peuple juif et le paganisme. La veuue du Sauveur. Puissance de l'Église.

Nous avons jusqu'ici ëludié la mystique qui monte vers Dieu; et^ après en avoir parcouru les différents degrés, nous l'avons conduite jusqu'à ce point elle entre, pour ainsi dire, dans le Saint des saints. Il nous faut maintenant retourner à notre point de départ, et suivre dans ses phases la mystique qui descend vers l'abime, jusqu'à ce point elle s'enfonce dans la nuit du mal radical. La mystique divine traverse d'abord un chemin douloureux, car il faut que l'àme soit purifiée par le feu de la souffrance ; mais bientôt elle s'élance dans les régions sublimes de la lu- mière. Nous l'avons vue monter toujours plus haut par des sentiers il est doux pour elle de marcher. Toujours ni. 1

2 DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

plus pure à mesure qu'elle montait davantage, elle a dé- ployé sous- nos yeux toute sa magnificence et sa gloire. Nous allons entrer désormais dans des voies bien diffé- rentes : à la place de ces merveilles ravissantes, nous allons rencontrer tout ce qu'il y a de plus laid et de plus dif- forme. Dès que nous mettons le pied dans ces voies téné- breuses, nous éprouvons déjà au dedans de nous un sen- timent de répulsion, parce que nous y trouvons dès l'entrée toutes les misères de la vie ordinaire, tous les ins- tincts brutaux, avec ce qu'ils ont de vulgaire et de déréglé. Mais c'est bien autre chose encore lorsque nous allons plus avant; car à mesure que nous descendons plus bas dans ces sombres domaines, et que nous perdons de vue davan- tage les puissances miséricordieuses du céleste séjour, nous rencontrons des ténèbres plus épaisses, et nous nous sen- tons saisis d'un frémissement involontaire et d'une sorte de vertige qui déconcerte notre esprit. Lorsque nous sui- vons dans ces voies ténébreuses les âmes qui s'y sont en- gagées, nous sommes douloureusement frappés par le contraste qui existe entre elles et celles qui s'élèvent vers Dieu par les voies lumineuses delà mystique surnaturelle. Ici nous avons vu s'épanouir toutes les vertus avec tous leurs charmes; nous allons voir s'étaler sous nos re- gards stupéfaits toute la malice du cœur humain , tous les germes empoisonnés qu'il renferme en son sein; nous al- lons voir fermenter tous les vices de ce gouffre infect ; nous allons en voir sortir, sous les formes les plus hideuses, tous ces monstres devant lesquels l'imagination recule d'horreur. Et encore, après avoir vu tout cela, il nous fau- dra convenir que le regard de l'homme, si avant qu'il ait pénétré dans cesabimes, est bien loin d'en avoir atteint les

DE LA LUTTE ENTRE LE HIE.N ET LE MAL. 3

dernières profondeurs. Aussi le cœur à cette pensée se sent -il glacé d'épouvante. Mais celui qui veut gravir les sommets déserts des Alpes, afin de jouir de la beauté du point de Mie qu'ils offrent à nos regards, doit payer par bien des dangers et des frayeurs la magniiicence du spec- tacle qu'il cherche. De même aussi, en descendant des ré- gions de la vie ordinaire dans ces abîmes ténébreux, nous devons nous attendre à recevoir des impressions bien pé- nibles et bien douloureuses.

La première chose que nous ayons à faire avant d'y mettre le pied, c'est de chercher quel est le fondement sur lequel s'appuie cette mystique infernale, et d'où elle se développe avec ses phases et ses degrés divers. Nous étu- dierons d'abord la base historique de ce développement. Lorsqu'un objet s'empare de l'homme tout entier, non- seulement il met en action les facultés spirituelles qui ont pour but de percevoir, de contempler les choses et de les combiner scientifiquement , mais il éveille encore l'activité poétique de l'imagination. Nous aurons donc à étudier en .second lieu le fondement poétique de la mystique infernale dans les légendes auxquelles elle a donné naissance. De plus , tous les phénomènes qui vont nous apparaître en ce domaine ont une base organique et physique, puisqu'ils s'accomplissent dans l'organisme humain , ou dans la na- ture qui nous entoure. Cette base sera pour nous l'objet d'une troisième étude. Enfin, ces phénomènes ne se bor- nent pas au corps seulement; mais ils montent jusqu'à l'àme, et de jusqu'au sommet de l'intelligence : nous aurons donc à en considérer aussi le fondement psychique

et spirituel à la fois.

. De l'oricinc

La mvstique infernale consiste en des pratiques crimi- du mai.

4 I)K LA LUTTE ENTKE LE BIEN ET LE MAL.

iielles. Si donc nous voulons en étudier le fondement his- torique ^ nous devons remonter jusqu'à la première racine de tout mal. L'homme e.-t composé de deux substances; papillon de jour et papillon de nuit à la fois, le jour et la jiuit vont également à sa nature. Si les ailes lui poussent ^ il peut s'élancer jusqu'aux sommets les plus élevés: comme aussi ^ lorsque les pieds du serpent lui viennent, il peut s'enfoncer jusqu'au plus profond de l'abîme; mais dans lun comme dans l'autre cas il s'éloigne également des ré- gions de la vie ordinaire. La nature humaine ayant été créée à l'image de Dieu^ nous devrions retrouver en elle les traces de celte admirable unité qui fait que Dieu est partout et toujours le même. Mais, hélas! il s'en faut bien que la chose soit ainsi : l'expérience nous montre partout, au contraire, une division profonde. Nous devons donc chercher d'abord le principe de cette division, et la suivre à travers les siècles sous ses formes diverses.

Les hommes , dans tous les temps, se sont efforcés de résoudre d'une manière satisfaisante la grande question de l'origine du mal. Les Panthéistes ont cru le faire en niant la réalité du mal , et en présentant comme apparente seu- lement son opposition avec le bien. D'autres, par un excès opposé, ont admis deux principes également absolus et éternels se partageant la Divinité; de sorte que l'opposi- tion entre le bien et le mal serait absolue et éternehe comme ces deux principes eux-mêmes. Entre ces deux ex- trêmes se place la doctrine véritable, révélée dès l'origine au genre humain, et qui doit durer jusqu'à la fin des siè- cles. Pour eUe , l'opposition entre le bien et le mal n'est pas apparente seulement, comme; dans le premier système; elle n'est pas absolue non plus, comme dans le second;

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mais elle a son principe dans l'abus que la créature a fait de sa liberté , de même que le bon usage de cette môme li- berté la fait disparaître. Cette doctrine est la seule qui ait su placer Dieu et la créature dans leurs véritables rapports , et résoudre ainsi d'une manière satisfaisante pour la rai- son cette question qui a tourmenté si longtemps l'esprit humain. D'après elle, le bien seul est éternel. Si le mal l'était^ comme le prétendent les Manichéens, l'opposition qui existe entre lui et le bien ne pourrait être détruite que par un être supérieur aux deux principes qu'ils re- gardent cependant comme éternels et absolus, ce qui supposerait aussi une éternité antérieure à leur éternité. Le mal s'est donc produit dans le temps : ce n'est point Dieu qui l'a créé , parce que rien de mauvais ne peut .sortir d'un être infiniment bon. Il n'a donc pu venir que d'un être personnel, libre, ayant en soi le principe de ses actes et de ses déterminations. Cet être, bon en tant que créé de Dieu , est devenu mauvais précisément en sortant des conditions Dieu l'avait créé. C'est donc dans l'abus que cet être a fait de sa liberté que le mal a pris son ori- gine. L'acte qui l'a produit n'est point un acte créateur et positif; mais c'est un acte négatif, au contraire, en ce sens qu'il a détruit et nié l'ordre que Dieu avait établi. Le diable n'est donc point en Dieu, mais dans le monde: et c'est parce que son royaume est du monde qu'il participe à l'être et aux formes de celui-ci. Son royaume est un royaume spirituel; et comme l'esprit suppose la person- nalité, ce royaume du mal est composé et construit en quelque sorte d'êtres personnels et libres.

De même que l'ordre établi de Dieu dans ie monde Satan ot physique forme pour c<-^lui-ci le centre convergent rovaunie.

6 DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

toutes ses forces^ de même aussi cette association des es- prits dégénérés est gouvernée et liée par un centre et un chef, sous" lequel le mal se partage comme en des groupes et des formes divers. Si donc le principe du mal s'est in- dividualisé en Satan, si c'est en lui qu'il faut chercher la première racine de tous les vices , chacun de ceux-ci, pris en détail, a ses racines particulières dans un être personnel comme Satan lui-même, et subordonné à ce dernier; de sorte que ce prince des ténèbres tient sous sa dépendance un grand nombre de démons, dont chacun fait sentir et exerce son pouvoir dans un vice qui lui est comme spécialement dévolu. Telle est la doctrine que saint Antoine enseignait à ses disciples. Et de même que dans l'univers on monte dune extrémité à l'autre par une multitude de degrés in- termédiaires, ainsi en est-il dans ce royaume des ténèbres, qui cherche à imiter en tout le royaume de la lumière , doù il est tombé, selon la doctrine de cet ancien Père , qui nous enseigne que dans la malice des mauvais esprits il y a des degrés innombrables, de sorte que l'un l'emporte sur l'autre en perversité. Ce royaume reste donc dans une ir- réconciliable opposition à l'égard du royaume de la lu- mière ; mais malgré lui il sert à le glorifier toujours da- vantage, de même que le dernier fournit au premier une occasion toujours renaissante de négation et de lutte. C'est pour cela que Tun et l'autre sont immortels, parce que Dieu respecte l'être qu'il a créé, non-seulement tant qu'il garde sa beauté primitive , mais jusque dans sa dif- formité ; et qu'il ménage la liberté de ses cTéatures jusque dans Tabus qu'elles en font.

Si nous consultons la tradition, voici ce qu'elle nous raconte sur la séparation des deux royaumes. A l'origine le

DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL. /

monde était Lon; car Dieu, après l'avoir créé, vit que tout ce qu'il avait fait était bien. Il devait être la demeure et la propriété de tous les bons esprits indistinctement. Lumi- neux jusque dans ses plus profonds abîmes, il ne connais- sait point l'obscurcissement du mal, et rien n'avait encore troublé l'ordre parfait Dieu l'avait créé. Tous ses habi- tants avaient reçu de Dieu des dispositions et une beauté semblables , chacun selon la place et le degré il avait été créé, et tous aussi étaient appelés à la même gloire. L'être privé du franc arbitre, qui, ne connaissant pas sa fui , ne peut y tendre par une action libre et déterminée , ne peut être soumis non plus à aucune épreuve : il sert de prime abord le maître qui l'a créé. Mais il n'en est pas ainsi de l'être libre , en qui brille le flambeau de T intelli- gence, et qui possède en soi le principe de ses actes; il a besoin d'une épreuve qui l'établisse définitivement dans l'ordre. Or voici en quoi consistait l'épreuve que Dieu exigea des intelligences qu'il avait créées. Le premier acte libre de leur volonté devait être dirigé par la lumière su- périeure de la Divinité; ils devaient dans cet acte subor- donner leur liberté à la volonté divine, se remettre entre les mains de Dieu, comme des instruments dociles des des- seins qu'il avait sur eux, et atteindre ainsi en lui une vie nouvelle et supérieure. Une partie d'entre eux, fidèles à leur vocation, confessèrent la souveraine autorité de Dieu sur eux, et méritèrent ainsi que Dieu à son tour les confir- mât dans la condition il les avait placés. Mais les au- tres , en refusant de se soumettre à Dieu , attirèrent sur eux de sa part une réprobation éternelle. Ne recevant plus la lumière divine, leur être , lumineux auparavant, s'obs- curcit pour toujours , et il ne leur resta plus que la lu-

8 DE I.A LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

mière naturelle, tandis que les autres, éclairés par une lumière surnaturelle , furent affermis pour toujours dans la grâce. Les premiers, ayant refusé de boire à la source de la vie divine, n'ont gardé que la vie naturelle; les autres sont toujours rafraîchis et renouvelés par les flots de vie qui s'échappent du sein de Dieu lui-même. La Hberté des uns s'est changée en une nécessité affreuse, dont le joug pèse éternellement sur eux. Leur amour-propre blessé se débat et se consume dans une angoisse et une fureur éter- nelles : leur fausse sagesse est condamnée pour toujours à Terreur et au mensonge, pendant que les autres marchent en paix dans les voies que Dieu leur avait assignées. La di- vision produite par le péché dans les rangs de la miHce spirituelle s'est communiquée à l'univers; et celui-ci s'est trouvé partagé en deux royaumes, l'un supérieur et lumi- neux, l'autre inférieur, habitent un feu dévorant et des ténèbres sans fin; et pendant que les esprits rebelles gé- missent dans les abîmes de l'enfer, le ciel est devenu pour toujours la possession de ceux qui sont restés fidèles. Ceux - ci brillent au-dessus du monde comme des étoiles bienfaisantes, tandis que ceux-là, semblables à des astres malfaisants , percent comme d'une lueur funeste la nuit sombre ils habitent.

La terre et l'homme, que Dieu y avait placé, apparte- naient aussi au royaume de la lumière et de la vie. Comme pour tout le reste. Dieu, après les avoir créés, s'était ap- plaudi de son œuvre, et l'avait trouvée bonne. Il n'avait point donné à l'homme le ciel pour séjour; mais il l'avait placé sur la terre dans un lieu de délices qui pouvait en être considéré comme le ciel ; et s'il était sorti triomphant de répreuve qu il devait subir, il serait resté toujours dans

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le paradis, et y aurait exercé une autorité souveraine. Il devait, au nom et dans la puissance du Dieu qui l'avait créé, gouverner la terre , dont il était le roi, et protéger contre la puissance des ténèbres le paradis, qu'il était chargé de cultiver. Son être uétait encore partagé qu'en deux régions, l'une supérieure, tournée vers le ciel, ha- bitaient les pures intelligences; Vautre inférieure et ter- restre, tournée vers la terre. Il ne sentait point encore en lui cette double loi dont le joug le fatigue aujourd'hui; l'empire de l'esprit sur le corps n'avait rien perdu de sa force. Mais au lieu de faire ce qu'il devait, il fit ce qui lui plaisait. Les puissances de l'abîme le séduisirent eti lui présentant le fruit de la terre que Dieu lui avait interdit ; et, au lieu de manger de l'arbre de vie, qui appartenait à un monde supérieur, il mangea de cet autre arbre dont les racines étaient enfoncées dans la terre , et il introduisit ainsi la mort dans son être , en transgressant le précepte du Seigneur. Il tomba dans cette région basse et terrestre dont il s'était incorporé les fruits.

Cependant sa faute était moins grande que celle des anges rebelles, car il n'était pas le premier auteur du mal, et son péché avait été l'eiïet d'une séduction. Aussi ne fut- il pas précipité dans l'abîme de l'enfer ; mais Dieu se con- tenta de le chasser du paradis sur la terre. Celle-ci, privée d'une lumière qui lui soit propre , et passant alternative- ment de la lumière aux ténèbres , et du jour à la nuit , répondait parfaitement à la division profonde que le péché avait introduite dans la nature humaine. L'homme, n'ayant plus de centre pour ainsi dire et comme perdu dans la pé- riphérie, n'est plus, comme auparavant, placé entre le ciel et la terre; mais, séparé de celui-là par celle-ci, au lieu

10 PE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

d'embrasser le monde extérieur, il y est renfermé et comme captif; au lieu de dominer, il se sent lié, et sa liberté lutte avec acharnement contre les liens qui la re- tiennent. )1 est devenu terrestre, et le cercle qui l'enserre est d'autant plus étroit qu'il est plus esclave de son corps. Les forces de son être, rétrécies, liées dans une sorte d'in- différence f et attachées à la terre , ne regardent plus le monde supérieur comme l'aiguille aimantée regarde le pôle. Le ciel s'est caché à ses regards; mais, par une dis- position miséricordieuse de la Providence, l'enfer aussi est voilé pour lui : de sorte que, livré à sa propre faiblesse, son esprit oscille péniblement entre la vérité et l'erreur, de même que sa vie matérielle oscille entre le jour et la nuit. Son action est renfermée aussi en des limites plus étroites. Ne recevant plus d'une manière immédiate les influences des puissances supérieures, soit bonnes, soit mauvaises , il parait soumis uniquement aux influences terrestres. Partagé entre le devoir et le plaisir, entre la nécessité morale et la nécessité physique , il flotte encore ici entre le bien et le mal. D'un autre côté, il a renoncé à cette vie éternelle dont la source est en Dieu , sans toutefois ac- quérir le triste privilège de l'immortaUté des esprits téné- breux. Ici donc encore il faut , pour soutenir sa chétive et mobile existence, qu'il aille demander à la terre l'aliment dont il a besoin. La mort a pénétré dans son être doué d'immortalité , et son existence ici - bas s'écoule entre la mort et la vie pour ainsi dire , entre la maladie et la santé. Semblable à la lune, qui, toujours mobile, traverse sans cesse les phases qui partagent son cours , il ne peut trouver nulle part ni la fixité ni le repos.

C'est en cet état que l'homme est enti'é dans l'histoii'è.

DE LA LUTTE E.NTRE LE BIEN ET LE MAL. l 1

et qu'il a commencé à se développer, soit pour le bien^ soit pour le mal. Mais les voies qui mènent en bas lui ont paru plus commodes que celles qui montent , et l'histoire des premiers siècles de Thumanité ne nous ofîVe à peu près que le développement du mal sous toutes ses formes. Le mal se propageant de génération en génération, en se forti- fiant toujours davantage, dut prendre à la tin des propor- tions gigantesques, tandis que, le bien au contraire deve- nant toujours plus faible, les sentiers qui conduisent vers les régions supérieures devinrent parla même toujours plus déserts et plus abandonnés. Le monde moral, ayant perdu .-^on équilibre, chancelait autour de son centre de gravité. On eût dit que l'économie tout enlière de la divine provi- dence pour le salut des hommes allait être anéantie, et que tous les éléments du bien allaient disparaître. Le monde entier était plongé dans la corruption la plus profonde : toute chair, à l'exception dune famille seulement, avait perverti ses voies, et toutes les pensées étaient inclinées vers le mal. Dans cette extrémité, Dieu fit appel aux forces conservatrices qu'il a déposées en ce monde, et qu'il tient en réserve pour les jours de danger. 11 détruisit dans un déluge universel la race humaine tout entière, à l'excep- tion d'une seule famille ; et le souvenir de cette épouvan- table catastrophe resta profondément empreint dans la mé- moire du genre humain régénéré. C'était le second acte de restauration exercé à l'égard de celui-ci. Le premier avait eu lieu immédiatement après la chute, lorsque Dieu pro- mit à nos premiers parents un rédempteur, et qu'après avoir maudit celui qui les avait séduits il établit une ini- mitié irréconciliable entre la race de la femme et celle du serpent. Cette inimitié, nous la trouvons expiimée dès

42 DE LA H TTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

les premiers temps de 1" histoire dans roppositioii de la race de Seth et de celle de Caïn^ des enfants de Dieu et des en- fants de ce hionde et du prince de ce monde. Puis, les deux races s'étant mêlées^, nous vo\ons sortir de cette union cri- minelle la race impure des Nephilim. Le déluge fut le se- cond acte de cette restauration accomplie par la Providence. Livrant à 1" enfer par la mort ce qui appartenait à l'enfer, il purifia la terre souillée par tant de crimes, de sorte qu'elle put servir de séjour à une race meilleure.

l'ne nouvelle période historique commence donc après le déluge. Le genre humain . quoique délivré de ces ténè- bres sataniques qui menaçaient d'obscurcir entièrement la nature humaine, gardait toujours néanmoins cette souil- lure primitive du péché originel qui avait enfanté tous ces désordres. Le mal était brisé, il est vrai, mais la racine existait toujours. Lors donc que plus tard trois familles sortirent des trois fils de >"oé, et donneront naissance à des peuples divers, le bien et le mal qui sont dans la nature humaine se développèrent de nouveau d'une manière pa- rallèle d'abord. Mais bientôt les familles venant à se croi- ser et les peuples à s'unir, il en résulta un mélange de bien et de mal que nous retrouvons dans toute l'histoire ancienne. Dieu, il est vrai, avait fait alliance avec les hommes dans la personne de Xoé; mais Cham, père de Ca- naan, avait, dit une ancienne légende, trouvé les caractères runiques qu'avait taillés Ca'in . le père des enfants du monde et Tinventeur de ses arts mauvais, et que ses descendants avaient enfouis dans la terre à l'approche du déluge. Ainsi, la tradition des arts magiques, qui avait exercé une in- fluence si désastreuse sur le genre humain avant le déluge, avait passé dans l'époque qui le suivit immédiatement; et

DE I.A I.ITTE KNTRE LE BIEN ET LE MAL. J3

les puissances infernales s'efforcèrent de la développer et de la répandre. L'opposition qui avait séparé les enfanta; du monde et les enfants de Dieu sépara de nouveau Canaan avec ceux qui marchaient dans ses voies, et le peuple élu avec tous ceux qui partageaient de près ou de loin sa foi. Il y avait de nouveau deux cultes sur la terre, celui des es- prits de ténèbres et celui des esprits lumineux et par-dessus tout de Dieu, qui manifeste en eux sa puissance. Pendant que les nouveaux Egrégores honoraient le vrai Dieu sur la sainte montagne, en bas, dans la vallée, les fils des hommes exerçaient leurs perfides enchantements. Le culte de Baal était-il autre chose quele sabbat des sorciers et des sorcières de ce temps-là, sabbat tenu non pas en secret, dans le silence de la nuit, mais publiquement et au grand jour? Qu'y voyons-nous en*effet? un dieu adoré sous la forme d'un bouc, des prêtres dansant en chœur autour de lui en pous- .sant des cris sauvages; des prêtres inspirés et possédés par les démons, s' ouvrant les veines, se livrant aux orgies les plus infâmes; ou bien encore un dieu honoré sous la forme d"un taureau , recevant entre ses mains embrasées les enfants qu'on lui immole, et dévorant ses victimes, dont les cris sont étouffés par les sons des instruments les plus bruyants et par les acclamations féroces d'une multi- tude insensée, tandis que d'autres se jettent par troupes volontairement dans les flammes. Et ce culte de Baal ne se bornait pas à la terre de Canaan ; mais nous le retrouvons partout, quoiqu'à des degrésdivers. C'est Baal que l'Egypte adore dans les animaux : c'est lui auquel l'Inde rend hom- mage dans la personne de Siva, qui préside à la généra- tion et à la mort. La Chaldée, l'Assyrie et la Syrie recon- naissent son empire : ^'est ce culte que l'on retrouve au fond

li DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

des mystères d'Atys, de la mère des dieux et de Dionysos en Grèce, et des Bacchanales à Rome. Le }sord lui-même n"a pu échapper à ses horreurs. Déjà le dualisme entre le hien et le mal , qui du fond de la Perse avait pénétré dans ces contrées, y avait frayé la route à ce culte abominable, dont le côté sanglant et cruel surtout y avait été accueilli favorablement. Au milieu de cette inondation des fureurs de r enfer, le peuple choisi de Dieu s'efforçait de conserver la dignité morale de l'homme, et d'entretenir la flamme éîernelle de la lumière divine. Jéhovah lui avait adressé cette menace : « Celui qui incline vers les magiciens et fornique avec eux, je tournerai ma face contre lui, et le ferai disparaître du milieu de mon peuple. » Le don de fau-e de vrais miracles avait lutté en la personne de Moïse, en présence de Pharaon, contre les faux miracles du démon. Dans la personne de Daniel, la véritable prophétie avait triomphé de la fausse devant le roi des Chaldéens. Et dans Élie, sur le Carmel, le culte de Jéhovah avait confondu le culte de Baal. La bonne doctrine s* était ainsi conservée dans le monde et y avait préparé les voies faites dès l'ori- gine au genre humain. Mais une fois encore le monde, per- verti, d'un côté par l'orgueil des Stoïciens, et de l'autre par la corruption des Épicuriens , parut sur le point de s'abîmer dans une dissolution universelle-, et c'est alors que, l'excès du mal appelant un remède héroïque. Dieu descendit iui - même sur la terre , et accomplit ainsi les promesses. venue L'étoile prophétique qui annonça aux mages ce grand sauveur, ^y^uejjigi-it dirigea leurs pas non du côté de Rome, puis- sante par les armes et enivrée du sang des peuples , mais ver? la crèche reposait le salut du monde. L'enfant qu'ils

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trouvèrent faible et dénué de tout secours humain avait pour mission de s'avancer seul contre l'ennemi du genre humain, de briser le pacte que celui-ci avait contracté avec le démon, et qu'il avait comme signé de son sang, et de le lui arracher après l'avoir vaiiîcu. Lors donc que les temps furent venus, celui qui ne craint personne et dont la puissance est sans égale sur la terre se présenta devant le Christ, que l'esprit avait conduit au désert afin qu'il y fût tenté, et que par sa tentation il méritât pour les hommes la force de résister aux suggestions du démon. Trois fois le tentateur renouvelle ses attaques, choisissant à chaque fois un nouveau terrain, et le circonvenant ainsi de tous les côtés; mais aux trois fois il est honteusement repoussé. Chassé ainsi des trois régions de l'homme il avait établi son empire, il s'enfuit avec ignominie; et les anges, qui s'étaient séparés de notre premier père, lorsqu'il fut vaincu dans une épreuve semblable, viennent maintenant otTrir leurs services au second Adam, qui doit réparer la faute du premier. Le vainqueur s'avance dans la force de l'esprit d'en haut, pour annoncer l'Évangile aux pauvres, pour guérir les cœurs brisés, pour annoncer aux captifs qu'ils seront déUvrés, aux aveugles qu'ils recouvreront la vue, à ceux qui sont abattus qu'ils vont être désormais libres de toute inquiétude, et à tous en général la venue du royaume de Dieu. Plus fort que le fort armé, qu'il a vu tomber du ciel comme un éclair, il entre dans sa maison ; il l'enchaîne, lui prend les armes en qui il avait mis sa confiance, et distribue à ses élus le butin qu'il a fait. Car le troisième jugement du monde approche. Le prince de ce monde va être chassé : son peuple va tomber sous le tranchant du glaive , et Jérusalem va être foulée sous les

ir. CE LA I.ITTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

pieds des païens, jusqu'à ce que le temps de ceux-ci soit accompli. On amène au Christ les possédés, et d'une parole il chasse d'eux les démons et les délivre. Ce Gadarénen que le diable possède depuis si longtemps, qui, toujours nu, n'a pour demeure que les sépulcres , qui dans sa fureur brise les chaînes dont on le lie, et qui, poussé par le démon dans le désert, voit tous les hommes fuir devant lui; ce Gada- rénen le rencontre. Le Christ lui demande qui il est : a Je m'appelle Légion, répondit-il, car nous sommes beaucoup. Étes-vousvenu nous tourmenter avant qu'il soit temps?» Puis, reconnaissant sa puissance, il le conjure de ne pas les plonger dans l'abîme, et le Christ leur permet de rentrer dans une troupe de porcs. Les esprits impurs se prosternent devant lui , et lui crient : « Vous êtes le Fils de Dieu. » Mais lui leur défend de le faire connaître, car il ne veut pas du témoignage du père du mensonge. Quel- ques-uns sont guéris par la vivacilé de leur foi : la fille de la Syrophénicienne est sauvée par l'humilité de sa mère. Il donne à ses disciples le pouvoir de chasser aussi les dé- mons; mais, faibles encore dans la foi, ils ne réussissent pas toujours; ils ne peuvent rien sur cet esprit muet qui, lorsqu'il emporte celui qu'il possède, le rend sourd et muet, le jette tantôt dans le feu, tantôt dans l'eau, tantôt par terre, il le force de se l'ouler en écumant et grinçant des dents. Notre-Seigneur donc, après avoir chassé ce dé- mon, tend la main au possédé gisant à terre, pour le rele- ver, et reproche à ses disciples leur peu de foi ; puis il leur apprend que ce genre de démon ne peut être chassé que par le jeûne et la prière. Enfin, après avoir achevé l'œuvre pour laquelle il était venu dans le monde, après avoir vaincu le démon et l'enfer, avant de monter au ciel, il

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DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL. 17

laisse à son Église le pouvoir de chasser en son nom le démon qu'il a vaincu.

La mythologie raconte que Jupiter, après avoir fou- droyé Typhon ;, roula sur lui l'île de Sicile; que depuis ce temps il gît haletant et gémissant sous ce fardeau, qui l'ac- cable; que les flammes de l'Etna sont le souffle qui s'é- chappe péniblement de sa poitrine oppressée, et que toutes les fois qu'il se remue pour chercher quelque soulage- ment en changeant de position le sol tremble dans toute la contrée. Ainsi le Christ, après avoir dompté Satan, l'a précipité au fond de l'abîme, et a roulé sur lui ce rocher inébranlable sur lequel il a bâti son Église. cet ange apostat se tord dans les convulsions d'une fureur impuis- sante, et, soulevant parfois le poids sous lequel il gémit, il produit ces secousses violentes qui agitent le monde des esprits. Mais il a beau faire, il a perdu son droit, et avec lui la puissance formidable qu'il possédait jadis. La voie du ciel n'est plus fermée à ceux qui la cherchent : le Christ y a marché le premier, et tous peuvent y marcher à sa suite. Chacun peut, s'il le veut, rentrer en possession des biens éternels que le péché nous a* ravis. Cependant ni l'homme ni le démon n'ont perdu depuis la rédemption la liberté qu'ils avaient auparavant : le Christ a seulement brisé les hens qui attachaient le premier à celui-ci; de sorte que le démon ne peut plus exercer sur nous aucun empire sans le concours de notre volonté. Si Dieu lui permet quelquefois de nous visiter et de nous faire sentir son pouvoir, c'est toujours pour notre bien ; et il ne sau- rait jamais nous nuire contre notre gré. La lutte des deux principes n'a donc point cessé depuis le christianisme. La rédemption n'a fait, au contraire, que la rendre plus

18 DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL.

acharnée en la rendant plus spirituelle; mais du moins les armes sont égales des deux cotés, et la victoire, si nous le voulons, est assurée. Depuis que le judaïsme est tombé sous les coups du paganisme, et que celui-ci s'est affaissé de soi-même, écrasé par la religion du Christ, le fil im- pur des traditions diaboUques n'a point été coupé pour cela ; à travers les ruines des anciens systèmes, il s'est prolongé jusqu'à nos jours, grâce à la corruption et à la penersité du cœur humain. Cependant il y a sous ce rapport , entre l'époque qui a précédé Jésus -Christ et celle qui l'a suivi , cette différence que dans le tissu de l'histoire l'action du démon formait en quelque îorte la chaîne autrefois, tandis qu'aujourd'hui elle n'en est plus que la trame. Les temps sont changés. L'hutnanité est encore, il est vrai, exposée aux attaques des puissances de l'enfer : mais l'issue de la lutte n'est plus incertaine : et si la main de riioimne ne rompt elle-même le sceau qui ferme l'abîme, le démon n'a plus d'empire sur lui, et son salut est assuré. issance La possession n'a donc point cessé dans l'Église; mais Eglise- ^giie.ci a reçu de Dieu par les apôtres les secours néces- saires pour en contre -balancer les effets. Tous chasserez les démons en mon nom, a dit Notre -Seigneur. Les Actes des apôtres nous racontent que ce nom n'était pas invoqué en vain par ceux-là mêmes qui n'appartenaient pas à Jésus- Christ. Déjà, dès l'origine, comme nous l'apprenons par le témoignage de saint Cyprien et de Prudence, pour con- jurer la puissance du diable, l'Église avait admis dans sa hiérarchie les exorcistes. Saint Ignace lui-même, dans son épître aux habitants d'Antioche, et le pape saint Cor- neille dans sa lettre à Fabien, font déjà mention des pxorcismes. Les démons sont conjurés au nom de Celui

DE LA LUTTE ENTRE LE BIEN ET LE MAL. 19

qui viendra juger les vivants et les morts. Les exorcismes ne se pratiquaient ni dans les maisons, parce qu'on avait peur, ni dans les églises, à cause de la sainteté du lieu, mais en plein air. on leur demandait leurs noms, et on les forçait à manifester leur départ par quelque signe extérieur. « Car, nous dit saint Cyprien parlant de l'im- puissance des démons, conjurés par nous au nom du vrai Dieu, ils sont renversés aussitôt, forcés à confesser le nom du Seigneur et à sortir du corps des possédés. Vous les voyez à notre voix, et par l'action de la majesté divine cachée en nous, fouettés, jetés dans le feu, contraints par un accroissement de souffrances à nous demander grâce et à déclarer, en hurlant et en gémissant, d'où ils viennent et quand ils s'en iront. L'ile de Chypre a été témoin de ces merveilles, quand saint Hilarion, qui y avait cher- ché le repos de la solitude, y ayant été découvert, délivra de cette manière près de deux cents possédés, hommes et femmes, comme le raconte saint Jérôme dans sa vie. «

20 DES ULRKSIES ANCIENNES ET MODERNES.

CHAPITRE II

Dt^veloppenieut du mauvais principe dans les hérésies anciennes et modernes. Des trois formes du panthéisme naturaliste dans le monde païen. Des trois formes du judaïsme dans son développe- ment. Le paganisme et le judaïsme, plus tard le mahoniétisme ar- més contre la Ooctrine du Christ. Hérésies des Gnostiques et des Judaïsants. Elles se confondent à la fin avec le manichéisme, et. partant de TOrient. inondent l'Occident tout entier. L'émancipa- tion de la chair. L'orgueil enfante le sensualisme d'un côté, et le rigorisme de l'autre. Les faux prophètes et les clairvoyants opposés aux voyants et aux prophètes véritables.

L'Église n'eut pas à souffrir seulement de la x iolence île ses persécuteurs; mais elle eut encore à lutter de tout temps contre les mauvaises doctrines qui étaient nées du paganisme et du judaïsme à la fois. Le premier, depuis qu'il s'était séparé du tronc de la religion primitive, avail dégénéré dans un panthéisme dont les formes varièrent chez les différents peuples, selon la différence du principe que l'on prenait pour base. Comme l'univers seaible par- tagé en deux moitiés^ le ciel et la terre, on supposa que tous les deux ils avaient produit l'ensemble des choses dont la diversité frappe nos regards; et dans les contrées de l'Occident on désigna l'époque cette production eut lieu sous le nom d'époque d'L'ranus et de Géa. Et c'est sous cette forme que le panthéisme se révéla pour la pre- mière fois. Mais comme cette production continuelle et surabondante s'opposait au développement des choses pro- duites, il fallut y mettre des bornes et la faire rentrer dans de justes Umites. C'est le temps qui fut chargé de cette opé- ration, le temps, qui toujours finit et toujours recom- mence . oscillant perpétuellement entre la vie et la mort.

DKS HERIiSItiS ANCIENNES ET MODERNES. 21

Ici commence la seconde période du piuitliéisnie, celle de Chronos et de Rhéa^ après que les Titans eurent mutilé Uranus. Mais le temps, toujours mobile, ne pouvait con- duire au but désiré. Dévorant tout, pour le reproduire en- suite sous une autre forme, enfantant les êtres sortis de bon sein, pour les dé\orer ensuite, il ne pouvait rien éta- blir de stable et de permanent. Il fallut donc avoir recours à un troisième principe, qui, coordonnant tous les êtres avec nombre, poids et mesure, les assujettît à la loi d'une harmonie supérieure, et donnât à chacun l'ordre et la beauté qui lui conviennent. Ce principe fut représenté dans Zeus et Héré ; et avec eux commence la troisième période du panthéisme.

Mais les forces sauvages de l'époque antique ne cédèrent pas sans combat à la nouvelle puissance qui se produisait dans le monde. Il fallut les soumettre et les dompter; et c'est à la suite de celte lutte terrible que les Titans de la fable furent précipités au fond de l'abîme. Comme ils avaient combattu pour la cause du désordre, de l'injus- tice et de la violence, contre l'ordre et l'harmonie, ils re- présentèrent le mauvais principe , tandis que les partisans de Chronos luttaient en faveur du bien. Et c'est alors que le panthéisme se produisit sous la forme du dualisme, ou d'une opposition irréconciliable entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres, entre la vie et la mort. La lutte de ces deux principes une fois commencée se con- tinue dans l'histoire par des émanations, des générations et des incarnations interminables du bon principe , appa- raissant ici dans Dion\sus, dans Mithra, ailleurs dans Chrishna, Osiris, etc. On en vint bientôt à regarder ces personnages comme n'ayant jamais commencé j et à con-

22 LIES HÉRÉï«IE5 A>CIE.NNE< ET MODERNES.

sidérer celte lutte comme éternelle. C'est ainsi que la doc- trine du dualisme s'établit dans le monde ^ et que ses partisans en vinrent bientôt à adorer le mauvais principe. Le judaïsme^ de son côté, se trouva dès Torigine en op- position directe avec le panthéisme païen sous toutes ses formes. Jéhovah n'était point, aux yeuv des Juifs, renfermé dans la nature; il n'avait rien de commun avec elle : effet de sa puissance infinie, elle était séparée de lui par un abîme. Comme il avait créé le ciel et la terre, Uranus et Géa étaient à son égard de pures idoles, et leurs adora- teurs des rebelles. Comme c'était lui, d'un autre côté, qui avait créé la lumière et établi les ténèbres, ce dualisme qui séparait deux choses intimement unies dans leurs racines était une abomination à ses yeux. Le panthéisme sous toutes ses formes était donc pour le monothéisme un scan- dale; il avait pour base cette doctrine insinuée par le dé- mon à nos premiers parents : Vous serez comme des dieux , et. comparé à lui, il était ce que le mal est au bien. Cependant on ne peut méconnaitre non plus un certain progrès dans le culte du judaisme et dans son rapport avec les fausses religions qui l'entouraient. Dieu, en effet, s'é- tait manifesté d'abord comme créateur; et, lorsqu'il avait créé le monde, son action n'avait trouvé aucun obstacle au dehors, puisque le mal n'existait pas encore. Aussi, après chaque création^ pouvait-il s'applaudir de son œuvre et la proclamer bonne. Mais lorsqu'une partie des anges^ s' étant révoltés contre lui, eurent entraîné dans leur révolte l'homme lui-même, et que le mal se fut ainsi propagé, à travers tous les domaines de la création, jusqu'à la terre, qui en forme comme le dernier degré, une seconde époque coimuença dans l'histoire, époque de mo])ilitG et de chan-

DES HÉRÉSIES ANC1E»ES ET MODERNES. 23

gemeiits continuels. Dieu apparut dès lors comme conser- vateur et destructeur à la fois : conservateur à l'égard de ce qui s'était maintenu dans le bien, destructeur et ven- geur à l'égard du mal; recueillant, protégeant, discipli- nant le premier par des lois sages et fortes à la fois; com- battant, écartant le second, ou le faisant servir au triomphe du bien. C'est l'époque de la loi et de l'ancienne al- liance. Mais cette conduite de la Providence avait pour but de préparer l'avènement de la troisième époque. En elfet, la plupart des hommes opposant leur volonté aux desseins de Dieu sur eux, et les rendant inutiles par l'abus cou- pable de leur liberté , il apparut enfin comme restaura- teur et sauveur; et avec l'accomplissement des promesses relatives au Messie commença la troisième époque dans l'histoire, époque qui ne finira que lorsque Dieu, après avoir achevé la purification du genre humain par la sépa- ration incessante du mal et le couronnement des élus, se manifestera au monde comme souverain juge, et conduira la création tout entière vers son but final.

Mais les promesses s'accomplirent d'une tout autre ma- nière qu'on l'avait attendu ; Juifs, païens, tous furent éga- lement surpris et déconcertés par ce grand événement. Le paganisme reposait, il est vrai, sur ce principe, que la ré- demption était déjà accomplie ; et chaque peuple païen pou- vait citer dans son histoire un ou plusieurs sauveurs à qui il devait sa gloire et sa prospérité. Cependant l'hisuffisance du salut qu'avaient apporté ces dieux et l'impuissance de ceux-ci avaient enfin donné aux païens une sorte d'attente d'un rédempteur, qui, quoique moins explicite que chez les Juifs, n'en est pas moins très-prononcée dans leur culte et dans toute leur histoire. Mais le Messie qu'ils attendaient.

24 DtS HKRÉSltS A.\ClE»tS ET .M0DER>;ES.

(:"ét;iil un coïKiiiéruiit qui, après avoir soumis à l'empire de liome tous les peuples de la terre^ ne i'erait du monde en- tier qu'un seul royaume. Les Juifs, de leur côté^ espéraient un Messie qui les délivrerait de l'oppression et de l'hu- miliation sous laquelle ils gémissaient, et qui leur assujet- tirait toutes les nations. Or les uns et les autres voyaient apparaître un Sauveur qui , plus pauvre que les oiseaux du ciel, n'avait pas un lieu il put reposer sa tête; un Sau- veur qui s'était entouré d'hommes sans considération^ sans instruction; qui enseignait une doctrine d'une grande pro- fondeur^ il est vrai, quand on se donne la peine de l'étu- dier attentivement, et confirmée par des miracles éclatants, mais dont néanmoins la simplicité choquait la sagesse fausse et orgueilleuse du monde. Il ne s'agissait ici ni des dons de l'esprit, ni du courage qui fait les héros, ni de conquêtes matérielles. C'était par l'humihté qu'il fallait conquérir la couronne que ce Sauveur promettait à ses élus, et le royaume qu'il leur annonçait était un royaume invisihle. Quand on vit ce singulier Messie mourir sur une croix, et ses disciples entreprendre de vaincre les princes du monde non par les armes, mais par les souffrances, le paganisnie se détourna avec mépris, et le judaïsme avec fureur. Le premier, s'afîaissant toujours davantage , crut pouvoir se soutenir en reprenant son ancienne croyance, à savoir que la rédemption avait été accomplie déjà autrefois par les hauts faits deZeus ou de Chronos; il essaya de don- ner à cette doctrine une forme plus scientifique et plus sé- duisante pour l'esprit, et de la purifier des erreurs mons- trueuses qui l'avaient dénaturée, afin de pouvoir l'opposer ensuite avec succès au christianisme. Le judaïsme, de son côté, nia que les promesses fussent accomplies, et en remit

DES HÉRÉSIES ANCIENNES ET MODERNES. 2o

la réalisation à une époque plus éloignée. Puis, les Juifs ayant été sur ces entrefaites dispersés parmi tous les peu- ples de la terre, ils essayèrent aussi, comme les païens, par haine pour le christianisme, de donner à leur doctrine une forme qui la rendit plus accessible au\ esprits de ce temps- là. Ce qui s'était passé dans le judaïsme lors de la captivité de Babylone se reproduisit en cette circonstance. Au re- tour de cette captivité, les Juifs , sentant le besoin de forti- fier l'idée qui faisait la base de leur nationalité, avaient re- cueilli le canon de leurs Écritures, qui s'était augmenté de plusieurs livres. Dans cette dispersion générale et déiini- ih e , ils voulurent rassembler toutes les traditions orales qui expliquaient la doctrine et la loi, pour qu'elles ne se perdissent pas parmi eux. C'est ainsi que des commande- ments du Sinaï et des écrits légués par le passé naquit la Massorah, qui est comme la partie formelle de la doctrine du judaïsme, tandis que la Mischnah, avec ses Breiloth, en forme la partie matérielle. Plus tard la Mischnah, avec la Gemara, son commentaire, composa ce qu'on ap- pelle leTalmud, c'est-à-dire la Doctrine. Enfin , à la Mas- sorah et à la Mischnah vint s'ajouter encore la Cabale, qui, puisée à la môme source que les deux premières, forme la doctrine mystique et secrète du judaïsme. La Cabale eu particulier devait , dans ce qu'elle avait de vraiment indi- gène, restaurer et soutenir le mosaisme, qui chancelait, tandis que, par ses emprunts au paganisme d'un côté et au christianisme de l'autre, elle devait acquérir un déve- loppement qui pût lui permettre de se poser en face de la doctrine de l'ÉgUse , et de la combattre, comme les nou- veaux Platoniciens le faisaient avec leur philosophie éclec- tique.

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'J6 DES HERESIES ANCIENNES ET MODERNES.

L'ancienne doctrine judaïque avait présenté son Jéhovah comme le Dieu suprême, comme le Dieu de tous les dieux du paganisme. Dans la Cabale, c'est Ensoph, caché dans les plus profonds abîmes de l'être, qui est tout, et qui pour- tant n'est rien de ce qui est; c'est Ensoph qui a créé d'a- bord l'universalité des choses, par Menra ou le Verbe. Puis celui-ci produit les trois Sephiroth supérieurs, et de ces derniers sortent les sept inférieurs. C'est ainsi qu'Ensoph, se manifestant dans les dix sphères qui composent l'univers entier, a terminé l'arbre généalogique des émanations divi- nes, lequel s'étend à travers les quatre mondes superposés l'un à l'autre, depuis les sommets du monde des esprits jusqu'aux derniers degrés de la matière. Mais, parallèle- ment à cette suite d'émanations divines, nous voyons se dé- velopper à travers ces quatre mondes une série de démons ou de substances spirituelles ; car les Juifs étaient persua- dés que tous les domaines de la création, depuis le ciel jus- qu'à la terre, les astres du iirmament, les éléments de l'a- bîme, les montagnes, les plantes, les animaux, les hommes des soixante-dix peuples de la terre sont contiés à la garde d'esprits particuliers. Mais, de même que le monde est par- tagé en deux parties, l'une ténébreuse, et l'autre lumineuse, présidées, celle-ci par Jezer Tob, l'être bon, et celle-là par Jezer Hara, l'être mauvais, ainsi le monde des démons forme deux royaumes, celui des bons et celui des mau- vais esprits, toujours en lutte l'un contre l'autre, mais liés cependant par un certain rapport magique. A la tête des premiers étaient trois intelligences supérieures ; Mé- tralron, Sandalphon et Acatriel. Après eux venait la mi- lice entière des bons esprits, partagée en dix chœurs, d'a- près le nombre des trois cieux et des sept planètes. Le

DES HÉRÉSIES ANCIENNES ET MODERNES. 27

chef des mauvais démons, c'était Samaël ou Satan, dont le serpent était comme le principe ou le côté féminin, tan- dis qu'Asmodée etBédargon étaient comme ses lieutenants. Après eux venaient les puissances inférieures , les Satan , le Schedim, les Sayrim, les Maladie Ghabbalah, tous mi- nistres de la colère de Samaël et composant sa cour. Ils remplissent les sept régions de l'enfer ou de la géhenne , de même que les bons esprits occupent l'Éden ou le para- dis, et entre les deux sont placés les esprits de la nature. [Histoire, doctrine et noms de toutes les sectes juives ciui ont existé autrefois, ou qui existent encore aujourd'hui , par Béer,, tome II; Brunn, 1823.)

L'homme^ étant ainsi placé entre les deux mondes de la lumière et des ténèbres, peut recevoir par même les in- fluences de l'un ou de l'autre , selon qu'il se tourne vers celui-ci ou vers celui-là. S'il se tourne vers la lumière, sa vie se développera dans la lumière, le bien et la sainteté; si, au contraire, il cherche les ténèbres, il descendra jus- qu'aux dernières profondeurs du vice et delà perversité. 11 peut donc , en avançant toujours, soit dans le bien soit dans le mal, arrivera un état d'inspiration céleste ou sata- nique , et au bout de cette voie trouver la magie divhie ou lu magie infernale. Cette double magie de la Cabale juive nous représente, quoique dans un sens plus élevé, ce qu'é- taient pour le paganisme la théurgie et la géolie. Outre cela, les païens, aussi bien que les Juifs, reconnaissaient une troisième sorte de magie, à savoir une magie natu- relle, correspondant aux esprits de la nature. Nous re- trouvons aussi ces trois genres de magie dans le maho- métisme; et il ne faut pas s'en étonner, puisqu'il n'est lui-même qu'une combinaison du judaïsme et du paua-

28 DES HÉRÉSIES ANCIENNES ET MODERNES.

nismc. Les musulmans distinguent encore à l'heure qu'il est une magie naturelle^ Essimiah, et une magie spirituelle, Erruhani , laquelle se divise de nouveau en deux espèces. Tune divine, ayant Dieu pour principe immédiat ou in- direct, selon qu'on invoque ou son nom ou celui des bons esprits: et l'autre satanique , nommée Sufli, dans laquelle l'homme invoque l'assistance des esprits mauvais. Le christianisme, entouré de ces trois écoles, eut peine à se défendre de leurs influences; et c'est à celles-ci que l'on doit attribuer l'origine de toutes les hérésies qui pa- rurent dans les premiers siècles. L'influence du mahomé- tisme ne se fit sentir que plus tard; encore peut- on dire que ce fut principalement par l'intermédiaire des Juifs.

L'Église avait poussé ses premières racines au milieu du monde juif et païen, et c'est de que lui étaient venus les premiers fidèles. Or, parmi ceux qu'elle avait convertis , plusieurs eurent la pensée de venir au secours de la nouvelle doctrine, et d'en étayer la faiblesse appa- rente en l'appuyant sur les doctrines juives et pa'iennes, afin qu'elle put de cette manière lutter avec plus de suc- cès contre celles-ci. C'est de cet effort que sont sorties suc- cessivement toutes les erreurs des judaïsants et des gnos- tiques, qui essayèrent de dessécher et de faire périr le tronc de la vraie doctrine , en l'étouffant sous une multi- tude de plantes parasites, tandis que, dans le sein de l'Éghse, d'autres hérésies, exagérant ou rétrécissant ses dogmes, lui préparaient des périls non moins grands. La Cabale avait surtout trouvé des adeptes en Egypte , parmi les Juifs hellénistes, parmi les Esséens ou piétistes, et les Thérapeutes ou mystiques, comme on peut le voir dans les écrits do Philon. Les chrétien- venus du juda'isme

DES HÉRÉiîIES ANCIENNES ET MODERNES. 59

s'appliquèrent donc à présenter la doctrine chrétienne sous un aspect qui ne fût pas de nature à repousser leurs anciens coreligionnaires. Comme il existait une cer- taine analogie entre les trois périodes des dieux du paga- nisme et les trois révélations successives faites au genre humain^ à l'origine d'abord, puis au peuple hébreU;, puis par Notre -Seigneur Jésus - Christ , on en vint à supposer aussi, toujours dans la vue d'obtenir le but désiré , que le Messie , roi du monde spirituel supérieur, par opposi- tion à Satan, prince du monde inférieur, que le Messie avait paru dans la révélation de ces trois périodes de l'histoire. Ce premier pas fait, il était facile d'aller plus loin , et d'en venir à prétendre que les trois doctrines ne sont au fond qu'une même chose, et que la troisième, à savoir la doctrine chrétienne, n'avait eu pour but que de débarrasser la seconde des éléments étrangers qui l'avaient défigurée depuis 3Ioïse , et de la rétablir dans sa dignité primitive. C'est sur ces fondements que se sont élevées les diverses sectes judaïsantes des premiers temps de l'Église , comme les Ébionites, les Nazaréens et les Elcésaites, chez qui l'on retrouve la magie, les conjurations d'esprits , les sibylles et les prophétesses.

Les chrétiens venus du paganisme firent la même chose Hérésies de leur côté; ils cherchèrent premièrement à enrichir la P''^'^""^^^ doctrine chrétienne, qui leur paraissait méprisable à cause gnostique de sa simplicité, en y ajoutant les trésors que le paganisme possédait en ce genre. Puis ils cherchèrent à présenter le paganisme comme bien supérieur au judaïsme ; et trans- portant à l'histoire de l'Église la division des périodes admises pai' les païens, comme nous l'avons vu plus haut, ils présentèrent le paganisme et le judaïsme comme deux

30 DE? HÉRÉSIE? A^■CIEN^ES ET MODERNES.

choses entièrement opposées. Les doctrines gnostiques se distinguèrent selon les systèmes païens qu'elles prirent pour base, et qu'elles cherchèrent à introduire dans le christianisme ; et il semble que nous n'avons aucune règle plus sûre pour discerner leur origine que les systèmes des nomijres qu'elles on pris pour point de départ. On pour- rait d'après cela retrouver la trace des doctrines égyp- tiennes dans celle de Basilide, prédomine le nombre huit joint à celui de trois cent soixante-cinq, et qui est dans un rapport intime avec la métempsycose ; le nombre sept chez Saturnin indique la Perse comme berceau de ses erreurs; le nombre trois, puis les nombres huit, dix et douze, joints au nombre trente, désignent la Chaldée chez Valenlin.

Quant aux sectes de la seconde sorte, elles se distinguent parle degré d'abaissement oii elles ont essaAé de réduire le judaïsme et son Dieu, de même que par le degré d'op- position qu'elles ont prétendu étabhr entre lui et le Dieu des chrétiens. Chez Basilide, Jébovah n'est que le premier ange de la dernière hiérarchie des esprits, tandis que dans le Christ la plus haute énergie divine s'est unie à l'homme. Chez les Valentiniens, Jéhovah est le démiurge, le roi du monde des figures et des images; il est engendré par Acha- moth chassée du Pleroma dans l'obscur chaos, tandis que Jésus restaurateur de ce même monde est l'Eon que tous les autres Eons ont formé de ce qu'il y a de plus pur dans leur essence. Chez Marcion , le Créateur, ne connaissant que la justice, mais ignorant l'amour, flotte entre le bien et le mal. D'autres, poussant la chose encore plus loin, font du Créateur un être mauvais, qui a introduit le péché dans le monde parla loi. Les Ophites semblent avoir poussé

DES HERESIES ANCIENNES ET MODERNES. 31

cette horrible doctrine jusqu'à ses dernières conséquences; et bientôt les choses en vinrent à ce point que^. par une réac- tion inévitable en ces sortes de cas^ l'opposition entre le mahométisme et le judaïsme finit par disparaître tout à fait , tandis que dun autre côté les Sélhites et les Caïnites poussèrent cette opposition jusqu'à un dualisme formel. Les Ophites enseignaient que la Sophie^ s'abaissant jus- qu'à la matière, avait enfanté Jaldabaoth_, le fils du Chaos; que celui - ci , après avoir créé les sept esprits sidéraux , avait créé avec eux le monde et enfin l'homme ; que de son souffle il avait communiqué à celui-ci la lumière supé- rieure qui habitait en lui; mais que^, voulant l'empêcher d'acquérir une science plus élevée, il lui avait défendu de manger le fruit de l'arbre de la science ; de sorte que l'es- prit du serpent, créé aussi par lui, était devenu le bienfai- teur de l'humanité en le poussant à transgresser le pré- cepte du Seigneur. Ces hérétiques en vinrent bientôt à prendre parti pour Caïn, pour Cham, pour les habitants de Sodome, etc., comme les Caïnites; ou, comme les Sé- thites , à voir dans Seth et Sem le précurseur du Messie ou le Messie lui-même, et à chercher la vraie doctrine dans la ligne des enfants de Dieu , pendant que les Ada- mites, remontant plus haut, honoraient dans Adam la souche commune des enfants de Dieu et des enfants des hommes.

Tous ces systèmes, on le voit, entendaient dans un sens Lemani- hérétique et exagéraient l'opposition qui existe entre les deux principes du bien et du mal. Aussi finirent- ils par se résoudre tous dans le manichéisme, qui avait su trouver la formule la plus courte, la plus populaire, la plus favo- rable aux passions humaines, pour tous les adversaires du

32 PES Hfc;RÉSIES ANCIENNES ET MODERNES.

dogme chrétien et de la morale sévère de rÉvangile dans le monde. Deux royaumes éternels gouvernés par deux chefs, dont lun cependant est sui^érieur à l'autre; dans l'homme deux natures, l'une plus élevée, l'autre infé- rieure, dont la première, plus forte à l'origine, a perdu son empire dans la génération par la volupté : telle était cette formule, dont la simplicité apparente devait plaire aux esprits vulgaires , et dont la facilité souriait d'ailleurs aux passions du cœur humain. Aussi fut-elle favorable- ment accueillie partout, mais surtout en Orient. Cette doctrine néanmoins^ puisée du Zend-Avesta, était dans sa forme primitive trop opposée au christianisme pour pou- voir se défendre contre lui. Elle sut donc se plier aux cir- constances, et prendre diverses formes selon les temps; et c'est ainsi qu'elle a pu se soutenir à travers les siècles jusqu'à nos jours. Vers la un du iv^ siècle, elle pénètre sous la forme du priscillianisme jusqu'au fond de l'occi- dent en Espagne, et y jette des racines si profondes qu'on l'y retrouve encore à la fin du vi' . Vers le miUeu du siècle suivant, les Pauhciens l'introduisent parle moyen de Cons- tantin dans l'Arménie syrienne; puis dans le cours duvnf , elle se répand dans l'Asie Mineure, et se rajeunissant dans l'hérésie de Sergius, vers la fin du même siècle, elle gagne en partie la faveur des empereurs d'Orient. Mais au milieu du w" siècle, l'audace de la secte donne naissance à une guerre qui dure près de cent ans , et dans laquelle elle est complètement défaite. Les Manichéens, transportés en Thrace dans les vallées du mont Hémus, se hguent avec d'autres, bannis avant eux, et se répandent de nou- veau sous le nom de Bogomiles. Vers le milieu du xi* siè- cle, Psellus les reconnaît sous le nom de Messaliens, d'Eu-

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chètesou d'Enthousiastes^ tandis qu'Alexis Comnène, vers la tin du même siècle, se vante d'avoir convaincu une partie de ces hérétiques de leur erreur, et fait divulguer par Euthymius leurs mystères. Cependant ils s'étaient ré- pandus par des missions et parle commerce dans la Bosnie et la Dalmatie, et poussant toujours plus à l'ouest ils appa- raissent avant l'an 1000 en Italie, et trouvent particuliè- rement d Milan un accueil favorable. Comme ils étaient étrangers, on leur donna le nom de Passagini, et ce- lui de Bulgares parce qu'ils venaient de Bulgarie: mais eux, se regardant comme plus purs que les autres hommes, s'appelaient Catharins, Patarins, Piphliens, Bégards, Loi- lards, etc. Leur doctrine fit de rapides progrès, même dans l'État de l'Église, et pénétra jusqu'en France. Elle y avait germé longtemps en secret, lorsque enfin elle se pro- duisit tout à coup au grand jour dans le sein du clergé d'Orléans en 1017, et se répandit de en diverses pro- vinces particulièrement dans le sud de l'Aquitaine, elle fit de si rapides progi^ès que déjà en 1030 nous voyons un concile assemblé contre ses sectateurs à Toulouse, jusqu'à ce qu'enfin la guerre des Albigeois arrêta leurs progrès dans cette contrée sans les extirper entièrement. En effet, ils ne s'étaient pas bornés à la France; mais ils avaient fait seulement de ce pays leur centre d'opérations, et de ils s'étaient jetés sur tous les peuples de l'Occident. Nous les trouvons déjà en 1052 dans la contrée de Goslar, puis dans les pays du Bas-Rhin. Vers le milieu du xn^ siècle, ils pas- sent de Gascogne en Angleterre , couvrent l'Espagne de leurs associations secrètes, et font du royaume de Léon un des principaux sièges de leur puissance. Nous les voyons reparaître plus tard de temps en temps dans les guerres des

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paysans, chez les Anabaptistes. Puis passant dans le nou- veau monde, après la découverte de celui-ci, ils s'y im- plantent et s'y propagent. On les retrouve encore à l'heure qu'il est chez les Bogomiles des montagnes de l'Hëmus; et il n'y a pas longtemps qu'ils ont essayé de se constituer dans la capitale même de la France sous le nom de Saint- Simoniens.

Ce réseau de sectes et d'hérésies, qui n'a cessé d'enlacer lÉglise depuis son origine jusqu'à nos jours, a été en même temps pour la mystique diabolique un des auxiliaires les plus puissants; et c'est par les Manichéens surtout que celle-ci s'est répandue à travers le temps et l'espace. Comme la spéculation et la pratique se tiennent par des liens très- étroits, on peut toujours juger de l'une par l'autre. Une fois qu'on reconnaissait dans le mal un principe absolu et per- sonnel, on devait l'honorer, le servir et lui rendre hom- mage; et lui, de son côté, devait récompenser à sa manière le culte qu'on lui rendait. Si dans les commencements, moitié par un reste de pudeur, moitié pour ne pas choquer trop ouvertement l'instinct reUgieux des populations , on donnait au bon principe la prééminence, le principe mau- vais était regardé toutefois comme lui étant semblable en toutes choses, et les esprits conséquents devaient en con- clure qu'ils étaient égaux tous les deux. De il n'y avait qu'un pas pour arriver à reconnaître que le roi des régions inférieures, lesquelles sont plus proches de l'homme, est le plus puissant, et qu'on doit l'honorer plus que son ri- val ; et c'est ce qui a répandu le culte du démon dans toutes les contrées de l'Europe. Chacun de ses adorateurs croyait, d'après la doctrine qu'il avait embrassée, et plus encore d'après sa propre expérience, qu'il portait en soi un

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élément en rapport avec le démon, une nature inférieure et ténébreuse, et jouissant en quelque sorte du droit de cité dans le royaume de Satan. Plus cette nature inférieure avait pris le dessus dans un homme, plus elle avait subjugué la nature supérieure, et fait prédominer ses instincts, ses appétits et ses passions, plus cet homme devait se trou- ver disposé à entrer au service d'une puissance dont il sen- tait la force dans tous ses membres et dans tous ses or- ganes; moins, au contraire, il devait se sentir d'attrait pour le principe du bien qui, malgré toutes ses perfections, ou plutôt à cause d'elles, lui paraissait quelque chose d'inac- cessible et de trop étranger à sa nature. Une fois décidé dans son choix, il devait chercher à entrer dans un com- merce plus intime avec le maitre invisible qu'il s'était choisi, et il trouvait dans sa nature inférieure comme un point de contact avec lui. Une alliance formelle était donc facile, et les conditions en étaient, pour ainsi dire, trouvées d'avance. En eflét, comme c'est principalement dans la chau- que règne Satan , l'émancipation de la chair et tout ce qui s'ensuit était le résultat prochain de ce contrat tacite entre l'homme et le démon, et souvent même cette con- dition était posée d'une manière formelle.

Mais le mal sut arriver au cœur de l'homme par d'autres L'émanci voies encore. L'Église avait toujours reconnu les obstacles P^^'"" .^® que l'homme rencontre pour son salut dans les instincts de la nature inférieure ; aussi avait - elle toujours cherché à tenir celle-ci sous une discipline sévère. Cependant la gran- deur des périls qui nous menacent de ce coté ne lui avait pas fait perdre de vue ceux que l'orgueil nous prépare ; et, pour- suivant les racines du mal jusque dans les régions les plus hautes de l'homme, elle s'était efTorcée de contenir celles-ci /

3<3 1»LS HEHÉSIES A.NClE.N.NtS El MODERNES.

SOUS un joug salutaire. Elle trouvait partout sur sa route deux ennemis à combattre : en bas , la concupiscence et l'instinct animal^ qui dépriment l'homme; en haut, la su- perbe ou l'orgueil, qui veut toujours monter. Et comme sa doctrine se tient toujours dans ce miheu sage et juste, le- quel n'est que l'unité vivante et supérieure se joignent les extrêmes qui semblent le plus opposés^ elle avait cher- ché ici encore à garder ce sage tempérament qui évite avec précaution tous les excès. Soumettant à Dieu également, et les instincts de la nature inférieure, et les élans de la nature supérieure, s' efforçant de rabattre l'orgueil et de relever les passions basses de l'homme , elle voulait ainsi établir en lui un juste équilibre, et lui rendre, autant que la chose est possible ici -bas, l'harmonie qui existait dans son être à l'origine. Mais de même que le bel accord des dogmes de l'Église avait été troublé par les diverses hérésies, et sur- tout par celle des deux principes, ainsi devait -il en être de la discipline morale fondée sur ces mêmes dogmes, ^'ous retrouvons donc encore ici deux doctrines extrêmes, l'une qui conduit au sensualisme, et l'autre qui mène par l'or- gueil au rigorisme. Cette opposition avait existé déjà, et chez les pa'iens dans les deux sectes des Épicuriens et des Stoïciens, et chez les Juifs dans les sectes des Sadducéens et des Pharisiens. Chacune de ces doctrines était un mal en soi, parce que chacune développait à sa manière quelques- uns des mauvais instincts de la nature humaine. Mais lors- qu'elles se furent rencontrées, comme les extrêmes finissent toujours par se rencontrer; lorsque l'orgueil, approchant dans une présomptueuse assurance de la volupté qui l'é- piait, se trouva pris dans ses pièges; ou lorsque celle-ci, arrivée au dernier degré de l'abrutissement, trouva sur ses

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pas l'orgueil^ alors ces deux ennemis du bien se donnèrent la main, et hâtèrent les progrès du mal par leur funeste alliance. Aussi saint Augustin, dans son livre des Hérésies, adressé à Quodvultdeus, nous apprend que les sectes gnos- tiques étaient généralement si décriées que, tandis qu'elles s'appelaient de difîérents noms, beaucoup les désignaient toutes en masse sous le nom de Borborites, c'est-à-dire sales, à cause des abominations qu'elles pratiquaient dans leurs mystères. Le saint docteur nomme expressément comme se distinguant sous ce rapport les Simoniens, les Nicolaïtes, les Carpocratiens, les Manichéens, les Priscil- lianistes et les Paterniens. L'extrême opposé était repré- senté par les Montanistes et les Valésiens, qui se châtraient eux-mêmes , par les Patriciens et les Circumcellions , qui pratiquaient le meurtre contre les autres et contre eux- mêmes , par tous ceux en un mot qui s'appelaient Catha- rins ou purs. Or cette contagion de l'orgueil était plus subtile et plus pénétrante encore que celle de la volupté. Cette opposition passa bientôt de la vie dans la mystique, à l'aide du principe sur lequel les difïérentes sectes ap- puyaient leurs doctrines. Comme celles-ci, étant toutes en contradiction avec les dogmes de l'Église, avaient besoin pour se faire accepter, d'une garantie supérieure, leurs auteurs l'avaient cherchée dans le prétendu Paraclet qu'ils promettaient à leurs adeptes. Tous les hérésiarques, depuis Simon le Magicien jusqu'à Manès, et plus tard jusqu'au moyen âge, s'étaient annoncés comme envoyés par l'Esprit, et avaient donné leur doctrine comme une nouvelle effu- sion de ce même esprit ayant pour but de continuer et d'étendre l'œuvre de la rédemption. Comme cette effusion du Saint-Esprit se manifeste principalement dans le don de m. 2

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prophétie, ce doîi , et avec lui toute la mystique, n" avait pas tardé à'pénétrer dans les sectes qu'ils avaient fondées; et comme, d'un autre côté, c'était dans leurs prophéties que la doctrine qu'ils enseignaient avait ses racines, celle-ci devait nécessairement manifester l'esprit qui l'avait inspi- rée. Déjà dans l'ancienne alliance nous rencontrons deux sortes de prophètes, ceux de Jéhovah et ceux de Baal ; car il y a deux sortes d'esprits, l'un qui souffle d'en haut, Vautre d'en bas. Les annales des Hébreux nous apprennent ce qu'il faut penser des prophètes de Baal, et nous pouvons, en nous rappelant ce qu'étaient les bacchanales, suppléer ce qui manque à la description qu'elles nous en font. Quant à l'esprit d'en haut, nous ne pouvons mieux connaître la nature de ses opérations qu'en interrogeant à ce sujet ceux- même qui les ont reçues. Il descend comme une flamme sur la langue de David. 11 enivre Jérémie comme un feu dévorant, de sorte que tous ses os tremblent dès qu'il a touché sa bouche et qu'il y a mis ses paroles, le posant au- dessus des peuples et des royaumes, pour qu'il plante et arrache, édifie et détruise. {Jérém., c. i, p. 23.) Le prophète inspiré par lui est obligé de dire ce qu'il ne veut pas ; et, s'il s'y refuse, l'inspiration pèse sur lui comme un fardeau qui l'écrase , s'enflamme en son cœur, brûle ses os; de sorte que, ne pouvant supporter les ardeurs qui le consument, il tombe en défaillance. {Idem, C. xx.) Ézéchiel sent claire- ment la main de Dieu se poser sur lui, son esprit entrer en lui et le placer sur ses pieds, (c. m.) Une main mysté- rieuse, sortant du milieu du feu , le saisit par les cheveux dans une vision , et l'élevant entre le ciel et la terre le transporte jusqu'à Jérusalem dans le temple. (C. vni.) Lorsque nous consideions le langage symbolique de^ pro-

DE> HÉKKhItS ANtltN.NLS ET MODEÎiNES. 3!>

phètes , lions voyons que toutes leurs actions portaient le uième caractère ; de sorte que la multitude les comprenait mal bien souvent, et les regardait comme des insensés. Ainsi , lorsque le disciple des prophètes prit à part Jéhu pour lui donner l'onction royale, ceux qui accompa- ^Miaient ce dernier lui demandèrent, lorsqu'il revint, ce que ce fou lui avait fait. >»'ous ne pouvons méconnaître en tout cela les signes d'un état vraiment extatique. Mais entre ces deux inspirations, entre ces deux genres de prophètes, ceux de Dieu et ceux du démon, nous en trouvons d'autres qui sont comme les prophètes de la nature. Ce sont eux que désig^nait Ézéchiel sous les traits de ces hommes qui pro- phétisent d'après leur propre cœur, suivant leur propre es- prit, et de fausses visions, lesquelles ne leur apprennent rien ; de ces hommes qui se mettent à proclamer leurs ora- cles trompeurs sans que le Seigneur les ait envoyés, et qui annoncent la paix la paix n'est point, qui trompent le peuple et confirment les méchants dans leur malice. [Ibidem, c. xin.; « Je ne leur ai point donné de mission, dit le Seigneur par la bouche de Jérémie; mais ils se sont mis en avant eux-mêmes. Je ne parlais point en eux, et malgré cela ils prophétisaient et mentaient en mon nom, disant : J'ai rêvé, j'ai rêvé dans le sommeil, parlant ainsi, non de ma bouche , mais d'après les visions perfides de leur cœur. S'ils avaient assisté à mes conseils et annoncé mes paroles à mon peuple , je les aurais détournés de leurs voies mauvaises et des mauvaises pensées de leur cœur; mais chacun volant la parole de son voisin, ils se sont mis à rêver des mensonges, et ont ainsi séduit mon peuple par leurs illusions et leurs faux miracles. N'écoutez donc point les paroles de ce^ prophète^ ni de ces prophétesses , qui

pour uiio poignée d'orge et un Diorceau de ptiin \ou& mettent un coussin sous le coude et un oreiller sous la tète^ et ravissent ainsi les âmes de mon peuple. Ma colère tombera sur eux^ et ne reviendra à moi qu'après avoir accompli les pensées de mon cœur. Que celui donc qui rêve dise ce qu'il a rêvé; mais que celui qui a ma parole la redise avec sincérité. Qua de commun le froment avec la paille ? Ma parole n'est-elle pas comme le feu ou comme un marteau qui brise le rocher? )) [J&remle, c. xxui, et xxvni; Ézcchit'l, c. xui.^ Cette troisième classe de prophètes appartient au genre des pythons et des devius^ qui strident in inmidatioiàhus suis, comme le dit Isaïe , c. vni. Ce sont les claiiToyants qui ont des visions, il est vrai, mais qui, entourés d'illusions, sont sujets à l'erreur, et se rendent coupables bien souvent d'imposture. Il y a pai*mi eux bien des degrés et bien des nuances, et ils forment comme le point de transition qui conduit à la première classe des voyants inspirés par 1" enfer.

L'Esprit d'en haut ayant communiqué à l'ÉgUse de la nouvelle alliance le vrai don de prophétie, le démon, qui cherche toujours à contredire l'œuvre de Dieu, ne pouvait manquer non plus d'avoir ses prophètes. Car, comme le dit le prince des apôtres : « De même cjue les Juifs ont eu de faux prophètes, de même il s'élèvera pai'uii vous des docteurs de mensonge, qui inventeront des sectes perni- cieuses, nieront le Seigneur qui les a rachetés, et se prépa- reront ainsi une prompte ruine, w 'Ep. II, c. 2.) La clair- voyance naturelle, quoiqu'elle ne fût pas peut-être parfaitement comprise des anciens, n'était pas néanmoins restée pour eux un mystère. Les premiers hérésiarques avaient -u la mettre à profit, afin de donner à leurs erreurs

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la sanction dont elles avaient besoin. De ce côté donc l'es- prit du mensonge trouvait une porte par il pouvait entrer; et comme la constitution de la femme la rend plus accessible à ces sortes d'états^, il leur fallait des femmes qui pussent leur servir d'instrument pour atteindre leur but. Nous ne devons donc pas être étonnés devoir celles-ci jouer un si grand rôle dans la plupart des hérésies. Nous pouvons suivre la série de ces fausses prophétesses jus- qu'au temps des apôtres^ nous trouvons cette Hélène ou Sélène que Simon le Magicien appelait sa Minerve ; puis Prisque et Maximille, les prophétesses de Montan ; puis nous trouvons encore les visions et les faux miracles de la Phi- lomène de Sergius. Chez les Pépuciens de la Phrygie, cette race de prophétesses prend tellement le dessus que la secte lui donne la prééminence dans le sacerdoce. Ce qui est naturel en soi ne peut être imputé ni à bien ni à mal, et est, sous le rapport moral, indilTérent soit pour l'un, soit pour l'autre. Mais lorsque l'élément naturel est uni inti- mement avec l'esprit, comme il arrive dans l'homme, il ne peut rester longtemps dans cette indifférence : il suit l'im- pulsion de l'esprit qui habite en lui, et sert ainsi soit à édi- fier, soit à détruire. Or les sectes qui prennent pour point de départ la négation d'un dogme révélé sont éminem- ment destructrices. Et le manichéisme présentant le mal comme une puissance légitime, qui a des droits aux hom- mages de tout ce qui a quelque rapport avec elle, le culte du mal se trouve par justifié. Mais les hommes peuvent passer au culte du démon de deux manières, selon la dif- férence de leur nature et des doctrines qu'ils professent. Ceux qui, par une disposition mauvaise de leur cœur, ou par l'effet d'une grande pei'versité, se sentent attirés

42 PES HÉRÉSIES A>CIE>>E^ ET MODER>E>.

vers le mal, comme tels se livrent complètement à lui, et se mettent sous sa dépendance, afm de pouvoir à leur gré se servir en son nom de la nature pour satisfaire leurs convoitÈ-es. Nous devons donc trouver parmi eux un culte diabolique, une doctrine et une mystique diabolique aussi. Que si, au lieu d'incliner vers la volupté, ils penchent, au contraire, du côté de Torgueil, ils recojmaissent bien, il est vrai, l'empire des puissances supérieures; mais cette con- naissance ne fait qu'éveiller en eux le désir de devenir comme les Élohim, ou même plus puissants encore. 11 ré- sulte de un culte et des pratiques d'un i^enre ditférent. Ces hommes, méprisant les démons, cherchent à s'élancer jusque dans les régions les plus hautes et à s'assujettir les puissances qui y habitent, soit les unes par les autres, soit par Dieu lui-même, la plus haute de toute. L'ancienne magie s'est produite sous toutes ces formes dans le chris- tiani^me, de même que dans le judaïsme et le paganisme, enfantant les hérésies et reproduite à son tour par celles-ci. Prenant son point de départ dans la magie naturelle, qui s'efTorce de soumettre la nature par le moyen des forces qui résident en elle, elle a clierché à l'opposer à la mys- tique pure et sainte de l'ÉgUse. La Magie C'est ainsi que s'est formé ce culte magique et secret que tppositiùn l^s sectes ont opposé au culte public de l'Église, et dans 1 1 Eglise, lequel elles ont cherché à imiter les sacrements, et parti- culièrement celui de l'Eucharistie. Chez lesOphites, un ser- pent apprivoisé sortait d'une caverne sous l'autel, conjuré par les prêtres; et lorsqu'il avait touché de sa langue l'o- blation qu'on lui présentait, cehe-ci se trouvait par même consacrée, et était distribuée comme eucharistie parmi les fidèles : c'est ce que nous apprend saint Augustin dans son

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Catalogue des hérésies, 17. Ce symbole exprimait d'une manière frappante la nature du culte de ces hérétiques. Les Montanistes et les Pépuciens tiraient le sang d'un enfant d'un an, à l'aide de piqûres qu'ils pratiquaient sur tout son corps; puis, le mêlant avec de la cendre, ils en fai- saient un pain dont ils préparaient leur eucharistie. Si l'enfant mourait, ils l'honoraient comme martyr; et, s'il échappait, ils en faisaient leur grand prêtre. Nous voyons ici un retour aux sacrifices sanglants du paganisme, qui convenaient très -bien à cette secte dure et impitoyable. Les Manichéens, ou du moins ceux qui parmi ces héré- tiques s'appelaient Cathares, mêlaient de la semence à leur eucharistie, comme le prouvent les enquêtes juridiques faites à Cartilage d'abord, et plus tard à Rome, et les dé- clarations de ceux dont on avait abusé pour ces cérémo- nies abominables. Ici, c"est l'ancien culte de Moloch qui reparaît dans toute son horreur, et qui ose se donner comme le culte du Christ. Ces abominations étaient les conséquences des principes admis par ces hérétiques : elles devaient donc se produire toujours de nouveau dans le cours des siècles, quoique sous des formes diverses. C'est ce que témoigne en effet Psellus, dans ce qu'il nous rap- porte des Euchites de son temps. Us admettaient trois prin- cipes : l'un paternel, qui régnait seulement dans les ré- gions situées au-dessus de ce monde; puis deux autres issus de lui , le premier qui exerçait son pouvoir dans le monde, et l'autre, plus jeune, qui présidait aux choses cé- lestes. Quelques-uns de la secte honoraient ensemble les deux derniers, parce que, quoiqu'ils fussent opposés l'un à l'autre, ils avaient néanmoins le même père et la même origine. D'autres adoraient, il est vrai, le plus jeune,

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comme ayant la mcilloiire part , mais sans refuser pour cela d'honorer l'autre, à cause du pouvoir qu'il avait de leur nuire. Les plus dépravés, renonçaut tout à fait au culte du principe céleste^ se consacraient exclusivement au Satanaki, qui avait créé les plantes et les animaux, et mis tout en ordre sur la terre , tandis que son frère , jaloux de lui, affligeait son royaume de tremblements de terre, de grêles, de famines, etc., et méritait ainsi la malédiction des hommes. Or ces hérétiques, pour se rendre Dieu favorable, goûtaient, au commencement de leurs cérémonies, des deux excréments humains, suivant ainsi leurs principes jusque dans ses dernières conséquences. Puis le soir, ils conduisaient les initiés, hommes et femmes, dans leurs lieux de réunions . et tous, après que les lumières avaient été éteintes, se mêlaient indistinctement dans d'infâmes orgies, après quoi ils se séparaient. Au bout de neuf mois, lorsque le temps était venu les femmes devaient mettre au monde les fruits de ces unions monstrueuses, ils se ras- semblaient tous au même lieu, et trois jours après l'enfan- tement ils prenaient les malheureux enfants qui venaient de naître, leur tiraient le sang du corps, les brûlaient res- pirant encore sur un bûcher, recevaient leur sang dans des vases, le mêlaient avec de la cendre, et en composaient un mélange horrible dont ils infectaient leurs aliments et leurs breuvages. C'était leur communion : ils croyaient par pouvoir effacer les symboles empreints dans notre àme, ce sceau qui met les démons en fuite, et se ménager les moyens de se rendre ceux-ci familiers. 'Psellus, de Opérât. Bœmon., p. H-37. i Lorsque les Bogomiles trans- portèrent en Occident la doctrine des Manichéens, ces abo- minations passèrent avec elle dans ces contrées. Le synode

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il'Ûrléans expose ainsi le résultat de l'enquête faite en cette ville sur cette secte : « Ils s'assemblaient de temps en temps la nuit dans une maison désignée d'avance, por- tant chacun un ilam])eau à la main. ils chantaient dans une espèce de litanie les noms des démons, jusqu'à ce qu'ils vissent descendre au milieu d'eux le démon lui- même sous la forme d'un petit animal. Dès qu'il était ap- paru, on éteignait toutes les lumières, et chacun al)usait de la femme qui lui tombait sous la main, sans aucune crainte du péché, sans se soucier que ce fût sa mère ou sa sœur ou une religieuse; car ils tenaient ces unions pour saintes. L'enfant qui naissait de cet accouplement impur était bmlé à la manière des païens, huit jours après sanais- .sance, dans un grand feu, sous leurs yeux. Ils recueillaient et gardaient ses cendres avec le même respect avec lequel la piété chrétienne conserve le corps du Seigneur, comme viatique pour les malades. La puissance du démon qui ré- sidait dans ces cendres était telle, que lorsqu'un homme en avait seulement goûté il était extrêmement difficile qu'il renonçât à cette hérésie pour retourner dans le che- min de la vérité. »

Les mêmes accusations se reproduisent plus tard à pro- pos des Catharins ; et un bref du pape Grégoire IX à quel- ques évêques d'Allemagne indique les différentes formes d'animaux sous lesquelles le démon paraissait dans leurs assemblées : ce sont les mêmes que nous verrons plus tard dans le sabbat des sorcières, celle du crapaud ou du chat, par exemple. Les Fratricelles avaient des orgies semblables. Les femmes se rendaient par troupes à leurs assemblées; une fois que les cérémonies étaient achevées et les lumières éteintes, le prêtre donnait, en invoquant l'esprit, le signal

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de ces unions monstrueuses. Les enfants qui en naissaient étaient ensuite jetés de main en main par ces sectaires pla- cés en cercle, jusqu'à ce qu'il fut mort; et celui entre les mains de qui il mourrait était salué comme grand prêtre. In de ces enfants était brûlé par les prêtres , qui, mêlant dans une coupe ses cendres avec du vin , se servaient de ce breuvage pour imtier les adeptes. (Abr. Bzovius, in annal., ann. 1303.; Les Templiers furent aussi, comme on le sait, accusés de brûler des enfants et d'honorer Sa- tan, l'ji grand nombre de nobles du sud de la France étaient entrés dans cet ordre de chevalerie. Sortis d"une condition qui, à cette époque et dans ces contrées, savait cacher sous le manteau de la poésie une profonde corrup- tion, et dans laquelle le manichéisme comptait à cause de cela un grand nombre de partisans , il ne serait pas éton- nant qu'ils eussent ajouté aux vices de leur patrie ceux de rOrient, et que, formant pour ainsi dire un ordre dans l'ordre dont ils étaient membres, ils eussent conservé en secret les pratiques et les cérémonies des Manichéens. Cette supposition est la seule qui puisse concilier les con- tradictions que l'on remarque dans le procès desTempliers, et sauver à la fois l'honneur des juges qui les ont condamnés et celui du grand maître et de ses compagnons, qui en mourant protestèrent de leur innocence.

yotre sitcle, fier de sa cnilisation et de ses lumières, se croit exempt de ces superstitions et de ces crimes qu'enfante toujours le commerce de l'homme avec les esprits ténébreux. Mais ici encore se vérifie la parole du Maître : Celui qui s'exalte sera humilié; et les siècles antérieurs n'ont mal- heureusement rien cl envier au nôtre sous ce rapport. Au- jourd'hui comme autrefois, les morts mrd évoqués et consultés

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sur les affaires les plus importantes ; et , pins d'une fois pmt-étre, leurs oracles ont déterminé les combinaisons de la 'politique moderne. La nécromancie est devenue, sous le nom de spiritisme, un art, une science, que dis-je?une religion, ayant ses dogmes , sa discipline , ses adeptes , ses pjrétres et ^cs pontifes. Et les sectateurs de cette religion nouvelle, ce ne sont pas des hommes ignorants et grossiers, mais des hommes d'une condition élevée pour la plupart, éclairés, dans le sens que l'on donne aujourd'hui à ce mot, savants même, exempts par conséquent des 'préjugés qu'enfante V ignorance. Aujourd'hui comme autrefois, les -puissances infernales sont invoquées, et Satan est honoré d'un culte formel, dont le pre- mier acte consiste à renoncer au baptême, au titre de chré- tien qu'il confère, pour passer au service du démon. Aujour- d'hui comme autrefois, ces actes exécrables sont signés par h: nouvel adepAe, et scellés de son sang. Aujourd'hui comme autrefois, dans les réunions oit se célèbrent ces mystères téné- breux , le blasphème et la luxure se donnent la main pour honorer d'un mutuel accord le père du mensonge et l'instiga- teur de tout mal. Aujourd'hui comme autrefois , dans ces as- semblées criminelles, après que le nom du Christ et de sa divine Mère ont été maudits , leurs images conspuées et bri- sées, le corps du Sauveur, reçu à la sainte table par une bouche sacrilège, est livré aux profanations les plus abominables. Aujourd'hui enfin, comme autrefois, l'orgie succède au blas- phème et au sacrilège, et les assistants, éteignant les lu- mières, se livrent dans les ténèbres aux infamies que l'on reprochait aux Manichéens.

Mais à côté, ou plutôt au-dessus de ces prodiges d'ini- quité, éclatent des prodiges de gràre et de sainteté. Aujour- d'hui comme autrefois, s'épanouissent dœ\s le silence du

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cloître, loin dumonde et sous le voile de l'humilité, les flevra les plus suaves de la nn/stique divine. Aujourd'hui comme autrefois^ de saintes âmes puisent dans une communication intime avec la Divinité cette puissance surnaturelle que nous admirons dany^ les saints de tous les siècles. Tant il est vrai que le ciel et l'enfer ne cessent jamais d'être pirésents en un certain sens sur la terre ; tant il est vrai que Dieu et le dé- mon ont toujours ici-bas leurs héros. La vertu portée jusqu'à rhéromne produit encore les mêmes fruits, et enfante toujours des saints; et , d'un autre roté, le crime et l'impiété, portés à leur extrême limite, enfantent toujours des monstres.

CHAPITEE HT

DéveloppeniPiil de la mystique diabolique. L'Église coniineuce déjà h la combattre dans la personne de saint Pierre luttant contre Simon le Magicien. Le célèbre canon Capid episcopi. Les Géludes au viii^ siècle. Au ix^ siècle les magiciens qui changent le temps à leur gré. Au x«", xie et xii^, décrets de l'Église contre la magie. Les enchantements et la vaudoisie. Les sorcières commencent k paraître au commencement du xiY^ siècle. Procès du carme Adeline devant l'inquisition d'Évreux. Le fortalitium fdei. La bulle d'Innocent Mil. Législation des anciens empereurs et des anciens peuples germains contre la magie. Procès de magie à la cour des Mérovingiens. Des ordonnances faites plus tard par les empereurs et les rois au moyen ftge. Manière de voir les Indiens du Malabar.

D'après tout ce que nous avons dit dans le chapitre pré- cédent, nous ne devons pas être étonnés de voir la mys- tique diabolique apparaître déjà dès le commencement de l'Église, et se développer sans interruption à travers les siècles. L'Église a donc eu de tout temps à lutter contre elle, comme nous le voyons déjà par ce que fit saint Paul à Éphèse, par sa lettre aux Colossiens , et par la conduite

DEVELOPPEMENT DE LA >rVSTIQLE DL\BOLlQrE. 49

de saint Pierre à l'égard de Simon le Magicien. Puis , pen- dant les trois premiers siècles^, elle continue à lutter contre la magie, représente'e parles hérésiarques de cette époque, qui essaient d'opposer aux traditions de rÉglise celles de l'enfer. A Simon succède Ménandre, puis Saturnin, Basi- lide, Carpocrate et Marc, jusqu'à ce qu'enfm. selon l'ex- pression de saint Léon le Grand, tout ce qu'il y a d'impiété chez les païens, d'aveuglement chez les juifs charnels, de crimes dans les mystères de la magie, de blasphèmes et de sacrilèges dans les hérésies vienne aboutir au manichéisme comme en un gouffre impur. Bientôt l'Église procède contre la magie dans ses conciles. Celui d'Elvire, en Es- pagne, dirige son sixième canon contre les malétices. (lelui de Laodicée, en Phrygie, en 343, défend, par son trente-sixième canon, aux clercs de pratiquer la magie et les conjurations et de faire des amulettes; et il excommu- nie tous ceux qui en font usage. Le célèbre canon Capnt ep'iscopi expose déjà la doctrine et les pratiques de la sor- cellerie. Ce canon est attribué tantôt au pape Damase, tan- tôt au concile tenu dans ce siècle en Galatie; mais ni l'une ni l'autre de ces deux origines n'est certaine, car il n'appartient qu'au commencement du x** siècle dans le recueil de Réginon de Trêves, puis dans Burchard de Worms, et enfin dans Gratien. On y lit : « Les évèques et leurs assesseurs doivent s'efforcer de déraciner dans leurs diocèses la magie et les détestables enchantements inventés par le diable; et s'ils trouvent un homme ou une femme adonnés à ce vice, qu'ils les chassent. Il ne faut pas ou- blier non plus que certaines femmes abominables servent de succubes aux démons, et, séduites par ces tromperies et ces illusions, croient et déclarent qu'elles chevauchent

50 DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DL^DOLIQUE.

kl nuit sur certains animaux avec Diane , la déesse des païens, ou avec Hérodiade, au milieu d'une troupe innom- brable d'autres femmes; que vers minuit elles parcourent dans l'ombre et le silence d'immenses espaces, obéissant en tout à cette Diane comme à leur maîtresse, et qu'elle les appelle à son service en certaines nuits déteiininées. » Le canon ajoute : a Beaucoup de gens se sont laissé trom- per par cette fausse opinion^ et ont été ainsi entraînés vers le culte des païens, comme si, à côté de Dieu, il y avait encore d'autres dieux. Mais c'est Satan lui-même qui,s'em- parant de l'esprit des femmes et se transformant en ange de lumière, prend la forme de diverses personnes, et, troublant dans le sommeil les tètes oii il s'est établi, leur présente tantôt des choses gaies, tantôt des choses tristes , et leur fait accroire que tout cela se passe non dans l'àme, mais dans le corps. » ^'ous voyons ici dans Hérodiade , fille d' Aristobule , un souvenir et un reflet du judaïsme, de même que nous trouvons un reflet du paganisme dans cette Diane ou Hécate, reine des enfers, la grande sorcière de l'antiquité païenne, qui, parcourant les montagnes avec des bruits terribles, suivie de ses chiens, entourée de ser- pents qui sifflent à ses côtés, traverse les carrefours, les champs, les villes et les bourgs.

s Incubes Au siècle, Chrysostome et Philastre parlent de et les reludes. la croyance aux incubes, dont saint Augustin fait déjà

mention. Mais le premier la rejette, d'après ce principe,

qu'une nature spirituelle ne peut se mêler à une nature

corporelle; et l'autre la met au nombre des fables des

païens. Au commencement du vi^ siècle, les conciles d' Agde

et d'Orléans défendent aux pn-êti-es et aux laïques de tirer

des présages ou d'expliquer les signes d'après ce qu'on ap-

DÉVELOPPEMENT DE L\ MYSTIQUE DIABOLIQUE. .'M

pelle le sort des saints. Le pape Martin défend en général d'admettre dans les maisons ceux qui s'adonnent à ces sortes de pratiques, afin de détourner quelque mal, comme aussi d'avoir recours aux lustrations païennes, ou d'imaginer d'autres méfaits de ce genre. {Graticn, I, can. 3.) Celui de Tolède, en 633, ordonne de dégi-ader et d'enfermer dans un cloître tout clerc qui se livre aux occupations- de ce genre; et le concile in TruUo, en 692, décerne la peine d'excommunication contre tous ceux qui font le mé- lier de devins, qui pratiquent les évocations, qui font des amulettes ou dissipent les nuages, si toutefois ils per- sistent dans leur paganisme. Au viii^ siècle, nous trou- vons la magie répandue dans tout l'Orient; et saint Jean Damascène s'étend sur ce sujet, à propos des dragons qui, selon la légende des Sarrasins, se changent en hommes pour enlever les femmes et s'unir à elles. Il dit entre autres choses : « Quelques-uns plus ignorants racontent que les sorcières , nommées aussi Géludes, sont des femmes qui voyagent dans les airs, qui, n'étant retenues ni par les ver- rous ni par les serrures, pénètrent dans les maisons à travers les portes fermées , et y font mourir les enfants. D'autres disent qu'elles mangent le foie de ces enfants, et les font mourir en suçant tout leur sang. Plusieurs assurent avoir été témoins de ces faits; d'autres aftirment qu'ils ont entendu dire à ces femmes elles-mêmes qu'elles étaient en- trées dans les maisons, les portes fermées , en corps et en âme, ou en esprit seulement. Le Christ est bien entré les portes fermées dans la chambre étaient les apôtres; mais si chaque sorcière pouvait en faire autant, il n'aurait rien de plus qu'elles. S'ils disent que l'àme entre seule, pendant que le corps reste au lit , qu'ils se rappellent cette parole de

o2 DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DLVBOLIQUE.

Notre-Seigneur : « J'ai pouvoir de livrer mon àme et de la reprendre. » Et ce pouvoir il ne Ta exercé qu'une fols lors de sa passion. Si la première fenmie venue peut en faire autant, il n'a donc rien encore de plus qu'elle sous ce rap- port. Aussi toutes ces choses ne sont que des prétentions mises en avant parles hérétiques, afin de séduire les sim- ples.)) [Saint J.Damasc, t, F% p. 47 1 ; Paris^ 1712 .) Presque en même temps, saint Boniface dit aux catéchumènes d'Al- lemagne : « Vous venez de renoncer au démon, à ses pompes et à ses œuvres. Ou" est-ce que les œuvres du dé- mon? C'est l'idolâtrie, les vénéiices; c'est d'interroger ceux qui jettent les sorts et font des évocations, de croire aux sorcières et aux loups -uarous. » sorciers Au commencement du ix" siècle , nous voyons saint

^'" , Agohard, évèque de Lvon, attaquer, dans son livre de In

ngent le ° ^ . i '

^mps. Gréh et du Tn/uierr'', la foi aux sorciers qui prétendent faire le temps à leur gré. « Dans ces contrées, dit-il, pres- que tous les hommes, nobles ou vilains, citadins etvilla- jjeois, jeunes et vieux , croieiit qu'il y a des gens qui peu- vent produire la grêle et le tonnerre. Dès qu'ils entendent un coup de tonnerre ou qu'ils voient briller un éclair, ils s'écrient que c'est un temps artificiel \aura levatma). Si on leur demande ce que c'est qu'un temps artificiel, les uns vous répondent avec embarras, et les autres avec cette assurance qui est le propre des ignorants que c'est un temps produit par les évocations des sorciers , et que c'est pour cela qu'en entendant un coup de tonnerre on dit : Maudite la langue qui a prononcé la formule î qu'elle se dessèche et soit arr;ichéo du palais. Quelques-uns ajoutent qu'ils connaissent des sorciers lesquels peuvent diriger toute la grêle qui tombe dans un pays sur un champ sté-

DKVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DIABOLIQI'E. ri 3

vilo OU sur une cuve sous laquelle est assis celui qui a évo- qué l'orage. Nous avons souvent entendu dire à certaines personnes qu'elles savaient de science certaine que ces choses s'étaient passées en tel ou tel lieu ; mais nous n'a- Nons encore rencontré personne qui les ait vues de ses s eu:?. Une fois cependant on me parla d'un homme qui avait été témoin oculaire d'un cas de ce genre; je ne me donnai point de repos que je ne l'eusse trouvé. Je lui par- lai de cette affaire, et comme il persévérait dans son dire , je le suppliai instamment, au nom de la conscience, de ne rien dire que la pure vérité. Il continua, il est vrai, d'afiîr- mer que tout ce qu'il avait dit était vrai , nomma la per- sonne, le temps et le lieu; mais il avoua en même temps qu'il n'avait pas été présent en ce moment. « Saint Ago- bard combat ensuite cette superstition par des raisons très- convaincantes, disant qu'elle ôte à Dieu, pour l'attribuer aux hommes, ce qui n'appartient qu'à lui. Dans un autre endroit du même ouvrage, il raconte que peu d'années au- paravant, une épidémie s' étant déclarée parmi les bestiaux, le bruit se répandit que Grimoald, duc lombard de Béné- vent, avait envoyé, par haine contre Charlemagne, des hommes chargés de jeter une certaine poudre dans les champs, dans les prairies et dans les sources, afin d'empoi- sonner ainsi le bétail; qu'il avait vu lui-même un grand nombre d'hommes pris sur cette accusation, quelques-uns mis à mort, et plusieurs jetés dans les rivières, attachés sur des planches. Et ce qu'il y avait de plus extraordi- naire , c'est que les accusés portaient témoignage contre eux-mêmes, et déclaraient avoir eu réellement cette poudre en leur possession, et en a^oir fait l'usage criminel qu'on leur reprochait. 11 se prononce de la manière la plus for-

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'^ ^ MICHAEL**

54 DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DIABOLIQUE.

melle^ et sur d'excellentes raisons^ contre ces bruits, qui étaient crus de presque tout le monde. Enfin il rapporte aussi le bruit d'une barque merveilleuse qui était descen- due de la Magonie à travers les nuages. Il avait été té- moin lui-même comment on avait mis en prison et amené devant la commune, pour les lapider, trois hommes et une femme que Ton croyait être ainsi tombés du ciel; et ce n'est qu'avec peine que la vérité parvint à se faire jour. Quel- ques années plus tard, en 829, le second canon du synode de Paris déclare que les migiciens et les sorcières sont des instruments de Satan, par lesquels il exerce ses arts perni- cieux et qui troublent l'esprit des hommes à l'aide de cer- tains breuvages qui éveillent en eux de mauvais désirs. 11 ajou'e ensuite qu'on les accusait de déchaîner les vents, de produire la grêle et les orages, de ravager les moissons, d'ôter à certains animaux leur lait pour le donner à d'au- tres, et il finit par conclure que l'on doit procéder contre eux avec toute la rigueur des lois, parce qu'ils ne crai- gnaient pas de servir manifestement le démon par des moyens criminels et maudits.

Au x^ et au commencement du xi*' siècle , Burchard de V>'orms, qui, à l'exemple de Réginon de Trêves, recueilli les Décrets, s"étend longuement sur cet objet. Il résulte de ce qu'il dit que déjà le pape Eutychien , vers la fin du III* siècle, avait fait un décret il est question de ber- gers et de chasseurs qui prononçaient des formules diabo- liques sur le pain , les herbes ou sur certains ligaments, qu'ils cachaient ensuite sur des arbres ou dans les carre- fours, au profit de leur propre bétail et au détriment de celui des autres. [Interrog. 43.) Le canon du synode d"An- cyre est plus étendu. « Si tu crois, y est-il dit, que lu

DÉYELOPPEMEM DE LA MYSTIQUE DIABOLIQUE. ao

peux , étant au lit à cùté de ton mari , sortir avec ton corps , les portes fermées ; faire mourir sans aucune arme visible des hommes baptisés et rachetés par le sang du Christ; que tu peux manger de leur chair rôtie, et mettre à la place du cœur de la paille, du bois ou autre chose semblable, ou que tu peux ressusciter ceux que tu as ainsi dévorés, tu dois jeûner au pain et à l'eau pendant sept ans, quarante jours chaque année. » iL. xix , de Pœni- teritia.) On ordonne ensuite de rechercher les femmes qui se vantent de pouvoir par des conjurations changer les es- prits des hommes, les faisant passer de la haine à l'amour, ou de pouvoir leur causer quelque dommage dans leur fortune. {Interrog. 44.) Un autre décret, 10, 8, ùuPénitfiï- tif'I romain condamne ceux qui croient aux hommes les- quels prétendent changer le temps; un autre, 10,31, défend les évocations nocturnes des démons et les sacrifices qu'on leur offre. Un troisième condamne l'opinion des femmes qui s'imaginent qu'elles peuvent par des conjurations mê- ler et embrouiller la chaîne et la trame sur le métier, et les débrouiller ensuite. \^ii quatrième enfin interdit de placer dans les greniers et les celliers des arcs et des habits pour les satyres ou les esprits familiers des maisons, afin qu'ils puissent s'en amuser, et procurer au maître de la maison le bien des autres. On condamne les femmes qui croient pouvoir par des conjurations faire passer chez elles le lait ou le miel de leurs voisins , ou ensorceler par les yeux ou par les oreilles les volaihes , les petits des co- chons ou des autres animaux. On défend de servir des ta- bles pour les Parques, et d'y mettre des mets et trois cou- teaux. On proscrit l'opinion des femmes qui se croient forcées en certaines nuits de voyager avec Holda , ou de

oii Di':VEI.Oi'pr.MENT DE LA MV-TlnîT. DI xDOI.lôL'E.

s'élever dans Tuir jusqu'aux nuages, apivs être sorties de chez elles les.portes fermées, dans le silence de la nuit , et de livrer anisi contre d'autres des batailles elles don- nent et reçoivent des blessure? tour à tour. Ibid., Poss., p. 193 à 200.

Vers la fin du rnème siècle, Ives de Chartres lit un re- cueil semblable, oîi il traite du même objet, ne faisant le plus souvent que répéter ce qu'avait déjà dit Burchard. Après lui vint Gratien, au milieu du siècle suivant. En Angleterre, Jean de Saresbury, traitant de la magie dans sa Polycratiqup, après avoir compté les différentes sortes de magie, parle des sorciers et de leurs assemblées nocturnes: de la persuasion ils étaient que ces réunions étaient con- voquées par Hérodiade, reine delà nuit; qu'on y célébrait des festins somptueux ; qu'elle y employait ses senantes à diverses occupations, punissant les unes, récompensant les autres d'après leurs mérites: qu'on y présentait des en- fants aux lamies, qui les déchiraient en morceaux et les dé- voraient: ou que d'autres fois, lorsqu'elle avait pitié d'eux, elle leur laissait la vie, et les faisait reporter dans leur berceau. Après avoir rapporté toutes ces choses, l'au- teur conclut par ces paroles : a Quel est l'homme assez aveugle pour ne pas reconnaître ici la malice et la trom- perie des démons, ce qui paraît déjà en ce que ce sont presque toujours des femmes dont il s'agit, et que parmi les hommes il n'y a que les esprits simples et d'une foi faible? Aussi le meilleur moyen de se défendre de cette peste, c'est de se tenir fortement à la foi, de fermer son esprit à ces opinions insensées et de le détourner de ces folies. )) Gervais de Tilbery,qui vivait dans le même temps, dorme comme une chose connue que les soi'cières qui

PtVLLOIM'KMLM VL I.A MYMIOl t DlAHOl loft;. 57

voNUgenl la nuil sous lu forme de cliais purlenl le jour sur leur corps les traces des blessures qu'elles out reçues dans leurs excursions nocturnes. Et Alain des lies fait dériver le nom de Cathurins de Catto, parce que, dit -il, ils bai- saient le derrière d'un chat, sous la forme duquel Satan leur apparaissait.

Au commencement du xm^ siècle, ces hérétiques se par- tagèrent en plus de soixante-dix-sept sectes, obéissant à un chef suprême et secret, qui résidait à Milan; ils inondè- rent l'Occident tout entier, et menaçaient d"y anéantir la véritable Éghse. Ce fut alors que le pape Innocent III leur opposa les Frères Prêcheurs et 1" inquisition. Celle-ci cepen- dant fut obligée plus lard, par une bulle d'Alexandre IV, de remettre la décision des procès de magie aux juges séculiers, et de n'y prendre part que dans le cas d'hé- résie manifeste. La nécessité de ces précautions nous apparaît déjà par l'exemple des Stadingues, sous le nom desquels cette secte se répandit dans la Frise, la Saxe infé- rieure et le pa\s de Brème. Le pape Grégoire IX, écrivant en 1233 aux évêques d'Allemagne et à l'inquisiteur Conrad de -Marbourg, dit « qu'ils s'étaient choisi pour maître Sa- tan, lequel leur apparaissait dans lem-s assemblées sous diverses formes, et poussait aux infauiies les plus abomi- nables ceux qui étaient engagés à son service; que dans ces assemblées, après qu'on avait éteint les lumières, cha- cun se livrait à ses convoitises; que tous les ans ils allaient recevoir des mains du prêtre le corps du Seigneur, mais qu'au lieu d'avaler l'hostie ils la gardaient dans la bouche, et la jetaient ensuite de ce cloaque vivant dans les lieux les plus immondes. Ils poussaient le blasphème jusqu'à prétendre que le Seigneur du ciel avait précipité du ciel

58 di:yeloi^pement de l\ mystioue diabolique.

injustenient et par ruse Lucifer; mais que celui-ci y re- tournerait après en avoir chassé à son tour celui qui l'a- \ait injuslement dépossédé, et qu'alors ils jouiraient tous de la béatitude; que Ton doit par conséquent s'abstenir de tout ce qui plaitau tyran ^ et faire au contraire tout ce qui lui déplait. C'est pour cela qu'ils touruientaient et met- taient à mort tous les prêtres et toutes les religieuses qui leur tombaient sous la main, w La secte comptait de nom- breux adeptes, surtout parmi les paysans; ils se montrè- rent rebelles à toutes les tentatives qu'on fit pour les con- ^e^tir: il fallut prêcher contre eux une croisade; et on ne put parvenir à s^en rendre maître qu'après que six mille des leurs furent tombés dans leurs marais. Repoussés tou- jours plus loin, ils se cachèrent pour échapper aux recher- clies- Bientôt les soupçons les poursuivirent; les accusa- tions semultiphèrent, les prélats les plus élevés ne furent pas épargnés, et nous voyons en 1303 l'cvêque de Coven- try, en Angleterre, accusé, entre autres crimes, d'avoir prêté hommage à Satan et de s'être entretenu souvent avec lui. Boniface VIII fit faire une enquête qui prouva l'inno- cence de l'accusé, et il fut acquitté. La magie s'attaque jus- qu'au chef de l'Église à cette époque, et Jean XXII charge l'évêque de Fréjus, qui devint pape après lui, et Pierre Tissier, plus tard cardinal, de faire une enquête contre les empoisonneurs. « Car, dit- il, nous avons appris que Jean de Limoges, Jacques de Crabançon et Jean d'Amant, mé- decin, avec quelques autres, s'occupent par unedamnable curiosité de magie noire et d'autres enchantements; qu'ils ont chez eux des livres de magie. Ils se servent pour leurs opérations de miroirs et d'images qu'ils consacrent à leur manière. Ile- se placent en cercle, invoquent les mauvais

DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTTOLE DL\B0LIQIE. oU

esprits, et cherchent par leurs eiuhantements à tuer cer- taines personnes, ou à les faire mourir par des maladies lentes. Quelquefois ils enferment les mauvais esprits dans un miroir^, un cercle ou un anneau, et les interrogent sur les choses secrètes ou futures. Ils prétendent qu'ils ont éprouvé souvent la puissance de ces arts pernicieux, et qu'ils pourraient, non-seulement par certains aliments ou breu- vages, mais encore par de simples paroles, abréger, al- longer ou ôter la vie des hommes , et guérir toutes les maladies. » Déjà auparavant, le 22 avril de la même an- née , le pape avait écrit dans le même but une lettre à l'é- vêque de Riè , il lui dit, entre autres choses : « Afin de nous empoisonner, ils ont préparé certains breuvages; mais ne trouvant point l'occasion de nous les présenter, ils ont fait des images sous notre nom, et les ont percées avec des aiguilles en prononçant des formules magiques et en invoquant les mauvais esprits, afin de nous faire mourir ainsi. Mais Dieu nous a consers'és, et a permis que trois de ces images nous soient tombées entre les mains. » Le 20 août 1220, Guillaume Godin, cardinal, écrit à l'in- quisiteur de Carcassonne : « Le pape vous ordonne de faire une enquête juridique contre ceux qui sacrifient aux dé- mons, ou qui les prient, qui s'engagent à eux, qui font alliance avec eux par écrit; qui, afin de les évoquer, font certaines figures, ou pratiquent d'autres enchantements: qui osent même profaner le sacrement de baptême ou les autres en baptisant ces images ou d'autres objets. Vous devez procéder contre ces scélérats avec l'assistance des évêques, comme on procède contre les hérétiques, et le pape vous y autorise. » Lorsqu'en 1066 l'archevêque Ébe- rard de Trêves mourut laibitement au milieu des fêtes de

«i<l HKVhl.uI'i'EMKM ItK L.V M^STinUt DIABOLIQUE.

Pàque^, on attribua sa mort aux juifs., qui^ disait- on , avaient fait. faire son image en cire, l'avaient fait consa- crer par un prêtre apostat, à Saint-Paulin, puis y avaient mis le feu, pendant que Tcvèque célébrait le service divin. Les histoires d'Ecosse racontent la même chose de DufTo, roi du pays.

Les actes de Tinquisition du \in^ siècle sont pleins de choses de ce genre , et les témoignages les plus positifs des inquisiteurs confirment le rapport qui existait entre la magie et les hérétiques de cette époque. Ainsi, on lit dans un de ces recueils , conservé à la Bibliothèque impt;- riale de Paris sous le n" 3446, ces paroles : « Il y a envi- ron deux cent soixante-dix ans, les Yaudois et les pauvres de Lyon étaient fort répandus dans le pays. Mais la pre- mière de ces sectes était bien difiérente de la seconde. Les premiers étaient proprement hérétiques, comme on le voit par le livre de Dodon*, mais les derniers sont bien pires encore, car ce sont des apostats cachés, des idolâtres et d'horribles sacrilèges. Que les juges sachent bien que les magiciens et les magiciennes et ceux qui évoquent le dia- ble, quand on les observe attentivement, sont pour la plu- part des Yaudois appartenant à la seconde secte. Or tous les Yaudois sont essentiellement par leur profession, et d'une manière formelle, par F effet même de leur réception dans la société, des hommes qui évoquent les démons, quoique tous ceux qui évoquent les démons ne soient pas pour cela Yaudois; mais bien souvent ces deux choses se trouvent réunies. » Aussi les procès de magie deviennent- ils toujours plus fréquents. Bernard de Côme, inquisiteur dans ce pays et mort en lolO, écrit que, d'après les pro- tocoles des inquisiteurs qui l'avaient précédé, tels qu'ils

1>E\EL0I'!'LMK>T DL LA MVSllôLE IMABOLIOLK. «H

.<oiit conservés dans les archives de l'inquisition du iieu , il appert que la secte des sorcières a commencé il y a en- \iron cent cinquante ans. (Tract, destrùj., c. iv.) Ces cent cinquante aiîs nous conduisent à la première moitié du ^l^'^ siècle, à l'époque vivait Bartole, jurisconsulte très -célèbre en ce temps -là. J. de Pioli, évèque de .No\arre, le consulta relativement à l'une de ces sorcières, et il en reçut cette décision, qu'ayant renoncé au Christ et au baptême, ayant foulé la croix aux pieds, adoré le démon à genoux, ensorcelé, d'après son aveu, des enfants ([ui en étaient morts, comme il appert des plaintes de leurs mères, eUe devait être condamnée au feu , à moins qu'elle ne témoignât un repentir sincère. Il appuie cette décision sur la Bible, sur le droit canonique et romain, en remet- tant toutefois aux théologiens et ài'Éghse le soin de juger si l'on peut être ensorcelé par la simple vue ou par le con- tact. [Consil. sel. in causis crim., ['611 , t. II, p. 8.;

Nous trouvons^ l'an 1438, les faits que mit en lumière Le carme le procès du carme Guillaume Adehne devant l'inquisition d'Evreux. Celui-ci confessa de bon gré, sans y avoir été forcé par la torture, qu'il était allé souvent à pied aux as- semblées maudites des Vaudois , qui se tenaient alors dans le mois d'août, près de Clau'vaux, au diocèse de Besançon^ en des lieux montagneux et sauvages, et le plus souvent la nuit. 11 s'était fait recevoir dans la secte l'année précé- dente, d'abord pour l'étudier, et ensuite pour regagner r affection d'un chevalier de Clairvaux qui le haïssait mor- tellement. Il n'eut de rapports avec elle, d'après sa décla- ration , que pendant un mois environ , et sans autres mo- tifs que ceux qu'il avait indiqués. Lorsqu'il parut dans l'assemblée, ce fut une grande joie; et le démon qui prési-

2*

62 DÉVELOPPEMKNT DE LA MYSTIQLE DfABOLlQUE.

dail (lit à colui qui le conduisait : « Qu'il soit le bienvenu. » Adeline dit- encore que beaucoup de gens des deux sexes étaient venus aussi de plus d'un mille à la ronde^ les. uns à cause des voluptés charnelles et des désordres auxquels on s'abandonnait dans ces réunions; d'autres pour y sa- tisfaire leur gourmandise et leur ivrognerie; quelques- uns pour se venger de leurs ennemis, ou pour obtenir quelque chose du démon en se mettant à son service. Pour lui, disait-il, il n'en avait reçu aucune faveur. En secorid lieu, Adeline déclare qu'il avait dans l'assemblée desVau- dois proclamé et annoncé les commandements du diable sur l'ordre du démon qui présidait, et que l'on appelait Monseigneur; que, marchant devant celui-ci, il avait dit à l'assemblée, au moment il entrait: « Voici votre maî- tre qui approche, recevez-le comme il convient, w Ce même démon prenait quelquefois la forme d'un grand bouc, et Adehne, après avoir inculqué ses commandements aux assistants, lui baisa par trois fois différentes le derrière. De plus, il lui prêta serment en ces termes : « Moi, W. Adehne , prieur de Clairvaux, je renonce à la foi, à la sainte Trinité, à la vierge Marie, à la croix, à l'eau et au pain bénits, à honorer la croix dans les rues ou ailleurs. » Cinquièmement, le même Adeline a souvent, du haut de la chaire, à Arbois, au diocèse de Lisieux, comme il conste par une lettre souscrite de sa main, enseigné et prê- ché que les femmes qui deviennent grosses par suite d'un adultère ne peuvent recevoir l'absolution si avant de mourir elles ne confessent leur faute à leur mari devant témoin , pour ne pas frustrer les enfants de celui-ci de leur héritage. Au reste, il se rapporte à l'enquête, d'où il résulte qu'il Cbt convaincu de simonie, de parjure et de

iJÉVELOPPEMEM DE LA MYSTIQUE DIABOLIQUE, 6.*]

«acnlége, de fornication, d'adultère et d'inceste avec sa propre nièce mariée, et de vol , comme aussi d'avoir omis sou bréviaire pendant plusieurs années.

Vers cette même époque, en 1 439, parut le Forfalitiurn Le Fortali- fldci, composé par un Franciscain, probablement Al. de ^"'"^ Spina, qui répand un nouveau jour sur cette matière. Dans la dixième considération du cinquième livre, parlant des illusions que les démons communiquent aux femmes, il (lit : t( On trouve très-souvent dans le Daupliiné et la Gas- togne de ces femmes appelées en espagnol Bna- ou Kurgon, qui prétendent que la nuit elles se réunissent dans quel- ques campagnes désertes , et que elles trouvent sur un rocher un bouc, qui dans la langue du pays s'appelle FJ- boch de Bitne, qu'elles Tentourent avec des flambeaux al- lumés, et qu'elles l'adorent en lui baisant le derrière : que beaucoup d'entre elles ont été brûlées à cause de cela , après avoir été prises et convaincues par les inquisiteurs de la foi. Les portraits, ajoute-t-il, de celles qui sont mortes de cette manière se trouvent sur un grand nombre de tapis dans la maison de l'inquisiteur de Toulouse, comme j'en ai été témoin moi-même. Elles y sont représentées entourant le bouc avec des flambeaux à la main , et l'adorant. » Vers la lin du W^ siècle, nous retrouvons la même accusation relativement à l'adoration du démon sous la forme d'un l'.omme dont on n'aperçoit jamais la figure: qui, après avoir reçu les hommages des assistants, leur distribue de l'argent et leur donne à boire et à manger; après quoi on éteint les lumières, et chacun s'empare de la femme qu'il trouve sous sa main et s'unit à elle. Puis tous se retrou- vent tout à coup à la place ils étaient auparavant. Le peuple était encore tellement persuadé alors que la magie

{j\ DEVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DLVROLIQUE.

el l'hérésie étaient intimement unies entre elles qu'on ap- pelait la pr.emière vaudoisie, parce que Ton confondait ù cette époque les Vauclois avec les Catharins. La bulle Ce n'est qLVen 14 84 qu'Innocent YIII publia sa fameuse ' '""J*^^"' bulle, sur la noiiyelle qui lui était arrivée que dans quel- ques parties de la haute Allemagne et dans les évèchés si- tués sur les bords du Rhin un grand nombre de personnes des deux sexes, oubliant leur propre salut et renonçarit à la foi catholique, avaient un commerce impur avec les dé- mons, et se rendaient coupables de superstitions horribles et de pratiques de magie criminelles. Il nomme pour in- quisiteurs de Thérésie dans ces contrées, H. Institoris et J. Sprenger, et leur donne plein pouvoir d'instruire les procès de ce genre ^ et de punir ceux qu'ils trouveront coupables. C'est à partir de cette époque seulement que nous voyons apparaître ce nombre infini de procès de sor- cellerie qui rempUssent les annales de ces temps. Lésislation Si l'Église ne cessa jamais de surveiller la magie, el-e

des empe- p^^^^ta pas Luie moindre attention à la législation relati-

reurs. ri >-

vement à cette matière. Constantin avait déjà commencé en 321 par défendre, sous les peines les plus sévères, toutes les pratiques de la magie ;, ne permettant d'y avoir recours que contre les maladies , la grêle et les pluies dé- sastreuses pour les récoltes. Après lui , Constance avait décerné la peine de mort contre ceux qui consultent les astrologues, les augures, les Chaldéens ou les mages, afin de connaître l'avenir. Cette loi avait été ensuite adoucie par Valentinien et Valens; mais celui-ci l'avait rétablie ensuite dans toute sa rigueur. Théodose marcha dans la même voie ; et après que Valentinien et Arcade eurent dé- fendu, en ^>^^K d'avoir recours aux maléilces. il déclara

DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQIE DLXBOLIQUE. Oo

criminel en 392 quiconque oserait s'élever au-dessus des lois de la nature en cherchant à savoir ce qu'il n'est pas permis de connaître, à deviner ce qui est caché, à faire ce qui est défendu; qui essaierait de nuire aux autres, ou promettrait à un tiers de faire tort à son ennemi. Au com- mencement du v^ siècle, Honorius ordonne de chasser de toutes les villes les mages , qu'il désigne sous le nom gé- néral de mathématiciens , et de brûler leurs livres. Vers la lia du même siècle, il défend de chercher à se procurer des trésors par certaines pratiques magiques. Enfin Justi- nien, au commencement du vi^ siècle, punit de mort, conformément à la loi Cornélia, quiconque fait mourir un homme par le poison ou en murmurant quelques formules magiques.

Nous remarquons les mêmes efforts dans la législation Législation

, 1 V -M i ,• \ L- f^<?s peuples

des peuples germains des qu us sont converus au christia- germains.

nisme. Nous trouvons chez les Anglo -Saxons les wiglers ou conjurateurs qui pratiquent des enchantements, et que les lois chrétiennes mettent sur la même ligne que les empoisonneurs, les meurtriers et les parjures. Puis les galdarkraftigans, qui croient pouvoir lier ou délier par cer- tains chants magiques appelés galdra ; les skinkraftigans, qui faisaient sous les yeux des chrétiens de faux miracles; d'autres enfin qui éveillaient ou étouffaient l'amour dans le cœur par le moyen de certains charmes appelés Ubiack. Les Francs avaient aussi des enchanteurs et des magi- ciennes, et ils appelaient celles-ci du nom de hibous, parce qu'ils croyaient qu'elles se transformaient en hibous et mangeaient les hommes. Ouiconque était convaincu de ces crimes devait, d'après les lois sahques_, payer une amende de 200 schellings. Mais quiconque accusait quel-

60 DLYELOr'PEMEM DE LA .■\nSTlQUE DL^BOLIQUE.

qu'un d'avoir porté des sorcières^ ou seulement un chau- dron dans. leurs assemblées, sans pouvoir le prouver, de- vait payer une amende de 2,500 deniers, et de 7,o00 s'il accusait une femme libre. Déjà à cette époque les bergers et les chasseurs paraissent initiés à tous les mystères de la magie. Ils prononcent certaines formules ou chantent certaines chansons sur du pain, des herbes ou d'autres objets, qu'ils cachent ensuite dans des arbres, qu'ds jettent sur les carrefours, pou]- préserver de tout dommage leur propre bétail et nuire à celui des autres. Ils conjurent aussi les maladies, et les guérissent à l'aide d'os ou d'herbes enveloppées dans des nœuds magiques. Ils retiennent par d'autres charmes ceux qu'ils veulent oii ils sont, ou les poussent en des lieux oii ils ne veulent pas aller. Ils con- naissent et les philtres amoureux, et ceux qui rendent impuissants, et l'art de troubler le ciel, de produire la grêle, de frapper les fruits des arbres ou des animaux, de conjecturer l'avenir par le vol des oiseaux ou en consul- tant le sort. (Part. Leges salicœ,\.. ï", p. 322.) LaloidesVi- sigoths en Espagne condamne à deux cents coups de bâton ceux qui exercent des maléfices, emploient des ligatures ou des formules écrites pour nuire aux autres, soit dans leur personne, soit dans leur bétail, dans leurs biens meubles, dans leurs champs ou vignes, pour les tuer ou les rendre muets : tous ceux qui produisent la grêle par leurs enchantements, qui troublent le sens des hommes par l'invocation des mauvais esprits, qui offrent à ceux-ci des sacrifices nocturnes, et les conjurent par des chants. La même loi veut de plus qu'on leur coupe les cheveux, et qu'on les conduise ignominieusement autour de la ville. [Lex Wisigoth., 1, vi. t, ?^ § 4 : t. 11.' La loi des Os-

DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DLXBOLIQUE. 07

trogoths et de The'ocloric est plus sévère encore ; car elle punit de mort tous ceux qui pratiquent la magie^ qui ex- pliquent les signes ou qui prophétisent d'après l'ombre; et elle prive leurs complices de tous leurs biens. {Edict. Tht'odor., § 108, IH, loi.) Les lois lombardes interdisent (le tuer l'affranchie ou la servante d'un autre sous prétexte qu'elle est une de ces sorcières que l'on appelle Masques, parce que « c'est une opinion sans fondement de croire que les sorcières peuvent manger les hommes encore vi- vants. » {Leges Longoh., 1. I, lit. 2, § 9.) Les anciens Ba- varois connaissaient aussi les sorciers et les sorcières qui ensorcelaient ou empoisonnaient; les kalstrara, qui sa- vaient attirer à eux le bien d'autrui par leurs enchante- ments, ou ensorceler ceux qui devaient subir le jugement de Dieu. (Lex Bajuvar.)

Au VI* siècle, nous trouvons déjà à la cour des roi? mérovingiens un procès de sorcellerie, avec application de la torture, dans l'affaire du préfet Mummole. Le fils de Frédégonde, femme de Chilpéric, meurt. On rapporte à sa mère qu'il a succombé à un charme, et que Mummole, qu'elle haïssait depuis longtemps, a été complice du crime. Elle fait mettre à la torture plusieurs femmes de Paris, qui, cédant à la violence du supplice, confessent qu'elles sont sorcières, qu'elles ont déjà fait mourir plusieurs per- sonnes par leurs maléfices, et qu'elles ont sacrifié le fils de la reine pour racheter la vie du préfet. La reine fait redoubler la torture; quelques-unes meurent au milieu du supphce ; d'autres sont bnilées, d'autres encore mises sur la roue : puis Frédégonde se rend avec le roi à Com- piègne, et elle lui découvre toute la chose. Le roi fait saisir le préfet : il est étendu sur une poutre, le? mains

68 DKVELOPPEME.NT DE LA MYSTIQIT. DIABOLIQUE.

liées derrière le dos; mais il confesse seulement qu'il a reçu plusieurs fois de ces femmes des breuvages et des onguents, aûn de s' attirer la faveur du roi et de la reine. Piendu à la liberté^ il se vante imprudemment de n'avoir ressenti au- cune douleur pendant qu'on lui appliquait la question. On vit dans cette circonstance une preuve manifeste qu'il était adonné à la magie; de sorte qu'on le remit à la torture, jusqu'à ce que les bourreaux fussent fatigués de le tour- menter. Il devait être exécuté ensuite ; mais la reine lui fit grâce , et il mourut bientôt après d'un coup de sang, par suite des mauvais traitements qu'il avait essuyés. (Gregor. Turon., Hist., 1. V, c. 40 ; 1. YI, c. 3o.)

irdonnan- fn des capitulaires de Charlemagne , de l'an 805 , porte

ces des -j. ^ . x"

rincos au ^^ Q^^i ^^^^ " Quant aux conjurations, aux augures, aux

oyen âge. propliéties et ceux qui troublent le temps ou font d'autres maléfices, il a plu au saint synode d'ordonner que, dès qu'on les aura pris, l'archiprùtre du diocèse les fasse in- terroger soigneusement pour les amener à avouer le mal qu'ils ont commis. On doit les traiter cependant de telle sorte qu'ils ne meurent pas, mais qu'ils restent renfermés en prison, jusqu'à ce que. Dieu aidant, ils promettent de se convertir. Les comtes ne doivent donc pour aucun pri\ les mettre en liberté. » Baluz., c. 2o.) Ailleurs, il est ex- pressément défendu, soit aux clercs, soit aux la'iques, de préparer des amulettes, ou des ligatures, ou des formules écrites, auxquelles les gens simples attribuent une puis- sance curative dans lesfièvi'es et les épidén^ies. On défend les évocations, et l'on condamne tous ceux qui prétendent qu'ils peuvent par leur moyen troubler l'air, produire la grêle, ùler à l'un ses fruits et son lait, pour les porter à un Mutre. Cependant aucune peine déterminée n'est pro-

DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQIT. DL^HOLIQIE. 69

noiicéc contre eux. II? doivent être remis entre les mains des prêtres. Et si quelqu'un, trompé par le démon, croit que telle ou telle femme est une sorcière, et la brûle sous ce prétexte, ou donne sa chair à manger, ou la mange lui- même, il doit être condamné à mort. Baluz, 1. 1", p. 2o0.) Mais cette loi n'abolit point cette coutume barbare, et nous lisons dans les annales de Corbie, sous l'année 914, que beaucoup de sorcières furent bnilées dans le pays. Peut- être furent-elles les victimes de cette fureur populaire que nous avons vue se reproduire de nos jours à l'occasion du choléra. Les lois de Cadgar, en Angleterre, au milieu du x^ siècle, et les Canut, au commencement du xi% cherchent à arrêter les progrès du mal par les mêmes moyens. En Nor\vége, la loi défend, sous peine de l'exil et de la confis- cation des biens au profit du roi ou de l'évèque, le métier de devin, les conjurations, les maléfices, les enchante- ments et toutes les autres pratiques reconnues comme mauvaises. En Islande, la loi ordonne également de pro- céder avec rigueur contre les magiciens, contre ceux qui, par un art diabolique, voyagent à travers les airs, qui re- noncent à Dieu et à la sainte Église, et qui pratiquent la magie en quelque manière que ce soit. Le Sachsempiegel, ou recueil des lois et coutumes de T Allemagne au moyen âge, plus sévère encore, décerne la peine du feu contre tous les chrétiens, hommes ou femmes, convaincus d'infi- délité, de magie ou d'empoisonnement. Plus tard, cette loi si rigoureuse fut adoucie, en ce sens que la peine du feu fut réservée pour ceux-là seulement qui, par le moyen de la magie, avaient procuré aux autres quelque dommage. Ouant aux autres, qui avaient pratiqué cet art diabolique sans détriment pour personne, ils devaient être punis con-

70 DÉVELOri'EMF.NT DE L\ MYSTIQUE DIABOLIQUE.

formément à lu qualité du crime , selon que les juges le croiraient convenable. Vers le milieu du xvi* siècle, la connaissance des crimes de magie passa du clergé aux juges laïques. En France, un acte du parlement de 1282 avait attribué à 1" Église le jugement de ces sortes d'aflaires, un autre acte de 1390 en chargea de nouveau les tribu- naux séculiers. En Angleterre , l'acte du parlement de la41 contre la magie et la sorcellerie, après avoir été aboli en lot* par les réformateurs, fut rétabli de nouveau en partie Tan 1562 par la reine Ébsabeth^ puis rendu plus sévère en 1603, et enfin aboli en 17 3^ par un acte de Georges II.

De tout ce que nous venons de dirCj, il résulte d'une manière évidente pour tout esprit impartial que l' Église a toujours agi sous ce rapport avec cette sagesse supérieure qui ne l'abandonne points et que la loi civile, de son côté, malgré la sévérité dont elle porte l'empreinte, ne s'est jamais écartée cependant de la justice et de la modération chrétienne. L'Église considère la magie comme une hé- résie, bien plus, comme une apostasie, et sous ce rapport comme le fondement et le dernier terme de toutes les hé- résies. En effet, des magiciens, selon Texpression d'A- drien VI dans sa bulle , « oubliant leur propre salut , re- nonçant à la foi, foulant la croix aux pieds, abusant des .«sacrements, honorant le diable comme leur maître et leur roi, pratiquent à son service, et d'après ses inspirations, les crimes les plus abominables, au risque de leur damna- tion éternelle : ils bravent la majesté divine, et par leurs exemples pernicieux sont un scandale pour un grand nombre. » Les papes, considérant moins le fait extérieur que la volonté qui le produiL ordonnent aux inquisiteurs

DÉVELOITKMEM DE l.A MYSTIQUE Df.VllOLUjUE. 71

de procéder uvec attention et sévérité, en évitant d'antici- per les résultats de l'enquête. Bien plus, ils déclarent ex- pressément qu'ils ne doivent point donner suite à celle-ci^ lorsqu'ils ont été trompés sur les faits, ou bien lorsqu'elle pourrait donner lieu à quelque scandale. Les coupables ne doivent être soumis à l'excommunication et aux autres peines canoniques qu'après avoir été bien et dûment con- \aincus. Et encore, si, revenant à l'unité, ils abjurent leurs erreurs, on doit les recevoir avec bienveillance, et les sou- mettre à une pénitence salutaire, lis ne doivent être re- mis au bras séculier, pour subir la sentence portée contre eux, que lorsqu'ils se montrent tout à fait incorrigibles. Le Mulîeus propose en ce cas la prison perpétuelle. Le pou- voir séculier, de son côté, lorsqu'il était représenté par des hommes justes, était parfaitement d'accord avec l'Église sur le caractère impie de la magie : mais ce qu'il punis- sait en elle, c'était moins le crime contre Dieu que l'ou- trdL^c à la société civile ; c'était moins la volonté perverse du coupable que l'etret de son action. Ainsi, l'indulgence et la sévérité étaient unies dans la Idjiislation chrétienne de ce temps-là. Si plus tard, et pendant une grande partie du xvi" siècle, il en fut autrement; si à cette législation sage et équitable succéda un effroyable terrorisme, il faut en chercher la cause dans cette disposition funeste dés es- prits à se laisser dominer par des principes abstraits, dis- position qui, de nos jours et sous nos yeux, a produit des effets semblables. 11 faut surtout l'attribuer à cette dégra- dation religieuse et morale qui précéda la réforme, à la bai^barie qui en fut le résultat , à la rudesse et à la dureté que produisirent les guerres sanglantes auxquelles elle donna naissance. On peut consulter à ce sujelTouvrage de

72 DKVtLoPI'L.MLM l»h L.V .M\.V1IULL DIVbuDylt.

Florimond de Kaimond intitulé rAz/Yt-c/j/iS^; Lyon lo97, di. vn. L'auteur avait été protestant , et s'était converti à TÉglise. Membre du parlement, il a constaté dans cet ou- vrage les résultats de sa longue expérience. La peinture qu'il y fait de la barbarie qui s'était introduite en France à cette époque fait dresser les cheveux sur la tète. L'Église et l'État, parfaitement d'accord sur la criminalité de la magie, ne se sont point prononcés d'une manière décisive sur la question principale,, à savoir sur la puissance magique de la volonté humaine livrée au démon. L'une et l'autre attendaient, comme il était naturel, les éclaircissements que les enquêtes devaient donner sur ce point. L'Éghse a vu de tout temps dans la magie une séduclion ou une illu- sion du démon ; et les jurisconsultes, tant qu'ils sont restés chrétiens, ont partagé cette opinion avec elle. Mais y avait-il réellement séduclion . ou bien tout n'élait-il que le résultat d'une illusion? C'est sur quoi les sentiments se sont partagés dans le cours des débats; et malgré les en- quêtes les plus exactes et les plus consciencieuses, on n*a jamais pu arriver à quelque chose de bien certain, à cause de l'obscurité de la matière; et c'est pour cela que l'esprit léger et frivole des temps modernes a dédaigné de conti- nuer les recherches et les inveshgations des siècles précé- deni.s, etqueratïaire en est toujours restée au môme point. Les médecins, consultés dans les procès de magie, n'ont fait que rendre plus obscur encore un sujet qui l'était déjà tant par lui-même en s' obstinant à ne voii' dans les phé- nomènes de la magie que l'effet d'une maladie cachée. Et comme, d'un autre côté, le traitement appliqué au mal était à la fois maladroit, violent, et le plus souvent ineffi- cace, on en vint à nier le mal lui-même; car il est de la

héveloppkml.m dl la .mvstiulk imaboliûlk. 73

iKiture de tout principe iiéiiatit' de finir par se nier soi- même, après avoir nié tout le reste. Mais ce qui apparaît dans tous les temps, ce qui, malgré toutes les contradic- tions, se reproduit toujours de nouveau ne peut être une chimère. La crédulité, la superstition, l'ignorance et la barbarie peuvent bien l'avoir défiguré et altéré; mais pour qu'il ait pu résister à cette altération il a fallu nécessaire- ment qu'il eût en soi un fond de vérité, qui, reparaissant toujours de nou^ eau , frappât le bon sens des hommes , qualité qu'on ne peut refuser à aucune époque. L'Éghse n'a pu se tromper en considérant la magie comme une apostasie et un retour à Satan ; car c'est toujours à la suite des hérésies les plus monstrueuses que la magie s'est re- produite. La législation civile ne s'est pas trompée davan- tage en la punissant comme un crime contre la société; car elle n'a jamais manqué de reparaître aux époques de bouleversement, la nature humaine, brisant tous les liens de l'ordre moral, ne recule plus devant aucun crime. Les médecins ne se sont pas trompés davantage en l'attri- buant à une maladie; car elle en est une en effet. Épidé- mie et contagion, elle a commencé avec cette grande in- fection dont le péché originel a déposé le germe dans le genre humain, et qui, comme un mal héréditaire, se pro- page de génération en génération à travers tous les siècles. Comme les épidémies, elle a ses intermittences. Tantôt elle sévit avec plus de fureur, tantôt elle semble se ralentir au contraire. Mais elle n'est pas seulement épidémique; elle apparaît encore partout comme endémique , avec plus ou moins d'intensité, selon les lieux elle règne. Nous avons eu déjà plus d'une occasion de constater en elle ce caractère : nous ajouterons seulement ici ce que m. 3

74 DEVELOPPEMEM DE L\ MYSTIQLE DIABOLIQUE.

les missionnaires modernes ont trouvé sous ce rapport

dans les hides.

Les Indiens Lorsque les missionnaires danois de Tranquebar de- du Malabar.

mandèrent aux Indiens de la cote de Coromandel s'il y

a\ait parmi eux des gens lies au démon par une alliance formelle, et exerçant la magie, ils leur répondirent qu'ils connaissaient en effet un art appelé magie ou sorcellerie, et ils leur nommèrent une multitude d'esprits protecteurs des campagnes ou des villes, qui étaient placés comme rois au-dessus des démons. Ils leur dirent que chacun de ces esprits avait une fonction particulière; qu'on leur offrait en sacrifice des boucs , des porcs , des coqs et des boissons fortes; qu'on se donnait à eux par certaines formules dé- terminées, et qu"on s'engageait à leur service par un ser- ment solennel en leur disant : « Demem"e chez moi, je demeurerai chez loi; » et qu'on leur offrait chaque année deux ou trois fois des sacrifices. Le magicien, ajoutaient* ils, une fois initié aux mystères de son art, prépare un onguent d'une couleur foncée, dont il se frotte la main, et il peut y %oir alors comme en un miroir les dieux et les déesses, en les appelant par leurs noms. S'il leur demande ce qu'ils veulent, ils le lui font voir sous une forme sen- sible. Il garde auprès de lui ceux dont il a besoin, et leur conlle telle ou telle fonction , puis il congédie les autres. Il peut avec leur secours amener les calamités, paralyser les membres, ôter aux hommes l'usage de leurs sens, pro- duire en eux la manie, la folie et la fureur, les rendre difformes ou les faire mourir peu à peu. La nuit il fait toute sorte de mal par leur entremise, tourmente ceux qui dorment, comme si on leur arrachait les entrailles ou qu'on les étranglât, ou qu'on leur coupât le cou; ou bien

DÉVELOPPEMENT DE LA MYSTIQUE DIABOLIQUE. 75

encore comme si des serpents accouraient en grand nombre pour les mordre. Parmi ces sorciers, il en est de plus ha- biles que les autres, qui peuvent immédiatement et sans façon tuer un homme. Les démons font tout cela par crainte du serment que ces gens ont fait au Jiom de Dieu. C'est au moyen de cette crainte que plusieurs obtiennent d'eux aussi le pouvoir d'appeler par certaines formules les poissons dans la mer, ou de rendre au contraire la pèche nulle. Enfin, lorsque celui qui a appris tous ces maléfices est près de mourir, et qu'il refuse de vivre et d'agir con- formément il la volonté des mauvais esprits, ils lui ôtent eux-mêmes la vie.

Interrogés s'il y avait aussi des fantômes parmi eux, ils répondirent qu'on en voyait en ell'et, mais qu'on les re- gardait comme des esprits mauvais; que tous ceux qui se tuaient ou qui mouraient d'une mort prématurée n'allaient ni dans le ciel ni dans l'enfer, mais que leurs âmes er- raient sous la forme de fantômes; que de plus, lorsque ceux qui jouissaient avec Siva de la béatitude devenaient orgueilleux, désobéissants et rebelles, il les maudissait, et qu'ils devenaient alors des esprits mauvais; qu'ils ne pou- vaient jamais se reposer, mais qu'ils voltigeaient sans cesse, surtout la nuit, séduisant les simples et les sots, et tentant les autres de mille manières; apparaissant en songe sous la forme déjeunes tilles séduisantes, et éveillant la volupté ; produisant des maladies et des fièvres, et faisant aux hommes tout le mal qu'ils peuvent. Si quelqu'un, à la vue (]v, ces fanhlmes, est saisi de frayeur, ils s'emparent de lui ot le possèdent, font entendre en lui des bruits singuliers, lui font tenir toute sorte de propos, le font courir nu, manger de? poissons et de la viande crus , de l'herbe et

'<» DKNtil.OI'l'tMLM DE LA .MYsilULt ItlABuLlOLK.

tout ce qui lui tombe sous h main; de sorte qu'ils ne font rien" de raisonnable ni d'humain. Ils ajoutèrent qu'il y avait parmi eux des possédés, et que les possessions étaient dillërentes selon la diversité des démons ; que le dé- mon nommé Cattcri possédait principalement les femmes et les filles bien laites; qu'alors il les rendait difformes, et faisait qu'elles ne pensaient plus ni à leurs maris, niàleurs enfants, ni au soin de leur maison, mais qu'elles couraient toujours connue des folles, clianlant, tournant la tète, se jetant dans les buissons , passant la nuit dans les vieilles pagodes, injuriant, frappant quiconque approchait d'elles et leur parlait avec bienveillance, ou lui jetant des pierres. D'autres font que celui qu'ils possèdent ne peut prendre •uKune nourriture, et est forcé de tourner la tète, tandis que les mauvais esprits qui résident dans les eaux épou- vantent celui qui traverse une rivière, et le font mourir ensuite. Cependant tous ces démons peuvent être chassés de ceux qu'ils possèdent, à l'exception de trois seulement, qu'on est obligé de garder jusqu'à la mort. Pour les autres possédés, on les conduit dans les pagodes des dieux pro- tecteurs; là on immole à ceux-ci des boucs, des porcs, des coqs, en disant : « Mère, que voulez-vous de plus? Je vous donnerai à manger tout ce que vous désirerez. » Puis, au milieu du bruit du tambour et des instruments à cordes, on frappe le possédé avec des verges, et l'on menace le démon jusqu'à ce qu'il soit sorti.

Ce n'est pas seulement aux Indes que les missionnaires ont constaté ces faits. Au Japon , lorsque quelqu'un était possédé , on disait que le renard avait sauté sur lui ; et un jour, dans la ville d'Ozacana, toutes les formules de con- juration ayant été épuisées, on tua tous les chiens, pour

DK LA LKGENDF. niABOUQlF. 77

forcer par le démon de sortir du corps des possédés. Le mal est donc,' comme nous l'avons dit ^ un mal universel dans l'histoire. On le retrouve dans tous les temps et dans tous les lieux. C'est une maladie endémique par toute la terre, et en même temps une maladie épidénjique se com- muniquant d'une génération à l'auti-e.

CHAPITEi: I\

Delà It'gPiide diabolique. Comment elle est fondée sur la nature. Com- ment l'opposition de la lumière et des ténèbres ressort dans le poème de l'Edda. La [trotte des sibylles. Le pays des ombres situé sous la terre et habité par les nains. Le royaume des morts à Got- tschée. Les Ases voyaireant dans les airs. La fée Holda sur le mont Hœrsil : la fée Abundia. Husron chez les Francs, et Héra ou Her- fha. La double marche des Ases et des Asines dans les douzB nuits qui précèdent la naissance de la nouvelle année. La dame blanche et la danse des sorcières. La légende du curé de l^onneval. Vodan et l'armée des \ses. Les volcans de la Sicile.

t^e ([ui , dans le domaine de l'esprit et de la volonté , se produit comme pensée et acte, apparaît dans le domaine de l'imagination comme type et image. Nous devons donc re- trouver ici une légende infernale, se développant d'une manière parallèle aux légendes pieuses de la mystique di- vine. L'esprit a pour but la vérité , c'est-à-dire la confor- mité de la pensée avec son objet. La volonté , de son coté, a pour but le bien , c'est-à-dire la conformité de ses actes avec la loi morale, tandis que l'imagination n'est soumise à aucune de ces conditions : la vérité et l'erreur n'ont de signification pour elle qu'autant qu'elles sont vraisembla- bles. Le \raisemblable e.4do)ic, à proprement parler, son

78 DE LA LÉGENDE DIABOLIQUE.

objet, en tant qu'il produit ou une consonnance qui lui plaît^ ou une dissonance qui la blesse. De même aussi, dans le domaine moral, le bien et le mal se réduisent pour elle à ce qui a l'apparence du bien. L'un et l'autre ne la frappent que par leurs rapports les moins élevés, en tant qu'ils produisent le plaisir ou la peine. La consonnance et la dissonance d'un côté, le plaisir et la peine de l'autre, voilà uniquement ce qui agit sur l'imagination, et ce qu'elle cherche elle-même à produire dans les autres; ce qu'elle veut, c'est de plaire ou de frapper. Elle est donc, à cause de cela, moins bien disposée en faveur de la vérité que de l'erreur; caria première, étant unique et absolue, lui laisse beaucoup moins de jeu pour ses créations fantas- tiques, tandis que la seconde, avec ses variétés infinies, lui donne toute liberté sous ce rapport. Elle préfère aussi pour la même raison le mal moral, mélangé du moins de quelque bien, au bien lui-même pur et simple, parce que celui-ci, se plaçant toujours entre deux extrêmes dont il fait disparaître l'opposition, produit dans la \olonté je ne sais quelle disposition douce et tempérée qui nuit à l'effet poétique de l'action; au lieu que l'autre, laissant les con- trastes se produire dans toute leur force, permet ces effets grandioses quelquefois, mais toujours saisissants, qui frap- pent Tàme et la remuent. Aussi voyons -nous la légende diabolique travaillée avec plus de soin que la légende pieuse, et s'éloigner bien plus que celle-ci de la vérité. Quoique la dernière en effet ne soit tenue comme l'autre qu'au vraisemblable, il est toutefois dans sa nature de s'at- tacher le plus qu'elle peut au vrai et au bien. Elle est donc obligée davantage de se conformer aux objets dont elle traite. Elle évite pnr-dessus tout la moindre opposition à la

DE l.\ LÉGE.NDE DIABOLIQUE. 79

doctrine de l' Église. Elle a en horreur le mensonge pur faiî pour le plaisir de mentir; et^ se donnant pour ce qu'elle est, c'est-à-dire pour une amplific^ition poétique de la vé- rité, elle se laisse toujours facilement reconnaître de tout homme qui a un peu de tact et d'expérience. L'autre lé- gende, au contraire, ne cherchant qu'à procurer à l'esprit les satisfactions dont il est avide, n'est point arrêtée par toutes ces considérations et se trouve ainsi plus libre dans ses mouvements. Comme dans le domaine du mensonge, le faux se laisse plus distinguer du vrai par la loi de la con- tradiction intime qui les sépare l'un de l'autre, et que dans le royaume du mal toute garantie manque pour discerner celui-ci du bien , et que d'ailleurs l'homme, une fois lancé dans ces voies ténébreuses, peut atteindre des limites in- calculables , ce qu'il y a de plus affreux peut se présenter comme croyable ; de sorte que, le mensonge se mentant à lui-même, l'erreur et la vérité sont parfois tellement mêlés et comme entrelacés, que l'œil le plus exercé a sou- vent bien de la peine à les distinguer.

Mais outre cette manière tout arbitraire de traiter les ob- jets poétiques, il en existe une autre, même dans ce royaume du m.ensonge, laquelle n'invente point les faits, mais, les prenant tels qu'elle les trouve, les saisit avec l'imagination, et les travaille d'après les lois de celle-ci, pour en faire un tableau poétique et agréable. 11 y a donc ici une vérité re- lative qui prend différentes formes, selon le domaine au- quel appartiennent les faits dont il est question. Ce mélange de vérité donne à la composition poétique une certaine ré- gularité. Les légendes de cette sorte, quoique produites par l'esprit de mensonge, quelque arbitraire que soit d'ailleurs la manière dont elles ont été travaillées , rendent donc à

80 DK LA l.F.r.F.NDF. Dl \K(»UQIT.

leur façon témoignage de la vérité; et comme, d'un autre coté, elles se retrouvent dans tous les temps et dans tous les lieux, elles démontrent par leur universalité même celle de l'objet qui leur sert de fondement. C'est de ce point de vue que nous jetterons ici un reuard sur cet ordre de faits, en considérant l'objet qui nous occupe d'après les différents domaines auxquels ces faits appartiennent, et en commen- çant par celui de la nature.

L'opposition la plus profonde que renferme en soi la na- ture est, sans contredit, celle de la lumière et des ténèbres. C'est à elle que se sont rattachés dans l'antiquité tous les mythes; c'est d'elle encore que plus tard ont pris leur dé- part toutes les légendes. Partout nous trouvons la croyance à deux sortes d'êtres, les uii5 lumineux, habitant les ré- gions supérieures, les antres ténébreux, ayant l'abîme pour demeure. C'est dans l'Edda que nous trouvons la formule mythologique la plus courte et la plus générale de cette opposition. Au commencement était la région ténébreuse et glacée appelée Mflheimr, et celle de la lumière, nom- mée Muspellzheimr. Mais une étincelle de lumière étant tombée de la seconde dans la première , une partie de la glace fondit et devint liquide. De cette goutte de la vie naquit un être de forme humaine nommé Imir. Avec lui naquit en même temps la génisse Audhumla, qui le nour- rit de son lait, et qui léchant, c'est-à-dire formant les pierres de sel, en fit sortir un autre homme gi-and et fort, nommé Buri. Imir devient l'e père des géants de la glace, race méchante et perverse , et Buri la souche des Ases , race bonne et pure, parce qu'elle participe davantage à la racine de la lumière, de même que la race des géants par- ticipe plus de la nuit, ;ai contraire, lue guerre éclate

DK L\ LÉGENDE DIABOLIQUE. 81

entre les deux maisons. Les lils de Bor tuent Iniir et noient dans le sang du géant sa race tout entière^ à l'exception d'un seul qui la propage de nouveau. Du corps d'Imir les Ases construisent l'univers; de sa chair et de ses os ils pro- duisent les nains semblables aux hommes et doués d'intel- ligence. Ce sont des sylphes, mais des sylplies ténébreux, habitant les sombres domaines de la nuit. A côté d'eux sont les sylphes lumineux , plus éclatants que le soleil , qui habitent le troisième ciel avec les Ases. Le peuple d'Imir se partage en géants et en sylphes ténébreux , tan- dis qu'à la race des Ases se joignent les sylphes lumineux. Le peuple des géants est une race indocile , sauvage , énorme dans ses dimensions, dont beaucoup ont plusieurs bras et plusieurs tètes ; audacieuse, colère, d'une grand- vigueur, mais en même temps grossière et maladroite . ayant quelque chose de la nature du rocher, demeurant aussi parmi les rochers, et se servant darmes de pierre. Cette race s'est établie aux derniers confins de la terre, dans les montagnes du Nord, elle s'est retirée en fuyant le voisinage des hommes. A coté des sylphes gracieux des régions supérieures, le peuple des sylphes noirs, petits comme des nains, laids et obscurs comme la nuit à laquelle ils appartiennent, habite avec ses rois dans les cavernes et les fondrières. Forts la plupart plus que leur taille ne semble le comporter, ils se distinguent suriout pai- leui- agilité et leur souplesse. Ils gardent les mines dans les pro- fondeurs de la terre , séparent les métaux, filent les libres des plantes, et en tissent les feuilles, les fleurs et le tronc. Us aiment la danse et la musique . et c'est leur voix qut' l'on entend dans l'écho. Comme ils passent sans obstacle à travers les pierres . ils peinent aussi se rendre \isibles et

82 I>E LA LÉGENDE DLAROLIQUE.

disparaître à leur gré, et lire dans ravenir par un esprit prophétique. Divisés dans leur être, ils peuvent se montrer bienfaisants . secourables, intimes et familiers à l'égard de l'homme: mais ils peuvent aussi s'enfuir devant lui, de- venir ses ennemis, l'agacer, lui nuire par leur souffle et par leur regard, et le tromper par toutes sortes d'illusions. [Mythologie aUemande de Grimm, p. 246.) Le son des cloches, la construction des éghses, le mouvement et l'agitation des hommes occupés les mettent en fuite , de même que les géants de leur côté se retirent devant les progrès de la moralité parmi les hommes au milieu des- quels ils vivent. Les géants et les nains, faits pour la nuit et les ténèbres, ne doivent jamais se laisser surprendre par le lever du soleil; car la lumière les changerait aus- sitôt en pierres.

Les Ases et les sylphes blancs représentent évidemment les puissances de la nature qui résident dans les astres du lirmament, dont les uns, plus considérables et plus grands, étendent au loin leur action, tandis que les autres, moins considérables, agissent aussi à des distances plus rappro- chées. Les géants, de leur côté, et les sylphes noirs expri- ment les puissances de la nature qui gisent dans les pro- fondeurs de la terre, et dont les unes, plus massives, agissent avec plus de force et d'énergie, mais dont les autres, renfermées dans un cercle plus étroit, ont une ac- tion plus subtile et plus pénétrante. Ces puissances opèrent en secret et dans Tûbscurité ; et c'est pour cela que la lu- mière les dérange , de même que l'approche de la nuit trouble les premières. Mais, outre ce coté naturel du mythe que nous étudions en ce moment , il en est un autre spiri- tuel qui n'en ressort pas moins clairement. 1! exprime, eii

nE LA LÉGENDE DlAnOLIQTE. 83

efïet, r opposition des races et des tendances historiques, et le contraste qui existe toujours dans rhumanité entre ceux qui marchent en avant et ceux qui restent en arrière. C'est le symbole de la lutte dont l'histoire tout entière porte l'empreinte. Comme le paganisme reposait sur celte double base, nous devons l'y retrouver partout. D'un coté les Dieux, de l'autre les Titans ;, les Géants et les Cabires; les combats entre les Dieux et les Géants ; de grandes ca- tastrophes dans la nature et dans l'histoire : voilà ce qui nous apparaît dans les mythes de l'antiquité. Tel est le fond que la légende a trouvé partout, et sur lequel elle a bâti, continuant ainsi Fédifice déjà commencé. Elle nous représente partout, en effet, des histoires de géants et de nains se rattachant aux sommets des montagnes et aux rochers placés comme des portes à l'entrée des gorges et des cavernes la nature déploie ses merveilles. Déjà l'an- tiquité, par un mythe ingénieux, avait placé aux portes de l'abîme les sibylles qui lisaient dans l'avenir, et dont les sentences, écrites sur des feuilles de palmier, étaient pous- sées au dehors par le souffle de l'inspiration qui montait des régions inférieures. C'est aussi qu'elle avait placé ces prêtres cimmériens qui jamais ne voyaient la lumière, et qui interprétaient les prophéties obscures dont les en- trailles de la terre leur renvoyaient l'écho.

La dame blanche reste toujours à son ancienne place. La arott Il n'y a pas longtemps encore qu'un gentilhomme aile- * " mand, conduit par Pierre Nappi, religieux dans un cou- vent voisin de l'une des portes qui mènent à sa demeure, l'y a trouvée. Le moine lui recommanda d'abord , à lui et à ses compagnons, le silence et le courage, et leur défendit de rien toucher ou de rien prendre de ce qu'ils verraient.

84 DE LA LÉGENDE bLVBOLlQrE.

Puis tous ensemble , portant un ilambeau à la main, par- courent un long sentier qui, d"une grotte haute et spa- cieuse , les conduit dans l'inte^ùeur. A la tin une porte s'ouvre devant les conjurations de Nappi, et les voyageurs entrent dans une salle couverte d"or et d'argent, les pierres les plus précieuses éblouissent les regards de leurs reflets étincelants. C'est qu'ils trouvent la sibylle. C'é- tait une femme d'une taille extraordinaire, vêtue d'une robe verte et bleue. Elle était diaphane, et brillait conmie rémeraude et le saphir. Elle fait entendre par signes plu- sieurs choses au guide; elle se lève, et ils la suivent dans une seconde salle; mais ils entendent autour d'eux en marchant un bruit terrible qui les épouvante. Ils trouvent cette seconde chambre brillant du même éclat que la pre- mière, mais avec des couleurs différentes; puis ils entrent dans une troisième plus petite. ils aperçoivent des femmes qui s'inclinent avec grâce devant eux. Le sol sous leurs pieds est pavé de pierres précieuses; et l'un d'eux, séduit par leur éclat, cède à la tentation et en ramasse une. Aussitôt , comme ils entraient dans la quatrième chambre, leurs lumières s'éteignent, et ils se trouvent plongés dans une nuit profonde ; de sorte que, saisis de frayeur, ils ne savent plus ils doivent aller. Leur guide, conjecturant ce qui est arrivé, leur représente le péril auquel ils se sont exposés, et leur dit que si l'un d'eux a pris quelque chose il doit se hâter de le jeter loin de lui. Le coupable fait ce qu'on lui commande, et la pierre qu'il avait ramassée lui apparaît au moment il la jette semblable à une pierre de touche. Ils s'avancent à la suite de leur guide, le cœur dans l'angoisse et l'effroi : il faut tantôt ramper dans des sentiers incommodes, tantôt se glisser dans des trous ou

DE LA LÉGENDE DL\B0L1QUE. Sîî

des fentes étroites, jusqu'à ce qu'enfin, après avoir long- temps tâtonné , ils aperçoivent de loin une faible lumière qui les conduit vers une autre issue sur une montagne inconnue; et ils reviennent entin , après neuf jours d'ab- sence, au couvent d'où ils étaient partis. [Entretiens sur le royaume des esprits , publiés en allemand à Leipsick en ITliO.)

L'inutilité de cet essai n'empêche pas la légende de Le pays des

, , , ^ K. . . . , . ombres ha-

chercher de nouveau a connaître ces régions mystérieuses. ^^^^ ^^

Elle envoie deux arquebusiers qui étaient en prison à "^^"'^ Inspruck visiter d'autres mines situées entre la ville et Milo, leur promettant la liberté s'ils réussissent dans leur entreprise. Pour plus de sûreté, on met des gardes à la porte, et l'on attend pendant douze jours les voyageurs souterrains, qui reparaissent au bout de ce temps à la lu- mière du jour, près de Kitzbuhel, et racontent ce qu'ils ont vu dans leur excursion. Les deux premiers jours après leur entrée dans la mine , ils ne purent savoir s'il faisait jour ou nuit ; et comme l'humidité du lieu éteignait leurs lumières, ils étaient obligés à chaque instant de les rallu- mer, ce qui les mettait dans un grand embarras. Après avoir ainsi passé ces deux jours sans boire ni manger, ils arrivèrent après dans un immense espace, d'où ils aper- (urent au loin un grand nombre de villages. Ils suivirent uiie route qu'ils trouvèrent devant eux; et comme ils étaient éclairés par une sorte de crépuscule, ils éteignirent leurs flambeaux, comptant bien les rallumer plus tard, s'il était nécessaire. Après quelque temps ils s'assirent sur le l)ord d'un ruisseau : là, après avoir pris quelque chose et bu de l'eau de la source , ils remarquèrent que l'air s'cls- sombrissait toujonis davantage ; ils rallumèrent donc leurs

86 DE LA LÉGENDE DIABOLIQUE.

flambeaux, et paninrent bientôt à de nouveaux écueils et de nouveaux abîmes. Suivant toujours la route située au milieu , ils passèrent près d'un édifice brillait une lu- mière, et d"ûîi ils entendirent partir des gémissements. Ils s'approchent de la maison pour regarder un peu par la fenêtre, et voient un cadavre d'une peSite stature, autour duquel se tenaient des pleureuses. Effrayés, ils avancent en tremblant, et rencontrent un petit nain bossu, dont la barbe grise tombait jusqu'au iiombril , et qui portait à la main un bâton et une lanterne. Il les salue amicalement, et les avertit d'éviter la foule, sans quoi ils s'en trouve- raient mal, parce quun jour de deuil avait été prescrit dans tout le pays pour la mort de leur maître défunt. Il s'offre à eux pour leur montrer le chemin qu'ils doivent prendre, afin d'échapper au danger, et marche devant eux avec sa lanterne. Ils s'aperçurent alors qu'il était bancroche et très -mal sur ses pieds. Pendant la route, l'un d'eux, plus hardi que Tautre, lui demanda quel est le pays ils se trouvent. Il leur répond : « Vous êtes chez un peuple souterrain qui n'a rien de commun avec ceux qui demeu- rent sur la surface de la terre. Ce que nous avons à faire sur la terre, nous le faisons la nuit : nous rendons volon- tiers service aux hommes quand ils le veulent; dans le cas contraire, nous nous tournons contre leur bétail lorsque nous ne pouvons décharger sur eux-mêmes notre mau- vaise humeur. Ne me demandez plus rien, ajouta-t-il, mes affaires m'appellent. Prenez toujours à gauche, et vous arriverez au monde d'en haut. » Après avoir ainsi parlé, il tourne à droite, tandis qu'eux continuent leur route. Ils voient venir de tous les côtés une multitude d'autres petits nains portant chacun sa lanterne, Us arrivent bien-

m: LA LKr.EM)E PIAROMOIE. 87

tôt à des creviipses de, roches très - profondes et à des lieux sombres oîi leurs flambeaux leur furent de nouveau très- utiles, ïls trouvent le chemin trop long; et si le nain ne leur avait dit qu'il les mènerait au monde d'en haut, ils auraient cru qu'il les conduisait, au contraire, aux plus profonds abîmes; car il leur fallait tantôt descendre des écueils escarpés^ tantôt grimper des rochers. Ils ne savent combien de temps ils ont ainsi marché, n'ayant vu ni le soleil ni la lune. Ils arrivent enfin à une fente étroite du rocher^ d'où ils voient briller quelques rayons do soleil à travers une haie de ronces. Us rampent avec peine, et se retrouvent sur la terre, près d'une haute tour en ruine, entourée de murs et de voûtes tombées de vétusté. Ils voient au pied du rocher un village vers lequel ils se diri- gent, et qu'on leur t^it s'appeler Kitzbuhel, et être situé ù sept milles d'Inspruck.

L'ne légende semblable se rattache au mont Loibler et à sa grotte dans la Carniole. On permet aux visiteurs de prendre pour leur nourriture les fruits qu'ils y trouvent, mais rien autre chose, s'ils veulent retourner au monde supérieur. Us traversent des champs et des forets, côtoient d'immenses étangs et des torrents impétueux sans pouvoir néanmoins rien distinguer de tout ce quiles entoure. Quand U leur semble qu'il est nuit, ils se reposent un peu, et continuent leur voyage quand ils croient qu'il est jour. Après quatorze jours de marche, ils tombent enfm dans une grande obscurité. Heureusement celle-ci ne dure que quel- ques heures, après lesquels Us atteignent une ouverture et se trouvent, à leur grand élonnement, près de la célèbre grotte de l.ueger, près de Stein. 'IMd., 4^ et 1 1*^ entre- Uen.,

88 1)K l.A Lk(.F.M)K 1HAH^»1.IULK.

Le pays visité par ces voyageurs^ c'est le pays des nains, habité par un peuple paisible^ qui traverse les rochers et les murs aussi facilement que l'air ; et comme ce pays s'é- tend sous toutes les régions de la terre, il n'est pas un peuple chez qui ne se trouve quelque légende y ayant rapport^ qui n"ait été visité par quelqu'un de ces nains^ ou qui n'ait tu quelque voyageur assez hardi pour descendre dans ces contrées mystérieuses. Ainsi^. en Angleterre^ c'estun homme sage , savant dans l'art de guérir, lequel frappe trois fois à la porte qui conduit à la colline. La reine des nains lui ouvre, et lui donne la poudre blanche avec laquelle il opère ensuite ses guérisons. (l'est une femme mystérieuse qui sur rOfenberg, en 990, offre à boire au comte Olhon d'Oldenbourg, égaré à la chasse dans la foret de Berne- feuer, et la famille de ce dernier conserve encore la corne oîi il but en cette circonstance. Ainsi en est -il ailleurs et partout. Le rûvaiime Mais SOUS terre n'est pas seulement le pays des nains: «iunschée. ^^ y trouve encore le royaume des ombres. C'est qu'ha- bitent les morts, ceux d'abord qui ont encore quelques fautes à expier. Des portes de pierre ouvrent les sentiers qui conduisent vers eux. Une de ces portes existait en Car- niûle. dans le château de Gottschée. envu-onné d'écueds; et le chasseur qui l'habitait^, il y a longtemps déjà, y a péné- tré après que le rocher s'est ouvert sous ses pieds et qu'une lumière lui a apparu du fond de l'abîme. Au moment oii il entre, un serpent darde sur lui ses regards enflammés; mais son guide le chasse, et, la clarté augmentant toujours, ils continuent de marcher jusqu'à ce qu'ils trouvent dans une grotte spacieuse sept vieillards à la tète chauve, assis autour (Tune table dans une méflitation profonde. Après

DF LA LÉGENDE DlABOLiyiE. >SM

s'èlre arrêté quelque temps, ils continuent leur roule et passent devant une porte de fer. Son guide frappe, et une vierge \oilée leur ouvre. Ils aperçoivent un petit cercueil, aux quatre coins duquel brillaient quatre lumières bleues. Dans une seconde salle ils trouvent encore vingt-huit bières plus grandes, avec des cadavres d'hommes et de femmes, t'clairés par une lampe. Un jeune homme d'une tigure agréable et couronné de verdure leur ouvre une autre porte, et les introduit dans une vaste chambre, sont réunies dans un profond silence trente-huit personnes, dont quatre femmes avec un visage blême. Le vieillard t[ui sert de guide au voyageur le conduit entre deux rangs de personnes des deux sexes qui se tiennent debout, por- tant un flambeau à la main, et le chasseur croit recon- naître en passant deux figures dont il a vu les portraits. Son guide donne un baisera la première et à la dernière, sur quoi le chasseur, prenant courage , lui dit : « Puisque vous mavez amené dans ces lieux souterrains, je vous ad- jure au nom de Dieu de me dire qui sont ceux dont vous venez de me montrer la forme , et si les vivants peuvent leur procurer quelque soulagement. » Le vieillard lui ré- pondit d'une voix bien basse : « Tu viens de voir tous ceux qui ont habité le château de Gottschée depuis qu'il a été bàti ; mais je ne puis t'en dire davantage ni sur eux ni sur moi. Tu sauras bientôt ce qu'il en est; sors par cette porte, et souviens-toi de ce que je te dis. » Au même instant il ouvre une petite porte et la referme après lui. Le chasseur tâtonne dans l'obscurité, le long des murs humides, monte un escalier éclairé par une faible lueur qui tombe d'en haut, aperçoit bientôt par une ouverture qui part d'une profondeur immense les étoiles du tirmanienl, et se trouve

90 DE LA LÉGENDE DIAIîoLIQl E.

enfin j après avoir erré longtemps, au fond de la grande citerne située derrière le château. Son visage est devenu blême comme celui d'un mort, et ses cheveux blancs comme la neige ; de sorte que sa femme a peine à le re- connaître. Son enfant était mort pendant son voyage, et c'était ce que lui annonçait le petit cercueil qu'il avait vu. Il raconte au maitre du château, au prince Rodolphe dAuersberg, ce qui lui était arrivé. On lui montre dans le château deTschernembel les portraits de famille, et il re- connaît parmi eux plusieurs de ceux qu'il avait vus sous terre. Ln curé de Gottschée, nommé Purcker, s'est donné beaucoup de peine pour exphquer la vision du chasseur : et comme il était très -savant dans les antiquités^ il avait entrepris l'histoire de tous les seigneurs du château depuis sa fondation ; mais la mort l'a interrompu au milieu de son travail, et l'a réuni lui-même à ce peuple souterrain. Au reste, ce n'est pas seulement en Carniole que Ton trouve cette légende. D'autres princes subissent sous d'autres montagnes le même sort, et y attendent le dernier juge- ment. Au château de Geroidseck, ce sont Siegfried, ^Yit- tich et d'autres héros ; sous l'I'ntersberg, c'est Bar- berousse; sous FOdenberg, c'est Charlemagne avec son armée; ailleurs, d'autres encore, pour li plupart incon- nus.

Ceci nous conduit des régions souterraines à celles de l'air, les Ases voyagent accompagnés de leurs armées. La légende, en effet, raconte que sur un grand nombre de montagnes une armée se met en marche tous les ans, dans les douze nuits qui s'écoulent depuis Noël jusqu'aux Rois : et cet événement se reproduit chaque année avec une telle régularité qu'à cette époque le peuple l'attend pendant la

DK LA LKGE>DE DIABOLIQUE. 01

nuit, coQime il attendrait un roi qui se serait annoncé avec sa suite. Dovaut cette armée marche le fidèle Eccard, vieil- lard respectacle, agitant çà et un ])àton blanc dont il écarte la foule. Après lui viennent des troupes de fantômes sous les formes les plus horribles, les uns marchant à pied, les autres sur des chevaux n'ayant que deux jambes; ceux- ci attachés à des roues qui coureut d'elles-mêmes, ceux-là marchant sans tète et portant leurs Jambes sur leurs épaules. Ils sont précédés de formes qui ressemblent à des lièvres, à des porcs et à des lions, dont on aperçoit le len- demain les vestitres sur le sable. Des bruits terribles se font entendre comme dans la chasse la plus bniyante; les chiens aboient, les cors retentissent, et le convoi mysté- rieux court par monts et par vaux après le cribier qu'il poursuit, La chasse dure jusqu'à ce qu'un son semblable à celui d'une cloche donne le signal dli retour; et aussitôt tous reprennent en bon ordre le chemin de leurs mon- tagnes, et disparaissent. Ce qui apparaît ici sous la forme d'une chasse se produit ailleurs comme une bataille entre deux armées. Le chef, monté sur un cheval blanc, mène au combat les esprits guerriers. On entend dans les airs le cliquetis des armes, le hennissement des chevaux et le bruit de leurs pas. Les armées sont passées en revue; l'exercice commence; quelquefois une grande bataille est livrée, et quelquefois au contraire le temps se passe dan.s des danses accompagnées de sauts et de gestes singuliers, que les soldats exécutent tout armés. 'Grimm, Lèrjendes aï- lemaitdes, I, p. 3j8.)

Sur le mont Hoersil, en Thuringe, une procession d'un La fee Hc autre genre précède et termine l'apparition de cette armée ^^^• hruvanle. ('/est la fée Hoida , la déesse bonne et bienveil-

92 m: la i,i:(;LNDt; diahuikjie. *

lante, qui conduit la marche, montée sur un char. Quel- quefois cependant le hdèle ^^■arne^ marclie à la tète du convoi. Des fantômes singuliers se pressent autour d*Holda_, mais ce sont des femmes qui l'accompagnent. Elles tra- versent les airs et les grandes routes, semant l'abondance sur leur passage ; aussi cëlèbre-t-on leur apparition par des repas et des fêles. Eu Norwége , l'apparition de la déesse avec sa suite promet aux troupeaux et aux femmes la fé- condité. Elle donne à celles-ci la santé ^ et du fond delà source oii elle demeure elle leur envoie de nouveaux en- fants. Elle donne le bonheur à ceux qui ont su lui plaire, et leur apporte de son jardin des fleurs et des fruits. Le Sud, habité par les peuples d'o)'igine romane, la connaît aussi sous le nom de Phra ou de Phara-Ildis, ou encore l.afteAbun. de dame Abundia ou d'Hérodiade ; il l'honore comme la ^^'^' source desbénédictious de l'année et de tous les bienfaits. Elle visite, accompagnée de ses dames ou matrones, nom- mées aussi quelquefois Maires , les maisons et les celliers. On leur prépare des festins: et si elles trouvent la table bien servie^ elles mangent et boivent sans rien retrancher des mets qu'elles touchent. Quelquefois, dans l'épaisseur des forêts, elles apparaissent sous la forme de jeunes filles ou de matrones ^ètues de blanc et bien parées; elles ne dédaignent même pas de visiter les étables, portant à la main des cierges de cire , dont on aperçoit le lendemain les gouttes sur le bétail qu'elles ont soigné. ((Euvres de GuiUavme de Paris, I, 1036 et 1060.) Elles entrent aussi dans les chambres les fenmies iilent le lin, et lors- qu'elles trouvent la quenouille bien garnie, dame Holdase réjouit. Comme aussi elle entre en colère lorsqu'au retour elle In retrouve non tilée, car elle est elle-même la Lirande

VE i.v Lt«.tM»i: biAbuiJni i:. !«o

fileuse et la Ljraiulc tisseuse de tout ce qui uerme dans le sein de la terre.

A Tours, en France , au lieu du lidèle Eccard, c'est le Hugon che ]'oi Hugon qui conduit Tarmée furieuse, frappant ceux qu'il rencontre, ou même les emportant. D'après une vieille légende des Francs, Hugon était un des chefs de leur armée vers la lin du x^ siècle, et c'est de lui que tous les autres chefs ont pris le nom de Hugon. Hug désigne l'es- prit, le cœur, la valeur ; de viennent les Hugrimar, qui inspirent aux hommes le courage. Un écrivain qui vivait au milieu duxiv*^ siècle, (lobelin, rapporte que, parmi les habitants d'Eresberg, plusieurs vieillards nés dans le pavs disent avoir entendu racontera leurs grands-pères qu'entre .Noël et l'Epiphanie dame Hera Iravei'se les airs et apporte l'abondance à la terre. Ici l'armée féniinhie est dirigée non plus par Holda, mais par Era, dont le nom n'est qu'un abrégé de celui de Hertha, laquelle en Poméranie fait croître l'herbe dans les prés et remplit les greniers. Hé- rodiade n'est peut-être qu'une transformation de ce nom. Er, prononcé avec force, devient Erre et Werre, ou bien encore Erke et Herche, qui joue en certains pays le même rôle que la fée Holda. Il en est de même du nom de Her- tha, qui par des transformations successives devient Ber- tba, Hildeberlha, Berchtha, laquelle conduit dans la haute Allemagne les chœurs des fées pendant les douze nuits. A la déesse Erre correspond le dieu Er, Ir, Tyr, Tis, Dis et Zis, le dieu de la guerre, qui a donné son nom au troi- sième jour de la semaine et à l'une des runes, et qui ap- paraît aussi à la tète de l'armée furieuse, tandis que la fée Hère, qui donne l'abondance, est comme la Vénus du Nord, qui conduit les femmes à la montagne de Vénus.

94 DE LA LK<.ENl>t DlAUCLlgiE.

C'est du nom de Ei* que viennent un grand nombre d'autres

noms que l'on rencontre dans la haute Allemagne, et qui

tous désignent le même personnage.

.es Ases et Aiusi, on le voit, ce sont les Ases et les Asines qui les Asines. , ^ , ^ i , -

marchent a la tête des armées a travers les airs; et ce sont

les foridateurs et les ancêtres des peuples qui les conduisent sur la terre. Dans le Nord Scandinave ;, les antiques traditions se sont mieux conservées, la procession des douze nuits s'appelle la marche des Ases; et comme les Ases et les fondateurs de la nation se confondent dans la personne d'Athin ou Odin et de Frigge, ce sont eux aussi qui conduisent la marche dans cette contrée. Elle a lieu partout dans les douze nuits qui suivent le solstice d'hiver. Une procession moins considérable que la première se fait encore à chaque nouvelle lune. Bans ces douze jours a lieu la naissance et la première enfance de la nouvelle année; de même que le premier jour de la nouvelle lune désigne la naissance de la nouvelle année lunaire qui com- mence. Ces jours sont donc marqués comme des jours caractéristiques, pendant lesquels l'année qui va se filer et se tisser est mise sur la quenouille et sur le métier. Ces jours sont caractéristiques, parce que c'est alors que se décide le sort de l'année, le temps qu'il y fera, et par con- séquent son abondance et sa disette; comme aussi c'est la première nuit de la nouvelle lune qui détennine le temps qu'il fera pendant le mois. De même que dans le domaine de la nature c'est le soleil et la lune qui en règlent toutes les variations, de même dans une région plus élevée ce sont les dieux Ases, correspondant à ces deux astres, qui décident et règlent le sort de la nouvelle année; et c'est pour cela qu'ils tra\ersentles airs pendant ces douze nuits.

DE LA LÉGE.NDE DIABOLIQUE. 9a

Mais ils ne règlent pas seulement le sort des biens de la terre ; ils décident encore des destinées de chaque homme en particulier et de tous les êtres vivants pendant le cours de Tannée, et cest deux que dépend le bonheur à la l^aerre ou à la chasse et le résultat de chacune de nos ac- tions. Aussi voyons- nous partout deux chœurs pendant ces nuits, l'un d'hommes, l'autre de femmes, qui tantôt se séparent, tantôt se réunissent. L'homme doit seilorcer alors de Ure ses destinées dans les actions des dieux et des ancêtres. La fête de l'année tombe donc à cette époque, afin qu'il puisse considérer avec attention les signes qui lui sont donnés et s'attirer la faveur des dieux. Or il célèbre celte fête en répétant sur la terre ce que les dieux font dans le ciel, en portant leurs images dans des processions semblables à celles qu'ils exécutent dans les airs. Nous li- sons, en eftet, dans Burcbard eu Bouchard de VVorms les paroles suivantes, adressées au peuple par un concile : " Crois -tu qu'il y ait des femmes capables en certaines nuits, comme elles le prétendent, trompées par le diable, de suivre montées sur des animaux le chœur des démons déguisés en femmes, que le peuple dans sa folie appelle Holde? Car des chœurs parcourent les rues et les villages en chantant : des tabks sont ser^, ies avec des pierres ou des mets, pendant que le maître de la maison, ceint d'une épée, monte sur son toit, ou s'assied sur une peau de vache dans un carrefour, afin d'apprendre ce qui doit lui arriver pendant l'année. )> Ainsi ce sont des femmes qui, sem- blables aux Alrunes, suivent le chœur d'Holda, emportées par un attrait invincible, et qui, hors d'elles-mêmes, ti'a- versent les airs comme les Ménades de l'antiquité. Mais les hommes n'échappent point à l'inspualion du dieu :

90 IJK 1-^ l.l.<,L>L>K DIAIJOLIULE.

c'est par des chants héroïques et par des danses guerrières qu'il s'empare d'eux. Emportés aussi par une fureur mNs- térieuse;, ils suivent l'armée furieuse dans les airs; et les femmes regardent avec curiosité leurs jeux guerriers^ afin d'y lire ce que sera Tannée qui commence. . Mais les Ases et tous les dieux du paganisme sont les créatures du Dieu suprême, et ont u>urpé sa gloire; tous sont enveloppés dans la grande catastrophe qui a précipité du ciel les anges rebelles. Eux aussi ont entraîné leui's partisans dans leur ruine. Ce sont donc tous des esprits déchus, portant dans leur nature l'empreinte de la divi- sion profonde qu'y a introduite le péché. En effet, celui-ci na point détruit eu eux la nature: et ils conservent encore une partie de leur ancien éclat et de leur énergie primi- tive ; mais d'un autre côté le péché a obscurci leur esprit, et tourné vers le mal leur puissance. Holda est donc à la fois bonne et malveillante, gracieuse et laide, affable et terrible. Il en est ainsi de Berthe et de tous les autres per- sonnages de ce genre. Fileuse et tisseuse, elle embrouille quelquefois et salit la quenouille, ou bien elle mêle la chaîne et la trame sur le métier. Si ehe fait mûrir les mois- sons, elle sait les détruire aussi par le feu et la grêle; si elle augmente les troupeaux, elle sait aussi les faire périr; si elle donne des enfants aux mères, elle sait aussi les leur ravir, et en mettre à leur place d'autres, fruits d'un com- merce mfàme avec le démon ; car elle représente la magie blanche et la magie noire en même temps. Le chœur qu'elle dirige porte aussi le salut et la i-uir^ : c'est pour cela que toutes les femmes qui composent sa suite sont comme elle belles par devant et laides par derrière. Il en est ainsi de l'armée des Ases. Odin, son chef, n"a-t-il pas

l'i; lA I.KCt.NDK ItlAHdl.lMlK. 97

déjà, lorsqu'il a voulu boire à la source des géants la fausse siigesse, laissé comme gage un œil? De lui viennent donc également et la victoire et la défaite; et d'après la légende îiofwégienne, celui sur qui ses guerriers laissent tomber une selle doit mourir dans Tannée. Us s'asseyent à la poiie de celui qui doit recevoir dans l'année des coups ou la mort. Tant qu'aucun crime n'est commis, ils se tiennent (i-anquilles; mais dès qu'il est accompli ;, ils saluent le ronpablepar un grand éclat de rire. Grimm, p. '63 i.) C'est pour cela que le peuple du pays de Reuss appelle l'armée fnrieuse la suite de la vierge qui dorme la peste. 11 se re- présente celle-ci sous la figure d'une grande femme, aux cheveux noirs comme un corbeau, parcourant la terre sur un chiiriot noir, et s'adjoignant sans cesse de nouvelles compagnes. Partout elles passent en chantant tout se change en fantômes : les tisons se dressent et étendent deux bras terribles, pendant que les trous des arbres scin- tillent comme des yeux enflammés. Les arbres, les buis- sons, les chouettes, leshibous, tous deviennent des spectres qui se joignent aux autres, et chantent avec eux le chant des morts. La désolation marche à la suite de ces chœurs etVrayants, et la vierge apporte la mort dans toutes les mai- sons à la porte ou à la fenêtre desquelles elle tend son drap rouge.

l'artout ici nous voyons apparaître l'opposition dont le paganisme entier portait l'empreinte. Mais lorsque le chris- tianisme eut prêché un Dieu unique qu'aucune division ne peut atteindre, tous ces mythes durent révéler leur véritable sens. Devant la lumière du vrai Dieu pâlit l'éclat trompeur de ces fausses divinités. Les puissances tournées vers lu mal une fois vaincues par lui, on vit bien qu'au

3*

98 Dt LA LtlGENDE mABOLlQLE.

fond de toutes ces fables était cachée lidée de la lutte, qui n'a jamais cessé depuis le commencement du monde, entre le bien et le mal, entre Dieu et le démon. Une légende du xui^ siècle raconde de saint Germain qu'étant entré un jour dans une maison, il trouva la table servie pour les bonnes fées qui devaient passer pendant la nuit. Lors- que l'heure fut arrivée, une foule d'hommes et de femmes accoururent en effet sous la forme des voisins et des voisines de la famille. Le saint leur ordonna de rester, el envoya tlans la maison de ceux dont ils avaient pris la figure. Or on les trouva tous dans leurs lits. Germain conjura la société, et tous confessèrent qu'ils étaient des démons, et que c'est ainsi qu'ils trompaient les hommes. [A. S., oi jul. ) iNous voyons ici la transition de l'idée ancienne à l'idée nouvelle. Holda n'est plus pour le peuple chrétien que la reine des sorcières, qui voyage dans les airs à la tète de ses Drutes, ces fileuses agiles qui tilent autour de leurs quenouilles le malheur des humains , et tirent de leurs fuseaux le fil qui enlace les àraes dans le péché. Lu montagne oii eUes célèbrent leur sabbat, oii la tentation a établi son siège, renferme aussi le châtiment qui doit punir la faute ; et le même feu qui allume les mauvais dé- sirs dans le cœur doit puritier celui-ci et venger l'honneur de la Divinité outragée. C'est pour cela que le démon ha- bite cette montagne Vénus et sa suite ont fixé leur sé- jour; et de même que de la montagne des sylphes on entend retentir parfois des cris d'oJlégresse, des rires joyeux, le son des cloches et le bruit des instruments, ainsi d'autres fois il en sort des gémissements et des plaintes que Ton entend d'une lieue, et les dragons en- îlammés qui voltigent dans les airs y descendent pour \

PE I..\ LÉGENDE DIAliOLIQlE. 99

entretenir le feu de l'enfer. Remsch^veig, femme d'un roi d'Angleterre, apprend après la mort de son mari qu'il fait son purgatoire en Thuringe, sous le mont Horsil. Elle part aussitôt pour l'Allemagne , bâtit une chapelle au pied de la montagne, passe sa vie à prier pour la délivrance de l'àme du roi;, malgré les tourments que les mauvais es- prits lui suscitent; et bientôt s'élève autour d'elle un vll- Inge qu'elle appelle Satansstadt, d'oîi s'est formé peu à peu le nom de Sattelstadt, sous lequel ce lieu est connu au- jourd'hui.

Il en est de Vodan et de l'armée des Ases comme de Le curé de Holda et des Asines : ce ne sont plus les héros de l'anti- ijuité, ce sont tout simplement des esprits rebelles con- damnés et punis. La légende rapporte qu'en 1091 un prêtre nommé Valchhelm , curé de Bonneval^, dans l'évèché de Lisieux en Normandie , était allé la nuit tombante et dans la pleine lune visiter un malade à l'extrémité de sa pa- roisse. Comme il s'en retournait seul, après lui avoir ad- ministré les sacrements, et qu'il était à moitié chemin en- viron . il entend dans le voisinage un grand bruit, comme si une armée approchait. C'était un homnie jeune, fort et courageux. Cependant, comm.e il paraissait y avoir une grande multitude de gens, il craignit qu'il ne lui arrivât quelque mal. Ayant aperçu non loin du chemin quelques néfliers, il pensa à se cacher derrière l'un de ces arbres jusqu'à ce que la troupe fût passée. Comme il courait pour atteindre les néfliers, un homme d'une taille gigantesque court après lui , une massue à la main, l'atteint et lève sou arme contre lui en lui criant dune voix terrible : a Arrête, ou je te tue. » Le prêtre, saisi d'etîroi, ne put lui ré- pondre une seule pard^-retTesta coaiine cloué au sol de-

. / r^

JOO DE I.V LÉGENDE nUEOl.lQl'E.

vaut lui. Copendant le bruit approchait toujours davan- tape. Il vit d'abord passer uue grande foule de gens à pied, chargés de vêtements, d'ustensiles de ménage,, de bétail gros et petit; on eût dit des pillards revenant char- gés de butin. Ils paraissaient tristes, et marchaient en gémissant sous leur fardeau. Le prêtre , reconnaissant parmi eux plusieurs de ses paroissiens qui étaient moris. les uns il y avait longtemps déjà, les autres tout dernière- ment, fui rempli d'épouvante, et n'osa leur adresser la pa- role ; mais il comprit par leurs plaintes qu'ils pleuraient les vols et les injustices qu'ils avaient commis. Après eux \enaient à cheval des femmes sans nombre qui criaient : u .Malheur, malheur à nous! Ahl combien nous payons cher nos actions déshonnètes 1 Monsieur le curé , priez pour nous, afin que Dieu nous délivre de ce cruel supplice! » Leurs plaintes excitent sa compassion ; car il voit que toutes les selles sur lesquelles elles étaient assises étaient garnies de pointes de fer brûlantes, et que ces pauvres femmes, soulevées sans cesse comme par un vent violent, retombaient toujours dessus.

Après elles venaient des évéques et des abbés avec leur crosse et des ornements noirs, des moines et des prêtres en chapes noires et en rochets. Eux aussi poussent des plaintes lamentables, et le curé reconnaît avec etfroi parmi eux beaucoup de gens qu'il croyait depuis longtemps en para- dis H cause de leur sainte vie. Mais un escadron de cava- liers enflammés, montés sur de srands chevaux, avec des bannières noires et des cuirasses brûlantes, augmenta en- core son elïroi. L'un d'eux, qui était mort dans l'aimée, s'avance vers lui , et d'une voix rauque lui donne une com- mission pour sa fpmrnp. qu'il avait laissée sur la terre. Le

DE LA LÉGENDE DIABOLIQUE. 101

prêtre se dit à soi-même. : « Ce sont certainement les gens d'Herleih, dont j'ai souvent entendu parler. Je n'y croyais point et ne faisais qu'en rire; mais il faut bien que je le croie maintenant, puisque je le vois de mes yeux. Ce- pendant personne ne me croira si je dis ce que j'ai vu. Je vais donc m'emparer de l'un de ces chevaux qui n'ont point de cavaliers, et je m'en retournerai avec lui à mon presbytère; ce sera une preuve incontestable pour ceux qui refuseront de me croire. » Comme le prêtre était un homme grand, fort et hardi, il met la main sur un énorme coursier; mais celui-ci lui échappe bientôt. 11 se place au milieu du chemin, et trouvant un cheval qui se tenait tran- quille, attendant son cavalier, il le monte, quoiqu'il vît sortir de ses narines une fumée épaisse , et lui dit, saisis- sant la bride : « Que tu sois qui tu voudras , il faut que tu viennes avec moi. » Mais il sent sous son pied gauche une chaleur brûlante, comme s'il l'eût posé sur des char- bons enflammés , tandis que la main dont il tenait le pom- meau de la selle était transie par un froid pénétrant, qui lui glaçait non -seulement le bras, mais encore le cœur. Quatre cavaliers accourent à lui, et trois d'entre eux veu- lent l'emmener de force, parce qu'il a pris le bien d'autrui. Comme son cœur battait d'épouvante, le quatrième cavaliei- prend son parti, et lui donne une commission pour sa fa- mille. Il refuse de s'en charger, de sorte que le cavalier le renverse à terre et veut l'étrangler, si bien que l'empreinte de ses doigts brûlants resta a isible sur le cou du pauvre prêtre. Mais son frère défunt, Rodolpht^ , le délivre de la main de ce furieux, et lui donne de sages avis, lui con- .seillant d'amender sa vie s'il ne voulait pas faire partie bientôt lui-même de cette société. Le curé , épuisé et n'en

102 DE LA LÉGENDE DL\B0L1QIT.

pouvant plu?^ s'en retourne lentement chez lui^, tombe dan- gereusement malade, et raconte , après sa guérison, à l'é- vêque Gisbert ce qu'il a vu. (Oderic Vital, lib. VIII.) Les volcans Après les montagnes des Ases, les volcans sont les lieu>: de la Sicile. au;,^qQeis gg rattachent de préférence ces sortes de légendes; comme le Stromboli dans les îles Éoniennes. déjà du temps d'Aristote, mais surtout l'Etna en Sicile. Les Sarrasins l'avaient appelé El-Gebel, c'est-à-dire la montagne : de s'est formé le nom de Giber, sous lequel il joue un si grand rôle dans les légendes du moyen âge. «Dans le temps que l'empereur Henri conquit la Sicile, raconte Césaire au douzième livre de ses Histoires, le doyen de l'église de Palerme, ayant perdu son cheval, envoya sonserviteur à sa recherche. Celui-ci rencontra un vieillard qui lui dit : «Où vas -tu et que veux -tu? Je vais chercher le cheval de mon maitre. Je sais il est. est-il donc ? Au mont Giber, qui vomit du feu : il est dans la possession de mon maître le roi Artus. » Comme le serviteur était très- étonné de ce qu'il lui disait, il ajouta : a Dis à ton maître qu'il est invité à venir dans quinze jours se présenter à la cour du roi. Si tu ne fais pas la coamiission, il t'en pren- dra mal. » Le serviteur, de retour chez son maître, lui ra- conta ce qui lui était arrivé. Le doyen ne lit qu'en rire; mais bientôt il tomba malade, et mourut au jour indi- qué. »

Un jour quelques personnes se promenant dans le voi- sinage de cette même montagne entendirent utie voix crier trois fois : tt .Ulumez le feu. » A la troisième fois, une autre voix demanda : a Pour qui devons-nous allumer? » On répondit : a Notre bon ami le duc de Zehringen, qui nous a bien servis pendant sa vie , doit arriver bientôt ici. »

LES VISIONS RAPPORTÉES PAR LA LÉGENDE. {0'3

Ceux qui avaient entendu ces paroles notèrent le temps et l'heure; et il se trouva dans la suite, parles nouvelles qui arrivèrent à la cour de Frédéric, qu'en ce moment-là même élait mort Bertolph de Zehringen, homme féroce, avare, impie, et qui avait renoncé h la foi. Il avait fait fondre en mourant tout son argent dans un bloc, dans l'espoir que ses héritiers, ne pouvant s'accorder sur le partage, s'étran- gleraient. Les croisés rapportèrent de leurs voyages plu- sieurs anecdotes semblables, dans lesquelles le peuple exer- çait une sorte de justice populaire, et se vengeait ainsi de ses oppresseurs.

CHAPITRE V

Visions du ciel , du purgatoire et de l'enfer rapportées par la légende. La grotte de Snint-Patrice en Irlande forme le point de départ de ces légendes. La légende d'OEnus, celle de Tundal, celle de saint Fiirsée d'Irlande. La Divine Comédie du Dante.

La légende ne s'est pas occupée seulement du monde \isible, mais elle a encore pénétré jusqu'au monde invi- sible , et exprimé sous la forme de visions terribles ou gracieuses, mais toujours édifiantes, le résultat de ses in- ventions poétiques. C'est surtout à la grotte de Saint- Patrice en Irlande que se rattachent ces sortes de légendes. Le peuple de Naples croit que ce sentier long et obscur qui conduit à la grotte de la Sibylle est la porte de l'enfer, par laquelle le Christ est revenu sur la terre après sa descente au séjour des ténèbres. Le peuple irlandais, de son côté, raconte aue saint Patrice, son apôtre, en 433, ne pouvant La grotte de vaincre l opmiatreté de leurs pères, qui voulaient voir de trice.

^Of LE- VISION? RAPPORTÉES PAR LA I.El.F.NDF.

leurs yeux ce qu'il prêchait se mit en prière, et qu"aloi*s Notre-Seigneur lui apparut^ le mena dans une contrée sau- vage, et lui montra une grotte dont il traça les contours avec sa baguette. Puis il ajouta que quiconque y entrerait après s'être bien préparé par les sacrements, et y passerait une nuit, a ferait son purgatoire, et que tous ses péchés lui seraient pardonnes; mais que les impénitents \ mour- raient. La légende ajoute que plusieurs de ceux qui l'ont visitée ne sont point revenus, mais que ceux qui sont re- ^enus sont restés toujours tidèles dans la foi: que cepen- dant on ne les a jamais vus rire, parce que les choses dont ils y avaient été témoins leur avaient rendu amers lous les plaisirs de ce monde. Géraud de Cambrai, Antonin, Denis le Chartreux, Malli, Paris et Bonaventure citent cette légende. La grotte de Saint-Patrice est située dans la province dTlton, dans une île au milieu d'un lac. L'île se divise en deux parties, dont l'une est agréable et fertile, ei l'autre, au contraire^ nue et sauvage. Dans la première e.-i .'iitué un couvent d'Augustins : c'est dans la seconde qu'est la grotte, uu plutôt l'ensemble des grottes de Saint-Pa- trice: car on en compte jusqu'à neuf qui se tiennent et communiquent les unes avec les autres. In grand nombre de légendes se rattachent à cette grotte. 11 s'y faisait autre- fois un grand concours d'hommes; et l'on comptait sou- \ent jusqu'à quinze cenis pèlerins à la fois; mais depuis la réforme , on l'a en partie comblée pour empêcher ce coi]- lours. Probablement cette ile était un sanctuaire pa'ien avant la conversion des Irlandais au christianisme, de même que l'île de Mona pour les Bretons; et la grotte ser- Aait au\ druides pour les initiations et les purifications. Le peuple ne lit donc que traduire en langage chiétien les

LES VISIONS RAPPORTÉES P\R I.A LÈr.ENDE. i ^•'i

traditions qu"il trouva déjà existantes, et remplacer les purifications païennes par le purgatoire.

Parmi ceux qui visitèrent la grotte de Saint -Patrice Œnu? était un certain personnage nonuiié Œnus ouGuneni, qui, après avoir servi longtemps sous le roi Etienne , revint en Irlande, sa patrie. Réfléchissant alors sur sa vie crimi- nelle, il fut touché de repentir, et se confessa à un évêque du pays. Celui-ci lui fit de grands reproches à cause des crimesqu'il avait commis. Apres quoi le chevafier, troublé dans son cœur, se mit à chercher comment il pourrait les expier: puis, allant trouver Tévèque, il lui dit: a Puisque j'ai eu le malheur de tant offenser Dieu, je veux aussi faire une pénitence plus grande que tous les autres: pour obtenir mon pardon, je ferai le purgatoire de Saint- Patrice. )) L"évèque chercha à le dissuader de ce projet périlleux ; mais Œnus persistant dans sa résolution, on le conduisit, en 1152, dans la grotte de Saint-Patrice, à la manière accoutumée, et on l'y enferma pour quil visitât successivement les dix lieux du supplice. Tout ce que r imagination peut inventer de tourments et de martyres s'y trouve réuni. Quelques-uns .--ont enveloppés de ser- pents de feu; d'autres s^endus sur des flammes de soufre : d'autres encore plongés dans des bains de métal fondu; tandis qu'il en est qui, pâles comme s'ils atten- daient la mort ou quelque chose de pis encore, grimpent le .sommet d'un rocher, jusqu'à ce qu'un coup de vent les em- porte dans un fleuve puant et glacé qui coule à leurs pieds; et notre chevalier y serait tombé lui-même s'il n'a- vait invoqué Notre- Seigneur. 11 avait ainsi subi huit des .supplices du purgatoire, et il lui fallait passer par le neu- vième. C'était un abimede feu qui. toujours agité, et vo-

100 LES VISIONS UAPPORTÉFS P\U lA LÉGEMiE.

missant sans ce??e des flammes, lançait en haut les mal- heureux qii'il contenait, puis les engloutissait en retombant, pour les Aomir de nouveau. Œnus tombe aussi dans ce goufï're , et il souffre de telles angoisses et de telles dou- leurs qu'il oublie d'invoquer le nom du Rédempteur. Mais enfin, revenant un peu à lui par sa grâce, il peut prononcer son divin nom, et se trouve aussitôt lancé en l'air et hors du gouffre par la force du feu. 11 reste un peu de temps abasourdi, ne sachant aller. Plusieurs démons d'une espèce toute nouvelle montent alors du fond de l'abîme, et lui disent : « Que fais -tu ici? Nos camarades t'ont dit que c'était le fond de l'enfer; mais ils t'ont menti, car le mensonge est notre élément; ce n'est pas ici qu'esll'enfer; nous allons t'y conduire. ■» Ils l'entraînent donc, en pous- sant des cris effroyables, jusqu'à un fleuve très-large qui roulait des flammes de soufre , et qui était tout plein de démons, y C'est sous ce fleuve qu'est l'enfer, lui disent- ils; mais \\ faut que tu passes sur ce pont. » Or celui-ci était placé si haut au-dessus du fleuve et il était si étroit avec cela qu'on ne pouvait regarder en bas sans être saisi de vertige. 11 était de plus si glissant que, si même il avait été assez large, personne cependant n'aurait pu s'y tenir. « Lorsque tu seras sur le pont , disent les démons au che- valier, nous déchaînerons contre toi les vents et les tem- pêtes, de sorte que tu seras précipité dans le fleuve. Nos camarades te recevront en bas et t'enseveliront en enfer. » C'était sa dernière épreuve : il en sortit victorieux; après quoi les démons, se retirant, le laissèrent continuer tran- quillement son chemin.

11 aperçoit alors un mur très-élevé, d'une beauté incom- parable, et construit avec des matériaux d'un grand prix.

LES VlblO.\5> RAPPORltES l'AU LA LÉGENDE. 407

Il n'avait qu'une entrée, fermée par une porte faite des mé- taux les plus précieux et étincelante de pierreries. Lors- qu'il lut à un demi-mille du mur, la porte s'ouvrit devant lui , et il lui arriva un parfum si délicieux que tous les arômes du monde réunis n'auraient pu l'égaler. Il se trouve tellement fortifié qu'il lui semble qu'il pourrait maintenant souffrir sans peine tous les supplices qu'il vient d'endurer, ïl regarde à travers la porte , et ses yeux sont frappés d'un éclat plus brillant que celui du soleil. Bientôt il en voit sortir à sa rencontre une procession nombreuse, comme i) n'en avait jamais vu sur la terre, avec des flambeaux et des branches de palmier d'or. C'étaient des hommes de toute condition, prêtres ou laïques, chacun à son rang, et portant les vêtements et les insignes avec lesquels ils a"v aient servi Dieu sur la terre. Tous le saluent avec respect, joie et bien- veillance, et le conduisent par la porte au milieu d'une harmonie telle qu'il n'y en a poiut de comparable sur la terre. La procession disparaît, et il n'en reste que deux personnages pour montrer à l'étranger la magnificence et la beauté de la célesle patrie. Us lui parlent, et louent Dieu de lui a^oir donné assez de courage et de persévérance pour supporter toutes les épreuves par lesquelles il a passé.

Il parcourt toutes les délices de ce bienheureux séjour, et voit des choses que l'homme le plus éloquent ne saurait jamais exprimer. Ces espaces étaient inondés d'une telle lumière que le soleil en plein midi est moins brillant, com- paré a elle , qu'un flambeau comparé au soleil. Le lieu tout entier était comme une belle prairie, plantée d'herbes et d'arbres de toute espèce et émaillée de fleurs dont les par- fums auraient suffi, lui semblait-il, pour le faire vivre éter-

108 I.ES VIS10>."> HAIM'URrKtS PAR I.A l.t;«.EM»E.

Jiellemeiit, si Dieu lui avait itermis de rester là. 11 a vit tant de peisonnes des deux sexes qu'il n'aurait jamais cru qu'il en eût vécu autant sur la terre. Ses regards ne pou- vaient non plus embrasser les bornes du paradis elles étaient. Tous marchaient divisés par groupes^ les uns ici^ les autres là; ils se visitaient réciproquement, et se joi- gnaient tantôt à un groupe ;, tantôt à l'autre. Tous ces chœurs formaient un certain ordre et chantaient les louan- ges de Dieu dans de suaves harmonies. De même qu'une étoile se distingue de l'autre par sa clarté , de même aussi il y avait une certaine diflerence harmonieuse dans l'éclat qui jaillissait de leurs vêtements et de leurs visages. La forme de ces vêtements dilTérait en chacun d'eux^ selon la diversité de son éiat pendant qu"il avait été sur la terre. Chez les uns. ils étaient dor^ chez les autres de couleur hyacinthe, chez ceux-ci bleus, chez ceux-là blancs ou d'au- tres nuances. 11 en était ainsi de l'éclat qu'ils répandaient autour d'eux. Tous, bénissant Dieu, jouissaient non-seule- ment de leur propre bonheur, mais encore de celui des autres. Tous aussi prenaient part à la joie du chevalier, et étaient heureux qu'il eût ainsi échappé à la fureur des dé- mons; de sorte qu'il lui sembla que son arrivée en ce lieu leur avait procuré à tous un surcroit de bonheur.

La légende s'étend sur tous les détails de cette histoire : elle raconte tout ce qui est arrivé au chevalier, ce qu'on lui a dit, comment il a pris congé de ses hôtes et reçu IfUir bénédiction , et comment il est revenu sur la terre, conduit par son guide jusqu'à la porte du paradis. Une fois qu'il l'eut passée, et qu'il la vit refermée derrière lui, il fut saisi d'une grande tristesse en pensant qu'il lui fallait renoncer au bonheur dont il a\ait joui pour rentrer dans

LES VISIO-N- RAPPOKTEE> l'Ail LA LÉGE.VDK. 1 0'<

les misères de cette vie. Cependant il arrive à l'endroit les démons l'avaient quitté : il les retrouve à la même place ; mais ils s'enfuient épouvantés par son reçard. U marche de nouveau au milieu des supplices, mais sans éprouver celte fois aucune douleur. Il parvient à une salle où^ lors de son premier voyage, quinze hommes lui avaient apparu pour lui apprendre ce qui allait lui arriver. Il les retrouve encore louant et bénissant Dieu de lui avoir donné un tel courage. Ils le félicitent de la victoire qu'il vient de l'emporter, et lui disent : « Allons, mon frère^, le jour com- mence à poindre sur la terre; hâte -toi. car le prieur du couvent, après avoir dit la messe^ va venir en procession à la porte de la grotte: et, s'il ne s'y trouvait pas. il désespé- rerait de ton retour, et s'en irait après l'avoir fermée. » Le chevalier suit leurs conseils, se trouve à la porte h. l'heure le prieur vient l'ouvrir, et est conduit en triomphe à l'éghse, au milieu du chant des cantiques. Il y reste quinze jours dans la prière, puis prend la croix, et visite pieuse- ment la terre sainte. Jamais, à partir de ce moment, il ne put entendre parler du purgatoire sans éclater aussitôt en sanglots.

Une autre légende se rattache au même lieu, vers Tan Le-ende de 1 140 ; c'est celle de Tundal. La vision de Tundal se trouve '^° ^ dans le SpicUcgium Vatiiianum, de Greith, page 10!^; dans le Miroir hi^storiqw, de Vincent de Beauvais, 1. xi, et dans le Lixre des fois dernières, de DenNS le Chartreux. Tundal est un guerrier irlandais , qui a mené d'abord la vie de soldat, mais qui ensuite, rentré en lui-même, tombe ma- lade un mercredi, et meurt en présence de ses camarades. Ceux-ci , remarquant en lui un reste de chaleur autour du cœur, gardent son corps jusqu'au samedi. Ce jour-là il re- uf. 4

110 Lt? VISIONS HA^•1'UKJLE^ 1 aK La LÉ(,LM>E.

vient à lui en poussant un cri épouvanCabie , et racoute aux siens -SOU voyage aux enfers et au ciel, et tout ce qui lui est arrivé.

11 lui a fallu, comme à (Jfcinus, traverser un grand nombre d'épreuves. D'abord il gravit, accompagné de son auge, une montagne très -haute et très -large. D'un coté de la montagne est un feu sulfureux, obscur^ puant et dont les ardeurs sont incomparables, tandis que l'autre versant est couvert de neige, bouleversé par des vents glacés et durci par un iroid intolérable. Les malheu- reux suppliciés sont jetés sans cesse d'un côté à l'autre, ce qui lem* cause un marine inexprimable. son auge prend congé de lui , et il lui faut descendre avec eux dans la gueule du dragon de feu, de l'horrible bète nommée Aché- ron, dans le ventre de laquelle les démons, sous la forme de loups, d'ours, dp lions, de serpents, de crapauds et d'au- tres monstres de cette sorte , déchirent, mordent, mettent en morceaux ceux que le dragon a a^alés, et as?ou\issent sur eux leur haine diabolique. Ce qu'il a soullert de dou- leurs et d'angoisses, personne ne le peut exprimer, et ce qu'il en peut dire lui-même ne serait pas cru. Il échappe néanmoins à ce lieu d'angoisses par une prière qu'il adresse à Dieu, et retrouve son ange, qui l'attendait. Ils arrivent à un pont suspendu au-dessus d'un gouffre effrayant. Ce pont étroit et haut est garni encore de couteaux tranchants et de pointes , et son compagnon lui dit : « Il faut que tu passes sm* ce pont, et que tu ^ mènes avec toi une génisse jeune et vive, en punition de celle que tu as volée à tes pa- rents, w Tundal se met à pleurer amèrement : « Malheu- reux que je suis, s'écrie-l-il, comment pourrai-je passer a^ec cette génisse sur un pont aussi haut et aus-^i étroit? Je

l.tS VISION^ iiAPl'OHlhKS l'AK LA LLf.lJMMi. lll

tomberai infailliblement , et je deviendrai la proie de ces démons qui sont Ib. en bas. w L'ange lui répond : « Il ne peut en être autrement; il faut que tu fasses pénitence pour le vol que tu as commis, w

Le passage de ce pont si terrible est peint dans la lé- gende avec cet esprit qui caractérise les Irlandais. La gé- nisse , saisie par les cornes, se cabre et ne veut pas avan- cer : il en résulte un tiraillement de ci et de là, jusqu'à ce que Tundid cliasse la bè!e devant lui. Il fait les premiers pas avec un eii'roi et une aniioisse indicibles. Il est pris de \ertige, son pied glisse, les démons jubilent; mais par la bonté divine il parvient à s"élancer de nouveau sur le pont, en se tenant fortement à l'animal. Il continue de marcher en prenant toutes les précautions pour ne pas tomber. Mais voici que l'animal à son tour glisse du pont iwev ses pieds de derrière \ il le retient de toutes ses forces^ et Vattire si bien qu'il réussit enfin à le remonter. Ils con- tinuent ainsi leur route de chute en chute , de sorte néan- mains qu'ils ne tombaient jamais tous les deux à la fois; mais, (jUand l'un bronchait, l'autre tenait ferme et aidait le premier à se relever. Chacun peut se représenter facile- ment de quel effroi dut être saisi le pauvre Tundal en traversant ce pont^ dont les pointes lui entraient dans les pieds; de sorte qu'il laissait partout les traces de son sang. Plus il allait, plus il avait peur. Mais voici qu'arrivé au milieu du pont il rencontre Un autre malheureux por- tant sur ses épaules un paquet de gerbes qu'il avait volées, et qu'il devait porter aussi lui. Aucun des deux ne veut céder le pas à l'autre. L'un prie Tundal de reculer avec sa génisse j afin qu'il puisse passer. Tundal, de son côté; montre au premier se^ pieds ensanglantés, et le prie de

ll'i LtS MSIHNS KAlTORlLtS l'Ai; I.a LU.K.MjE.

(orisidéier qu"il est en plus L^raud danger que lui, et de lui laisser le chemin libre. Ils >e prient ainsi réciproque- ment, et ne sachant que faire daiis l'extrême nécessité oii ils se tiouvent. Tundul en lïémit encore quand il pense à cet état et aux hurlements des dénions, attendant leurs ■s ictime> dans le goutlre, sous le pont. Dieu enlhi a pitié (\e^ deux étrangers, et ils passent l'un à côté de l'autre sans savoir comment. Tundal coritinue heureusement son chemin et arrive à l'autre bord.

L'ne fois sorti du lieu der^ supplices, il ejitre dans les vertes prairies des bienheureux, et trouve ceux-ci parta- gés en groupes, selon les degrés de béatitude dont ils jouissent, depuis ce jardin délicieux jaillit la source des eaux vives jusqu'au lieu de la gloire suprême, qu'il ne put qu'entrevoir du haut des créneaux de ses murs, d'où il put voir aussi le monde entier sous ses pieds. Une fois là, il na plus besoin de se retourner; mais il voit en même temps tout ce qui se trouve devant et derrière lui, et à côte de lui. 11 n'a pas besoin non plus de rien demander à qui que ce soit; mais il connaît parfaitement tout ce qu'il voit, et sait très-bien ce qu est chaque chose et ce qu'elle signi- fie, il reste ainsi quelque temps dans une grande jubi- l.itiuii intérieure. Mais, hélas 1 voici qu'on vient lui dire qu'il ne peut rester davantage, et qu'il lui faut retourner à son corps, atin d'aller annoncer aux autres ce qu'il a a u. Il a beau prier, il faut partir. Pendant qu'il s'entretient a^ec l'ange, il l'emarque que son àme reprend son corps comme un hobit: il ouvre les yeux et se retrouve sur la terre. s. Fursée. Cette légende se retrouve chez tous les peuples, dès l'antiquité la plus reculée. T"nc des plus anciennes sous ce

J.F.^ M>lt»N> l',\l'l'uinKK> f'\K l.\ l.H.KMiF . ILS

rapport est la vision qu'eut \oi> t)iO saint 1- ai>ée d'Ir- lande, issu d'une famille royale et alliée à saint Brandan. Le Vénérable Bède avait déjà sons les yeux le récit de cette A ision en langue écossaise. Tombé dan? une léthargie pro- l'ondej il se voit entouré de ténèbres , mais quatre mains, soutenues par des ailes l)lancbes comme le neige, le pren- nent et l'enlèvent. Peu à peu il voit se dessiner les formes, puis la iigure de deux anges radieux : un troisième, araié d'un bouclier et d'une épée, marche devant eux. Il est introduit, au milieu des chants et des sons les plus déli- rieux, parmi les troupes innombrables d'anges, tellement abîmés dans la lumière qu'il ne peut distinguer leurs formes. De retour dans son corps, il a une seconde vision, (le ne sont plus les an^es, mais bien If s démons qui lui ap- paraissent en troupes non moins nombreuses, et com- battent contre les anges qui le protègent, atin d'avoir son àme. 11 voit bien que leurs formes sont laides et repous- santes; mais il ne peut distinguer les traits de leurs visages ù cause des ténèbres qui les couvrent, de même que ceux des anges lui sont cachés par la lumière dont ils brillent. La lutte se termine à son avantage : mais en punition tl'une faute légère qu'il avait commise il rapporte au menton une brûlure dont il garda la trace tout le reste de sa vie. L4.. S., IH jan.

A cette vision se rattache celle de saint Bnronle. qui ^i- ^ait vei-s 084 sous le roiThéoderic en Neustrie, dans l'ab- baye de Lairay, aujourd'hui Saint-Ciran. A. S., 'i.'i mart.) Lu ange lui touche un soir la gorge, et il voit sortu" de son corps son àme petite comme un oiseau qui sort de la coque, munie d'yeux et de tous les autres membres, douée de la faculté de sentir, de V(»ir. d'enlendre . de fou-

114 l.ES VISIONS HU'PORTEES PAR L\ LÉGENDE.

cher les objets, mais incapable de parler jusqu'à ce qu'elle prenne un corps ethéré. Ici encore querelle avec les dé- mons. Mais il arrive malgré tous les obstacles jusqu'à la pre» mière porte du paradis, il rencontre beaucoup de frères défunts de son couvent, qui le saluent. Il arrive ensuite à la seconde porte, Tattendaient les âmes des enfants, vêtues de blanc; puis, à travers les chœurs des vierges, à la troisième porte, qui, étant diaphane, lui permet de plonger le regard dans la demeure des saints couronnés de lumière. Enlni, à travers les rangs pressés des martyrs, il arrive à la quatrième porte, dont 1" éclat éblouit les yeux, et on lui défend d'aller plus loin. Au retour, il entreprend le voyage de l'enfer. Les ténèbres ne lui permettent pas de distinguer ce qui s'y passe : il voit cependant les or- gueilleux, les voluptueux, les meurtriers réunis en groupes, et comme liés en faisceaux, et tourmentés par des démons sans nombre. Ceux qui ont fait du bien sur la terre en éprouvent quelque consolation et quelque soulagement; car toutes les six heures une sorte de manne qui leur tombe du paradis les rafraîchit. Bède rapporte encore avec cette vision celle de ^Vetmus de Reichenau, et celle qu'eut Bruthelme de Xorthumbrie vers Tan (190. Ce dernier voit Tautre monde divisé en quatre parties, l'enfer et le pur- gatoire d'un côté, le ciel et Tavant-ciel de l'autre. Une vallée profonde, d'une longueur et d'une étendue im- mense, à gauche remplie de flammes épouvantables, h droite glacée et durcie par le froid, est le vestibule de l'en- fer, ou le purgatoire, dans lequel les âmes, fuyant un su]>- plice intolérable pour en rencontrer un autre plus intolé- rable encore, sont forcées d'aggraver ainsi leurs tourments en voulant les ch.inger. Vu ]ieii obscur, rempli d'horreurs

LES VISIONS RAPPORTÉES PAR LA LÉGENDE. 4 1 o

el de puanteur., traversé par des tourbillons de flammes et qui retentit sans cesse des cris de désespoir des damnés et des insultes de leurs bourreaux, forme l'enfer proprement «lit. Vis-à-vis de ces demeures des pécheurs sont aussi celles des bienheureux, l'ne prairie tapissée de verdure, émaillée de fleurs qui répandent les plus doux parfums et éclairée par une lumière plus belle que celle du soleil, contient une multitude innombrable d'hommes pieux, mais qui, avant d'arriver au terme de la glorification, ont })esoin de se purifier davantage. Ce n'est qu'alors qu'ils peuvent monter au ciel le plus haut, situé au-dessus de celui-ci, mais que le voyageur ne peut voir que de loin. Cependant il est illuminé d'une telle clarté que la lumière du ciel inférieur ne parait plus que comme une légère étincelle. Il entendit aussi sortir de ce bienheureux sé- jour des chants d'une suavité ineffable et des parfums dé- hcieux.

Toutes ces légendes gardent encore l'empreinte de la simplicité antique, et il est probable qu'elles reposent en partie sur des visions réelles. Dans le même siècle elles sont nées, Mahomet en Orient eut aussi de son côté une vision du même genre. Transporté à Jérusalem, il monte de par des échelles lumineuses jusqu'au septième ciel; puis, du sommet de l'arbre du Paradis, il s'élève à travers un océan de lumière sans rivages jusqu'au trône d'Allah. L'imagination orientale a trouvé dans cette vision l'occa- sion de déployer tout son jeu. En Occident, elle est plus sobre et plus réglée, ce n'est que plus tard qu'elle s'est exercée sans contrainte sur ce sujet, et elle en a saisi parti- culièrement le côté terrible, s'attachant de préférence à peindre l'enfer. C'est de que nous sont venues ces des-

110 LES Vl.slON-i KAl'PORTKF^ PaK L\ LK(.LNDK.

criptions qui avaient pour but d'ébranler les hommes grossiers.de ce temps-là, et de comprimer leurs passions sauvages par la crainte des supplices de l'autre vie. La poésie profane ne tarda pas à s'emparer de cet objet,, et c'est ainsi que sont nées en France plusieurs légendes, comme le songe du monde inférieur et la descente de Spielman aux enfers. Enfui le Dante, s'appropriant ce su- jet, a su le traiter avec cette dignité qui lui était propre, et rétendre en y mêlant les idées de la science , de la mys- tique et de la scolastique de Tépoque. C'est ainsi qu'il a composé son poëme immortel^ dont il a pris, on le sait, les traits principaux d'une vision du frère Alberich du mont Cassin. Toutes ces compositions se donnent pour ce qu'elles sont réellement. Les plus anciennes, flottant enti'e la vé- rité et la poésie , se sont bien souvent présentées comme vraies de tout point, afin de produire plus d'effet; mais il est très- facile à un esprit un peu exercé de distinguer le fond de vérité qu'elles renferment des ornements que la poésie \ a ajoutés.

Di: LA i.i-r.FNor Mvr.iotr. lll

CHAPITRE VJ

De la ié^t'iule magique. La tentation dans le désert. Simon le Magi- cien. Saint Léon et le magicien Héliodore. Virgile et le fondateur de Naples. Sa légende donne naissance à celle d'i'^lingsor. puis à .celle de la table Ronde, pnis enfin au combat de la Wartbnrg. L'enchanteur Merlin et Malag\s chez les Gais. La légende magique s'attache aux oljjets de la nature et de l'art, et passe à la magie noire. Le docteur Faust.

Les opérations magiques présentent les eiïets extiaordî- naires qu'elles produisent comme une dérogafion aii\: lois ordinaires de la nature. Et comme, d'un autre coté, ce n'est pas contre la nature et ses lois, mais en elle au contraire que ses elVets se manifestent ç, ils cherchent dans l'ordre surnaturel un appui et une garantie. La nature organique a déjà, par la vie qui lui est inhérente ;, un certain empire sur la nature inorganique; et la vie dans l'homme^ par son union avec l'esprit, exerce aussi de son coté un pou- voir incontestable sur la nahu'e organique tout entière. Si donc l'esprit, qui est dans l'honmie la source de ce pou- voir, parvient à se mettre en rapport avec des puissances plus élevées que lui, il iicquiert par une vertu et une énergie plus grande, et peut commander aussi à la nature avec bien plus d'empire. Or il peut entrer en rapport soit avec les puissances célestes, soit avec celles de l'abîme, et leur demander ce surcroit d'énergie. Dans le premier cas, il fera pour le bien , et dans le second pour le mal , des choses mer^eilleuses. Dans l'un et l'autre, il exerce un vé- ritable pouvoir sur la nature, et la manie en quelque sorte à son gré. Or comme l'art et la poésie aiment en général à façonner librement les sujets qu'ils traitent, alin de

il8 DE LA LÉGENDE MAGIQUE.

donner à la vérité le reflet du beau , ils cherchent avec avidité tout ce qui tient au merveilleux; et par conséquent les miracles et les opérations de la magie vont très-bien à leur ffoùt. Prenant comme vrais les faits que leur fournit la légende, ils s'en emparent, les travaillent d'après les lois qui leur sont propres, et en font ainsi une œuvre dart.

C'est pour cela que la légende miraculeuse et la légende magique nous apparaissent, dès les premiers jours de l'É- glise, comme deux lianes couvertes de fleurs, qui embras- sent le tronc jeune encore du dogme chrétien, et l'enve- loppent jusque dans ses dernières ramifications. C'est dans les Apocryphes qu'est contenue la légende miraculeuse, et c'est dans les mu'acles de lÉvangile qu'elle a cherché son point de départ. C'est aussi dans l'Évangile que la légende magique enfonce ses racines, et c'est à la tentation de Notre- Seigneur dans le désert qu'elle attache en quelque sorte ses premiers fils. Cette tentation était en effet un essai de la part du démon pour détourner de la voie droite le Fils de Ihomme. 11 voulait lui faire changer les pierres en pain, non par l'effet de cette puissance merveilleuse qui changea l'eau en vin ou qui le soutint sur les eaux, mais en vertu de ce pouvoir magique qui dérive de Satan lui-même. 11 voulait que Notre -Seigneur se prosternât devant lui pour l'adorer, et qu'il régnât sur tous les royaumes de la terre en yertu d'un pacte formel avec lui. Mais de même que Pierre fut choisi pour être le fondement de l'Église, de même aussi il est devenu, pour ainsi dire, le premierobjet de la légende miraculeuse. Quant à la légende magique , c'est dans Simon le Magicien de Samarie qu'elle a trouvé, pour ainsi dire , sa base ; et elle a placé ce personnage , à

DE LA LKGENDE MAr.lQUE. 119

regard de Simon Pierre, dans le même rapport les maties de Pharaon étaient à Pégard de Moïse.

Ce Simon, dont saint .lustin martyr parle déjà comme SimonleMa d" LUI magicien, qui sut tellement s'emparer par ses artifices "^ de l'esprit de ses contemporains que les Romains lui éri- gèrent une statue j, tandis que les Samaritains lui prodi- guèrent, comme ù Sélène, sa compagne, les honneurs di- vies , ce Simon avait déjà passé dans la légende lorsque saint (llément écrivit ses Hecognitions . Au dire de ses dis- ciples Nicétas et Aquila, il se vantait, après avoir été reçu par Dosithée parmi les trente premiers de sa secte et s'être épris d'amour pour Silène, il se vantait de pouvoir pro- duire les effets les plus extraordinaires, a Je puis, dit-il, si l'on me prend, me rendre invisible, et reparaître ensuite s'il me plaît. Si je veux fuir, les montagnes et les pierres cèdent devant moi, comme si elles étaient d'argile. Je puis m'élancerdu sommet des montagnes et retomber douce- ment sans me faire de mal. Je puis briser les liens dont on me lie et enchaîner ceux qui m'ont attaché. Les prisons l'on me renferme s'ouvrent devant moi. Je puis donner la vie à des images, et tromper les assistants jusqu'au point de les leur faire prendre pour des hommes. Sur un signe de ma part , le sol se couvre de buissons , et de nouveaux arbres s'élèvent de la terre. Si je me jette dans le feu, les flammes m'épargnent; je puis changer mon visage et me rendre méconnaissable; bien plus, je puis montrer aux hommes deux faces, prendre la forme d'un bouc ou d'une brebis, faire pousser la barbe sur le visage d'un enfant et m'envoler dans Pair. Je puis produire Por en abondance , établir et déposer les rois à mon gré. Aussi on m'attribuera les honneur? divins, on m'ériaera des stalues, et Pon m'a-

i20 DE L\ I.KGENDE MAGIQUE.

dorera comme un Dieu. Eiilîn, pour tout dire, je puis ce que je veux, et j'ai déjà fait l'essai de ma puissance. Lu jour que Rachol;, ma mère, voulut m'envoyer aux champs couper du blé, je commandai à ma faucille d'y aller à ma place; et, obéissant à ma voix, elle travailla dix fois plus que les autres. Plus d'une fois j'ai fait sortir en un clin d'œil de nouveaux arbustes de la terre, et deux fois j'ai traversé miraculeusement une montagne. »

lieux qui entendaient ces vanteries de sa part, quoiqu'ds sussent bien que ce qu'il donnait comme quelque chose de tout nouveau dans sa personne était arrivé réellement bien des fois dans les temps antérieurs, se laissèrent néanmoins surprendre, et l'aidèrent à propager ses mensonges. Bien- tôt l'occasion se présenta de montrer son pouvoir. En effet, s'étant querellé avec Dosithée, celui-ci, qui se tenait pour le seul homme incorruptilde et immortel, saisi de colère^, voulut le faire battre de verges. Mais celles-ci, en tombant sur son corps, semblaient frapper une colonne de fumée. (Confondu, il lui demaiiue : « Es-tu l'incorruptible? >> Si- mon lui répond : a Je le suis. » Et Dosithée tombe à ses pieds et l'adore. C'est Simon désormais qui paraît à la tète de la secte avec saSélène ; et Aquila l'a vu lui-même, dit-il, montrer cette femme du haut d'une toui- à la foule assem- blée, et la faire voir en même temps à toutes les ouver- tures de la tour. A ceux qui lui demandaient comment il avait fait pour devenir si puissant il répondait contidentiel- lement qu'il évoquait pour cela l'àme d'un enfant pur en- core et mort de mort violente , et que c'était ainsi qu'il opérait toutes ses merveilles; parce que l'àme, dépouillée des ténèbres du corps, prend place immédiatement après Dieu, devient contemplative, et répond à ceux qui l'é-

DE LA LÉGENDE MAClyLT.. 1 ,M

Aoquédt ilans la nécromancie. Presse de nouvelles ques- tions, il se \ante d'avoir changé l'air en eau, l'eau eu sang, celui-ci en chaii-, d'avoir ainsi créé un enfant, et de ravoir ensuite dissous dans l'air après avoir tracé son nuage, qu'il gardait dans ce but.

Bientôt une nouvelle occasion se présente pour lui d'exercer sou ai't. L'apotre saint Pierre le rencontre à ïripolis, et le confond dans une dispute publique, à la lace du peuple entier. Simon, honteux, s'enfuit à An- tiuche, et soulève le peuple contre l'apôtre. Mais le cen- turion Corneille le chasse de la ville, sous prétexte que renipereur l'a chargé de le mettre en prison. Dan? un l'es- tin, il oint d'un certain onguent le visage de Faustiuieu; après quoi celui-ci prend la forme et la figure de Simon, excepté pour les convives, dont il avait éclairci les yeux avec un autre suc végétal; de sorte que ceux qui voulaient mettre la main sur Simon s'emparent de l'autre, le pre- nant pour lui. Mais Pien'e sait tirer parti de cet artifice, et envoie Kaustinien à Antioche, avec l'ordre de déclarer devant tout le peuple, sous la forme de Simon le Magicien, qu'il est un imposteur et un séducteur; qu'il a menti en leur disant du mal de Pierre, mais que, puni à cause de cela par lange du Seigneur, il est devenu repentant. Le jtenple change de sentiment, conspue le magicien, lorsque celui-ci, s'apercevant trop tard du tour défavorable qu'a- ^ ait pris l'aftaire, revient en hâte à Antioche pour regaguer la faveur populaire. Pierre s'y rend de son côté sur son invitation, rend à Faustinien sa forme primitive, et fait un grand nombre de convemons. Anastase de Nicée et Gli- Vas après lui, ajoutant plus tard de nouveaux ornements à cette légende, inconlent que Simon prenait toutes le?

122 DE LA LÉGENDE MAGIQUE.

formes qu'il voulait, celle d'un serpent ou de tout autre animal, celle d'une colombe, ou même qu'il se métamor- phosait eii or: qu'il changeait les pierres en pain, affligeait de maladies ceux qui le traitaient de magicien, ou les ren- dait possédés; qu'il apparaissait accompagné d'ombres et de fantômes, qu'il donnait pour les âmes des défunts, et que les portes s'ouvraient devant lui; que les ustensiles dont il avait besoin se présentaient à lui d'eux-mêmes, tandis qu'à sa porte un chien déchaîné déchirait tous ceux qui venaient sans être appelés, quoique cependant il salua ]' Apôtre lorsque celui-ci se présenta.

La légende, en avançant du côté du nord-ouest, chan- gea de personnages en changeant de patrie, et substitua à Pierre et à Simon saint Léon le Thaumaturge et Héliodore le ilagicien. Dans le temps, nous dit-elle, que saint Léon le Thaumaturge était évêque de Catane en Sicile, vivait aussi en ce lieu un magicien nommé Héhodore , fils de liarbe Patricia. Il était chrétien et dune famille chrétienne ; mais son ambition en avait fait un suppôt du démon. Il s'était lié avec un Juif magicien célèbre, et lui avait de- mandé comment il pourrait apprendre son art. « Si tu veux, lui dit celui-ci, voici un écrit; prends-le, et va pen- dant une nuit d'orage au tombeau des héros; monte sur le haut de la colonne et déchire cette feuille en l'air. Si tu vois quelqu'un venir à toi, n'aie pas peur; et s'il t'or- donne de descendre, ne le fais pas, et tu le trouveras en- suite docile à exécuter tous tes ordres. » Héhodore suit ce conseil, monte sur la colonne, déchire la feuille; et tout aussitôt il voit apparaître le démon, qui lui demande : « Que veux-tu, jeune homme? Ton service. )> Le dé- mon , qui était assis sur un cerf, lui dit : u Si tu renonces

DE LA LÉGENDE MAGIQUE. i2 3

(le tout ton cœur au Christ , je te donnerai un de mes ser- viteurs, Gaspard, qui fera tout ce que tu voudras. » Le malheureux fait te que le dialjle lui demande, descend de la colonne, baise la main du démon , qui , après lui avoir donné Gaspard , dispai'aît aussitôt.

Héliodore commence à pratiquer son art. In jour qu'on célébrait les jeux du Cirque, comme c"est la coutume à Catane^ il dit à Chrysis, proche parent de saint Léon : a Je puis, si tu le veux^ te procurer un cheval qui dépassera tous les autres à la course. » Chrysis, ne soupçonnant point le danger, lui dit qu'il ne demandait pas mieux. Héhodore lui amène un cheval blanc; le jeune homme le monte, et dépasse bientôt tous les autres, au grand étonnement des spectateurs, et surtout du préfet Lucius, qui envoie deux de ses gardes pour l'amener, lui et son cheval. Mais celui-ci, le jeu une fois tini, avait disparu, et laissé le jeune homme seul et stupéfait. Chnsis fut donc conduit au préfet, qui lui dit en le voyant : a Écoute , je veux envoyer ton che- val à Leurs Majestés; car il ne te convient pas de garder pour toi un animal aussi parfait; il faut que les empereurs l'aient pour les jeux du Cirque. » Le jeune homme ne put rien répondre, et fut mis en prison. Léon, apprenant ce qui était arrivé, accourut vers le préfet et lui raconta que Chrysis n'avait jamais possédé de cheval noir ni blanc , et que tout venait d'Héliodore. Le préfet se fit amener ce- lui-ci, et lui demanda si c'était lui qui avait trompé Chri- sis. Ayant reconnu qu'il était adonné à la magie, il le fit jeter en prison à la place de l'autre. Mais pendant que la garde conduisait Héliodore, il proposa aux soldats trois livres d'or s'ils voulaient lui donner la liberté ; et comme ils y consentiient, il dora par ses artifices une pierre qu'il

1*2 -♦ nr l.\ LKCF.NDE MXGIQIT.

avait ramassée dans la rue, et la leur donna au lieu d'or. Les soldats dirent au préfet qu'Héliodore leur avait échappé, emporté par un cheval magique. Le préfet les crut, et ne les punit point pour cela. Mais en considérant de plus près l'or qu'ils avaient reçu, ils s'aperçurent que ce n'était qu'une pierre, qui. mise dans une balance, pesait bien trois livres en effet.

Héliodore troubla ainsi par ses enchantements non-seu- K-ment la ville do Critane . mais la Sicile tout entière ; car sa puissance magique était si grande qu'il l'emportait sur Simon le Magicien lui-même. 11 trompait les vendeurs et les acheteurs en leur donnant des pierres ou d'autres ob- jets en guise d'or, de sorte que le commerce en souffrait grandement. Il ensorcelait les filles des personnages les plus considérables, de telle sorte qu'elles quittaient la mai- son paternelle pour courir çà et comme des yagabondes. Le préfet, ayant reçu de nombreuses plaintes à son sujet, adressa un rapport au\ empereurs Constantin Copronxme et Constantin Porphyrogenète. Ceux-ci, courroucés, eii- Noyèrent aussit(jt le protocurseur Héraclide, avec mission ilamener en trente jours Héliodore à Constantinople. 't Acquitte-toi, lui disent-ils, avec zèle de ta commission, et ne manque sous aucun prétexte de nous le présenter ici au jour dit. » Héraclide pa^t avec sa suite, aborde en Si- cile, et trouve Héliodore se promenant sur le rivage. Ce- lui-ci, voyant ces étrangers, leur dit : a Amis, soyez les bienvenus. Ne cherchez -vous pas un certain Héliodore? Ne vous donnez pas tant de peine; c'est moi. J'aurais pu facilement vous échapper, mais j'ai mieux aimé venir à votre rencontre. » Héraclide n'en revenait pas d'étonne- ment j mais, voyant qu'il se mettait ainsi entre leurs main.*;.

HK l.\ l.KGF.NDK MVGlQrK, 42j

il ne crut pas nL'ce.^;:saij'e de le l'aire arrêter, et lui permit, moyennant caution, d'aller en ville chercher du pain^, du vin, de l'eau et les autres choses nécessaires pour le voyage. Horaclide cependant doutait encore si c'était bien celui qu'il cherchait. Héliodore lui dit : u Donnez-moi Nûtre parole et celle des deux empereurs, et je vous fais letourner à Byzance en un jour. Comment? lui répon- dit HéracUde, les empereurs nous ont donné trente jours, en voilà déjà quinze écoulés. Reposez -vous tout le temps, leur dit-il, et quand le dernier jour sera venu^ nous partirons ensemble d'ici ^ et nous serons le même jour à lUzance. Si tu manques à ta promesse^ repartit Héra- clide, je te jette à la mej-. Eh bien I répondit Héhodore, allons au bain. »

Dès qu'ils y furent, il les fit tous entrer dans une salle de bain, en leur défendant expressément de prononcer le nom du Christ. Puis il leur dit de plonger la tête dans l'eau, et ils se trouvèrent aussitôt transportés dans les bains de Byzance. Héraclide, regardant autour de lui, reconnut qu'il en était ainsi en eft'et. Les empereurs, instruits de cet événement, en furent tellement irrités, que, sans plus de formalité, ils condamnèrent aussitôt Héliodore à être décapité. Celui-ci conjura au nom du Christ les Césars de lui faire doiiner au moins de l'eau; ils y consentirent, et on lui en apporta au moins un sceau , tant il paraissait al- téré. Il se jeta dedans aussitôt et disparut eji disant : >( Adieu, César; viens me chercher à Catane. » Héraclide est envoyé après lui en Sicile, le rencontre de nouveau, et Héliodore lui propose encore de le conduire en un joui- H BNzance. 11 construit un navire avec une branche de laurier, le garnit de tons ses agrès, et tous se rnellent en

120 DK LA LPiGENDE MAGIyrt.

mer. « sommes -nous? Devant Reghio. Et ici? Devant Crotone. Et là? Devant Hydronte. » Et ainsi du reste jusqu'à Byzance. Thalie, femme d'Héraclide. apercevant Héliodore, lui crache au visage en lui disant : a Voilà limposteur qui a amené deuï fois mon mari en Sicile. )) Héliodore, irrité . lui répond : « Je ne suis pas ce que je suis si je ne te déshonore devant toute la ville. » (1 éteint tous les feux de Byzance. Les empereurs veulent à cause de cela le faire mourir de faim. Mais comme la fa- mine se répand dans la ville, on s'adresse au magicien , qui répond qu'on ne peut faire de feu qu'avec la femme qui l'a insulté. Un des satellites des empereurs va, sur leur ordre, le chercher l'épée à la main pour le faire mourir. Mais au moment on il allait le prendre, le toit de la maison s'ouvre, et HéUodore part en disant : « Salut. César: va me chercher à Catane. »

Ce jeu dura jusqu'à ce qu'enfin saint Léon y eût mis un terme. Celui-ci avait toujours évité d'employer les moyens extrêmes à l'égard d'Héliodore, dans l'espoir qu'il se con- ^ertirait. Mais bien loin de suivre ses conseils, le magicien osa s'attaquer à lui. Un jour que le saint célébrait les saints mystères, il parut dans l'église, au miheu de la foule, frap- pant autour de lui comme un mulet, portant ainsi les uns à rire et les autres à la colère. Il se vanta en même temps de faire danser publiquement le saint avec tous ses prêtres. Léon, sentant qu'il allait se mettre en effet à danser, eut recours à la prière, se dirigea vers le magicien, lui mit son étole au cou, le conduisit en un heu nommé Achillée, »'n lui disant : « Les artifices magiques ne peuvent te ser- vir à rien contre le Christ, mon maître. » il le livra aux flammes du bûcher, et ne retira sa main que lorsqu'il fut

DE LA LÉGE?iDE MAGiyUE. 4 27

réduit en cendres. L'original de ce récit est écrit en grec. Le jésuite Blandice l'a traduit du grec en latin, à Cutané, en iG2»i ; et les compilateurs des Afin Sanctomm l'ont ad- mis dans leur collection. Le récit se donne comme ayant été écrit par un contemporain avant Tannée 7 87. Son ca- ractère antique prouve du moins que la date en est très- ancienne. Mais il est impossible de ne pas s'apercevoir que c'est un apocryphe et une légende; il y a lieu de s'étonner que les Bollandistes. d'une critique ordinairement si juste el si exacte, ne l'aient pas remarqué, et qu'ils aient admis cette histoire, qui méritait du reste d'être conservée, sans l'avoir accompagnée d'aucune note.

Le théâtre de cette légende^ c'est Catane, dans le pays de Typhon, au pied de l'Etna, sur les flancs duquel croît un vin qui met le feu dans les veines; Catane, située à l'entrée de cette plaine à laquelle se rattachent dès la plus haute antiquité tant de mythes ayant le feu pour objet, en pré- sence de cet autre volcan des îles Éoliennes qui était con- sidéré aussi comme une porte de l'enfer. Les Menées grecques, dans la Vie de saint Léon, parlent d'HéUodore, qui troublait par ses artifices magiques l'esprit et les yeuM de ses contemporains, et rapportent, de même que l'an- thologie grecque, que le saint le conduisit au bûcher, lié avec son étole, et qu'il y entra avec lui jusqu'à ce qu'il fût réduit en cendres. Ce récit doit donc avoir pour base un fait historique, dont l'imagination des générations suivantes .se sera emparée, et dont elle aura fait une légende, deve- nue bientôt populaire en Sicile. En effet, Thomas Fazel- lius [De Bebus Sicnlis, decasi, 1. 3) dit de ce personnage : a Diodore , que le peuple appelle Liodore , était adonné à la magie, et fit des choses merveilleuses sous ce rapport

r28 1>1. l.A l.KOl'Mil. M\i,lgll,

à Calane. 11 pouvait par ses ((jnjuralioiis métaniorphoser les homme? et les bètes et presque toutes choses, et attirer h lui les objets les plus éloigués. Coudamué à être cruci- fié, il se transporta eu très-peu de temps de Cataneà By- zauce, et de Byzauce à Cataue. 11 de^int ainsi un objet d'admiration pour le peuple, qui, croyant voir en lui un Dieu, commit l'impiété de lui attribuer les honneurs di- vins, jusqu'à ce qu'enfin Léon le prit sans qu'il s'y atten- dit, et le jeta dans le bûcher au milieu d'un concours im- mense de peuple.

La léiiende ne s'arrêta pas en Sicile; mais, traversant le canal, elle alla se planter près d'un autre volcan, le Vé- suve, dans le voisinage de ces campagnes sulfureuses et de la grotte de Pouzzoles, après avoir choisi pour son héros ^ irgile, fondateur de >'aples. Elle a emprunté beaucoup de choses à la légende précédente, comme, par exemple, fhistoire de la femme d'Héraclide; mais elle y a ajouté beaucoup d'autres circonstances. Ainsi elle raconte, entre autres choses , que Virgile renferma sous une porte de fer tous les serpents autour de Naples , qu'il plaça en face du \ ésuve un chasseur d'airain , tenant son arc bandé contre la montagne, et que celle-ci commença à vomir du feu après qu'un paysan eut décoché la flèche, qui tomba dans le volcan. Elle parle encore d'une mouche d'airain qui dévora toutes les autres; de haies et de ponts aériens au- tour de son jardin. Tous ces détails portent le même carac- tère que la légende primitive. Mais il en est d'autres l'on aperçoit l'empreinte de l'esprit des peuples romains d'origine, par opposition à l'esprit byzantin. Telles sont, par exemple , ces images peintes sur les murs de Rome , (jiii. placécv ^er^ les différentes pnrlies du monde, se

1>K LA Ltf.t.MiK >f AMnl I . i 2'-^

nieltciU d sonnai leurs cloches «lu cùlé ou les Huuiai?!.- doivent porter la guerre.

Cet HcMiodore et ce Virgile ont donné naissance à toute une faniiUe de magiciens que l'on retrouve chez tous les peuples pendant le moyen âge. ([iii furent pour cette épo- que ce qu'avaient été pour Tantiquité les mai^iciens de la Colchide^ et qui, connue ceux-ci, se sont répandus jus- qu'en Perse et en Médie. D'après le poème de Perci- \al. V. 196o, Elingsor était neveu de Virgile de Naples, qui lit aussi beaucoup de miracles. Son pays était la Ca- lahre : il demeurait à Chaps. c'est-à-dire Cava;,et en était le roi. Il se prend d'amour pour Iblis. femme de Gibert . roi de Sicile. Celui-ci le surprend à Kélat Bobot, et le mu- tile pour se venger de lui. 11 s'enfuit de dépit à Persida , berceau de la magie, et en rapporte le pouvoir de faire tout ce qu'il désire. La légende . on le voit, passe de Ca- labre en Sicile, un Juif avait initié aussi Héliodore à la magie, et qui appartenait aux Sarrasins, comme l'indiquent les noms d'iblis et de Kélat Bobot; et après s'être fonnée en Orient, elle se développe en Occident, tout k fait dans l'esprit romantique de lépoque. In roi nommé Irot donne au magicien une montagne sur laquelle il bâtit son palais enchanté. Dans ce palais est une salle dont le pavé est tel- lement poli que le pied ne peut s y tenir. On y voit aussi un lit qui fuit devant quiconque essaie d'y monter, et lance des flèches contre celui qui réussit. C'est dans ce pa- lais encore qu'il élcAe la colonne du haut de laquelle on contemple tout ce qui se fait à huit milles à la ronde. Il plante autour du château la forêt d'Elingsor, enlève aux noces d'Artus quatre cents femm.es, qu'il emmène et garde prisonnières, juequ'à ce que Gavan les lui arrache après

130 DE LA LKOt.NDE MAGlOLE.

avoir rouipu le charme. On voit ici que l'opposition, de ielii:ieuse qu'elle était auparavant, a passé dans le domaine de la chevalerie.

De cet Elingsor s'est formé plus tard, par le développe- ment de la légende, celui de laWartburg. Celui-ci, en ef- fet, raconte dans le Lohengiin, p. 08, que son arrière- graud-père était secrétaire dÉlingsor l'Ancien; qu'il avait été envoyé à Rome en présent au roi de Hongrie ; quou Tavait nommé Elingsor à cause de son maître, et que lui- même portait aussi ce nom. Ce nouveau magicien connaît à fond la nécromancie et l'astronomie, et il y a peu de doc- leurs qui en sachent autant que lui : on n'en connaît qu'un, qui est en Grèce, et un autre dans le royaume des Babylo- niens. On Ut bien encore qu'il y en a un troisième à Paris. =— Babylone, la Grèce, Rome, la Hongrie et la France marquent le chemin qu'a fait cet enchanteur des temps modernes pour venir d'Orient en Occident, comme celui des temps anciens, suivant à peu près la même route ^ était venu de Médie en Italie, par la Colchide, la Thessalie et Corinthe, et avait ensuite pénétré jusque dans la pénin- sule Ibérienne. L'Espagne, de même que la Sicile, autre^ fois le théâtre des guerres des Phéniciens et des Carthagi- nois, et plus tard le pays des Sarrasins et des Juifs, avait cultivé déjà anciennement la magie. Aussi la légende rap- porte qu'il y avait anciennement une chaire de magie dans l'université de Salamanque, et que le diable lui-même y avait enseigné son art. C'est par les Juifs et les Sarra- sins de cette ville que la plupart des livres de magie ont été répandus en Europe. Après Salamanque, Tolède était encore un point central pour les sciences magiques. C'est dans son voisinage qu'était, dès le tetiips de? Sarrasins,

\)K LA LW.t.NUE MAi.KjLL. 1 .! 1

la grotte célèbre à laquelle se rattachent les Icgundei; et les m>thes les plus anciens. Cette grotte était probable- ment le sanctuaire de la partie secrète de la doctrine. C'est que fit son apprentissage dans la magie ce Gille dont nous avons parlé dans la mystique purgative. C'est que les démons, revêtus de formes humaines j, l'accueillirent avec joie, et, après lui avoir fait jurer fidélité et secret, l'initièrent pendant sept ans à toutes leurs sciences téné- breuses: après quoi il se rendit à Paris, il se lit un nom comme médecin. C'est donc aussi qu'a pratiqué son art ce Nazar qu'Elingsor veut conjurer dans sa lutte, et celle-ci n'est au fond rien autre chose que la dispute des deux Simon, dont il est parlé dans les Rerognitions de saint Clé- ment, et qui a pris ici un caractère tout romantique. Deux écoles de poètes entrent en lice , ayant pour champions Hein-i d'Ot'terdingen et Wolfram d'Eschembach.

Le paNS des Gais n'est point resté étranger à la magie ; Merlin, et dès les temps les plus anciens la légende s'y est déve- loppée comme dans les autres contrées. Merhn lenchan- teur est ici ce qu'Odin est au Nord; c'est lui qui est le hé- ros de la magie druidique. Lorsque les Anglais et les Saxons entrèrent dans le pays, Wortiger^ roi des Bretons , chassé jusqu'à l'extrême limite de son royaume^ entreprit, d'après le conseil des druides , d'y bâtir une grande tour pour se défendre. Mais comme une puissance invisible détruisait toujours de nouveau pendant la nuit ce qui avait été fait dans le jour, on lui dit qu'il fallait arroser le fondement de l'éditice avec le sang d'un enfant dont la mère n'avait point connu d'homme. Merhn ayant été désigné comme remplissant cette condition , on le conduisit à la tour. L'enfant, qui avait le don de sentir la présence l'eau

132 DE LA LLGt>l»E MU.IQLh.

partout il y en avait, reconnut quily avait sous la tour Ui) marais qui en empêchait la construction. Ou creuse, oji trouve un marais en elîet, et on le desscche. Mais l'en- fant annonce quen creusant davantage on trouvera deux dragons endormis dans deux pierres creuses. L'événement justiiie ces prévisions : on roule les deux pierres dans la i'osse desséchée; les dragons, dont l'un, rouge, était le symbole des Bretons j, et l'autre ^. blanc, celui des Anglo- Saxons, se réveillent et commencent une lutte terrible , dans laquelle le rouge succombe. Lesprit s'empare de l'en- fant, et il commence à déplorer le sort de sa nation, qui va bientôt tomber sous le joug des étrangers venus de l'est. Cependant le sanglier de Cornouailles. que les peuples célébreront un jour dans leurs chants, vient au secours, et les îles de la mer lui obéiront. Il contiime de prédire 1 a\enii' de la nation pendant de longs siècles. Telle est l'origine de la prétendue prophétie de Merlin, que (iau- fried de Monmouth traduisit du breton en latin vers 1 1 i2, et qu'il ajouta à son histoire de la Bretagne. Traduite dans toutes les langues, elle a été continuée plus tard et s'est étendue jusqu'aux sept rois qui ont régné après la con- quête des Normands. Cette continuation a été traduite aussi on Uitiii \er> i fm par .Jean de Cornouailles, et se trouve dans le Spicili^g'^ de Greith. De même que ce Merlin, que l'on retrouve mêlé à toutes les légendes du roi Artus et de la table Ronde , se rattache à la lutte des Bretons et des Anglo-Saxons, de même aussi, plus tard . dans la branche belge de la race gaélique, 1" enchanteur Malagis se rattache à la lutte desCarlovingiens, des Aquitains , de la Gascogne et des fils d'Aymon.

La légende, une fois qu'elle s'est répandue ainsi dans

J»h LA LKGE.NUL MAf.iyi E. \o'ô

tout riX'ciUeiit, continue à se développer, et devient tou- jours? plu.s riclie et plus variée dans ses couleurs. Elle s*al- lache volontiers aux objets de la nature qui ont queUjuc chose de frappant et d'extraordinaire. Le rocher de Cos- sen , sur le Ficlitelberg , est pour elle le sommet oîi le diahle conduisit .Notre-Seigneur pour lui montrer de tous les royiumes du monde;, et le muj- du Diable sur le tlarr désigne les limites de son empire. Elle voit son oreil- ler sur la pierre qui se trouve au pied du château de îîen- Ihenu; la place il danse, sur la plaine rocailleuse qui détend entre Blankenburg et Ouedlmburg, et sa chaire ])rès de Baden. Les couches de granit, sur le sommet du .Nanneberg, sont les restes du mouliu quil bâtit pour ce meunier qui lui avait livré son àme, et les basaltes que Ion trouve près du Rhône sont les pierres qu'il a appor- tées aux habitants du pa%s lorsqu'ils ont voulu y construire une église. C'est lui qui a jeté à terre la pierre près d'Os- nabruc, et qui, dans la forêt, près de Reichenbach, a réuni ingénieusement ensemble les fragments de rocher pour qu'ils puissent olTrir un abri dans le danger aux habitants des environs.

(i"est principalement autour des églises et des coments, nuiis surtout autour des temples gothiques et de leurs tours que la légende diabolique sétablit de préférence. Ici c'est maitre Gérard de Cologne qui parie aAec le diable qu'il aura achevé le dôme avant qu'il ait terminé lui-même le grand aqueduc de Trêves à Cologne. Le diable gagne le pari, et Gérard se précipite du haut de sa tour, qui est res- tée inachevée. A Ratisbonne, le pari a lieu pour la cathé- drale et le pont. A Prague, c'est un prêtre, ^Vazlaga Kra- lizzec, qui convient avec le diable, renfermé dans une pos-

4'

{d\ DE LA LKGb.NDE MAGlnLL.

sédée, que si, après être sorti du corps de celte femme^ à riiitroït de la messe, il rapporte avant la tin une colonne de l'une des églises de Rome, lui, le prêtre, sera désormais sa propriété. Le diable accepte le pari; mais au moment il entrait dans Téglise le prêtre prononçait ces paroles du dernier Éyangile : Et Verbum caro fach.im est. A ces mots il jette à terre la colonne . qui se brise en trois mor- ceaux; la femme se trouve délivrée et le prêtre dégagé de son contrat. On voit encore devant l'église de Vischerad la colonne, longue de dix-sept pieds, et ayant cinq pieds de contour. Près d'elle, sur le mur de Tégliso , une vieille peinture représente toute l'histoire. Ce qu'il y a de sin- gulier, c'est que dans réglise Sainte- Marie au delà du Tibre, à Rome, on voit d'un côté seize colonnes, et de l'autre quinze seulement ; et à la place de celle qui man- que est un autel derrière lequel est représentée l"histoire telle qu'on la raconte à Prague. On voit encore a Vé- rone, devant réglise Saint -Zenon, une colonne sem* blable que le diable y a apportée du temple de Diane h Éphèse. D'autres fois, il aide à bâtir une église, parce qu'on lui a fait accroire que l'édifice devait servir à étendre son royaume; puis > quand il s'aperçoit qu'on l'a trompé, il jette sur l'église de grosses masses de pierres qui rendent témoignage de l'événement. Telle est la pierre qui se trouve sur la place du dôme à Halberstadt, la pierre du Diable à Cologne et ailleurs. D'autres fois encore il passe à travers les murs, et le trou qu'il y fait ne peut plus être boucbé. Ou bien il se réserve l'àme de la première personne qui entrera; et pour le tromper on y fait entrer un animal, un loup par exemple, comme dans le dôme d'Aix: un coq, comme '^^ur le pont de Francfort: un chien, un chat et

nK L\ LÉGENDE MAGIQUE. 13.)

un coq, comme sur le pont de Katisbonne et ailleurs.

Un le confond ainsi de mille manières. Une fois il se présente an confessionnal sous la forme d'un jeune homme fort et vigoureux, et confesse une masse de crimes, tous plus horribles les uns que les autres . comme le blasphème, \o. meurtre, ladultère, etc.; de sorte que le prêtre finit par hii dire : vc Mais quand tu aurais vécu mille ans, tu nt* pourrais pas avoir commis de tels forfaits. » Le pénitent lui répond : a J'ai plus de mille ans. Qui es-tu donc? Je .suis un de ceux qui sont tombés avec Lucifer, et je ne vous ai confessé que la plus petite partie de mes péchés : si vous vouliez m' écouter, je vous en raconterais bien da- vantatre. « Le prêtre, sachant qu'il n y a pour lui aucun e.spoirde pardon, lui demande pourquoi il est venu à con- fesse. Le diable lui répond : a J'étais vis-à-vis: et voyant l)eaucoup de grands pécheurs venir à vous et recevoir leur pardon , j'ai pensé qu'il pouvait m'en arriver autant. Eh bien , lui dit le prêtre, si tu veux suivre mon conseil , tes péchés te seront pardonnes comme aux autres. Pour- quoi pas? dit le diable. Va donc, reprit le prêtre; pros- terne-toi trois fois par jour, et dis avec un cœur humble et repentant : « Seigneur, qui m'avez créé, j'ai péché contre vous, pardonnez-moi mes crimes. » Le diable répond que ça lui est impossible. «Pourquoi donc, dit le prêtre, t'in- quiéter tant d'une chose si facile? Je ne puis, repart le diable, m'humilier ainsi devant Dieu; je ferai volontiei-s tout le reste. » Le prêtre, indigné , lui dit : « Si tu es tel- lement orgueilleux que tu ne puisses t' humilier devant ton Créateur, retire-toi de moi, car tu n'obtiendras miséricorde ni en ce monde ni en l'autre. »

Le diable cependant ne se montre pas toujours au.«!si ac-

i36 l>t: lA LKl.ENDt. M\(ilQlt:.

coinmodant. Le comte de Maçon ^ en Bourgogne, a commis des crimes innombrables pendant sa vie. Enfin, un jour de fête , comme il était assis dans son palais, entouré de ses gens, un inconnu parait devant lui à cheval, au grand éton- nement de tous, et lui commande d'un ton de maître de se lever, parce qu'il veut lui parler. Le comte se lève comme lié par une main invisible, t4 le suit jusqu'à la porte. Là, sur ririvitation de l'étranger, il monte un cheval qui l'atlen- dait : après quoi le diable, prenant la bride, l'emporte en l'air en présence de tout le monde. La ville entière accourt auv cris affreux que pousse le malheureux comte, le suit dans les airs et l'entend crier au secours jusqu'à ce qu'enfin il échappe aux regards. Pierre le Vénérable, 1. II, Mir., c. i, raconte le fait tel qu'il courait dans le peuple, sans indi- quer ni le temps ni la personne. 11 était peint sur un mur au couvent de Cluny, et représenté ^'ailleurs dans une nuiltitude d'images. Il est donc probable qu'il a a au fond quelque chose de vrai. Peut-«Hre un comte de Maçon peu édifiant dans sa conduile aura-t-il disparu dans un orage, et donné ainsi occasion à cette légende. La même chose arriva en 104o aune sorcière, en Angleterre, en plein jour: et Gervais Tilelsber parle d'un château dont la dame ne pouvait rester dans l'église pendant la messe, une fois que r Évangile était lu, parce qu'elle ne pouvait supporter la consécration. Un jour enfin son mari essaya de la faire tenir par ses gens pour la forcer de rester. Elle opposa une j'ésistance terrible; et après que la consécration fut faite, elle s'éleva et s'enfuit en l'air, emportant avec elle une juirtie du toit de la chapelle.

La magie, de même que le dialde . son auteur, a lourni à la légende une inultitude de triits dont elle a ^u faii-e

DE I.A LKCF.NDF. MAGIQIE. 137

usagft. Elle a trouvé particuliî'rement dans les évocations et l»is Conjurations une pàluj"e abondante Elle nous va- conte comment, à la simple parole d'un ujagicien. des l'es- tins splendides ont été servis tout à coup, et comment, au milieu de l'hiver, les ileurs du printemps se sont épanouies puur faire honneur à un empereur; comment un autre a su lier les vents dans des cordons de cuir; de sorte qu'en défaisant un nœud on détachait un souftle doux et léger ; puis, en déliant le second nœud, on produisait un vent plus fort, et en défaisant le troisième on déchaînait un ouragan impétueux. La légende parle encore d'un magicien de Salzburg qui avait osé conjurer tous les sei*pents à un mille à la ronde pour les faire venir dans une fosse, afm de les tuin' tous ensemble. En efîét. une multitude de ser- pents accourent et se jetteiit dans la fosse en présence de tout le peuple. Cependant il en vient un plus grand que les autres. Comme il refuse d'entrer, le magicien le laisse ramper librement çà et pendant quelque temps. Mais enfin il se prépare à faire sérieusement usage de son art , et A eut le forcer à entrer comme les autres. Le serpent se glisse jusqu'au bord; mais arrivé il se dresse contre le magicien, se lance sur lui d'un l)ond, l'enveloppe de ses replis, l'entraîne malgré tous ses etlorts dans la fosse , au milieu des autres serpents, qui 1" étouffent aussitôt.

La légende se plaît aussi à raconter les métamorphoses opérées par la magie ; elle nous parle d'un magicien allant à Tolède a^ec un autre sur deux coqs, et descendant dans une hôtellerie demeuraieiit quelques étudiants ins- truits comme eux dans la magie. Le maître, fatigué, va se mettre au lit ; mais son disciple se met à causer avec les étudiants, qui bientôt lui chercher.l quei-elie. 11 vei:t se

138 bE LA LÉGENDE MAGIQUE.

défendre contre eux : mais voici qu'ils lui font pousser une paii'e d'oreilles d"àne sur la tète. Il va trouver son maître, et se plaint du tour qu'on vient de lui jouer. Celui- ci le gronde d'avoir cherché l'occasion ; puis il a recours à son art; et change les étudiants en porcs. Ils courent çàet dans la maison , se vautrent dans la boue, entrent dans la salle et salissent tout de leurs ordures ; de sorte que le maître d'hùtel, avec ses gens, les chasse de la maison à coups de bâton. Le lendemain matin, dès que les portes sont ouvertes, ils rentrent dans leurs appartements, tou- jours changés en porcs. L'heure du repas venue, personne ne se présente à table. Le maître d'hôtel monte pour voir s'ils ne sont pas malades: et il aperçoit dans les chambres les porcs qu'il avait chassés la veille. Commençant à soupçonner ce que c'est, il envoie chercher im célèbre magicien de Tolède, qui leur rend leur forme primitive. C'était précisément leur maître. Ils lui racontent ce qui leur est arrivé. Le soir ils se réunissent. L'autre maître et son élève étaient assis avec eux, mais ne savaient pas que le magicien de Tolède fût si habile. Un de ceux qui avaient été changés en porcs, voulant se venger de celui qui leur avait joué ce tour, lui fait un grand bec d'au- truche. Celui-ci se lève de table, et coupe avec un couteau un morceau de son bec. Au même instant le nez de l'autre tombe et saigne, comme si on l'avait coupé avec un cou- teau. Le maître, jouissant de la confusion des jeunes gens, se moque d'eux et leur fait compliment de leur habileté. Ces plaisanteries vont au cœur de leur maître, qui, pour se venger, perce avec une aiguille l'œil d'un petit homme en cire qu'il avait avec lui. L'autre, à l'instant même, perd cet œil. Furieux, il prend un couteau, fait un trou

DE LA LÉGENDE MAGIQUE. 139

dans la table, et demande à l'autre s'il veut lui rendre son (fil. Celui-ii lui répond qu"il ne le peut pas, quand même il le voudrait. Le premier enfonce dans la table un petit mor- ceau de lioi?. qui devient une belle rose. Puis il lui demande une seconde fois s'il veut lui rendre son œil. Le maiiicien répond que non. L'autre prend son couteau , et détache l;i rose de sa tige; et voici qu'au même instant la tête de l'autre tombe sur la table, et le sang jaillit jusqu'au plafond.

Une lutte semblable a lieu à la cour d'une reine d'Au- uleterre. Les deux rivaux conviennent d'abord que cha- cun d'eux fera une chose qui lui aura été commandée par l'autre. Le premier dit à l'autre de regarder à la fenêtre. Il le fc'tit; et aussitôt de grands bois de cerf lui poussent sur la tête, et le rendent un objet de dérision pour toute la cour. Celui-ci, irrité, trace avec un charbon l'image d'un homme sur la muraille, et commande à l'autre de marcher vers elle, en lui disant que le mur reculera à mesure qu'il avancera. Ce dernier, voyant la mort devant lui, s'effraie, et conjure l'autre d'avoir pitié de lui: mais celui-ci s'en tient aux conditions de la gageure. Le mal- heureux, contraint par sa parole, marche vers la muraille : celle-ci s'ouvre devant lui, et il disparait. C'est Zyto qui apparaît comme magicien à la cour du roi Venceslas. Il va en bateau sur la terre ou se fait traîner en chariot par des coqs. Vêtu de pourpre et de soie, il se montre tout à coup sous les haillons d'un mendiant. Son maître ayant épousé Sophie, fille du prince de Bavière, et lui ayant amené pour ses noces une pleine voiture de fous et de magiciens, Zyto avale le chef de ces derniers avec tout ce qu'il a sur lui, à l'exception de ses souliers

Fau^t

140 t>i: LA LÉGENDE MAGigut:.

couvertt^ de boue, puis il le rend dans un vase plein d'eau. F.a Iciiende^ s' enrichissant toujours davantage, flici-clie ainsi de temps en temps quelque nouveau personnaçîe qui puisse lui servir de héros , et dans lequel elle puisse se rajeunir. Semblable aux nuages, qui aiment à se poser sur le sommet des montagnes, elle s'est attachée à son origine, comme nous l'avons vu, aux masses imposantes de la na- ture ou aux œuvres grandioses de 1" architecture. Elle s'est , par la même raison, sentie attirée vers les personnages qui ont joué un rôle important dans Thistoirede leur époque. C'est ainsi que nous la voyons, au moyen âge, jouer pour ainsi dire autour d'Albert le (irand , de Bacon, de Thomas d'Aquin et même autour de plusieurs papes, tels que S\lvestre et Grégoire. Enfin, sur son déchu, participant h l'esprit du temps, elle entre dans le domaine de la spi'- culation. Avec le doute elle prend aussi l'ironie et l'hu- meur de l'époque moderne. Elle essaie bien encore de se poser sur quelque personnage éminent; mais bientôt, le laissant de côté, elle s'attache à un aventurier vulgaire, et le choisit pour son favori, afin d'avoir quelqu'un qu'elle puisse enrichir de ses trésors augmentés par de longues épargnes. à (iundhng, dans le Wurtemberg, cet homme avait été élevé à l'université de Cracovie. 11 se donne le titre ambitieux de Georges Sabellicus, Faust le jeune, source de tous les nécromanciens, astrologue, le second dans la magie, dans la chiromancie, l'aéromancie, la pN romande et l'hydromancie. 11 se vante de pouvoir de mémoire rétabhr toutes les œuvres de Platon et d' Ari>!ote, si elles venaient à se perdre, et de les rendre plus belles qu'elles n'étaient auparavant. Bien plus, il se vante de pou- voir faii-e les mômes miracles que le Ghrist, de surpasser

m; i.\ i.k«.kmu; m\m«^i k. i i i

lUui? l'airhimio IuUîJ ceux i[m lont pn-i'édé^ ilo savoir et i\o pouvoir tout ce que Tliomme peut désirer^ et d'avoir procuré par sou art aux armées de Tempereur toutes les victoires qu'il a gagnées eu Italie. (Epistol. Trithemii, 1536 , p. 312.) Ce fanfaron , que Mélauchton , qui l'avait couiui personnellement . appelait la hète la plus immonde et le cloaque des diables d'enfer, qui était forcé d'errer continuellement pai- le monde, parce que les magistrats le chassaient de partout, à cause de ses vices et de ses fri- ponneries, de Rattenberg sur la Meuse, de Wittenberg , de Rreuznach et d'ailleurs; qui. à Venise;, après avoir entrepris de voler, comme Simon le Magicien, faillit mou- rir écrasé en tombant; ce fanfaron, que l'on trouve un matin mort, le cou tordu, devant son lit, après que la maison il était descendu pour la dernière fois eut été violemment ébranlée pendant la nuit ; c'est celui que la légende cherchait depuis longtemps, et qu'elle choisit pour héros. Elle se posa donc sur sa tète, et commença son temre en lui , mais comme la uature commence la sienne quand elle veut couvrir une ruine de verdure et de fleurs. Ce qu'elle a fait.de son héros, et ce que le poète allemand a fait de son œuvre est trop connu pour que nous ayons besoin de nous y arrêter plus longtemps. La composition est un essai grandiose, par lequel l'auteur a voulu revêtir des couleurs de la poésie la croyance de tous les peuples à la magie, mais telle que l'époque présente la comprend. Or toutes les fois que, pour apprécier une idée ou un fait de tous les temps et de tous les lieux, on se renferme daus le point de l'espace et du temps l'on se trouve placé, l'idée que l'on s'en fait est toujours incomplète. Le poème deliu'lh»' ii'esl donc qu un rliiuit détaché du grand poème

142 DK LA LÉGENDE MAfilyl'E.

mayiqiie ; c'est le chant de la poésie critique et spéculative du xviii* siècle.

Dans toutes ces légendes, Tesprit cherche à se récréer par les charmes de la poésie, et, les prenant pour ce qu'ehes sont en efî'eî . en amuse ses loisirs. Mais il ne vient à la pensée d'aucun homme intelligent d"y chercher la vérité historique, pas plus qu'on ne cherche à étudier la géologie ou la minéralogie dans une cathédrale gothique. Celle-ci peut bien , il est vrai, dans les pierres dont elle se com- ])Ose, offrir des formations naturelles ou des pétrifications remarquables ; le plan sur lequel elle a été construite peut avoir beaucoup de rapport avec celui que la nature suit dans ses formations basaltiques; rarchitecte peut bien avoir cherché à imiter dans son œuvre les stalactites qui décorent certaines grottes; mais le génie de l'artiste, en s'emparant de son objet, lui a donné son empreinte; et comme il y a mis en quelque sorte plus du sien que cet objet n'avait reçu déjà de la nature, son œuvre n'appar- tient plus à celle-ci, mais au domaine de l'art. Cependant, pour que l'imagination puisse travailler ainsi un objet et en faire une œuvre poétique, il faut qu'elle trouve des matériaux existant déjà; il faut de plus que la nature lui fournisse les t^pes des formes qu'elle doit leur donner, et la loi d'après laquelle elle doit les façonner. Le principe vital qui réside dans le corps ne pourrait ni construire celui-ri ni le maintenir s'il ne recevait fîe la nature l'aliment dont il a besoin et l'énergie des forces dont elle dispose ; il ne fait donc que se les approprier et les féconder à son tour, après avoir été fécondé par elles. Ainsi chaque légende, quelque hberté que se soit donnée l'auteur en la travail- lant, repose sur une vérité et l'indique; et les légendes

ins|iiic('s par le même sujet rendent témoignage, dans leur ensemble et par leur accord, à une vérité générale. Lors donc que nous retrouvons la même légende dans tous les temps et dans tous les lieux, quoique sous des formes et avec des nuances diverses, nous devons en conclure qu'il \ a une vérité fondamentale, qui est née pour ainsi dire avec riuimanité, et qui s'est développée avec elle dans riiistoire.

CHAPITRE Yll

(,nmni(.'iit l'univers a été créé. De la formation successive du feu et (le la terre. Je l'air et de l'eau, du monde végétal et animal, de l'homme. L'homme centre de la création. Formation dans l'iiommf' et développement de la nature végétale et animale, du poisson, de l'oiseau, de l'animal terrestre, de l'homme enfin. Des quatre tem- pérameuls : lymphatique et sanguin, cholérique et mélancolique. L'homme est dans un rapport réciproque avec l'univers entier. Ce rapport a été altéré par le péché. 11 existe cependant encore d'une manière exceptionnelle en certains hommes. Possession de l'homme par la nature.

Dans tous les temps, depuis l'origine jusqu'à nos jours, la mystique lumineuse et divine s'est toujours attachée à la vraie doctrine, à la pure morale et à la vie pieuse et sainte. Par la même raison, la mystique infernale a trouve en tout temps un fond propice à ses opérations dans l'hé- résie, la corruption des tnœurs et dans une vie déréglée ; et de ce fond, se partageant en deux branches, la théurgie et la géotie, elle a altéré la vérité par un double mensonge, le bien par tm double mal, et la sève puissante de la vie par une double contagion. Cette opposition s'est étendue

|u^quc uaii? ic uuLuamc ue i iiiiai^iiiaiiuii, t;i iiuub i > re- trouvons en etiet dans tous les temps et dans tous les lieux , I avec le même caractère d'universalité. Ceci doit nous faire 1 juger qu'une opposition aussi profonde et aussi générale i

lii FOJ'.M.vilnN hv: i.HuMMh,

jusque dans le domaine de l'imagination, et nous 1') re-

ti

avi

tient à la nature même de l'homme. Pour bien la com- prendre il est important que nous connaissions la nature de celui-ci. Lorsque nous aurons saisie en effet, sous leur ^éritable point de vue, les oppositions physiques et psy- chiques qui existent en nous et autour de nous, il nous sera plus facile d'apprécier les oppositions morales et in- times, dont les premières ne sont que la manifestation.

Si nous considérons la terre, que Dieu a donnée pour séjouj- à l'homme, nous pouvons apercevoir déjà dans sa composition les premiers rudiments de la nature organi- que. Tous les corps sont en effet composés de matières ignées tluides impondérables;, ainsi que de matières solides, liquides et gazeuses. En eux ces principes se sont pénétrés, et se saisissant , s'enchaînant l'un l'autre, ils se sont combinés dans les premiers êtres qui ont reçu un com- mencement d'organisation. Ils ont en réalité une efficacité plastique et créatrice lorsqu'ils s'unissent par leur mutuelle absorption et expan?ion : ainsi les fluides impondérables passent à l'état latent dans les solides «jui s'épanouissent pour les recevoir sous une forme déterminée; les liquides entrent dans la comldnaison sous forme d'eau de cristalli- sation : les gaz y prennent l'état solide, ainsi que nous \ oyons que cela a lieu dans toutes les oxydations. Comme d'ailleurs de telles combinaisons ne peuvent être effectuées que par des forces, et que toute force suppose une puis- sance active et une faculté passible inséparablement unie,'?, l'une et l'autre devront setrouverici, et par leur continuelle

FOHMAliO.N l.»K LHOMMK. li.j

ptMiétration (iéteraiiiicr des productions que rintelligcnce [lourra saisir (1;.

Elles donnent naissance aux atTniitcs électives , et dans huirs termes les plus opposés se manifestent par les forces saturantes et par les propriétés basiques. Dans les êtres qui résultent de leur action et sont leur expression il y a par- tout duplicité et antagonisme. Mais, outre ces puissances et ces forces, dont nous apercevons les traces dans la com- position de cet univers , il en est d'autres encore qui ap- partiennent à un autre ordre de choses, et dont l'action a produit, antérieurement à ce monde au milieu duquel nous vivons, d'autres combinaisons dont il existe encore des Aestiges sur notre terre.

Qu'on suppose interrompu tout à coup le jeu des affini- tés chimiques qui retiennent liés ensemble, dans cet uni- Aers, la base et son principe de saturation, la forme qui résulte de leur combinaison se dissoudra, la base se dépo- sera au fond sous la forme de fluide , indifférent à toutes les directions, tandis que le principe saturateur s'évapo- rera sous la forme de gaz, flottant au-dessus du premier. Delà surgit une nouvelle opposition, et avec elle une nou- velle classe de mouvements, à savoir les mouvements mé- caniques. Le gaz et le liquide, qui auparavant étaient l'un à l'égard de l'autre dans le rapport du principe saturant à sa base, se produisent maintenant, l'un comme moteur et l'autre comme mobile. Et comme le premier, représen-

(1) Ces forces, qu'on peut concevoir dans leur pureté abstraite, sont moléculaires h l'état concret, forment le principe, la vie des particules, et sont en jeu dans leurs actions réciproques. Précisé- ment parce qu'elles sont moléculaires, elles agissent dans tous les sens , mais seulement au contact , et ne cessent d'agir que lorsqu'elles ont atteint dans toutes les directions un état d'équilibre stable. ni. 5

I tO lOKMATIO.N \)L LHU.MMK.

tant lu i'urce active, a le dessus sur le second, (jui exprime la puissance passive ;, il résulte du jeu de ces deux prin- cipeSj Tun actif et l'autre passif, ce qu'on appelle le mou- vement. Celui-ci, étarit communiqué d'en haut par l'unité à la multiplicité des éléments mobiles situés en bas et au loin, ne peut être produit que par des forces qui agissent à distance. La direction principale de celle-ci va de liaut en bas, et les autres directions viennent s'ajouter ensuite à elle. Ces puissances ayant précédé, et dans leur origine et dans leur action, celles du premier ordre, on peut con- sidérer la mer etFatmosplièi'e qui entoure la terre comme un reste de la première combinaison des cléments qui eut lieu alors, et comme uiie image de la forme sous laquelle elle se produisit.

Mais ce n'est pas tout. Au delà de ces formations, il en est d'autres qui se sont accomplies à une époque plus re- culée encore, et qui, par conséquent, se reilètent sur toutes celles qui les ont suivies. L'atmosphère et la mer, ainsi que les puissances actives et passives qui produisent leurs mouvements, ne sont que le résultat d'une opposition plus* élevée. Si donc, par une nouvelle hypothèse, semblable à celle que nous avons faite plus haut, l'on suppose inter- rompue pour un instant l'impulsion qui met en rapport les deux éléments tluides et gazeux, le composé qui résulte de leur union se dissoudra: et de même que dans la pre- mière dissolution les forces et les puissances mécaniques se sont développées, ainsi nous verrons maintenant se dé- gager un troisième ordre de puissances et de forces plus intimes encore. Mais le rapport qui les lie n'ira plus, comme pour celles du second ordre, de haut en bas; il ira du centre à la circoiiféreucc : en d'autres termes, leur uiou-

HJhMAilU.N J>K LHOM.MK. 14 7

\Gment !?era un niouvemeiit de rayoïiiiemenl. Des deii\ cléments gazeux et solide, ils sont renfej'mes, ^ont sortir deux autres éléments : le feu lumineux rayonnant du centre à la circonférence, et l'élément terrestre primi- tif susceptible de recevoir la lumière, la chaleur et le feu qui rayonnent du premier, mais bien différent néanmoins de ce que nous appelons terre aujourd'hui. C'est par le moyen de cet élément terrestre primitif que se produit la réaction de la puissance contre la force.

Nous venons d'assister par la pensée à la décomposition de cet univers, et nous pouvons maintenant, en le re- composant en esprit, par un procédé contraire, nous re- présenter jusqu'à un certain point comment il a acquis par des combinaisons et des transformations successives la forme et l'état qu'il a aujourd'hui.

Le monde n'a pas été créé tout d'un coup tel qu'il est; Formation . ., . , , , , i ' T du feu et de

mais il est arrive a son état actuel par le développement la tenv.

successif des divers éléments qui le composent et par le jeu des forces qui président à ce développement. C'est ce que Mo'ise nous fait entendre quand il nous présente la création comme s'étant accomplie en six époques ou séries. Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Il faut en- tendre par non le ciel et la terre tels qu'ils existent aujourd'hui, mais un ciel ou un feu et une terre élémen- taires, et c'est encore ce qu'insinue l'écrivain sacré quand il nous dit que la terre était nue, vide et informe. Deux forces, l'une active allant du centre à la circonférence, et l'autre passive allant de la circonférence au centre, se sont produites à ce premier moment de la création. Ou plutôt de la formation de cet univers; et c'est leur action qui a donné à noire planète sa forme sphériqi.ie. Lu terre et le

I iS KOUMATiON DE l'mo.MMK.

l'eu radical &oiit donc les deux éléments piimordiaux et ronstitutifs de cet univers; de sorte que les autres n'eu sont que le développement, et doivent par conséquent eu porter lempreinte. Aussi voyons-nous qu'encore aujour- 1 liiii toute génération, toute formation quo-lconque sup- pose une combinaison de ces deux éléments primitifs, est accompagnée d"un dégagement de calorique. Les mé- téores qui brOlent au-dessus de nos tètes sont encore un retlel de ce premier acte de la création, rmatioii Au secoud acte, nous voyoïis apparaître de nouvelles leau "^^oi'*^^^^- ^t par suite une formation nom elle. Aux forces j'ayonnantes et dyuamiques du premier acte succèdent les forces mécaniques qui , mêlant et combinant d" abord les deux éléments primitifs , les séparent ensuite par une op- position plus tranchée, et font surgir ainsi deux nouveaux éléments, l'air et l'eau radicaux. Meux-ci ne sont déjà plus aussi simples que les deux premiers, et sous ce rapport ils se l'approche ;:t davantage de ceux qui existent aujour- «riiui. Nous avons encore une image de cette seconde for- mation dans les vents alizés, dans les autres courants qui lra\erseiit l'atmosphère, ou dans ceux qui leur corres- pondent au fond de l'Océan, et dans tous les météores aqueux qui se forment au-dessus de nos tètes. C'est l'eau, en ellet, qui a donné naissance à toutes les formations de notre globe: et encore aujourd'hui toute substance, même la plus solide et la plus compacte, commence par l'état li- (juide. Au premier acte de la création nous n'avions que deux éléments , le feu et la terre ; nous en avons deux de plu> au second : à savoir l'air et l'eau. 11 y a entre eux cette diiVérence que les forces dynamiques qui mettent en rap- port le feu et la terre rayonnent du centre à la périphérie,

|0|'.Maiô> Itl 1. IImMMJ.. 1 i !'

tâuilis que les forces mécaniqufs qui metlenl en rap|)r»il Ifiir et l'eau agissent de haut en l)as. Nous avons donc maintenant d'un côté le feu et lair, de Tautre la terre et leau. Au reste ;, Moïse confirnie encore ici notre manière d'envisager la création^, puisque, après nous avoir dit que Dieu créa le ciel et la terre, il nous le représente séparant les eaux supérieures des inférieures. Au troisième acte, dr nouvelles forces surgissent et ^ont achever la formation de notre globe. Ce sont les forces chimiques, qui, éveillant dans la matière déjà existante une opposition nouvelle, k savoir celle de l'élément saturateur et de la base qui de- mande à être saturée, ont donné naissance aux variétés des éléments qui composent cet univers tel qu'il existe au- jourd'hui, aux métaux, aux terres, aux alcalis, aux gaz, lesquels, se com])inant d'après des lois et des proportions déterminées, ont produit toutes le- formations de cett.- terre.

Le cercle des formations inorganiques est achevé. Les Formatioi forces dMiamiques, mécaniques et chimiques ont accom- ,_^étal. pli leur œuvre. Des forces nouvelles doivent surgir pour donner naissance à un monde nouveau, au monde orga- nique. Trois actes successifs, correspondant aux trois pre- miers que nous venons d'étudier, vont teraiiner la série des évolutions de cet univers, et compléter les six jours de la création. Au quatrième jour, qui est le premier de la création organique et qui correspond au premier jour de la création inorfianique, les végétaux apparaissent sur la terre; ils forment l'extrême limite entre les deux règnes; ils sont encore si près de la matière et si loin de la vie , telle que nous la trouvons dans les animaux supérieurs par exemple, que lut- ne s.iit leqiiol {]o< doux dcmiine en

l.'iO FÛRM.VTION DE L HOMME.

eux. Mai? il y a entre la série des formations organiques et celle des autres cette différence quici ce sont les forces dynamiques ou rayonnantes qui ont agi les premières, tandis que au contraire ce sont les forces chimiques qui se produisent d'abord: et le rè£:ne végétal est surtout le résultat de leur action. L'opposition du principe de satu- ration et de la base parait se rattacher dans la plante à deux fonctions très-difîerentes ; à savoir la respiration et l'assimilation , lesquelles sont distribuées en deux organes principaux, les feuilles et les racines, tandis que la même apposition, dans ses rapports avec la propagation de l'espèce, se trouve réunie dans les organes sexuels de la fleur. •éation du ^'^- p^'cmit*!' pas une fois fait, les forces mécaniques s'é-

■egne anj- ygillent à leur tûur. et par leur action donnent naissance mal. '■

au règne animal, et d'abord aux oiseaux qui volent dans

lair et aux poissons qui nagent dans l'eau. Ce qui distingue l'animal du végétal, c'est que celui-ci tient à la terre par ses racines et en fait encore partie pour ainsi dire, tandis que le premier, doué de la faculté du mouvement, peut se détacher du sol et aller d'un lieu à un autre. Tous cepen- dant n'ont pas cette faculté au même degré. Ainsi les oi- seaux et les poissons, lorsqu'ils se meuvent, sont portés par l'élément dans lequel ils vivent, de sorte que tout leur corps est en contact avec lui. L'oiseau est pour ainsi dire tout souftle, à peu près comme l'air oîi il plane. Son corps tout entier semble se réduire au poumon, et toute sa vie à la lunelion de respirer, tandis que chez les poissons c'est le foie qui domine. Portés de tout leur long et appuyés de tout leur poids sur l'eau, ils réagissent avec lenteur contre cet élément, td marchant péniblenifnt vei-s leur but. Voler et

FORMATION DE l'iîOMME. 1 .j 1

iia^or forment donc les deux termes de cette nouvelle op- position du règne organique^ conmie la respiration et l'as- similation constituent ceux de la première. Au troisième jour de la création organique, de nouvelles forces sont en jeu et vont produire une nouvelle série d'êtres.

In troisième degré reste encore à parcourir; car un troisième ordre de forces actives et de facultés passives est renfermé dans les deux ordres précédents. 11 faut mainte- nant que les unes et les autres se produisent au dehors, que par un dernier et suprême effort elles acquièrent le plus haut degré de leur énergie, et donnent ainsi nais- sance à deux nouvelles classes d'êtres, qui seront le com- plément et le chef-d'œuvre de la création. Ces êtres auront tout ce qu'ont déjà ceux qui les ont précédés. Ceux-ci leur fourniront à la fois et leur base et leur enveloppe maté- rielle. Mais ils auront de plus des choses que les premiers n'ont pas.

Deux nouveaux royaumes vont augmenter le domaine de Création d

. " 1 animaux

!a création : 1 un mferieur, qui comprend les animaux ver- terrestres

tébrés, et l'autre supérieur, résené à l'homme. Chez les ^ ^^^^

premiers, les fonctions sexuelles et celles de la respiration

et de la nutrition ont atteint leui' plein développement. La

faculté de se mouvoir acquiert aussi autour de la colonne

\ ertébrale un organe à l'aide duquel le corps peut se porter

dans toutes les directions. Le corps de l'animal, quand il se

meut, n'a plus besoin d'être porté tout entier par la terre,

mais il se contente de poser ses pieds sur le sol, qui lui

sert à la fois et de point d'appui et de point de départ. Le

Ao! et la natation se trouvent maintenant réunis et partagés

à la fois chez l'homme dans les bras et les pieds. En effet ,

chez les autres animaux, les bras se confondent avec les

1.j2 FOP.MATlùN i)K I.'UOMMK,

pieds êl lie leur senent que pour la inarche; tandij^ que chez l'homme, les pieds ne sont pour ainsi dire que det^ bras inféiieurs. Aussi, ce qui distingue ce roi des animaux, c'est la faculté d'agir avec les mains et de marcher la tète droite et en regardant le ciel. L'homme, sous le rapport psychique ou spirituel, réunit aussi dans sa personne les qualités qui distinguent les diiïérentes classes d'animaux placés au-dessous de lui, la finesse de perception des uii> et ce commencement de réflexion qui semble apparaîtiv chez les autres. Il est à la fois le sommet, le dernier terme et le centre de la création tout entière, dont tous les rayons viennent aboutir à lui. L'homme L'homme s'est donc épanoui au milieu et au sommet de litre e ia ^^ création teirestre, comme sa fleur et son plus bel orne- ment. Il est porté par tous les autres règnes de la nature, dont il est, dans sa partie corporelle, le produit le plus élevé et la plus haute expression. Or il est de la nature du centre de renfermer en soi l'unité des rayons dispersés à la périphérie : nous devons donc retrouver dans l'homme toute la série des formations antérieures. Il réunit donc eu lui d'une [manière éminente toute la suite des êtres qui composent Tensemble de la création. Il y a dans l'homme quelque chose de végétal qui précède la formation de l'a- nimal en lui, et qui, comme une sorte de placenta, l'at- tache au sein maternel de la terre et à ses éléments. Et il ne faut pas croire que l'espèce végétale qui domine en lui soit sans aucune influence sur le développement de sa consti- tution physique et morale, et qu'il importe peu que ce soit le palmier, comme dans les contrées tropicales, ou le pin, le chêne, le cyprès qui donne à sa végétation le caractère qui la ilistin;^iie. Onelle qu'elle <n\\ (Vailleurs, elle le son-

FORMATION I)K I.HoWMK, ['.>'.',

met aux influences climatériques des pays il est né, ot

cette influence se fait sentir jusque dans les t'onrtions 1p>

plus élevées de son être.

Après le vésétal se développe loiseau, au moment i'''nnatio

du poissf le sang commence à se fonner, et avec lui la circulation, etdeloise

L'oiseau a son siège principalement dans les poumons, '^ ^ "' tandis que le poisson a le sien dans les intestins inférieurs et le système lymphatique . A lun se rapporte cette acti- vité, cet élan, cette agilité dans les mouvements qui ap- paraît en certains hommes à un degré si éminent , tandis qu à l'autre se rapporte, au contraire, cette force passive qui réagit avec une sage lenteur contre l'impétuosité d'un premier entraînement. Tous deux, l'oiseau et le poisson, indiquent que l'homme est à la fois l'habitant et le maître des hauteurs du ciel terrestre, aussi bien que des abîmes de la mer. Tous deux aussi marquent leur empreinte jus- que dans les traits et l'expression de son visage. Mais il est en même temps le roi du continent, depuis le sommet des pins hautes montagnes jusqu'aux vallées les plus profondes. Il doit réunir aussi dans sa personne, comme en un centre. les propriétés des animaux qui vivent sur la terre. C'est pour cela que nous trouvons en lui cette énergie sau- nage quelquefois , mais le plus souvent tempérée par un certain mélange de douceur, dont les divers degrés pro- duisent dans l'espèce humaine une variété si agréable. Il n'est pas, eu elfet, un seul animal, depuis le plus féroce jusqu'au plus dmix, dont on ne retrouve jusqu'à un cer- tain point l'empreinte et les vestiges dans l'homme. C'est particulièrement dans le système qui préside aux mouve- ments et autour de la colonne \ertébrale qu'est le .siège de ce îicnvo de proprit-lés.

l.ii Formation de i/hommk.

•ation de Après la planté,, le poisson, l'oiseau, l'animal terrestre, r^svché ^ ^^^^^^ ^"*i^^ l'homme dans l'homme, c'est-à-dire ce qu'il a de propre, ce qui le disiingue de tous les autres animaux; ce qui fait qne ce n'est pas le lion , par exemple, mais lui qui est le roi légitime de cet univers et mandataire de toutes les créatures qu'il renferme. Cet élément spécifique émane immédiatement de la source même du feu radical, aussi bien sous le rapport spirituel que sous le rapport physique. A cette force active s'est jointe une puissance passive, terrestre, et centrale aussi, et c'est l'action com- mune de ces deux choses qui a produit, pour ainsi dire, cette couronne de la création terrestre tout entière. C'est principalement dans la tète que réside cette étincelle, rayon immédiat du feu lumineux que Dieu a créé dès le commencement. De la tète, elle se répand, par le moyen du >vstème nerveux, jusque dans les régions les plus profon- des , et c'est ce qui fait que l'homme vit et végète autre- ment que les plantes et les arbres qui l'entourent; qu'il se meut et qu'il agit autrement que les animaux chez qui le système moteur est le plus développé, et que les images qui mettent en mouvement les esprits animaux et produi- sent en certaines espèces du règne animal des impressions dont la vivacité nous étonne quelquefois, produisent dans l'esprit de l'homme des effets d'une nature diftérente et liien plus élevée.

Cependant toutes les créatures à la formation desquelles nous venons en quelque sorte d'assister, sans en excepter l'homme lui-même, sont des êtres purement terrestres, et nous ne sommes point encore sortis de ce monde étroit et obscur qui frappe les sens. Toutes ces créatures sont le lésultal d'une trénératioti tonte terrestre . et toutes aussi

FOf.MAriO.N DE l'iIOM.ME, ioo

sont soumises à la mort et îi la dissolution des parties qui les «omposent. L'àmede l'homme elle-même, quoique douée d'une puissance et d'une unité supérieures, n'a pas encore cette simplicité qui est le propre de la nature spirituelle, et que suit toujours l'immortalité; car elle n"a pas jailli du ciel, est la source de Tunité absolue; mais elle est d'origine terrestre, comme tout ce qui est sur la terre, et sent en elle des divisions profondes. Aussi l'unité terrestre est quelque chose de chétif et d'incomplet; elle n'existe que dans l'espèce et par elle. Ce n'est point encore lu l'unité personnelle et concrète, la seule véritable, qui re- pose sur soi-même, et subsiste en soi avec une parfaite indépendance, qui est inaccessible à tout changement hi- destructible et toujours la même, tandis que l'unité incom- plète, considérée en soi et isolée, n'acquiert une subsistance vraiment individuelle que dans la génération, et perd par la mort ce qu'elle a gagné par cet acte. Se perdant de nou- veau dans l'espèce d'où elle est venue, elle ne vit qu'en elle et par elle; mais, considérée en soi, elle périt et dispa- rait pour se dissoudre jusque dans ses derniers éléments. Si donc l'étincelle de l'immortalité doit Ijriller au front de la nature mortelle, il faut qu'elle y descende d'en haut; il faut qu'à l'élément terrestre vienne s'en ajouter un autre d'origine céleste et possédant en soi une unité véri- table.

Ur nous savons que les choses se sont passées de cette création

sorte; car il nous a été dit que Dieu forma l'homme de la ^^^^ -^^

rieure poussière de la terre, qu'il soufila sur sa face le souffle de

la vie, et que l'homme devint ainsi une âme vivante. Il le

forma d'abord de la poussière de la terre, et en fit non un

cadavre mort, mais un animal plein de vie. doué d'instincts

lob Formation hf. l h<»m\ie.

énergiques et d'une activité qui le sollicite sans cesse. Le trouvant alors prêt à recevoir une àme imuiortelle , il la lui souffla sur le visage, et c'est ainsi que Thomme devint le double chef-d'œuvre de ses mains. C'est dans le centre même de la vie du premier homme que s'est a»"Compiie cette insufflation mystérieuse; et se sont unis par un lien in- dissoluble Tànie animale, issue de la terre, et l'esprit, émané du ciel. La première, ayant ainsi trouvé dans le second une unité complète et durable, participe à son im- mortalité, tandis que lame des animaux ordinaires ne dure que dans l'espèce. Cette union a donné naissance à une formation nouvelle. L'.àme soufflée par Dieu dans le corps de l'homme a établi son siège dans la tête, et il s'est ainsi formé, vis-k-vis du centre de la vie animale qui ré- side dans le cœur, un nouveau centre pour une vie plus élevée. De là, descendant par degrés, elle pénètre de ses influences tous les systèmes et tous les organes, et se donne à eux à mesure qu'ils se donnent eux-mêmes à elle. Le jeu de la vie consiste donc dans un double mouve- ment, l'un par lequel lame descend vers le corps, et l'au- tre par lequel ie^ puissances de la vie corporelle montent vers l'àme. Les deux hôtes qui logent dans cet édifice fra- gile qu'on appelle le corps humain, l'esprit ou Lame supé- rieure, et l'àme inférieure ou la psyché, se prêtent un mutuel concours. Celle-ci, servante de la première, exé- cute les ordres qu'elle en reçoit; celle-là, maîtresse indul- gente, se prête avec condescendance aux désirs et aux besoins légitimes de lautre: et toutes deux ensemble cons- truisent en commun la maison qui doit les loger, et tien- nent pour ainsi dire d'accord le ménage. Les puissances supérieures del'àme sont ( ommeentivlncéesavec les forces

1"0RM\TI<)N 1)1. J. HOMMK. l.jT

o\ les esprits L'iénieiitaires, et leur action commune se ma- liilesle dans un grand nombre de fonctions. L'esprit, libre de sa nature , sacriile de sa liberté ,, et se laisse pour ainsi diie contenir et lier par le corps. Celui-ci, de son côté, naturellement esclave de la première, se trouve aflranchi jusqu'à un certain point par cette union et ce commerce si honorables pour lui, et est élevé au-dessus de ses limites naturelles.

Mais il est impossible que ce commerce habituel et intime Des lem entre 1 esprit et lame, pnncipe de la vie corporelle, ne d.^^c^r.r produise pas entre eux un échange de propriétés, et que ^'^'ï''"^' chacun des deux ne reçoive pas quelque chose de l'autre, en même temps qu'il lui donne du sien; et ces influences réciproques doivent produire des qualités spécifiques, qui distinguent chaque individu des autres hommes. Les ins- tincts de la nature animale deviennent des dispositions de la nature humaine, et donnent naissance aux difïérents tempéraments. L'esprit, de son côté, sous linfluence de ces instincts, reçoit certaines qualités qui forment les dif- férents caractères. Ces tempéraments et les caractères qui leur correspondent se divisent en quatre espèces diverses , rar ils sont le résultat des influences que l'âme reçoit des di\ erses régions de la vie animale , laquelle repose elle- même sur les quatre- éléments. Or de môme qu'en chaque. animal les quatre éléments et leurs esprits élémentain-s se trouvent mêlés selon certaines proportions, et que la place qu'il occupe dans le règne animal est déterminée par l'élément qui domine en lui , ainsi entrent-ils dans la composition de chaque tempérament, qui reçoit sa forme et son empreinte de celui qui l'emporte sur les autres. Nous avons vu plus haut '|u"il) a dansThoonne une partie.

158 FORMATION DE l/ HOMME.

et comme une vie végétale^ qui sert de base et d'appui pour

toutes les autres. C'est dans la vie végétale surtout que ces

quatre éléments se trouvent unis par une combinaison plus

étroite ; c'est donc elle aussi qui forme comme la racine

du tempérament dans chaque individu^ quoiqu'elle ne

serve point à le classer. >^ous avons vu de plus qu'à la vie

végétale^ à cause de ses rapports avec l'air et l'eau^ se

tempo- rattachent et le vol de l'oiseau et la natation du poisson.

nents , . , , i

luuin ^ ^^"^ par analogie que la base de tout tempérament se

egmati- divise en deux espèces, à savoir le saniruhi et le fle^mia- lue.

tique. Dans le premier, c'est l'oiseau qui domine en

l'homme, et qui lui donne cette vivacité et cette mobilité que rien ne peut fixer. Dans l'autre, au contraire, c'est la nature du poisson qui l'emporte, et qui donne aux hommes de ce tempérament cette lenteur dans les mou^ ements, ce calme dans l'action, ces facultés toutes passives contre l'inertie desquelles viennent souvent se briser la fougue el les efforts des caractères les plus impétueux. Tantôt le poisson repose commodément sur les flots, se laissant bercer par eux ; tantôt, suivant le courant , il se laisse em- porter par lui; ou bien, luttant patiemment et sans effort contre lui, il revient à son ancienne place. Parfois il plonge jusqu'au fond de l'eau , ou monte pour quelques mstants à sa surface, pour s'y agiter et s'y récréer à sa manière. D'autres fois encore, mais rarement, certains individus privilégiés essaient de voler quelques instants dans l'air. Le tempérament lymphatique, en ce cas, se trouve mêlé dans une forte proportion avec le tempéra- tempe- nipijt sanguin. nents ^

lérique De même qu'à l'origine la terre était partagée en deux

limie " éléments, à savoir la terre et le feu radical , de même aussi .

lORM.VTlON DE 1." HOMME. 1.»'»

en continuant la division des tempéraments, nous trouvons une seconde opposition donnant naissance à deux autres tempéraments, le mélancolique et le cholérique, qui mar- quent la personnalité d'une empreinte plus profonde, et donnent à la vie quelque chose de plus large et de plus profond à la fois. Le premier semble être soumis surtout aux influences de la lune et de la nuit. Dans Tordre des sentiments il a plus de flux que de reflux, et dans l'ordre des affections il préfère celles qui sont intimes à celles qiu éclatent au dehors par de vifs transports. Dans l'action il a plus de patience et de constance que de promptitude et de vivacité. Il sert plutôt de poids que de ressort, plutôt d'enclume que de marteau, de même que dans Tordre de TinteUigence il reçoit plutôt les choses qui se présentent à lui qu'il ne les cherche de lui-même. L'aspiration chez les hommes de cette trempe est lente et profonde, et la respi- ration courte et prompte. Si la force productrice leur man- que , elle est souvent bien compensée chez eux par cette faculté précieuse laquelle, saisissant le fond des choses, les travaille dans le silence avec calme et lenteur, et les re- produit au dehors après les avoir revêtues d'une forme convenable. Le tempérament cholérique se distingue par des qualités opposées, l'n feu dévorant circule dans les veines du cholérique, échauffe sa poitrine et anime son regard; de sorte que tout son être porte les traces de Télément qui domine en lui. Semblable au feu, le plus puissant de tous les éléments, il pousse, il excite, il électrise ; mais en même temps_, toujours pressé, il précipite, il consume, il dévore, tandis que le mélancolique, plus impressionnable, plus in- flammable, plus facile à émouvoir, mais en même temps plus recueilli, plus souple, plus concentré, se laisse volon-

160 lUhMAÏlON DK i/hOMMK.

tior? dùminer par le premier, et trouve en lui ce qui re- penti aux besoins de sa nature. Celui-là est donc dans riiomme la. bète fauve., laquelle habite solitaire dans ce feu interne que chacun de nous porte en soi. Celui-ci, au contraire, participe davantage à la nature de ces animaux plus doux et plus paisibles, dont le sang a une chaleur plus tempérée, mais au^^i plus féconde: qui, à cause de cela, sont plus sociables, et vivent plus volontiers ensemble ou dans la compagnie de 1" homme. C'est ainsi que les di- ^ erses natures dont se compose en quelque sorte la nature humaine exercent toutes, chacune à sa manière, une in- tiuence plus ou moins considérable sur l'àme, dans les régions inférieures. Mais la région la plus haute elle-même ne saurait échapper à leur action, quoi([u*elle y soit moins sensible; et elles marquent leur empreinte sur ce qu'on appelle la physionomie spirituelle de l'homme, tandis que dans les régions moyennes elles contribuent pour une grande part à la formation du caractère. Et c'est ainsi que chaque liomme se distingue des autres, sous le rapport moral, par un degré différent d'énergie et de mobilité, selon la nature de l'élément qui domine en son être.

Nous venons de voir comment l'àme, dans le premier homme , descendant par degrés dans tous les domaines de la \ ie, "\ a établi sa demeure. Mais ce n'est que le premier aite du drame qui doit se continuer sur une échelle plus grande dans le cours de l'histoire. L'àme doit maintenant, par un procédé coiitraii'c . remonter d'où elle est venue, et se dégager peu à peu des liens de ce corps mortel qui la retient captive. Or le premier acte s'est accompli sans le concours de l'àme, pai' raction d'une puissance snpérieure: c'est par l'action de cette même puissance qu'elle pourra

KiKMniON DK l.HoMMi:. U". t

.- itllrHiicliiicli's liens de la mortalité, etrelouiner à-'^a sûai-ee. Dieu, qui au commenremcnt a souiflé lame danslepremiei- homme, a voulu depuis la chute que cette même àme sortît du corps au moment marqué dans ses décrets éternels; et, riieure une fois arrivée, il la reprend et l'aspire de nou- veau, comme il Ta rcspiréeà lorigine. Et ce qui s'est ac- compli alors par un acte unique dans la souche de l'huma- nité, se répète et se continue sans cesse dans le cours de rhisloire; car sans cesse Dieu, dont la fécondité est inépui- salde. souftle de nouvelles âmes dans les corps que la i.'éné- lation a préparés aies recevoir;, comme sans cesse aussi il reprend les âmes qu'il a créées. Ainsi la vie de 1" homme s'écoule entre ces deux termes, la naissance et la mort. Issue d'un uerme^, elle commence par la vie végétale, puis elle s'élève à celle des animauv inférieurs, développant da- Lord les forces vitales les plus intimes, et passant par degrés jusqu'à celles qui produisent les mouvements spontanés; et c'est après qu'elle a parcouru ainsi l'échelle du règne animal tout entier qu'on voit l'homme s'épanouir dans l'homme, et déployer toute la magnificence de son être. Ces degrés, au reste, sont visibles, et peuvent être constatés par l'observation. Mais à ce mouvement d'ascension et d'évo- lution de la vie humaine à son commencement correspond à .son déclin un mouvement d'involution^ par lequel elle se replie sur elle-même, jusqu'à ce qu'épuisée elle s'ar- rête, et laisse se dégager les divers éléments de la nature humaine.

C'est ainsi que l'homme s'élève sur cette terre Dieu a Rapport'

ii\é sa demeure, en parcourant des cercles crui deviennent '''P'"''*!'

^ enU-e Ih

loujours plus étroits à mesure qu'il monte davantage^, en- rnoetla

Iduré d'abord du moi.de (\p< éléments, puis des natures or- '"^*^'

402 lOh.MÂTiON DE l'hommk,

ganiques qui sont déjà dans un rapport plus intime avec lui, pu i^; enfui des autres hommes , ses semblables. Faisant partie de Tensemble de cel univers^ il ne peut manquer d'être en rapport avec lui. De plus, placé à l'origine au centre de cet ensemble, au point tous les rayons co!!- vergent, il participait aussi à la nature de ceux-ci, et était à leur égard commeun centre vivant. Ce rapport intime vavec l'univers entier irétait pas toutefois le même à l'égard ilc tous les êtres qui le composent; mais il était plus ou moins étroit, selon que la nature de chacun d'eux correspondait plus parfaitement à la sienne. Or l'univers se divise d'a- bord entre le ciel et la terre. Lhomme lui-même, dans sa partie terrestre, a quelque chose du ciel: et la lumière or- ganique qui gît au fond de son être n'est elle-même qu'un reflet de celle du soleil, lise trouve donc en rapport et avec la terre et avec le ciel. D'un autre côté, son corps se com- poïve de quatre éléments, correspondant aux quatre élé- ments dont la combinaison foi^me cette teiTe: il se trou^^', donc aussi en rapport par avec le monde élémentaire. On peut dire la même chose des forces mécaniques et dynamiques , dont le jeu s'accomplit et dans son être et dans le monde extérieur: de sorte qu'encore de ce coté 11 est dans un rapport continuel avec la nature. Le règne végétal au dehors rencontre ce qu'il y a de végétal en lui; le monde animal répond également à la partie animale de son être : et entin, dans le cercle plus étroit encore de la nature humaine, un lien plus intime aussi unifies indi- vidus appartenant à l'espèce. Ce commerce, partagé d'un cùté d'après les règnes de la nature, se divise d'un autre côté d'après les régions de la nature humaine ; et comme tdle eu compte trois principales , à savoir celle de la vie ,

FORMATION DE l'hOMMI:. IG3

celle lie l'action et celle de la perception spirituelle. l'homme peut entrer en rapport avec la nature en trois manières différentes. Ma'is ce rapport est réciproque; car les rayons qui vont du centre à la circonférence retour- nent de celle-ci au premier. Par les rayons qui partent de lui, l'homme agit sur la nature extérieure ; et comme cen- tre au contraire il reçoit les impressions et les influences de la nature. Cependant la partie inférieure de l'âme se trouve seule engagée dans ces rapports a\ec le monde extérieur, et ils n'en affectent la partie haute que parce que celle-ci, toutes les fois qu'elle veut agir au dehors , est obligée d'avoir recours à la première, et de s'en servir comme d'un instrument.

L'homme supérieur, d'après sa destination primitive, cesrapp: devait, par le moyen de l'homme inférieur, pénétrer la""^f'^^ nature de son regard clair\ oyant, la dominer avec toute la péché puissance de sa liberté, et l'animer pour ainsi dire de sa propre vie ; il devait être ainsi tout à la fois son architecte, son administrateur et son chef. Mais depuis que par le pé- ché il est tombé du centre Dieu l'avait placé, et que cet univers a perdu en lui son centre de gravité, il en est ré- sulté un bouleversement général. Il est bien vrai que le monde a trouvé entin un nouvel équilibre : mais en dehoi'S de l'homme, qui, par conséquent, loin d'être affranchi par de l'empire de la nature, lui est devenu assujetti par des liens plus intimes au contraire. 11 ne peut se soustraire à ces liens que par de grands efforts et une lutte incessante ; lutte d'autant plus pénible que son ennemi est à la fois et en lui et autour de lui. Mais, connaissant sa force, il a, dès le commencement, accepté courageusement le combat, et a lutté courageusement jusqu'à ce jour. De même qu'il a

ICi FORMATION hV. l.'liuMMK.

(nitiv (■ 1,1 Ifiié à kl sueur de sou fj oui,, de mî-me aus.si il a travaillé avoe uiie iufatigable persévérance le champ de la science . non moins ingrat que celui qui lui fournit le pain mrtériel. Eniin . dans l'ordre moral, il a su mettre un frein auv instincts opposés qui divisent son être, et lui font vou- loir une chose pendant qu'il en désire une autre. Il a ac- cepté noblement le combat que lui offrait la nature; et, armant les puissances de cette dernière les unes contre les autres, il n'a point cessé de lutter jusqu'à ce qu'il l'ait as- souplie et contrainte à accepter sa loi. 11 s'est rendu maître jusqu'à un certain point de lui-même et de ses puissances inférieures : de sorte que, quoique afïaiblies et dérangées par la mort qui a pénétré en elles , elles peuvent encore >'unir dans une harmonie passable: et quoi({ue souvent vi'U<' haruioiiir' -oit tiuublée par la maladie . elles ont en- core assez de force pour pouvoir, sous son influence, reje- ter au dehors l'élément qui les trouble, et retrouver l'ordre et la paix. Au reste , ces efforts ne sont pas seulement louables, ils étaient encore nécessaires et commandés par Dieu, et c'est pour cela que Dieu les a bénis. L'esprit hu- main a fait des merveilles en ce genre, et jusqu'ici il a su résoudre avec bonheur ce cpii pouvait être résolu dans le problème soumis à ses investigations ; de sorte que, par un progrès sage et lent et par une attention soutenue, il a pu reconquérir en partie l'empire qu'il avait perdu, sinen- Outre ces rapports généraux et ordinaires, il en est d'au- dans la {^.^^ q^J çqj^| inaccoutumés et exceptionnels. Outre ces dis- positions universelles, et que l'on retrouve partout dans l'homme et dans la nature, il en est d'autres qui sortent tout à fait des règles ordinaires, et qui donnent lieu dans la \ if 111' riiiiiiune. comme en cidle <le la nature, à des états

njUMATlU.N 1>K LHUMMI:. K'-i

^iijiiuliers. Kt d'abord, pour ce qui concerne les disposi- tions, ou trouve quelquefois, bien rarement il est a rai, des hommes qui, soit par un don de la nature^ soit par la concentration des puissances formatrices sur un point uni- (jue, semblent avoir conservé dans quelques parties de leur être un reste de ce pou^ oir que lliomme avait à l'origine: de sorte qu'ils apparaissent au milieu des autres comme une anomalie. Les rapports primitifs se trouvant conservés en partie, dans la direction du moins de cette faculté extraor- dinaire, l'homme qui en est doué entre,, à l'égard des cer- cles et des puissances de la uature qui correspondent à ces rapports, dans des relations bien différentes de celles au milieu desquelles nous vivons. Son regard pénètre dans des rédons fermées à tous les autres ; ou bien encore il com- mande à certaines forces de la nature qui se montrent re- belles à quiconque n'a pas reçu le même don que lui. Dans tous les cas, il résulte de des rapports tout à fait en de- hors de la physique ordinaire, et que l'on peut considérer à cause de cela comme appartenant à la magie: magie natu- relle, il est vrai, parce qu'elle a son fondement non dans la vulonté, mais dans une disposition de la nature, et que sa tendance est toute naturelle. Or. comme la nature est in- dillérente en soi sous le rapport moral, il doit en être de même delà magie naturelle ^ quoiqu'elle puisse se pailager en deux branches, lune salutaire et l'autre nuisible ;, et qu'elle puisse, de ces deux cotés, conduire au mal ou se terminer par lui.

Pour ce qui concerne les états produits par ces disposi- tions^ on en voit se manifester dans la nature et dans la vie, qui produisent dans lune et dans l'autre comme une sorte d'inspiration passagère, ou bien au contraire certains liens

iHfi H.«KMATlU>i 1)K J." HOMME.

qui arrêtent leurs mouvements; et ces états^ sans être pour cela surnaturels , s'écartent néanmoins d'une manière sen- sible du cours ordinaire des choses. Nous citerons ici pour exemple le procédé de la fermentation . On sait que la matière saccharine, que le soleil développe dans tous les fruits verts, ou que la germination tire de l'amidon du blé^ éprouve, sous l'influence de la chaleur et de 1" humidité^ la fermen- tation alcoolique. Les éléments renfermés dans le sucre sont dissou.- : une partie s'échappe sous la forme de gaz acide carbonique . tandis que l'autre forme un l'ésidu qui se dé- pose au fond de la dissolution , et que l'alcool reste au rai- lieu; de sorte qu'au lieu du sucre il ne reste plus qu'une substance molvile; volatile, combustible et altérée pour ainsi dire d'oxNgène. Or le produit qui résulte de cette disposi- tion, et en général tout autre produit organique, dès qu'il vieillit,, et qu'il n'a plus la force de se défendre contre l'in- ^ asion des forces de la nature, passe à une troisième espèce fie fermentation, à savoir la putréfaction; ici les divers élé- ments du corps se séparent par une dissolution interne, suite de l'épuisement des forces vitales. La foraie organi- que, que la vie maintenait auparavant dans une union har- monieuse. se décompose, et les résidus, sortant tout à fait du cercle de la vie, retombent dans la nature inorganique. Cependant le produit de la fermentation spiritueuse or- ganique continue d'être en rapport avec le corps qui lui .«servait autrefois de substratum. Lorsque la grappe refleurit àMadère^ le vin qui en a été tiré l'année précédente se re- mue dans le tonneau qui le renferme jusque par delà les mers^ et une nbuvelle fermentation spiritueuse se déve- loppe. Il y d donc une espèce de sympathie mystérieuse en- tre ces deux actes; et comme dans la végétation la plante

FOKMATIU.N l>fc L HOMMt. lo<

pariourleii i?t'cret tous les degrés de la feriDcntatioii orga- nique , on peut dire que la fermentation douce ou <ucrëe correspond à la geniiination;, et la fermentation spiritueuse à la floraison ; de sorte que le mouvement du vin dans le tonneau est coiiime une floraison , tandis que la floraison de la grappe est comme une fermentation spiritueuse qui s'accomplit dans les organes sexuels. Or ce rapport continu entre les produits du règne végétal s'étend jusque dans le règne animal, auquel le premier se rattache d"aiUeurs par un lien naturel. En vertu de ce rapport, les produits de la fermentation exercent une influence contagieuse sur lor- ganisme animid; de sorte que, transportant en celui-ci l'analNse et la sMitîièse dont ils sont le résultat, ils les re* produisent en lui à sa manière, et l'entraînent ainsi hors de rornière de la vie ordinaire. Ainsi l'esprit du vin, communiquant pour ainsi dire sa nature au sang, et plus encore aux esprits neiTeux , dans une ivresse passagère . excite et accélère le mouvement de la ^ie, et y produit une fermentation animale correspondant à celle du vin, laquelle, chez ceux qui abusent habituellement desliqueui-s fortes, finit par pénétrer jusqu'aux parties solides de l'or- ganisme, et les rend teUement combustibles que le contact léger d'une ilamme suffit quelquefois pour les bniler. Cette combustion subite de la vie ne se borne pas aux région;? iid'érieures du corps, mais elle s'étend aux régions supé- rieures, et même jusqu'aux fonctions de l'esprit, comme le sait quiconque a eu occasion d'observer un homme i^ re, ou de contempler l'image que nous en a tracée saint Ambroise clans son livre à'Élic et du Jeime, c. xvi : « De vains fan- tômes, nous dit ce grand évèque, flottent devant l'esprit de l'homme enivré par les fumées du vin ; sii sue est in-

1*>8 KuK.\iArio> i>L i/homml.

CL'rtiiiiie t'I ses pas cliancelanls. L'un saute par-des-iis une ("ijibre, la prenant pour un fossé; l'autre in.eline la tète A ers la terre, puis se redresse tout à coup et s'incline de nouveau. Quelques-uns tombent sur le visage, saisissant la terre avec leurs mains , parce qu'ils se croient entoures de montagnes. Des bruits semblables aux mugissements de la mer ou de l'incendie retentissent k leurs oreilles. Us pren- nent des chiens pour des lions, et senluient devant eux. Les uns poussent des éclats de rire continuels, les autres plcn- i-entdes chagrins imaginaires et sont inconsolables, tandis que d'autres encore ont des visions qui les épouvantent sans raison, rêvent éveillés, et se querellent endormant. » La fermenlation putride, de môme que la spiritueuse, se communique à l'organisme par la contagion. Les miasmes que couve la putréfaction, lorsqui's pénètrent dans l'or- ganisme, y développent, on le sait, dans les maladies contagieuses, un procédé animal analogue, d'où sort un nouveau miasme semblable à celui qui l'a produit d'abord. ?s»ion Nous voyons donc surgir dans la vie deux états didérents lomme ^^ inaccoutumés. Dans l'un, la vie, dégagée, pour ainsi ture, dire, au moins d'un coté, des liens qui la retiennent, ac- ([iiiLit une nouvelle énergie par une excitation passagère, tandis que dans l'autre, au contraire, liée davantage, affai- blie et brisée, elle marche vers la décomposition. De jésuite une multitude de moditications et de phénomènes divers, selon que les produits et les miasmes de la nature, qui produisent ces deux effets opposés, attaquent tel ou tel système dans l'organisme. Comme d'ailleurs le coi'ps est aussi une subtance naturelle, soumise à diverses influences internes, ces deux états peuvent se développer en lui sans aucune contagion extérieure; et il peut arriver alors

lOKMAllU.N liJ: L IIUMMI.. l'il'

<iu il cuiuQiuiiiqae aux autres par la contagion les uiiasnjes (]ui se sont produits en lui de cette manière. Dans l'un et lautre cas il peut surgir des rapports l'homme extérieur semble acquérir sur la nature une certaine énergie, nui- sible ou salutiiire. Mais au fond, quels que soient Tessence et le résnltat de ce commerce intime avec la naturel" homme intérieur et supérieur devient par plus dépendant d'elle ou de son propre corps ; car ce qu'il a reçu de la nature, il ne l'a qu'autant qu'il se laisse pénétrer par elle. Or plus il se laisse pénéti'erpar la nature,plus aussi elle le possède. Ouelquefois il lui arrache en quelque sorte ce qu'elle i-en- terme en soi de vivant, et, remportant sur elle la ^ ictoire. il dispose à son gré du butin qu'il a conquis, et en enrichit pour ainsi dire sa propre vie. Mais s'il est vaincu dans la lutte, ou s'il a le malheur de céder aux influences de la na- Uire, sans réagir contre elles, il en devient l'esclave: cl, (luoiquau dehors il semble enrichi par elle, il est au fond plus pauvre qu'il n'était auparavant. Dans cette excitation extraordinaire de la vie, le tlux qui se manifesie dans un endroit suppose ailleurs un reflux qui lui correspond; de sorte qu'il perd d'un coté ce qu'il gagne de l'autre, et ce- lui qu'atteint la contagion maladive doit payer d'une por- tion de sa vie le miasme qui s'est introduit dans son corps. Lorsque la nature a vaincu l'homme dans celte lutte, eUe s'enrichit des dépouilles qu'elle a conquises sur lui, et fait la maitresse en son coi-ps, qu'elle enlace dans ses fllets si la vie n'est pas assez forte pour dominer par une crise sa- lutaire cette étrangère orgueiUeuse et pour la jeter dehors. Dans cette possession de la nature, le possédé s'échappe en quelque sorte à soi-même, et devient comme un membre et un organe de celle-ci. Cependant, lorsque ces excita-

1*0 FOP.MAIIO DE LH0M31E.

tioiis ou ces dépressions des forces vitales sont le résultai d'une disposition innée, et par conséquent des dons heu- leux ou funestes pour celui qui les possède, elles peuvent, nuisibles ou salutaires, se soustraire à cet esclavage ; mais elles passent dès lors dans un autre domaine.

On comprend que dans cette possession de la nature il doit se manifester des phénomènes non moins singuliers que les états d"oii ils résultent, et dont la singularité aug- mente avec le degré de l'obsession. Les phénomènes de l'i- vresse uous frappent moins, il est vrai, parce que nous les avons souvent sous les yeux; mais il est d'autres subs- tances dont l'action spécitique produit dans l'organisme d'étranges altérations, que la physique ordinaire ne saurait expliquer. Il en est de même des maladies qui se produisent souvent autour de nous : leur caractère anormal et ex- centrique nous échappe, à cause de l'habitude. Mais il en est d'autres, surtout parmi celles qui attaquent les sys- tèmes supérieurs de la vie, ou qui pénètrent profondément dans l'organisme, ce caractère excentrique se révèle d'une manière tellement sensible que l'esprit le plus obtus en est frappé, et qu'elles semblent trahir l'influence de quelque puissance mystérieuse. Qui ne se rappelle encore les phénomènes extraordinaires qui ont accompagné le choléra lors de sa première apparition, et combien la mé- decine ordinaire s'est montrée impuissante contre lui. Ce Caractère mystérieux s'est manifesté à diverses époqnés sous une forme visible. C'est ainsi que Procope, dans son livre de la Guerre de Perse, parlant de cette peste fameuse qui éclata sous le règne l'empereur Justinien , raconte que l on tit apparaître alors sur les places pubhques et en secret « sous des formes humaines , des fantômes qui frap-

luKMATlÙN DE L IIÛMMi;, 1 T l

pait'iii les gens, et que ceux-ci étaient attaqués delà pe«le. Les uns étaient frappés la nuit en songe^ d autres en plein jour et parfaitement éveillés. La même chose arriva jors de la grande peste qui eut lieu sous le règne de Cons- tanlin c:opronyme. Théodore Studite, dans son discours sur la \ ie de Platon , rapporte qu'on apercevait sur les vête- ments des malades certaines taches qui semhlaient avoir t'té imprimées par une main invisible. C'était le signe d'une mort prochaine, et les pauvres patients se plaignaient d'une manière lamentable des misères qu'ils avaient à souftrir de la part des fantômes qui leur apparaissaient.

De quelque manière qu'on explique ces phénomènes, on ^oit que, dans ces grandes calamités qui affectent profon- dément la vie, celui qu'elles frappent, ébranlé jusqu'au loiid de son être, entre dans des rapports qui ont un ca- ractère mystérieux. Tous les phénomènes de ce genre, soit qu'ils viennent d'une disposition naturelle, soit que leur apparition ait été favorisée par certaines manipula- tions, soit qu'ils aient été produits par le jeu de certaines puissances inconnues de la nature, tous ces phénomènes ont leurs racines en celle-ci, quoiqu'ils semblent s'élever au-dessus d'elle, et ils appartiennent à la magie naturelle, laquelle tient, pour ainsi dire, le milieu entre la physique mathématique ordinaire et la mystique supérieure. C'est précisément à cause de sa base naturelle qu'elle est indif- rérenle en soi sous le rapport moral. Mais comme d'un autre coté elle est placée sur la dernière limite de la na- tiu'e, elle peut facilement perdre ce caractère d'indiiîé- rence, et devenir un instrument du mal, soit que la ^ie tendue d'un coté et surexcitée outre mesure se tourne d'elle-même, dans un excès d'orgueil, vers le mal, soil

H'i h^Fl'oias '♦lY.STlvLT.S M. 1. Hu>lMr. WY.i lA NVTLRi;.

que la inort semée dans l'organisme prépare les v»>ies à celui-ci par suite de cette affinité secrète qui existe en Ire le mal physique et le péché. Dans les deux cas, cette magie peut devenir la base de la mystique diabolique, et fournir à celle-ci le fondement physique sur lequel elle s'appuie. C'est donc ici le lieu den parler, parce que la mystique diabolique, bien différente de la divine, repose sur une l)ase créée, et par conséquent psychique et physique à la fois. Nous l'étudierons donc dans ses éléments essentiels et dans les différents domaines de la nature oii elle se pîo- dnit.

j

CHAPlTT^i: Vin

Rapports mystiques île la vie avec le ciel el les astres. Infliieiiee des corps célestes sur les éléments par la pesanteur dans le flux et le reflux. Action du feu sur la production de la chaleur du jour et de Tannée. Le niaanétisme dans son mouvement quotidien . mensuel , annuel et séculaire. Comment la nature physique tout entière est dans^un mouvement continuel: et comment la terre se trouve ainsi en rapport tantôt avec la lune, tantôt avec le soleil. Action de ces nuanements sur le rèsne végétal, sur le règne animal et sur rhomme. Influence des astres sur les fièvres. Comment les astres peuvent agir aussi sur la vie par un mouvement interne et un rapport spirituè"!, el donner ainsi naissance à la magie el au\ \i-loii-.

La physique a reconnu depuis longtemps l'influence que les corps célestes, et principalement le soleil et la lune, exercent sur le monde terrestre. Cette influence s'exerce

daliord par la pesanteui', et dans un l'apport tel que l'a»'- liiiu du soleil étant exprimée par un, celle de la lune est <\)iriniée par trois. Mais elle s'exerce encore parle moyeu

RVPK>RT.S MV>ÎIQi;i:s l>t; l.'uOMMt AVt<: lA .NATlRt. 1 7 i!

(le la liimiôiT et de la chaleur ; et ici l'action du soleil est de beaucoup supérieure à celle de la lune. Pour ce qui con- cerue ractiou de la pesanteur, c'esi surtout dans l'élément de l'eau et par les phénomènes du llux et du reflux qu'elle l'^u ^ux e se produit. La gravitation des deux corps célestes agit iné- galement sur les eaux placées à la surface de la terre. Ils sollicitent les parties du globe les plus voisines, et au zénith desquelles ils se trouvent, plus fortement, et les parties les plus éloignées , au nadir desquelles ils se trouvent, moins fortement que celles qui se trouvent à peu près à 00° soit au levant soit au couchant. Par suite la mer montera aux lieux qui occupent les deux premières positions, et descendra dans ceux qui occupent les deux dernières. C'est le mouvement diurne de l'élément, mouvement qui , dans le cours d'une rotation de la terre , -i

le fait monter deux fois dans le flux et descendre deux fois dans le reflux. Comme d'un autre côté, à la pleine lune et à la nouvelle lune, les actions des deux corps cé- lestes s'unissent dans la même dii-ection, au lieu qu'elles se limitent réciproquement aux deux quartiers, il résulte de lii pour la mer un second mouvement mensuel de flux dans les syzygies et de reflux dans les quadratures. Et ce mouvement, combiné avec le mouvement diurne, rend les flux plus hauts et les reflux plus bas dans la première pé- riode, et l'un et l'autre moins marqués dans la seconde. Ei comme, d'un autre coté, dans la révolution de la terre avec la lune autour du soleil , l'action des corps célestes sur l'élément atteint son maximum au temps des équi- noxes et son minimum au temps des solstices, un troisième mouvement annuel se rattache aux deux premiers, et dans les circonstances favorables amène an temps des équinoxes

174 RAPPORTS MY.ST1QUKS DE l'hOMME WEC LA NATURE.

les hautes marées, et au temps des solstices les marées basses. Enfin ^ les lignes des apsides de l'orbite de la lune et de celle de la terre ont également leurs révolutions régu- lières. Comme l'action des astres atteint son maximum dans les périgées et les périhélies, et son minimum dans les apogées et les aphéhes, et que la combinaison des deux influences entre elles et avec les autres semble déterminée par cette révolution, aux trois mouvements de l'élément s'en ajoutera un quatrième, séculaire, lequel peut pro- duire un accroissement ou une diminution selon les cir- constances.

Après les mouvements cosmiques de l'eau, ceux de l'at- mosphère ont été constatés avec le plus de précision, quoi- que la mobilité plus grande de ce dernier élément et le mélange des causes qui agissent sur lui ne permettent pas d'apprécier ses mouvements avec autant d'exactitude que ceux de l'eau. L'atmosphère a donc aussi ses mouvements ; et c'est dans les contrées tropicales, en pleine mer, qu'ils se produisent avec le plus de régularité. Tous les jours, en effet, elle monte en deux flux et redescend en deux reflux ; de sorte que c'est vers midi et minuit, tous les jours, que tombe la hauteur moyenne du baromètre indiquant ces mouvements. Puis, dans la plus grande oscillation de la journée, le mercure, pendant le flux, vers 9 heures 19' du matin, monte à environ 0,48 lignes plus haut, et redes- cend au contraire pendant le reflux, vers 3 heures 50', à 0,0 i lignes plus bas que cette hauteur moyenne. De même aussi, dans le mouvement moins considérable de la nuil, vers 10 heures 6' du soir, le flux élève le mercure à 0,41 lignes, tandis que le reflux le fait descendre à 0,36 Ugnes vers trois heures 40' du matin. Mais comme le calcul n'a

KAFPuRTS MY.STJQIE.S DE LHOM.ME AVEC LA NATURE, i7o

lixé le maximum de l'action réunie de la pesanteur du so- It'il et de la lune qu'à près de 0,28 lignes, il résulte de t|ue dans les flux et reflux beaucoup plus forts de lalmo- s})hère concourent encore d'autres forces que celle de la pesaiiteur. Les observations faites relativement à l'électri- cité de lair ont mis sur la trace de ses forces. En effet, on a constaté dans cette dernière deux flux et reflux quoti- diens qui s'accordent assez bien avec ceux de la pesanteur. Le reflux atmosphérique est le plus fort quelques heures après le soleil levé, lorsqu'à lieu la chute de la rosée du ma- lin . Puis il décroît à mesure que l'air devient plus serein, jus- qu'à ce qu'il atteigne son minimum quelques heures avant le coucher du soleU. Puis encore quelques heures plus tard il recommence à croître avec la chute de la rosée du soir, et décroît de nouveau jusqu'à ce qu'il atteigne son second minimum, quelque temps avant le lever du soleil. Comme dans les contrées tropicales le lever et le coucher du soleil ont lieu presque toute l'année à 6 heures du matin et du soir, les deux flux électriques doivent s'y produire vers 8 heures du matin et du soir, et les deux reflux vers •i heures de la matinée et de l'après-midi; de sorte que leur force moyenne tombe à midi et à minuit, presque en même temps que les phases des mouvements indiqués par le baromètre. Aux mouvements produits dans l'atmo- sphère parla pesanteur des corps célestes viennent donc se joindre d'autres mouvements produits par la lumière de ces corps dans l'élément du feu qui est uni avec l'air. Ces mouvements opèrent de leur côté des séparations et des dissolutions dans l'élément de l'eau unie sous la forme de vapeur avec l'air et le feu : or tout cela doit influer sur le baromètre. Cette perturbation plus forte étant produite

ï'ij RAPPORTS MYSTKilEri DE LHOMME A\H( LA NaTIUI:.

parles corps céleste? en tant qu'ils sont lumineux . taudis que les poiturbations les plus faibles sont excitées par eu\ eu tant qui].- sont pesants, nous ne devons pas nous éton- iiei que le mouvement mensuel de l'élément, dépendant des phases de la lune, et bien plus encore le mouvement séculaire qui se rattache à des révolutions plus élevées, nail pas été fixé jusqu'ici d'une manière très-précise. Or c'est précisément parce qu'on n'a pu observer d'une ma- nière exacte ces deux mouvements mensuels et séculaire- qu'on s'est appliqué à bien constater le mouvement an- nut'i : et il est résulté des études faites à ce sujet que. tan- dis que dans le mouvement quotidien les reflux et les flux acquièrent plus de force au moment de la transition du jour à la nuit et de la nuit au jour, le llux annuel caractérisé par l'état moyen du baromètre le plus élevé est accom- pagné, vers le solstice d'été, par le minimum, et vers le solstice d'hiver par le rnn.rimvm des oscillations autour de cette po.-ition moyenne, tandis qu'aux équinoxes, en même temps que les hauteurs ont une valeur moyenne , les oscillations sont peu ditTérentes et tendent à se renfer- mer dans les mêmes limites, liienceda Si les mouvements produit? dans l'atmosphère pai- la gravitation des coi-ps célestes se mêlent et se confondent ainsi avec ceux que leur lumière et leur chaleur opèrent rii elle et dans l'eau qui lui est unie, les mouvements du cubjrique, (jni n'est pas soumis à la pesanteur, doivent au-si de leur ci)té éprouver «-ertaines perturbations par la rt'actiun des autres éléments de l'air, de l'eau et même de la terre. 11 est difhcile de reconnaître la loi qui préside à ces perturbations, et l'on ne peut la découvrir que par desc<al(uls rait> >ui un u:raiid nombre d'observations cou-

tinuées pendant lon^rtemps. Pour cela, après avoir observé le thermomètre aux diverses heures du jour, on a re- présenté les observations par une coiii-be composée de quati-e arcs paraboliques, et à l'aide d'une quadrature on a déterminé la chaleui- moyenne du jour et les heures oii elle se produit. On a constaté de cette manière que, sous les hautes latitudes, celte chaleur moyenne tombe à heures 13" du matin ; que de elle monte plus vile d'abord, et plus lentement ensuite, jusqii'à ce qu'elle ait atteint son maximum vers 3 heures après raidi ; après quoi, descendant de nouveau, plus vite dabord, plus lentement ensuite, elle atteint pour la seconde fois, vers H heures 20', sa température moyenne. Enfin elle des- cend pendant la nuit, et atteint son minimum entre i et .'i heures du matin, pour remonter promptement ensuite à sa température moyenne, mettant ninsi 0 heures iO " à mon- ter et 14 heures 20" à descendre. On ne s'est pas con- tenté de cela, mais on a cherché à constater par le même procédé les températures moyennes des diilérenls mois de l'année, dans les divers lieux de la terre, avec leurs dé- viations extrêmes, soit au-dessus, soit au-dessous de leur moyenne, il est résulté de ces observations qu'ici encore, malgré les oscillations irréL:ulières en apparence, un mou- > ement annuel parfaitement réguher agite cet élément , et y produit des reflux et des flux comme dans l'air et leau; qu'entre les tropiques ce mouvement consiste en un double changement, tandis que sous les latitudes plus élevées on n'en remarque qu'un seul. On a remarqué en effet que , dans cette dernière forme de mouvement , la chaleur atteint la moyenne entre ses deux exti'émes, deux fois dans l'année, vers le 2 ;ia ril rjjj '1 1 nrtidnr ; mir ces

^r «T. MICHAEL-a \^ f V (Vf* I mnw J te

178 RAPPORTS MYSTIQUES l»E LHOMME AVEC LA NATLIŒ.

extrêmes eux-mêmes tombent entre le 1 8 juillet et le 4 août d'une part , entre le 3 et le 24 janvier de 1" autre. c"est-à- dire, en moyenne^ vers le 2(i juillet et le 14 janvier. Après avoir comparé ces températures moyennes aux différents lieux de la terre dans les isothermes . on a constaté encore que ceux-ci se concentrenldans Thémisphère septentrional autour de deux pôles de froid, dont le mouvement règle les équations séculaires pour la marche de la chaleur de la terre.

De même que les autres éléments, celui qui forme priji- cipalement la partie solide de la terre se trouve aussi mêlé à ces mouvements. Outre la pesanteur, qui est commune à tout ce qui est terrestre, le magnétisme, lequel est exclu- sivement propre aux corps solides, joue ici un très-grand rôle, et peut >ervir de cette manière à exprimer lesmodi- iicationsdecet élément. L'observation a donc constaté que la force magnétique de la terre subit aussi des changements f[uotidiens: que son intensité atteint le maximum à 8 heures du soir, et son mininum à 9 heures du matin, et qu'elle descend peu à peu pendant la nuit, de même qu'elle monte peu à peu aussi pendant le jour. On a observé encore qu'au temps du passage de la lune à ses nœuds l'intensité de la force magnétique diminue, ce qui indique dans ses mouvements un cours mensuel. D'autres obser- vations ont appris que le maximum de son intensité tombe en hiver, et est accompagné d'oscillahons plus grandes: tandis que son minimum, accompagné de variations diur- nes moins considérables, tombe en été; ce qui prouve qu'il y a aussi en elle un mouvement annuel. Enfin , on a remarqué une diminution annuelle dans cette force, et l'on a amsLCtiu^UUii,.en elle une variation séculaire. Les

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HAPPORTS MN&TIQLES WE LHOW.Mt ATtC LA NAILIŒ. 17 9

oscillations périodiques de l'aiguille d'inclinaison etdelai- L'uilie de déclinaison prouvent aussi que la force magnétique de la terre dépend du mouvement des corps célestes. Pour ce qui concerne la terre, on a constaté que le matin, à l'heure cette force , étant dans son reflux , atteint le minimum de son intensité , l'inclinaison de l'aiguille atteint son njaximuni, tandis qu'elle atteint son minimum le soir. Quant à la déclinaison de l'aiguille , on a constaté dans des obsenalions récentes que celle-ci, sur la terre et au-des- sous d'elle, jusqu'à une profondeur les variations de température de la surface ne peuvent pénétrer ;, atteint le maximum de sa déclinaison à Test vers 8 heures lo' du matin; puis que, retournant à l'ouest , elle atteint sa dé- clinaison moyenne vers 10 heures 30', et que, continuant son mouvement de rétrocession , elle atteint le maximum de sa déclinaison à l'ouest vers 1 heure 43'. Elle se re- tourne ensuite vers l'est, atteint de nouveau sa déclinaison moyenne vers 6 heures 30' du soir; puis, après un court moment d'arrêt, continuant à marcher dans la même direction, elle atteint une seconde fois, vers 8 heures 1 3' du matin, le maximum de sa déclinaison à l'est. Si jusqu'ici l'observation n'a pu encore constater de mouvements men- suels dans l'aiguille, elle a pu en apprécier le mouvement annuel avec une grande exactitude , et constater que l'ai- guille atteint le maximum de sa déclinaison à l'est, le matin en été, de meilleure heure qu'en hiver, et que la \ariation quotidienne de son mouyementva toujours crois- sant depuis le solstice d'hiver jusqu'à celui de l'été, elle devient double. Les obsersations faites sur l'aiguille depuis trois ^ècles portent à croire que les quatre pôles magnétiques de la terre, qui coïncident avec les pôles du

J t<0 RAl'l'OUrs AnMiyLt?» DL l'homme AVI.(. la NAILKI::.

froid, éprouvent leurs variations périodiques en 2, 3, 4, 10 t'ois iJO ans. ippnrt de Le moiide matériel se trouve donc entraîné^ avec toutes soleil et la ^^^ l'orces et tous ses cléments^ dans un mouvement conti- luiie. jiuel, en liant, en bas; à droite^ à gauche; en avant et en arrière; et ces mouvements, réglés d'après certains retours périodiques déterminés, se croisent et se combinent d'après d'autres règles encore. Dans ce va-et-vient incessant, c'est la vie de la nature qui se révèle; c'est son pouls que l'on sent battre; c'est son souffle qu'elle nous envoie; c'est en- lin comme la systole et la diastole de son cœur. Mais les forces qui produisent ce mouvement sont de deux sortes : l'une lie et l'autre délie; la première se produit comme force centripète, et la seconde comme force centrifuge dans la gravitation; dans le principe calorique- lumière, c'est au contraire la force expansi\e qui joue le premier rôle. Le magnétisme et l'électricité, dans des sphères moins étendues, viennent se rattacher à Tun ou à Tautre. De ces deux forces résultent donc, comme nous l'avons vu, dans les phénomènes causés par la pesanteur ou par la chaleur, deux flux, l'un qui se rattache principalement à la lune et l'autre au soleil. De plus, elles sont au fond la cause des A ents irréguliers , des orages , des tempêtes qui sont pé- riodiques dans les contrées tropicales, et qu'on pourrait considérer en quelque sorte connue des maladies produites par le soleil et la lune.

;lueiicede S'il en est ainsi des règnes élémentaires de la nature,

)utes ces

lusessur ^i^us devons retrouver quelque chose d'analogue dans les

isregne? x-èunes orsauiques. En tant qu'ils ont en eux une vie al, et sur propre et indépendante, ils ont des mouvements indépen- dants, fondés sur les lois de leur vie même; et^ d'un autre

nAi'i'ui'.is MvsTiorbs i>e lhummi: avkc ia .natlkk. |S1

cùté, en tant qu'ils sont on contact [)ur une multitude de points avec la nature physique et qu'ils font ainsi partie d'un \aste ensemble^ ces mouvements doivent se trouver lies et combines a>ec ceux de cet univers. Ce lien se fait remarquer surtout dans le règne végétal, qui plonge bien plus avant que les autres dans la nature physique, et qui, par conséquent, est iissujetti davantage à ses lois. Aussi, dès les temps les plus anciens, on a entrevu cette influence mxsté rieuse des astres sur le monde végétal. Dès les temps les plus anciens, on a cru généralement que chaque jour le soleil produit dans la plante un état analogue à la veille, tandis que pendant la nuit elle semble sonmieiller. On a constaté également que les phases de la lune ont une in- fluence marquée sur la plante; que certains changements se produisent dans l'économie de celle-ci avec les quar- tiers de la lune , et que les fluides montent et descendent dans ses vaisseaux, d'une manière parallèle au mouve- ment de cet astre, treize fois dans l'année, d'après certaines observations. Quant au mouvement annuel de la plante, il se manifeste de la manière la plus évidente dans la floraison, qui en détermine toutes les autres modifications, et dont l'é- poque se rattache à certaines positions déteruiinées de la terre, dans sa révolution autour du soleil. Ces observations ont été confirmées par celles que Dutrochet a faites derniè- rement surlachaleurdesplantes, aumoyen du thermomètre électro-magnétique. Il a prouvé que la chaleur vitale des plantes, toujours plus élevée que la température du mi- lieu ambiant, monte depuis dix heures du matin jusqu'à trois heures après midi, après quoi elle descend probablement vers le soir jusqu'à son degré moyen, et continue de des- cendre pendant la nuit jusqu'à ce qu'elle atteigne son mi- ni. 6

182 RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME AVEC LA NATURE.

iiimum. 11 a observé cette loi de croissance et de décrois- sance même dans 1" obscurité lu plus profonde. Quoique ce mouvement soit indépendant dans la plante , il est néan- moins parallèle à celui de la chaleur atmosphérique^ et réglé comme tous les autres par la loi du flux et du re- flux. Cette loi se prolonge du règne végétal jusque dans le règne animal, nous apercevons dans tous les do- maines, jusqu'à Thomme inclusivement, ces mouvemejits périodiques de progrès et de retour, qui sont même ei! partie plus prononcés dans Thomme que dans les autres espèces. Chaque jour, la vie tourne, pour ainsi dire, au- tour de son axe, en présentant tantôt son côté lumineux et tantôt son côté obscur; et son développement semble ré- glé et déterminé par le nombre 7, qui est le nombi-e de la lune. La grossesse de la femme dure dix mois lunaires, composés chacmi de quatre semaines, qui forment aussi l'époque de la menstruation. La poule couve ses œufs pen- dant trois semaines, et le serin pendant deux semaines. L'échelle de la vie de l'homme est également déterminée par le nombre 7 ; de sorte que c'est lui qui règle tout son développement corporel, sa croissance et toutes Its crises qui agitent sa vie, tandis que, d'un autre côté, tous les mouvements vitaux, particulièrement dans les systèmes inférieurs et surtout durs celui de la veine porte, semblent se rattacher à ce môme nombre. Le règne animal tout en- tier est gouverné dans le cours de sa vie par la marche de l'année, et par les nombres 3 et 4, qui s'y manifestent d'une manière toute spéciale. De même que la plante at- teint l'époque de sa floraison sous un signe céleste déter- miné, et par conséquent sous un certain degré de force dans la lumière^ fixé d avance, depuis le solstice d'hiver

RAPPORTS MVSTIQIKS hE L IIUMME AVEC I.\ .NATURE. 183

jusqu'à celui de l'été, ainsi le temps du rut pour chaque aiiimalest réiilé par le cours des astres. L" homme lui-même, quoiqu'il soil moins sujet à cette loi , sent néanmoins la vie monter en lui à mesure que le soleil s'élève, tandis qu'elle semble descendre à mesure que descend ce dernier.

L'homme a en lui une vie propre et interne, qui le sous- Influence ..1' 1 > 1 11 . des astres

trait davantage encore a cette dépendance a laquelle sont sur les fie- assujettis les autres animaux. Mais la nature semble re- ^''^^• prendre ses droits sur lui dans la maladie. Déjà l'anti- ([iiité , chez qui le sens de la nature était si développé, avait à ce sujet des notions très-exactes; et lorsque Gai- lien formula pour la première fois chez les Grecs la doc- trine dos jours critiques et de leurs rapports avec les phases de la lune , il ne lit que transporter en Grèce les j-ésultats des observations faites bien a^ant lui par les prêtres-médecins de ^ÉfJl^pte. Ici encore des observations faites dans les contrées tropicales , le cours de tous les phénomènes naturels se produit d'une manière cosmique et réglée, ont ouvert la voie et donné une base assurée pour des investigations postérieures, jusqu'à ce que l'on puisse arriver à des résultats certains dans les zones plus élevées, la nature a une marche beaucoup moins régulière. En Orient comme en t)ccident, partout, les médecins eu- ropéens, Gillespin et Jackson dans la Jamaïque, Balfour dans les Indes orientales et d'autres ailleurs, ont li'ouvé établie chez les indigènes, dans toutes les professions, dims toutes les castes et dans le peuple lui-même, la doc- trine de l'iuiluence de la lune sur le corps humain. Cette seule circonstance, que chaque changement de la lune aug- mente le )iùuibre des malades, dut convaincre de cette \érité. Les mouvements internes qui règlent les fonctions

iNi i:\l'r->i;i- .\|^^1IULK^ IH. l'ho.M.MK AVtL LA >ATl Kh.

(le rorgaiiisiiie dans le cours oïdiiiaire de la Aie, laquelle possède en soi-même une lone solaire et une force lunaire, suffisent pour coiitre-balancer par leurs réactions les intluences extérieures. Mais lorsque la maladie a af- faibli et brisé les forces vitales , elles ne peuvent plus réa- gir contre ces intluences. La nature, plus forte que l'orga- nisme, y fait, pour air.si dire, invasion ; et, s'emparant de quelque système particulier du corps humain, elle y dé- pose ses miasmes contagieux, ) établit des centres faux et irréguliers, autour desquels s'accomplissent des mou- \ements faux et désordonnés aussi, réglés d'après le tApc des mouvements cosmiques, et qui agitent la vie dans un tlux et un reflux fiévreux.

lialfour surtout a fait là-dessus dans le Bengale des ob- servations très-profondes, dont il a consigné le résultat au connnencement au hiiitiènjG vulume des Bedierches asia- tiques. Il distingue deux sortes de dispositions, Tuneparo- xAsmale et l'autre critique. La première, provoquée par des causes extérieures, dispose à des accès de fièvre plus ou moins violents, selon le degré de son développement. La seconde, non moins variée dans son action, tend au contraire au dénoùment de la maladie , selon le degré de sa maturité. Or il a constaté, après de nombreuses expé- riences, que, lorsque la première disposition est complète, l'action combinée du soleil et de la lune produit des paro- xysmes qui, apparaissant de douze en douze heures, coïn- cident dans une analogie parfaite avec les mouvements de la mer, tandis que , lorsque celte même disposition est plus faible, cette analogie est moins parfaite, et les accès coïn- cident avec le second, le troisième, le quatrième ou même le cinquième soulèvement de cet élément. Les fièvres de

RAPPORTS MYSTigtK> DE J.HôMMK AVEC I.\ .WTIHE. iSi;

toutes sortes, quolidieniios , inlermilteutes, tiorcos ol quartes, appartiennent à ces deux types et se règlent d'a- près eux. Balfour a découvert de plus que les paroxysmes surviennent principalement pendant le flux, et augmen- tent d'intensité à mesure que celui-ci croît, tandis que les crises se rattachent surtout au retlux. Il résulte de que les différentes espères de lièvres se circonscrivent d'une manière diverse d'après leur durée ; car elles sont pro- duites par la force croissante des astres combinée avec la disposition maladive, tandis que le décroissement de cette même force combinée avec l'accroissement de la disposi- tion critique les amène à leur terme. Il a constaté encore que la puissance d'un astre à produire des paroxysmes ou des crises est plus grande, d'une part au temps des équi- iioxes et de l'autre au temps du périgée de cet astre, que dans les solstices et les apogées; de sorte qu'encore ici les marées hautes et basses peuvent être considérées comme l'expression du maximum et du minimum de leur action sur l'organisme. Mais ces influences ne se bornent pas seulement aux fièvres; elles s'étendent également à toutes les maladies, qui, lors môme qu'elles se développent dans les systèmes plus élevés, ont pourtant leur foyer dans le système gastrique. On a observé spécialement dans l'épi- lepsie qu'elle produit de nouveaux accès régulièrement tous les mois dans le même jour, et souvent à la même lieure la première attaque a eu lieu.

Parmi toutes ces influences, celle de la lune est la plus considérable : c'est donc elle qui agit principalement dans toutes les maladies la vie est liée et comme paralysée. Elle détiTjit l'équilibre de la vie en faisant prédominer en elle l'influence d'un milieu faux et anormal; elle décom-

18 G RAPPORT? MYSTIQLT.? DE l'hOMME AVEC L\ NATURE.

pose, pour ainsi dire, le mou^ ornent vilal en Jeux directions contraires qui se succèdent tour à touF;, et font passer le corps du froid à la chaleur et de la chaleur au froid. Mais il est d'autres maladies oii la vie , loin dètre liée et para- lysée, est surexcitée, au contraire^ et semble comme affran- chie de ses liens. Ces dernières paraissent se rattacher par des signes non moins certains au soleil et au cours de l'an- née. Elles ont principalement pour foyer les poumons; car pendant leur cours c'est surtout par le moyen de l'air que l'organisme est mis en rapport avec le feu de l'univers, tandis que c'est surtout sur le système du grand sympa- thique et le système de la veine porte qu'agissent les mala- dies qui paralysent le mouvement vital. 11 est donc facile de comprendre pourquoi les inflammations pulmonaires sont plus fréquentes en hiver, et celles du foie en été ; pourquoi plusieurs espèces de manies se retrouvent plus souvent dans telle ou telle époque de l'année. On pourrait donc appeler les maladies de la première espèce maux lunaires, et les autres mikux solaires. Les unes et les autres déplacent en quelque sorte le centre de la vie, et la ren- dent excentrique, les premières en assujettissant son cours à celui de la lune , les secondes en la polarisant dans ses vibrations d'après l'état du soleil. Rapports Mais ce n'est pas seulement du dehors que la vie peut ^v^lliom- ^^^'^ <?xcitée de cette manière par les astres. Ehe peut en- me et les core se livrer à eux pour ainsi dire, ou bien se trouver en rapport avec eux par suite de certaines dispositions natu- relles. Or, dans ces deux cas, "elle tombe pour ainsi dire sous leur juridiction , et l'empire qu'ils exercent sur elle est comme une sorte de possession. La symbolique qui rè- gne en ces domaines marque naturellement de son eni-

RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC L\ NATURE. 187

preiiite tous les rapports de la vie. La nature entière change pour ainsi dire d'aspect. Les forces physiques deviennent des puissances divines : le soleil et la lune gouvernent le monde, d'abord sous les noms de Baal et de Baaltis, d'Hé- lius et de Sélène, plus tard sous ceux d" Apollon et d'Arté- mise. L'attrait de la pesanteur, qui pousse les masses les unes vers les autres, se change en un rapport spirituel. l,a lumière qui rayonne des corps lumineux devient vision, et la chaleur qui accompagne cette lumière produit l'en- lliousiasme et les orgies des mystères du paganisme. Dans les cosmogonies indiennes, le lotus, image du monde, flotte sur les eaux del'abime, cachant dans la corolle de sa fleur le germe de la terre. Le soleil et la lune sont comme le pistil et l'anthère que celle-ci élève vers le ciel. C'est dans les vastes espaces du firmament, et par la lumière, comme par une semence mystérieuse, que s'accomplit la fécon- dation, qui descend ensuite vers la terre pour produire son fruit quand le temps est arrivé. Baal est donc le grand semeur, celui qui donne la lumière et la vie. Baaltis est la mère qui fournit la matière que doit féconder le premier. C'est elle qui, sous le nom de Lucine, apparaît bonne et gracieuse ici-bas, qui aide chaque fruit, dans le sein ma- ternel de la terre, à achever le cours des lunes qui lui est fixé d'avance , et qui l'amène , quand il est mûr, à la lu- mière et à la vie. Mais comme toute vie consiste dans une reproduction interne et continue, le soleil et la lune ne donnent pas seulement la vie, ils la consenent encore. Bien plus . ils la détruisent lorsque l'heure est arrivée , ou lorsque, dans leur colère, ils en coupent le fil avant le temps. Le même Apollon, qui, comme père du dieu de la santé, est aussi le dieu de la médecine et dont les traits en-

iSH RAPPORTS MYSTIQUES DE 1 'HOMME AVEC L\ NKTIRE.

thimuiL'.- perceul le draj^oii de la peste dans son gouffre, tire aussi de son carquois les flèches de la maladie : et la même Artémise, qui nourrit^ soigne et protège ce monde, passe aussi de la bienveillance à la colère. Sous le nom d'Hécate , elle agace avec ses chiens ceux qu'elle hait, et les chasse devant elle comme somnambules. Sous le nom (le Mené ^ elle envoie les manies et la folie. C'est d'elle en- lore que viennent les maladies des lunatiques : elle s'a- charne contre les femmes, et leur envoie des maladies sin- gulières; de sorte que, pour désigner ces victimes d'une puissance supérieure, on dit qu'elles sont frappées par Artémise_, ou, dans un langage plus prosa'ique, qu'elles sont lunatiques. {Symbolique de Creuzer, part. II. ;

Ces forces si puissantes et si actives, il faut gagner leur faveur et leur bienveillance ; ou bien , si elles sont imtées contre l'humanité, il faut les réconcilier avec elle. Mais pour cela il faut avoir recours à ceux qui leur sont déjà plus intimement unis. Ces derniers doivent avoir des visions qui leur fassent connaître les désirs et les volontés de ces puissances. Us doivent apparaître comme étant dans un rap- port actif avec elles, de sorte que, touchés par elles, ils puis- sent à leur tour les émouvoir et les disposer en leur faveur. Voyants et mages à la fois , ces hommes sont des prêtres consacrés à lem* service. Us ont pour cela une voca- tion spéciale, laqueUe se révèle dans leurs dispositions na- turelles, ce qui s'accorde très-bien d'aiUeurs avec le culte de la nature, dont Us sont les prêtres. Mais, de plus, ils sont choisis par les dieux eux-mêmes; et leur mission a son fondement dans un don naturel et dansun privilège attaché à leur naissance. Ces dons et ces privUéges apparaissent partout d'ailleurs dans le domaine de la nature. C'est par un

RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME ATEC LA NATURE. 189

don que le fer est propre aux phénomènes du magnétisme, et la tourmaline à ceux de l'électricité. Les prêtres qui sont ainsi en rapport avec le soleil et le feu lumineux forment les races sacerdotales des fils du soleil et des seniteurs d'Apollon. Ceux, au contraire, qui se trouvent plutôt en rapport avec la lune composent la famille des enfants de la lune qui s'est répandue surtout parmi les femmes.

Ces dons naturels étaient, il est vrai, plus communs dans l'antiquité qu'aujourd'hui. Ils ont cependant toujours été très-rares; mais toujours aussi le besoin s'en est fait sentir. Il a donc fallu penser à préparer par certains exer- cices ascétiques d'autres hommes, désignés déjà par leur naissance, à recevoir les influences des forces de la nature. Ceux-ci ont été initiés par les premiers, et ont reçu des en- fants du soleil l'illumination mystique, comme la lune re- çoit du soleil sa lumière. C'est ainsi que s'est formée toute une école d'inspirés et de voyants. L'abime des aftections, des pressentiments et des émotions extraordinaires que le genre humain renferme en soi, s'ouvrant dans toute sa lar- ixeur, et ces sentiments, trouvant une libre issue, montent jusqu'aux régions supérieures de l'homme et s'en rendent maîtres. Lorsqu'au printemps les sources de la vie se rem- plissent de nouveau, et que les prêtres phrygiens célèbrent le mariage du soleil incarné dans Attis avec Cybèle , les cymbales retentissent, et l'esprit de la nature, qui éveille au son du cor une sainte fureur dans les âmes , pousse ceux dont il s'est emparé à des danses guerrières et sau\ages, qui, dans leur rh\thme, représentent le cours des astres. Puis, lorsqu'à l'aulonnie le soleil épuisé s'atîaisse, et que la imit de l'hiver qui approche menace de l'envelopper de ses ombres, les prêtres phéniciens pleurent dans les sons

190 RAPPORT? MYSTIQUES DE l'HOM.ME AVEC LA NATURE.

plaintifs de la flûte la blessure, la langueur et la mort de leur Adonis.

Tel a été, sous des formes diverses, le culte de la na- ture dans le paganisme; et ces états extraordinaires étaient tellement répandus que l'antiquité croyait voir en eux la manifestation de tout un côté de la vie , à savoir le côté nocturne. Elle a même donné à celui-ci la préférence sur le côté lumineux; et c'est ce que nous fait entendre Pla- ton lorsqu'il dit dans son Phédon que, d'après le témoi- gnage des anciens, une fureur divine vaut mieux que la rétlexion purement humaine. Et ce n'était point l'effet d'une dégénération produite par le temps, comme on a iherché à le faire croire dans ces derniers temps: mais nous retrouvons déjà ces états dès la plus haute antiquité, et les anciens Védas, comme Ta très-bien fait remarquer Windischmann, cherchaient déjà aies expliquer. A la vue de ce pouvoir magique que le soleil, qui guide les chœurs des astres dans le ciel, exerce autour de lui, les anciens s'étaient imaginé qu'en lui était le centre de toute existence visible et la porte qui conduit au monde invisible. C'est pour cela qu'il est dit de lui qu'il est le feu sacré au miheu du monde céleste, la source de la sagesse et de l'intelli- gence , le fondement de toutes les notions, la source de la vie, d"oii jaillit et retourne tout être vivant; « parce que , comme on le lit dans le Prasna rpanischad, il attire tout à soi de toutes les contrées de l'univers, avec les rayons qu'il laisse échapper. » Sa lumière pénètre partout avec sa puissance, et est cachée au fond de toute chose. C'est par elle que le monde entier est manifesté; elle vit en tout, dans ce qui est immobile, aussi bien que dans ce qui se meut. Mais sa lumière est la lumière du Seigneur,

RAPPORT? MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA NATURE. 191

lu iuQiière de Brahma le ci-éateur, qui devient visible en lui. Brillant des splendeurs de la divinité, il fait jaillir dans les intelligences seulement la flamme de l'amour, el se servant d'elles comme de ses messagers, il transforme par elles le monde entier. C'est lui qui accomplit les œuvres de tous les esprits, qui engendre et conduit toute chose, et qui annonce à l'abîme lui-même les puissances du Sei- gneur. C'est Brahma qui luit dans le soleil; c'est en lui que le soleil est devenu toute chose, même les Yédas, de même que les Vcdas sont redevenus le soleil. Il est le cen- tre de la vie du monde ; c'est lui qui l'a engendré , et c'est la lune ou la terre céleste qui l'a enfanté : et tous deux sont unis dans l'ioga par une sorte de mariage céleste. El lie même que l'époux tient renfermé en soi, comme utie se- mence précieuse, le feu lumineux qui féconde toute chose, ainsi Amrita, sa femme, possède en elle l'eau lumineuse de la vie et de l'immortalité. C'est elle qui donne une forme et un corps, dans cette eau lumineuse, au germe qu'elle a conçu sous le souffle de Pranas, c'est-à-dire de l'air. Puis, lorsque la lune est dans son plein, elle revêt les fonctions du principe masculin , et féconde à son tour la terre , qui lui est unie par une sorte de mariage. Brahma, de qui sont issus le soleil avec son feu lumineux, la lune avec l'eau de la vie et le souffle qui les anime tous les deux, Brahma conduit pendant le jour, par le moyen du premier, les œuvres des esprits, et se reflète la nuit dans la seconde , ayant toujours les yeux fixés sur ses destinées.

Mais le soleil est encore le feu sacré dans lequel Brahma s'immole comme la victime suprême. Quiconque veut être illuminé par Brahma, affranchi des liens de la pesan- teur terrestre et délivra des filets du plnjsir et de la souf-

192 RAPPORTS MYSTIQUES DE L IIOM.ME AVEC LA NATURE.

fraiice, s'il a recours au soleil, arrivera certainement à le contempler j, et sera saisi et pénétré par ses rayons divins. La lumière lui devient partout présente, comme aussi il lui est présent partout. 11 se dit à soi-même : Je suis le grand esprit illuminateur et créateur qui est dans le so- leil; et en disant cela il devient lui-même cet esprit; il devient en lui lumière et soleil , il a trouvé la voie qui conduit au monde de la lumière. Le soleil, qui voit et comprend tout, communique sa vue pénétrante à ceux qui riionorent; il entlamme en eux la vie terrestre de son feu lumineux, et les rend lumineux eux-mêmes. 11 est en eux le principe et la cause de toute connaissance ; il les sou- lève et les attire par un attrait magique et irrésistible ; et dans cet essor de la vie il les affranchit des liens terrestres. Ils entrent de tout leur C(jeur dans Tloga ou l'union a^ec le soleil, qui, les conduisant jusqu'à cet esprit immortel, les fait entrer dans le monde invisible, et leur rend Tem- pire qu'ils avaient perdu sur la nature. Ces hommes, dont l'œil participe à l'énergie du soleil, sont dans un rapport intime avec lui; ils sont les enfants du soleil. Issus de la bouche de Brahma et couvant dans leur cœur sa lumière, ils naissent dans le monde des ténèbres, lumineux par eux- mêmes, c'est-à-dire Brahmes. Ce sont ces fameux Ris- chis des premiers temps, ces hommes au cœur dompté, qui ne connaissent ni la joie ni la douleur; ces voyants de naissance, qui, descendus de l'océan de la lumière et attirés sans cesse par le foyer du feu sacré de l'univers , ont été allranchis des liens terrestres par le soleil. Sa lumière est devenue pour eux la cause efilciente de toutes leurs con- naissances : en elle ils sont devenus toutes choses, voient tout, et prononceni des oracles ([ui leui- sont inspirés par

RAPPORTS ilYSTlQUES DE l'hOMME AVEC LA NATURE. 193

lui. L;i lumière leur est venue de la lumière; et unissant dans un saint mariage leur lumière personnelle avec Brahma;, le principe de toute lumière, ils se réveillent en lui et peuvent embrasser le monde. Mais de même que le soleil , uni dans un mariage mystique avec la lune, l'astre l'éminin, se communique aux enfants de celle-ci, mariés mNstiquement à leur tour avec elle, ainsi le soleil peut entrer dans un rapport semblable avec d'autres natures, plus disposées cependant à recevoir les intluences de la lune. 11 peut s'unir à elle, soit immédiatement, soit par riuterniédiaire de celle-ci, lorsqu'elle agit sur la terre comme principe masculin dans Tétat d'opposition; car l'homme devient tout ce avec quoi il s'unit dans l'Ioga. Ouiconque donc se laisse aller à l'attrait de la lune prend sa forme ; quiconque introduit son esprit dans l'esprit dont la lumière de la lune n'est que la splendeur devient lui- même lumineux à la manière de la lune, et reçoit la sa- gesse de celle-ci. Tous ceux qui ont reçu le même don forment parmi les Brahmes la race des enfants de la lune, qui, dans l'ordre des temps, venant immédiatement après les enfants du soleil, ont mis leur cœur en rapport avec le tlambeau de la nuit.

Tel est ce culte des astres du ciel, lesquels attirent la vie terrestre par un attrait magique et irrésistible; de sorte qu'embrasée des ardeurs de la piété elle s'immole à Rrahnia, de même que celle-ci s'immole dans son feu sacré comun* \ictime suprême. C'est ainsi que s'est établi le culte du .-(jleil, celui de la lune, des planètes et des étoiles dans le Sabéisme; ce culte qui a entlammé d'un tel enthousiasme les âmes si impressionnables des hommes dans les premiers hmps. l ne soif inexlinpuihle de la vie sidérable latlaclie

104 RAPPORTS MYSTIQUES DE l'HOMME AVEC LA NATURE.

rhomme aa centre de l'univers. Enchaîné par un attrait puissant, il s'y livre avec toute Tardeur de son âme et se laisse dominer par lui, afin de pouvoir ainsi ou rassasier la soif qui le dévore dans l'eau pure et limpide de la vie, dont la lune est la source , ou s'enivrer au calice du soleil de la lumière qui en déborde, et participer à sa splendeur. Le cœur, une fois devenu semblable aux astres, veut con- ^erser faniilièrement avec eux. A mesure qu'il s'approche d"eux davantage, il se sent enlacé davantage aussi dans leurs liens. 11 acquiert dans son commerce avec eux une délicatesse de sentiment qui le rend accessible aux impres- sions les plus légères : tout changement qui arrive en euv: le touche d' une manière sensible, et sa vie se trouve comme mêlée à leurs mouvements. Les progrès du soleil dans sa carrière lummeuse à ti-avers les signes du zodiaque, il les sent tous au fond de son être. 11 aide ce héros du ciel dans sa lutte contre les puissances des ténèbres. Il pleure lors- que celles-ci, victorieuses après Téquinoxe d'automne, coupent la chevelure lumineuse du guerrier; il se réjouit, au contraire, lorsqu'au printemps celui-ci, se dégageant de leurs étreintes, apparaît de nouveau dans tout son éclat. Les phases de la lune se reflètent de la même manière dans un autre foyer vital chez les lunatiques. Lorsque la lune décroît, la vie chez eux perd de sa plénitude, tandis que, lorsque la lune croit, au contraire, leur vie monte avec elle et acquiert une nouvelle énergie. Chez les uns comme chez les autres la vie est profondément affectée et affecte Vàme supérieure à son tour. De ce va-et-vient, ce flux et ce reflux continuel que l'on remarque chez les enfants de la lune et du soleil. Lorsque cet état est l'effet des influences physiques des astres, il vient du dehors et suppose une

RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME AVEC I.\ NATURE. lO.'i

contrainte extérieure. Les voyants lunatiques ne calculent point comme les savants les oppositions, les conjonctions et les quadratures de la lune ; mais ils les sentent au fond de leur être par le moyen de ces impressions qui produisent en eui leurs rapports avec l'astre des nuits. Et les voyants (lu suleilj, Je leur côté, sentent la force de cet astre monter ou descendre aux mouvements analogues qu'éprouve en eux la lumière interne qui les pénètre. Chez les uns et chez les autres l'astronomie n'est pas une science, mais elle fait en quelque sorte partie de leur vie; ils sont sous le charme de la nature, et comme ensorcelés par elle. C'est de cette manière qu'ils puisent dans les astres leurs oracles, et ac- complissent par eux ces effets magiques qui nous étonnent, ils expriment, non sous des formules algébriques, mais sous le voile poétique des mythes, ce qu'ils ont senti au fond de leur être.

Nous veiTions se produire de nos jours les mêmes choses si le christianisme n'avait aboli pour toujours le culte des astres; car l'attrait qui attire l'homme vers eux existe tou- jours en certaines natures exceptionnelles, comme on a pu le voir tout dernièreaient encore chez cette rhabdomante du lac de Constance, dont nous parlerons ailleurs plus en détail. D'après ses déclarations, il existait un certain rap- port entre ses doigts et les corps célestes, lequel semble "être révélé à elle à l'apparition de cette comète qui lit tant de sensation en 18 1 1 . Ses doigts s'allongeaient ou se ployaient lorsqu'elle les tournait vei's une planète ou une étoile fixe. Son pouce était attiré avec plus de force par la lune lorsqu'elle était pleine , tandis qu'il était repoussé par Jupiter, Mars et Vénus. L'indicateur était attiré parle pùle nord et repoussé par le pôle sud; c'était le contraire pour

lOli R\PPÛRT.> MYSTIQUES DE L HOMME AVEC LA NATURE.

i" annulaire. Le doigt du milieu était ployé par les étoiles tixes, surtout par Sirius, par les deux Gémeaux^ par Aldé- baran et par les étoiles de pretuière et de seconde gran- deur;, tandis que le petit doigt était en rapport avec le soleil et la comète. Les corps célestes agissaient après leur cou- cher d'une manière toute contraire à celle dont ils avaient agi lorsqu'ils étaient au-dessus de l'horizon. Ainsi, par exemple, le soleil . qui allongeait pendant le jour son pe- tit doigt, le ployait une fois le soir arrivé. {Isis, 1818, p. 145.; Zschokke voulant s'assurer de ces faits, un matin, comme un nuage couvrait encore tous les objets, lui banda les ^ eux avec un mouchoir, et après l'avoir fait marcher quelque temps dans toutes les directions , pour la tromper hur la position des points cardinaux, il l'arrêta tout à coup en lui disant d'indiquer l'état de l'étoile polaire. Elle se mit à lever peu à peu, et toujours plus haut, le bras avec les doigts allongés, tandis que son corps se tournait lente- ment. On remarqua un tremblement convulsif à l'un des doigts qui étaient allongés, pendant qu'elle fermait les autres. Elle indiqua enfin le lieu de l'étoile polaire ; et une boussole qu'on avait apportée en secret prouva que son in- dication était exacte.

La voyante de Prevorst était aussi très -accessible aux intluences du soleil et de la lune. Lorsque le ciel était obs- rur, et dans les jours le soleil ne paraissait pas, elle était affectée d'une autre manière que lorsque le temps étnit serein: l'arrivée et le départ d'un nuage suffisait dt^jà pour produire en elle ces impressions. Mais elles de- venaient bien plus vives, chaque jour, deux heures avant et deux heures après le passage du soleil par le méridien. VMv \ oyait alors les objets situés toujours plus bas. <le

RVM'OI'.TS NnsTiyLKS DE l.HoMME AVEC LA NATIP.K. 1 Tl 7

Miitf qu'à lu lin ils lui paraissaient comme au foiul diin abîme, et lui donnaient comme une sorte de vertige. Elle voyait les hommes grands comme un buste. Avec cela, elle ne senbitpas son propre corps. Si elle remuait le bras, elle le trouvait plus léger et plus vide encore, et éprouvait un sentiment pénible. Elle sentait aussi une pression dans l'oc- ciput et les tempes. A partir du jour le plus court jusqu'au plus long, son agitation nerveuse et son état singulier aug- mentaient; mais aux solstices elle éprouvait toujours dans l'estomac un grand bien-être, et il lui semblait qu'elle al- lait désormais être tranquille. Elle sentait comme quelque ciiose de rond dans l'estomac et dans le cenelet, et de ces deux points un doux repos descendait dans tout le corps. Elle n'avait plus de vertiges; elle croyait entrer dans un autre monde, n'était plus inquiète comme auparavant, et sa santé s'améliorait de jour en jour jusqu'au mois de jan- >ier. Quand elle regardait la lune, elle était triste et sentait un frisson; la menstruation la prenait aussitôt, mais ne durait qu'aussi longtemps qu'elle la regardait. Cependant elle continuait sans interruption toutes les fois qu'elle se couchait du coté de l'occident, tandis qu'elle se produisait d'une manière régulière lorsqu'elle se couchait du coté du sud. iLo Vdijanfe ih Prerorat, P'" vol., p. 1 33.'^

198 RAPPORTS MYSTIQUES DE LHOMME AVEC LA NATURE.

CHAPITRE IX

P.appoits mysticpies avec le monde terrestre élémentaire. De la facnllé (le voir et de sentir les substances terrestres. De l'œil pénétrant des Zahuris. Comment la faculté de sentir réside dans le sens général de la Tie inférieure. Pennet , Papponi . Acquaroni , Calan.ini , Benfler, etc.

Ce n'est pas seulement avec le ciel que l'homme peut entrer dans un rapport mystique et secret ; le monde des éléments terrestres lui ouvre aussi quelquefois ses mys- tères. Il y a, en effet, entre le monde élémentaire et le corps humain un rapport naturel ^ puisque tous les deux sont composés des mêmes éléments. Et aux puissances élémen- taires répandues dans l'univers répondent dans l'orga- nisme les esprits vitaux qui le pénètrent. Ces deux mondes, l'un grand, l'autre petit, l'un extérieur et l'autre interne , ayant la même racine, il n'est pas étonnant qu'ils soient liés ensemble par une sympathie très-étroite. Si cet uni- vers comparé au corps humain est plus fort par sa masse , celui-ci peut lui opposer la force de la vie qui réside en lui. Le rapport sympathique qu'établit entre eux l'identité des éléments dont ils se composent peut, en devenant plu? intime, s'élever jusqu'à l'état de rapport magnétique. L'homme en ce cas pénètre la nature de son regard, ou de son action, ou de sa vie, selon la nature du rapport qui l'unit à elle; et il dépasse le cercle ordinaire de sa puis- sance. Tous les éléments n'entrent pas toujours à la fois el également dans cette union réciproque entre l'homme et la nature: il arrive quelquefois que l'un ou plusieurs d'entre eux agissent spécialement sur l'organisme, et dans ce cas ilsalTectent d'une manière particulière celui-ci dans

RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME AVEC L\ ^VTl•RE. 100

la partie qui leur correspond. Il réïiulte de diverses mo- difications et des phénomènes différents. Déplus, à l'ac- tion du monde extérieur sur l'homme doit correspondre une réaction de la part de celui-ci à l'égard du premier; ot de encore doi^*ent résulter des modifications impor- tantes dans le rapport qui les unit tous les deux.

Nous étudierons d'abord la propriété singulière qu'ont certaines pei-sonnes d'apercevoir les objets que l'œil de l'homme dans l'état ordinaire ne saurait discerner. Les Es- pagnols appellent Zahuris ceux qui ont reçu ce don; et Delrio connut en [l)'o, à Madrid, un de ces hommes, qui était alors encore enfant. Si on s'en rapporte à son témoi- gnage et à la croyance générale en Espagne, ces per- sonnes voient tout ce que la terre renferme en son sein , les veines d"eau, les métaux, les filons et même les ca- davres dans leurs cercueils. Elles prétendent que cette faculté se borne chez elles à certains joui's, le mercredi et le samedi par exemple, et on les reconnaît extérieurement à la rougeur de leurs yeux. C'était à cette classe qu'appar- tenait cette femme de Lisbonne, nommée Pedegache , qui A oyait l'eau sous la terre à de grandes profondeurs, et qui découvrit au roi de Portugal les sources dont il avait be- soin pour un nouveau palais qu'il faisait construire. Elle désignait exactement la profondeur des sources, autant que cela peut se faire à vue d'œil, la couleur des couches de terre qui se suivaient jusqu'à elles, la richesse plus ou moins grande des veines, le chemin qu'elles parcouraient et leurs ramifications ; et ses indications se trouvaient tou- jours parfaitement exactes. Son regard pénétrait aussi les coins les plus secrets des maisons et y découvrait les ob- jets cachés ou volés. In jour qu'elle voyageait sur une

L'tliJ P.\PPol'.l- MV>riQlE> 1)1. 1. HùMMF. AVR(. l.A N.VTLUF.

])»'ti(f moiilaj:ne, a\aiil mis par liasaiJ la tète hors do la voi- ture, elle vit à trente pieds sous terre un monument an- tique très -bien travaillé , et qu'on découvrit en elfet à l'endroit qu'elle avait désigné lorsque la cour Teut fait creu.-er. Llle pénétrait aussi l'intérieur du corps humain, voyait le sang couler dans les veines, les phénomènes de la digestion , la formation du lait et tout ce qui se passe dans les divers organes; aussi lui était-il facile de décou- vrir le principe de beaucoup de maladies que les médecins ignoraient. Ce don parut chez elle pour la première fois à l'âge de trois ans, à l'occasion d'une servante qui était devenue grosse, et dont elle reconnut l'état, que personne ne soupçonnait. Elle put même, au septième mois de la grossesse, indiquer le sexe de l'enfant. Pour chercher les >ources, elle ne se servait point de baguette; elle les voyait a\ec les yeux ; mais il fallait pour cela qu'elle fût à jeun. Du reste, ni la science ni l'étude ne lui étaient néces- saires. (Le Brun, Histoire des l'tratiques superstitieuses, tom. I", p. 08.)

Cette faculté réside dans l'œil, et lui donne une puissance extraordinaire, qui lui fait voir les objets moins à l'aide de la lumière extérieure et physique que par la lumière orga- nique qui lui est propre. Déjà, dans l'état ordinaire, l'œil ^ oit parce qu'il est illuminé de sa propre lumière; de sorte que celui dont le corps entier serait lumineux, comme le sont les yeux, pourrait voir aussi avec toutes les parties de son corps comme il voit avec l'œil. Dans la vision ordinaire, les deux lumières, celle du dehors et la lumière interne ou organique, se rencontrent dans l'œul, de sorte cependant que la première domine, et c'est ce concours qui produit la percej)tioii. Mais dans la vision supérieui-e dont il est ici

HACI'OHO M>>TIOLt» I)K l'îin.MMi; WKC |.A .WllKK. 'i'M

question lu luiiiicre iiilenie qui rii^ide (lan> r<i'iirem})orti' SU]' Tautre, et jciillissaut du la prunelle, elle djerclie pour ainsi dire les objets, les éclaire, et donne àriiounne doué de res qualités des perceptions sûres. Or la lumière organique^, étant d'une nature supérieure, est plus pénétrante que celle du soleil, ce que démontrent un grand nombre d'appari- tions d'esprits, dont la lumière se \oit les yeux fermés aussi bien qu'ouverts. La lumière qui jaillit en ce cas des yeux est, à un degré plus é\e\é, la même qui raNonne de la. prunelle de certains animaux destinés à voir pendant la nuit, et qui voient dans leur propre lumière les objets que n'éclaire point celle du soleil. C'est la même que celle qui résidait dans l'œil de l'empereur Tibère, et qui faisait qu'il pouvait voir et être vu dans les téîièbres. (Je trait, de même que beaucoup d'autres dans sa vie, indique le rapport qui existait entre sa nature et celle du chat.

Après ceux qui voient les objets avec les yeux, viennent ceux qui les sentent par un certain tact mystérieux. Chez ceux-ci la faculté dont nous parlons ne réside plus dans l'œil, comme dans les premiers, mais dans les autres sens plus profonds, et surtout dans le sens commun dont la vie inférieure est le siège. Celui-ci, acquérant une puissance supérieure , perce ses propres voiles et les voiles extérieurs sous lesquels se cachent les puissances delà nature, et il en devine les secrets. Les pieds, particulièrement en rapport avec ce qui est situé sous eux, semblent l'organe principal de cette faculté extraordinaire, et les impressions dont ils sont le canal ont leur centre et leur sensorium dans les plexus solaires. C'est pour cela que les hommes favorisés de cette disposition, quand ils passent en marchant sur quelques veines d'eau, sur une couche de charbou; sur un

■H)-l RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hO.M.ME AVEC LA NATLRE.

iiloii OU sur un iiîte de sel fossile^ sont affectés d'une ma- nière toute particulière dans les organes qui sont plus en rapport avec ce t'o^er. Cette affection monte de la plante des pieds jusqu'au sommet de la tête, et produit des sensa- tions diverses, selon la différence des objets et les disposi- tions de la personne. Chez Pennet, par exemple, le charbon de terre produisait un goût amer. Chez Anfossi, les sources d"eau sulfureuse suscitaient dans les jambes une chaleur sensible et un goût acide sur la langue, qu'il comparait ;i celui de boue pourrie, pendant que le charbon de terre semblait lui attirer les pieds. Papponi et Bianchina Acqua- roni, d'Oneglia, quand ils passaient sur des minéraux posi- tifs , sentaient la chaleur leur monter aux pieds et leurs ge- noux se contracter. Calamini, professeur de physique à Plaisance, sentait en ce cas un courant lui monter dans les jambes, puis passer dans les bras, et de dans les mains, il agitait la baguette. Friali, quand il se trouvait au- dessus d'une couche souterraine produisant une action po- sitive, était saisi de vertige et de maux de cœur, tandis que le professeur Nuvani, de Rome, sentait un fourmillement dans les pieds. Lorsque Angèle Rosetti, de Parme, se trou- vait sur une -seine d'eau, elle éprouvait dans les entrailles des borborygTues qu'entendaient les personnes qui étaient présentes.

D'autres au contraire sentent un coup et uu contre-coup eu entrant dans la sphère oii agissent les substances avec lesquelles ils sont en rapport, ou en en sortant. Il en était ainsi de Catherine Rentier, de (iottlieben en Thurgovie , dont la faculté a été constatée par HippenmaAer, Ebel, ZscliokkeetOken. Elle sentaitles sources d'eau soUsla terre, le untierai de fer et la houille. Elle découA rit une grande

HAPPOR-fS MYSTIQUES DE LHOMME ANtC LA NATLhE. '200

couche de gypse, mesura et détermina le parcours des ^eiues, leur profondeur et leur puissance. Un gite de sel la priva de sommeil pendant deux luiils ; il en fut de même pour une couche de mercure dans le canton des Grisons. KUe ne sentait pointles eaux souterraines quand ellesétaient stagnantes; il fallait qu'elles coulassent , et il lui semblait alors que quelque chose montait dans son corps sous la forme dune colonne, et descendait sous la forme de gouttes. L'impression qu'elle éprouvait était en rapport avec le mo- ment du mouvement, c est-à-dire la vitesse du courant combinée avec la masse du mobile. 11 résulte des essais que l'on fit avec elle sur plusieurs minéraux que ceux-ci agis- saient sur elle de deux manières, et pouvaient ainsi être rangés en deux classes. Parmi les métaux, le fer et le cui- \re. anneaux tous les deux de la chaîne gahanique , for- maient une opposition très-déterminée. Le premier, miné- ralisé, produisait sur la langue la sensation du froid, mais à un degré d'autant plus faible que le minerai était moins mêlé de substances rendant le fer cassant. Le cuivre, au contraire , produisait la sensation de la chaleur avec un goût amer. Au bronze se rattachait le plomb, qui éveillait dans la région de l'estomac le sentiment d'un poids désa- gréable. Au cuivre se rattachait l'or, qui produisait dans tout le corps une chaleur accompagnée de sueur, de fai- blesse dans les pieds et de malaise. L'argent produisait dans la région de l'estomac une pesanteur et une pression; l'ar- senic, un battement pénible et violent dans la tète. Comme le soufre causait aussi la chaleur, on doit le ranger dans la même classe que le cuivre. Combiné avec le fer dans la proportion de .'32 pour H>n, comme il Test dans le fer sul- furé, outre la chaleur, il produisait encore une sensation

Cfl HAPPôRTS MYSTIQUES DE EHOMME WtX i.\ .NAllKb.

de lïuid .-urla langue, tandis que le carbone dans le cliai- 1)0)1 de terre causait un goût amer et des crampes^ ou même des défaillances, lorsque les couches étaient consi- dérables. Parmi les substances terreuses, l'alun faisait \enir aux dents supérieures une eau froide et corrosive. Le carbonate de chaux dans la marne causait une chaleur cuisante dans l'intérieur du coi*ps, et le sel laissait un i:oùt de sel dans la bouche, et faisait entier la peau.

CHAPITRE X

Action il('s sutistances physiques en contact iniinédial om:c l'orga- nisme. Essais (le Keriier avec la voyante de Prevorsl. Uppositicii électrique et magnétique.

Les phénomènes que nous avons considérés jusqu'ici ont été produits pour la plupart par une action à distance. 11 en est d'autres qui exigent un contact immédiat avec l'or- ganisme, et ils constituent sous ce rapport une seconde classe qui se distingue par de la première. Les essais faits par Kerner sont intéressants sous ce rapport, quoiqu'ils soient loin d'avoir épuisé la matière. Les constantes appa- raissent clairement dans ces essais. Mais la diversité des éléments dont se composent les matériaux employés, les complications de l'organisme, celles de la maladie et beaucoup d'autres circonstances encore dont on n'a pas tenu compte, comme par exemple la polarité propre à plu- sieurs minéraux, modifient nécessairement ce résultat, et ne permettent guère de dégager ces grandeurs constantes de celles qui sont variables. Ce qui frappe tout d'abord.

KAri'UKl> MVVnoLL.^ DK l.llOMMt ANKC \.\ NAILUt. 'iOJ

ct'st quC;, parmi les minéraux, les uns lient Toii^anisme, tandis que les autres le délient, et cette double action peut se subdiviser encore en deux degrés. Essayons de classer ces diverses actions, ainsi que les substances qui les pro- duisent, tttinde nous faire une idée de ces rapports. Nous trouvons d'abord les minéraux fossiles parfaitement neu- tralisés dans leurs polarités par les grands procédés de la nature, et qui forment la base neutre de la terre, tels que le granit, le porphyre, le natrolite. ^lis dans la main de la voyante, ils ne produisaient aucun efTet sur elle. Les mi- néraux n'agissaient sur son organisme que dans les diverses formations leurs oppositions commencent à se déve- lopper; et ils cessaient d'agir dès que la puissance du feu axait détruit celles-ci en eux, et leur avait oté pour ainsi dn-e leur vie propre. Il eu était ainsi de la pouzzolane, de la pierre ponce et de toutes les laves. Toutes les espèces de spath fluor produisaient une action de dégagement qui s'ufi- nonrait par une détente du système musculaire, pur un goùl acide d^ins la bouche, une disposition au somnambu- lisme, même dans les cas les passes magnétiques ne pou- A aient plus produire cet état. Il lui semblait aussi que ses intestins se liquéliaientdans l'eau. Après le spath fluor, ve- naient dans la même classe le spath d'Islande et le saphir. L'autre genre de dégagement était produit principalement par la barvte sulfatée. Il s'annonçait par la souplesse de tous les membres, un sentiment de chaleur bienfaisante et une légèreté telle qu'il lui semblait parfois qu'elle pouvait voler. La même pierre produisait un chatouillement qui l'excitait à rire : bien plus, il suffisait de lui présenter à la bouche de l'eau l'on avait laissé pendant quelque temps du carbonate de barxte pour exciter en elle un rire con-

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206 RAPPORTS MYSTIQUES PE LHOMMt AVEC LA NATLRE.

vulsif joint à un mouvement involontaire et continu de la langue^ mouvement qui s'étendait à tout le corps lorsque Ton employait la chaux vive.

Passons maintenant aux substances ayant la faculté de lier l'organisme. Deux degrés et deux modes d'action se présentent encore ici. Le premier se produit de la manière la plus tranchée dans le cristal de roche. Mis dans la main de la voyante , il la tirait de son demi-sommeil; placé sur le cœur, il la faisait revenir de Tétat de somnambulisme com- plet. Si on le laissait plus longtemps , il lui donnait la sensation dune odeur délicieuse, et produisait bientôt dans le système musculaire une roideur qui allait à la fin jusqu'à la catalepsie, et prenait le coi^ps depuis le cou jusqu'aux pieds. Quoiqu'elle fût parfaitement é^eiliée et qu'elle se trou^àt très- bien d'ailleurs, son corps étnil comme pétriiié, et l'on aurait brisé ses membres plut<"it que de les ployer. Le verre produisait le nîème efl'et^ mais à un degré plus faible. Le simple regard ou les sons que rendait cette substance agissaient sur elle. Il en était de même du bois pétrifié, de l'héhotrope, du basalte, qui produisait aussi dans la bouche une saveur acre; de toutes les pierres incolores et de tous les genres de caillou, de la dolomie.. du spath gypseux et du g^pse : il lui semblait , lorsqu'on employait le spath gypseux, qu'elle avait la main dans l'eau. Parmi les métaux, ceux qui agissaient dans ce sens sont l'or, l'argent, l'étain, le sélénium, le diamaiit, le charbon de bois et le charbon de teiTe. L'or produisait des ébranlements et une tension extraordinaire des mem- bres, et de plus une roideur dans les muscles, quoique la voyante se trouvât bien d'ailleurs. Ce dernier effet était produit aussi par le cristal de roche mis sur le cœur. L ar-

RAPPORTS MYSTIQUES DE L'hOMME AVEC LA NATURE. 207

geiit tendait violemment aussi les membres, ployait en arrière la colonne vertébrale, et causait des spasmes toniques dans tout le corps, de même que l'étain et le séléniuua. Le diamant roidissait la main gauche et le pied droit, ouvrait les yeux et les rendait immobiles, de même que le charbon de terre et le charbon de bois, landis que le soufre paralysait la langue avec des crampes A iolentes.

Le second mode d'action apparaît principalement dans le i'er, modifié toutefois d'après les formes sous lesquelles se produit cette substance. L'effet le plus énergique était causé par son oxyde dans l'hématite, qui paralysait tout le corps de la malade et lui donnait la sensation d'un froid très- intense. Cette paralysie ne pouvait être enlevée que par le carbonate de baryte. Le fer oxydé causait dans la poitrine une sensation de pression et d'angoisse. L'aimant en octaèdres, lors même qu'on approchait seulement d'elle le papier qui l'avait enveloppé, lui donnait des palpitations et une sensation de pesanteur, et l'acier des crampes qui duraient des heures entières. Le rubis, qui contient de l'a- cide chromique, produisait dans le dessous du bras le même sentiment que les passes magnétiques dans le dessus. L'augite avec l'oxyde de. magnésie lui ôtait toute la force de la main : pâle comme un cadavre, elle tombait dans une dé- faillance d'où elle ne pouvait être tirée que par le carbonate de hante. Le schorl occasionnait des ébranlements dans le cerveau et une disposition au sommeil; le rubis lui don- nait un sentiment de froid sur la langue et de pesanteur, qui allait quelquefois jusqu'à la faire balbutier. Les doigts des mains et des pieds étaient froids également : puis à des crampes violentes succédait un sentiment de bien-être et

20.S RAPPORTS MTSTIQIT.S DE l'hOMME AVEC LA NATl'RE.

(1»^ il' Livre II'. Elle avait aussi comme un instinct que celle même substance pouvait produire en elle une paralysie. Le grenat ébranlait violemment tout son corps ; la chryso- prase jointe au nickel ébranlait aussi tout le corps depuis la poitrine. La turquoise avec le cuivre endormait la main, la rendait insensible; et cet effet s'étendait bientôt au bras gaucbe, au côté tout entier et aux pieds; de sorte que la malade se croyait menacée d'une paralysie com- plète. L'effet était lent, mais durable. L'argile occasion- nait les crampes les plus violentes, et le zinc semblait se rattacher au fer; car, dès que celui qui faisait l'expérience le prenait dans sa bouche, il rendait pesante la langue de la malade.

Ici V auteur cherche à expliquer les rapports des diverses substances dont il vient d'dre parlé par une théorie 'particu- lière sur la nature et la composition des corps. Cette théorie étant trés-obscure, nous n'avons pas cim utile de l'insérer ici; d^ autant plus ({ue, mise ici sans un commentaire qui l'ex- plique, elle ne ferait qu'obscurcir la matière au lieu de Vé- clairer, et qu'elle n'est en tout cas aucunement nécessaire jjnur rintrlliqcnce de ce qui 'précède ni de ce qui ^uit.

RAPPuP.TS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC I.A NATIRE. 200

CHAPITRE M

I.i) rhabdoiiiantie. Essais ipinarqiiables dt? SrliaelTer à RatislioniiP. Pissais (le rhaklonianlio faits on France dans ]c. Dauphiné. à la fin «lu siècle précédent . sur Ainiur. Explication de ces phénomènes par h' magnétisme vital. Autres expériences snr Faction de ce magné- tisme. La femme Berehala. Biaise de Valfracuria. Les dt'nx enfants dont parle Albert le (îrand. Une partie de ces influences se reflète dans les instincts des animaux.

J.a rluibdomantic consiste dans la faculté qu'ont cer- taines personnes de mettre en mouvement des leviers mo- l)iles, des l)aguettes ou des pendules dès qu'ils approchent de certaines substances élémentaires qui sont dans un japport particulier avec leur organisme. Cette femme, des environs du lac de Constance, dont il a été parlé plus haut possédait cette faculté à un dei^ré très-remarquable. Lorsqu'elle tenait fortement à la main une baguette de baleine ou de coudrier ployée, celle-ci s'agitait même appuyée contre un homme, et était comme repoussée par toutes les jointures du corps. Vu métal suspendu aux doigts par un fil oscillait, comme Oken en fut témoin, de la main droite à la main gauche de celui qui le tenait lorsqu'il était teim sar un morceau du même métal, tandis que sur un morceau d'un autre métal il oscillait de gauche à droite. Elle était persuadée qu'elle pouvait ac- croître Faction de la baguette lorsqu'elle en mettait le bout en contact avec le fossile sur lequel elle devait agir exclusivement. La voyante de Prevorst possédait la même faculté. Si on lui mettait à la main une baguette ou un pendule, celui-ci se tournait vers le fossile qu'on appro- ihaittle hii. Aussi le platine, l'or, l'hyacinthe et Volivine

210 RAPPORT? MYSTIOVKS DE l'hOMME AVEC LA N'ATL'RE.

l'attiraient fortement; Targent et la serpentine moins, tandis que le feld-spath avec le porphyre , de même que le cristal de roche, n'ayant aucune action, mettaient le pen- dule en repos. Le feld-spath vert l'attirait aussi, de môme que le carbonate de baryte, tandis que la baryte sulfatée exerçait une action médiocre; mais la stralite était au contraire très-énergique. C'est sur Temploi de la baguette divinatoire que s'appuie la rhabdomantie, qui forme ainsi une des branches de la magie naturelle. Cet usage , du reste, était connu déjà des Hébreux, si nous en croyons le témoignage de saint Cyrille , expliquant ce passage du prophète Osée, c. iv, v. 12 : Popvlus meus in Ivjno mo adoravit, et baculus ejus a/vaint iav it ei. Il dit, en effet, que l'usage qu'on faisait de la baguette n'était pas moins différent que cette baguette elle-même; que ceux-ci se ser- vaient de tel bois, ceux-là de tel autre, avec ou sans écorce, droit ou courbé ou en forme de fourche, avec ou sans images et caractères symboliques ; que chez les uns la ba- guette devait se courber en cercle; que chez d'autres elle se tournait dans la main vers certaines contrées; que d'au- tres enfin la lançaient en l'air, et observaient la manière dont elle tombait.

Afin de nous faire une idée des superstitions et des folies dont la baguette divinatoire a été l'objet, et de dé- couvrir s'il est possible la base naturelle sur laquelle s'ap- puient tous ces phénomènes, nous rappellerons ici les observations que Schseffer de Ratisbonne, consénior du ministère, fit vers la fin du siècle dernier sur le don qu'il avait reçu en ce genre. Comme M s'occupait d'essais sur rélectrophore, que Ton venait de découvrir, il remarqua que, lorsqu'il attacliait à un fil une petite cloche ou un

BAPPHKTS MYSTIQUES DE i/hOMME AVEC L\ NATURE. 211

autre rorp? pesant, et le tenait suspendu sur un gâteau (le résine frotté, il était mis aussitôt en mouvement, et que ses oscillations avaient lieu clans le plan de la ligne méridienne, et jamais dans une autre direction. Mais lorsqu'il tenait le pendule à coté de l'électrophore, les oscillations se dirigeaient vers le milieu de celui-ci. 11 ne tarda pas à reconnaître que rinslrument dont il se ser- \ait n'était que la cause prochaine de ce mouvement, mais qu'au fond c'était lui qui en fixait le but. En eflet , ayant suspendu le pendule à un pied de bois, il resta en repos au-dessus comme à côté de l'électrophore. Mais ayant mis le doigt au lil, il se mit à osciller comme auparavant, et s'arrêta de nouveau dès qu'on eut éloigné le gâteau, il découvrit de plus que le contact immédiat du fd n'était pas nécessaire, et que, pour produire le mouvement, il avait besoin seulement de toucher un point du support. 11 n'était pas nécessaire davantage que Télectrophore fut très- proche : l'expérience réussissait lors même que le peiidule était à une distance de vingt- quatre pieds, ou séparé de l'électrophore par un mur ou par un plancher. Il fallait seulement que l'électrophore ne fût pas isolé, ou, s'il l'était, sa force devait être augmentée par une ma- chine électrique. Il fut constaté que non-seulement des pendules légers, mais que des masses de deux ou trois quintaux, suspendues à des cordes ou à des chaînes, ou tenant à des fléaux de balance, étaient mis en mouvement; et leurs oscillations, malgré la pesanteur, se produisaient dans la môme direction que lorsqu'on agissait sur une masse plus légère : il suffisait pour cela de toucher seu- lement une partie quelconque de la chaîne.

Il fallait d'abord s'assurer que la main n'avait aucune

2{2 RAPPORTS MYSTIQUES HE l'hOMME WEC L\ NATURE.

influence sur ce mouvement par une action insensii)le et jnaperçuasur le corps qui oscillait. Pour cela, on attacha trois cloches à trois bras qui se coupaient sous des andes déterminés et qui étaient portés par un même support, et on les suspendit au-dessus de Félectrophore. Or aussitôt (|ue Schœfler eut mis la main sur le support, à deux pieds de la cloche du milieu, et à trois pieds de celles qui étaient situées aux deux côtés^ la première se mit à oscil- ler dans la direction de la ligne méridienne, et les deuv autres dans uue direction perpendiculaire à celle-ci. l ne autre fois on suspendit deux pendules avec deux bras à un support, et à côté des deux pendules, à l'est et à rouest, ou au nord et au sud, on plaça deux électro- phores. Dès que Schœfièr y eut mis la main, l'une des cloches oscilla vers le sud ou Test , et l'autre vers le nord ou l'ouest. La même chose arriva en présence du professeur Xavier Epp, que l'académie de Munich avait envoyé en 1777 pour lui rendre compte de ces phénomènes. On sus- pendit le pendule à une tige de fer solidement fixée à une porte, et on plaça l'éleclrophore à dix pieds de distance de lui et de côté. SclicTffer ayant mis la main sur la tige dn pendule, on y remarqua aussitôt des oscillations de cinq ou si\ pouces, dont la direction suivait toujours exactement le lieu où, àl'insude Schoeffer, l'on avait placé l'électrophore dans une chambre voisine. On chercha si celte propriété lie produire des oscillations était attachée exclusivement à la main de Schoeffer, ou si d'autres que lui la possédaient encore, et Ton se convainquit que c'était un privilège très-rare. On fixa pour cela une poulie dans le mur, et on ) suspendit le pendule : puis Epp et beaucoup d'autres en- core y mirent la main sans qu'il en résultât aucun mou-

RAPPORTS MVSTIOIF.S I>F. I-'llOMMi: AVF.C I.\ NATIRE. 2 1 T}

veulent. Mais lorsque ScluvflVi- leur mettait la main sur les épaules, le pendule se mettait à osciller, plus tard néan- moins et plus faiblement que de eoutume. Lui-même ne réussissait pas toujours ni d'une manière complète ; ce- pendant l'exception était rare. Pendant trois semaines que (lurèrent les essais, qu'on renouvelait tous les jours, le pendule ne se trouva rebelle que deux fois; la première dans un après-midi , et la seconde en présence de douze personnes. Les oscillations commencèrent toutefois dès qu'on eut placé l'électrophore dans une autre chambre. On voulut enfin se faire une idée de la manière dont cet instrument agissait, et l'on reconnut qu'on pouvait le rem- placer par un autre corps, un siétre, une table ou tout autre objet , pourvu que celui-ci eut été quelque temps en con- tact avec la personne favorisée de ce don. L'n verre à boire conserva encore quatre jours après avoir été touciié de cette manière la faculté de diriger de son côté les oscillations , quoiqu'il eût servi pendant tout ce temps. Si, après avoir placé l'électrophore sur un livre , on pressait celui-ci pen- dant quelques instants sur un second, et ainsi de suite jusqu'au centième, tous ces livres se communiquaient la faculté de produire les mêmes effets sans la moindre dimi- nution dans leur intensité,et l'on pouvait ensuite faire passer cette propriété des livres à une série de plats ou de verres. Tous ces faits ont été soigneusement étudiés et constatés par la science ; de sorte qu'ils peuvent servir de base pour des recherches ultérieures. Si Schcclfer, au lieu de pendule, s'était servi d'une baguette fourchue, faite avec une bran- che de coudrier ou d'un autre arbre; s'il avait tenu des deux mains les deu\ bras de la fourche au-dessus du mi- lieu de l'électrophore et dans la direction du méridien

2i4 RAPPORTS MYSTIQUES DE l'HOMME AVEC LA .NATIRE.

magnétique, en ayant soin toutefois de tenir en bas la partie s'unissent les deux branches, leurs bouts au- raient commencé à se ployer en avant dans ses mains, puis en arrière, et ainsi de suite. Ou bien, s'il n'avait pas tenu fortement la baguette , elle aurait pris un mouvement de rotation. Probablement la même oscillation aurait eu lieu de haut en bas s'il avait tenu la fourche horizontale dans le méridien, et le mouvement se serait dirigé vers le mi- lieu de l'instrument s'il s'était approché de celui-ci de cùlé avec la baguette. Or ce sont les mouvements que la baguette divinatoire produit dans les mains des rhabdo- rnantes, près des sources de certains méiau.v et d'autres objets. C'est donc la même propriété qui se manifeste d'une manière différente dans les deux cas. Ceci nous conduit en France, où, vers la fin du xvu^ et au commencement du :ssais faits xvni^ siècle , la rhabdomantie fit une grande sensation. On découvrit alors, en effet, que beaucoup de paysans du Dauphiné faisaient métier de cet art, et s'en servaient pour découvrir les minéraux, le marbre et le talc et parti- culièrement les sources d'eau. Ils apprenaient de cette manière si l'eau était stagnante, si elle venait des pluies du ciel ou d'une source vive, quelle était sa force et sa profondeur, quelles étaient les couches de terre situées au- dessus d'elle. Ils avaient en ce genre un coup d'œil telle- ment juste qu'ils reconnaissaient très-bien s'ils pouvaient, à leurs risques et périls, s'engager, pour une faible somme, à creuser le sol et trouver les sources qu'il renfermait. On essaya bientijt de découvrir de cette manière les routes en- fouies sous terre, et l'on réussit. La baguette indiqua la lar- geur d'un chemin, et, de plus, qu'il était pavé et situé à cinq pieds au-dessous du sol. Les fouilles que l'oii fit prou-

BAPPOUT;» M^^TIQLKS Dt I.HuMME AVEC LA NaTLIŒ. 21o

>êrent la vérité de ces indications. On trouva de la môtne nuinière des bornes qui avaient été déplacées ou enfouies, l-oi'sque les pierres étaient encore à la place les avait mises le propriétaire légitime, la baguette s"agitait dans tout l'espace situé entre la nouvelle borne placée en haut et l'an- cienne qui était cachée; mais si elle n'était plus au même endroit, la baguette s'agitait seulement au-dessus d'elle, et restait immobile sur tout le reste du champ, puis se re- muait de nouveau lorsqu'on était arrivé au lieu d'où l'on avait ôté malicieusement la borne. Les choses en étaient venues au point que tous les procès de ce genre étaient dé- cidés par la baguette divinatoire , pour le modeste prix de cinq sous. Il est facile de voir qu'on avait franchi les bornes de la nature physique, et que l'on était entré dans la sphère des causes morales. Il semblait donc naturel de fiousseï' plus avant dans cette voie.

In meurtre ayant été commis à L>on en 1002^ on es- Aimar. sa\a d'employer la baguette pour découvrir le criminel. On lit venir à Lyon Aimar, en 1002 à Saint-Néran dans le Dauphiné, et la chose réussit au delà de ce qu'on avait osé espérer. Comme un chien suit à la piste un cerf partout il a passé, à travers les montagnes, les prairies et les ruisseaux, de même la baguette, s'agitant toujours, depuis la cave le meurtre avait été commis, suivit les meurtriers à travers tous les pays par ils avaient passé. L'un d'eux ayant été trouvé heureusement de cette ma- nière, elle suivit les traces de l'autre par delà la mer, mal- gré les tempêtes et les orages, jusqu'aux Pyrénées. Des iiommes dignes de foi, des ofticiersdu roi qui procédèrent juridiquement dans cette aflaire rendirent témoignage à la vérité: et le meurh'icr découvert coniirma tout par ses

~1(J KAi'1'uJll.-f .\1\MIMLJ:-N ht. LHOM.ML A\t.C LA .NAIIKK.

aAeux^ jusqu'aux moindres circonstances. Or, par un ha- sard singulier, la même faculté qui s'était produite cliez Aimar se révéla chez plusieurs témoins; et les essais que l'on fit, soit avec lui, soit avec eux, atin de connaître la manière dont le crime avait été commis, ou bien pour dé- couvrir des métaux cachés ou enfouis, furent également couronnés de succès. Aimar, interrogé sur plusieurs choses (le détail qui paraissaient louches, donna les réponses les plus satisfaisantes : le fait parut incontestable, et les sa- vants se mirent à bâtir leurs systèmes, attribuant ces phé- nomènes aux molécules que les meurtriers avaient laissé échapper par la transpiration, et qui correspondaient à celles d'Aimar. On peut consulter à ce sujet la lettre de r.liauvin, docteur en médecine, à la marquise de Senozan, Lyon, 1(392.

Tous les systèmes une fois bâtis, une querelle terrible s'éleva entre ceux qui, prenant trop simplement la chose, l'admettaient sans examen et sans condition et ceux, au contraire, qui la rejetaient sans se donner la peine de l'examiner. Chacun voulut avoir recours à la baguette di- vinatoire. Ce fut une véritable épidémie; et, chose remar- quable, beaucoup réussirent, tandis qu'elle se montra re- belle entre les mains des autres. Aimar s'en servit pour découvrir les voleurs. Cependant il arrivait bien quelque- fois des choses qui éveillaient certains doutes sur la valeur de ses indications. Dans la sacristie de l'abbaye de Saint- Germain , dont les placards étaient remplis de vases d'ar- gent, la baguette d'Aimar resta tranquille en présence de Mabillon, quoique celui-ci l'eût vue se ployer et se rompre entre les mains d'un autre. (Lebrun, v. 3.) Comme on sa- vait ({u'à l'aide de la baguette d'autres personnes avaient

RAPPOFaS MYSTIQIES DE LIIUMMt AVLC LA NATL'RE. 217

découvert des sources, on crut qu'on pourrait s'en servir dans ce but. On creusa donc le sol, sur des indica- tions fournies par elle , à plus de vingt toises de profon- deur, mais sans rien trouver. La même chose arriva à Sa- lon, en Provence, et sur les biens du maréchal de Bouf- flers. L'emploi de la baguette donna heu d'ailleurs à des désordres et à des malheurs de plus d'un genre. On avait volé du blé à un habitant d'Eibins, près de Grenoble. Ce- lui-ci eut recours à la bague'te, qui désigna six ou huit maisons. De des soupçons, de mauvais propos, des ca- lomnies, des injures, des discussions, des querelles, des inimitiés terribles entre tous les habitants du lieu. Le curé se convainquit à la fin que la baguette s'était trompée, et que ni les voleurs ni les objets volés n'étaient entrés par les portes de ces maisons, ni n'en étaient sortis. Ailleurs, quel- ques jeunes gens avaient promené Aimar avec sa baguette dans une rue, pour savoir s'il n'y avait point quelques maisons mal famées. La baguette avait indiqué quatre ou cinq portes. La chose avait été connue dans la ville, y avait fait grand bruit, et suscité des haines profondes entre plu- sieurs familles; et cependant, d'après les apparences, la baguette avait menti.

Le clergé du pays conmiença à croire qu'il pouvait bien y avoir en tout cela quelque chose de diabolique , et se mit à faire des essais de son côté. Une femme de Grenoble nommée Olivet avait la faculté de sentir les métaux à l'aide de la baguette. Ayant appris l'opinion que le clergé avait de la chose, elle eut quelques inquiétudes, et s'adressa à un Oratorien, qui, louant sa bonne volonté, lui conseilla de prier Dieu qu'il ne permît pas que la baguette tournât jamais dans sa main si le démon avait la moindre part à

218 RAPPORTS MYSTIFIES DE LHUMME AVEC Ll NATURE.

ses mouvements. Il lui dit qu'elle ne serait peut-être pas exaucée; .mais qu"en tout cas ce n'était pas tenter Dieu que d'agir ainsi, et qu'elle arriverait peut-être à son but. Elle fit donc une retraite de deux jours, communia et rtt la prière qui lui avait été conseillée, en union avec le prêtre à l'autel. Dan^ l'après-midi, on la fit marcher sur de5 métaux qu'on avait enfouis sans que la bjguette re- muât. Elle resta immobile aussi près d'un réservoir d'eau elle s'était agitée auparavant avec une grande violence. L'expérience fut renouvelée quelque temps après, et sans résultat encore.

On chercha donc à étudier la chose chez d'autres per- sonnes. La fille d'uu marchand nommé Martin possédait à un très-haut degré cette faculté, et peu de temps aupara- vant elle avait découvert de cette manière au fond d'un ruisseau une cloche qui y était tombée lors de la chute d'un pont dans une inondation. Elle avait donc conçu une haute idée de ce don, et paraissait peu disposée à y renoncer. A ceux qui cherchaient à lui donner des scrupules elle ré- pondait : « Dieu ma accordé le don de la verge de Moïse et du bâton de Jacob , et de plus la faveur de voir s'agiter la baguette entre mes mains en présence des reliques. » On lui demanda qui lui avait dit cela : a Personne, répondit- elle : mais je savais que la baguette remue près des osse- ments des morts et des antres choses^ et j'ai pensé qu'elle le ferait bien mieux encore près de ces objets. J'ai donc essayé, et j'ai réussi. » On la fit venir dans le jardin du sé- minaire, après y avoir enfoui plusieurs morceaux de métal ; elle les découvrit, et les désigna !res-exactement, au grand étonnement de tous. L'ecclésiastique qui l'accompagnait remarqua qu'elle cachait quelque chose dans ses mains.

RAPPORTS MY>TlOlt:S DE I. HOMMt A\M, LA NATURE. 2^9

d'après la manière de ceux qui faisaient alors usage de la baguette. Il le lui dit, ajoutant que chez quelques-uns l'in- tention seule sufiisait. Étonnée qu'il eût deviné son secret, elle avoua qu'elle se servait en elîet d'un métal; mais intelligenle comme elle était, elle eut aussitôt la pensée d'essayer si elle ne pourrait pas produire les mêmes etfets avec l'intention seulement. On place donc deux pièces d"or par terre à quelque distance l'une de l'autre. La ba- guette remue plusieurs fois au-dessus de Tune, et reste tran- quille au-dessus de l'autre: puis au contraire s'agite au- dessus de celle-ci, et se lepose près de l'autre, selon l'intention de la femme qui la tenait.

Elle se réjouit d'aAoir ti'ouvé une méthode plus facile de manier son instrument. On lui apporte deux paquets il ■V avait, disait-on, des reliques. Elle s'approche de lun, et la baguette s'agite avec plus de force qu'elle ne l'avait ja- mais fait. Elle fait observer aux assistants que lorqu'on approchait d'elle une épingle, elle pouvait empêcher la ba- guette de remuer au-dessus de l'or, mais qu'aucun métal ne pouvait produire cet effet en présence des reliques les plus considérables. Elle s'approche de l'autre paquet, mais la baguette reste presque tranquille; et, au heu de tourner plusieurs fois avec rapidité comme auparavant, elle fait à peine la sixième partie d'un tour. Étonnée, elle cherche à mettre la baguette dans une position plus favorable ; mais voyant que rien n'y faisait, elle s'écrie ; « Ohl ce ne sont pas les reliques d'un bon saint. » En etlét, les reliques du premier paquet étaient authentiques, tandis que l'autre ne contenait qu'un morceau de dra») qui avait appartenu à une Carmélite de Reaune Fuorte en odeur de sainteté. Tous les assistants furent étonnés, car on savait que la Jeune fille

'220 RAi-PoHib M\>iiMLt- m: l hum ml avec la >atlre.

ignorait complètement quelles étaient les véritables re- liques. L'abbé Lescot^, ofiicial du cardinal Camus. \int après ces essais dans le lieu oii ils avaient été faits. Plus défiant encore que les autres , il les fit répéter en sa pré- sence, et ne put découvrir aucune trace de supercherie. La jeune fille s'occupa de sa nouvelle découverte, et fit divers essais sur des reliques et sur des pièces d'or, et chaque fois avec succès. L"abbé et le P. Cavard, supérieur de l'Oratoire, en prirent occasion de lui faire remarquer que son action, dépendant de son intention, nepouvait être naturelle. La jeune fille leur dit de son côté ce qui lui était arrivé. Touchée parleurs observations, elle renonça sin- cèrement au déniun et à la baguette. Une fois encore ce- pendant elle la tint sur des métaux, et s'aperçut sans grande émotion qu'elle ne remuait plus. Mais sa mère et sa sœur n'en avaient pas pris aussi facilement leur parti ; elles étaient désolées de la perte que leur causait sa réso- lution, et il paraît que plus tard elles la décidèrent à em- ployer de nouveau la baguette, et qu'elle recouvra le don qu'elle avait perdu. L'aiguille devint immobile également chez le prieur Bard et le chanoine du Pernau, après une renonciation semblable de leur part.

La chose faisait donc toujours de nouveaux progrès, et ceux qui cherchent partout leur avantage tâchaient déjà de l'exploiter, lorsque le prince de Condé, voulant aller au fond de laiîaire, fit venir Aimar à Paris. Lorsqu'il fut ar- rivé, on l'accabla de visites et de questions. Mais on l'en- ferma dans le palais, et l'on commença les essais. Ceux-ci étaient singuliers à la vérité : il devait par exemple cher- cher un voleur qui, sept ans auparavant, avait volé des truites dans un vivier du prince. Cette pensée toutefois

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RAPPORTS MYSTIQÎES DE l'HOMME AVEC LA NATIRE. 221

avait pu être inspirée par une bravade d'Aimar, qui s'était vanté d'avoir découvert l'auteur dune action vingt-trois ans après qu'elle avait été faite. Il se prêta donc à l'essai. La baguette désigna un enfant qu'on avait rendu suspect à Aimar, mais qui ne se trouvait dans le pays que depuis un an. Elle resta muette lorquon l'eut apportée dans le lieu OLi peu de temps auparavant un archer avait été assassiné avec quinze blessures , et par conséquent il devait y avoir encore des millions de molécules capables d'indiquer le meurtrier. Les essais que l'on fit sur Feau et les métaux ne réussirent pas davantage. La baguette passa sans rien dire devant quatre tas d'argent que l'on avait enfouis, et s'agita au contraire devant un cinquième tas il n'y avait que du sable et des pierres. Elle passa aussi plusieurs fois sans bouger sur le ruisseau de Chantilly, parce qu'une voûte cachait l'eau , et qu'un terrain planté d'arbres par- dessus trompa le devin. Ainsi aucun essai n'avait réussi, et Aimar se vit forcé d'avouer à la fin au prince qu'il ne savait rien de tout ce qu'on lui attribuait, et qu'il n'avait eu d'autre but jusque-là que de gagner sa vie. 11 lui était arrivé comme à beaucoup de somnambules, qui, après avoir commencé par la vérité, finissent par le mensonge, parce que le concours de la foule éveille en eu\ la vanité ; et il avoua qu'il avait été égaré, moins par sa propre au- dace que par la crédulité des autres. On le congédia, et il disparut pour reparaître quelques années après. La foule ne se mêla plus de l'affaire , et c'aurait été le cas alors pour les hommes habiles de faire des recherches sérieuses afin de &uoir ce qu'il y avait de vrai; mais ils firent comme les autres, et, après s'être amusé quelque temps avec la ba- guette, ils la jetèrent de côlé. .^^Trr^ Of Ht/Vj^*^

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'l'il RAPPORTS >1\>T1QLE'? DE L HOMME AVEC LA NATURE.

explication Pour nous, suivant une autre méthode, nous étudierons ^mènes"^ avec soin tous ces faits, afin de savoir quelles conclusions on en peut tirer. Et d'abord les observations les plus ré- centes ont prouvé que, si anciennement il s'est mêlé be<in- coup d'illusion et de supercherie dans ces sortes d'afTaires, on y trouvait pourtant autre chose encore. 11 y avait évidemment un don, non acquis, mais gratuit, ne tenant ni à l'âge, ni au sexe, ni à la nationalité, ni au tempéra- ment, ni au lieu: mais un don, accordé comme génie à très-peu de personnes dan? toute sa perfection, commu- niqué comme talent à un plus grand nombre, quoique avec parcimonie encore, quelquefois repris périodiquement ou pour toujours. Ce don renferme deux choses : la faculté de sentir les objets, et celle de réagir contre cette impres- sion. La première produit en ceux qui l'ont reçue des sensations et des affections organiques dont ils n'ont point la conscience, telles que des mouvements fiévreux, des oppressions, des sueurs, un poids dans l'œsophage, des palpitations et d'autres .symptômes de celte sorte, qui tous indiquent que le foyer de ces impressions est dans les ^ plexus du cœur, et que leur canal est dans les plexus so- laires. Cette perception tantôt reste obscure, et tantôt de- 1 vient claire an contraire; mais elle précède tout le reste ; car c'est elle qui fournit à l'action tout entière son objet. Celui-ci agit donc d'une manière positive, comme cause finale et but de l'action, et c'est lui qui dirige la ba- guette vers son Init. Cette dernière joue un rôle pure- ment passif : sa matière, sa forme, la manière dont elle a été coupée importe donc peu, et toutes les prescrip tions de la superstition sur ce point sont étrangères à cet

RAPPORTS MYSTI<ii:ES DE l'hOMME AVEC LA NATURE. 223

L'objet, de son côté, peut appartenir d'abord à la na- ture physique; et comme celle-ci dans ces opérations est soumise aux lois de la nécessité , les objets physiques of- frent encore les plus gi-andes garanties dans les essais de ce ^■enre. et donnent les résultats les plus constants. Mais en- I (>re ne faut-il pas compter avec eux sur une entière certi- tude; car, sans parler de la forme imparfaite de l'instru- ment, qui peut donner lieu à beaucoup d'illusions, il ne faut pas oublier que dans ces cas, ce qui donne la direction, ce n'est point une matière purement inerte, mais la force qui vit en elle : ce n'est point, par exemple, la masse du métal, mais l'action électrique, galvanique, magnétique dont il est la source. 11 peut donc arriver qu'un métal ou une source soit indiquée sans cette action, comme il peut arriver, au contraire, que celte action sur l'organisme ait lieu sans le voisinage immédiat de l'élément que l'on cherche; et dans ces deux cas l'instrument se trompe. Er- pie, un des hommes qui ont possédé au plus haut degré la faculté dont il est ici question , a fait en ce genre une ex- périence très -instructive. 11 avait entendu parler à une vieille femme d'un trésor que Ion disait avoir été enfoui en un certain lieu. La baguette indique à l'endroit désigné de l'or, de l'aigent et du cuivre à une profondeur de deux toises. Il fait creuser le sol jusqu'à onze pieds; puis, con- gédiant son ouvrier, il creuse lui-même un, deux, trois pieds plus avant, et ne trouve rien. Il reprend la baguette; celle-ci remue, mais la pointe en haut, comme si les mé- taux n'étaient plus dans la terre, mais au-dessus d'elle. Il sort de la fosse, reprend une troisième fois la baguette, qui remue de nouveau et indique quelque chose en bas, « Comment, se dit-il à lui-même, un trésor dans l'air! »

224 RAPPORT.^ MY^Ti^UE^ DL l" HOMME AVEC LA NATURE.

Il commence à avoir des inquiétudes, et dit à Dieu : a Mon Dieu, s'il y a du mal ici, je renonce au diable et à la baguette. » Aussitôt celle-ci, qu'il tenait encore à la main, s'arrête : Erpie fait le signe de la croix et s'en va. Mais au bout de quelques instants il se dit : a Comment ! elle ne se remuera donc plus pour moi ? » Aussitôt il coupe une nouvelle baguette, pose à terre une pièce de quatre sous, et à sa grande joie il voit la baguette s'agiter de nou- 1 veau au-dessus d'elle. 'Lebrun, t. III, p. 218.) 11 est facile j de reconnaître que beaucoup de légendes il est ques- ' tion de trésors qui s'enfoncent dans la terre et d'autres phénomènes de ce genre ont quelque rapport avec cette expérience et ont eu pour base des faits semblables. Le foyer de l'action était dans ce cas situé hors de l'objet et tlottait en l'air après qu'on eut déplacé la terre. On aper- l coit encore ici , comme chez la fille de Martin , une autre source d'illusion . venant de ce que la cause qui opère appartient à une personne morale et douée de li- berté.

Cette cause , en effet, est organique , et sous ce rapport elle peut appartenir à la vie inférieure , ou se trouver au contraire dans la sphère d'action de la Yolonté. Dans le pre- mier cas, elle est soustraite à l'influence du libre arbitre, comme la vie elle-même dont elle fait partie , tandis que dans le second, au contraire, elle est peut-être déterminée par lui. l'action et la cause finale sont unies par un lien nécessaire, et la première suit immédiatement l'excitation de la seconde, comme nous voyons partout dans la vie la réaction suivre immédiatement l'action qui la sollicite. (Ce- pendant, ici encore, cette action, à cause de la grande mo- bilité des forces vitales et du libre jeu des force.s organiques.

RAPPORTS MYSTIQUES DE L HOMME AVEC LA NaTIRE. 22.)

est sujette a bien des oscillations, comme nous lo voNons dans le pouls. Elle peut, comme celui-ci, devenir, sans cause apparente, petite ou dure, intermittente ou interrom- pue, sans compter que toute cette région, quoique fermée à la volonté, est accessible néanmoms aux affections dont le siège est dans la vie inférieure. Or, lorsqu'une force du second ordre opère, la baguette se trouve placée entre deux sollicitations, l'une phAsique, l'autre morale. Si donc la volonté dirige son intention sur l'objet qui a provoqué la première, elle en détruira l'action physique par suite de l'empire qu'elle exerce en son domaine : elle remuera ou ne remuera pas à son gré la baguette, avec ou sans intention, comme on le voit dans beaucoup de mouvements volon- taires. Que si les objets appartiennent au domaine moral, se divisant comme lui en bons et mauvais, cette même liberté, qui fait que la cause efficiente agit ou s'arrête à volonté, s'étendra aussi à ces objets, et leur donnera telle ou telle détermination. La baguette deviendra la bâton de l'augure ; elle ne sera plus poussée par une nécessité fatale et exté- rieure; mais , conduite par la main du prêtre, d'après les règles de sa science secrète , elle indiquera les contrées du ciel. Ainsi s'explique ce qui arriva à Aimar lorsque sa pré- somption l'eut entraîné dans ces domaines, et comment les essais faits à Lyon et à Paris avec le même soin, par des hommes également sûrs et compétents, eurent néan- moins des résultats si différents.

Nous pouvons comprendre aussi par les essais faits par les prêtres dont il a été question sans avoir besoin de re- courir à des influences diaboliques. Même dans les essais de Schaefler, l'intention de la volonté était dirigée tout entière sur l'élecliophoie que l'on venait d'inventer, ei

2*J6 rapports MYSTIQI.ES r»F. l'hOASME AVEC L\ iNATURE.

c'est elle qui par sa puissance faisait osciller vers celui-ci le pendule. Ceci ressort bien mieux encore de l'essai que l'on fit aMBC les cent volumes. Ici, en effet, la force de la nature était affaiblie à un degré qui surpasse rimagination, et ne pouvait agir comme cause linale que d'une manière homœopalhique pour ainsi dire. Si nous cherchons d'après quel mode agit celle force motrice, nous ne pouvons mé- connaître qu'elle gît dans le système musculaire. Elle est communiquée aux muscles par les nerfs, et ceux-ci dirigent d'après l'uitention de Ja volonté le mouvement des muscles vers les objets dont le sens a été frappé. Dans ce mou- vement, c'est ordinairement Tos qui sert de levier, tandis que dans les muscle.; git la force qui remue immédiate- ment celui-ci. Or dans tous les mouvements de la vie, l'action est déterminée, d'après les lois de la nécessité, j ar une cause physique, soit immanente, comme le sang dans le battement du cœur, soit extérieure, comme l'atmos- phère dans la respiration. Mais dans les mouvements spon- lanés l'action est sollicitée en outre par une cause morale, immanente aussi ou extérieure ; de telle sorte néanmoins que la volonté est libre de donner ou de recevoir la déter- mination et de diriger son intenlion de tel ou tel cô(é. D'autre part, de même que dans les maladies nerveuses, lorsque les régions supérieures de la vie sont déprimées et liées par les régions inférieures, les mouvements pren- nent le caractère de celle-ci, de même, dans un sens op- posé, lorsque ces dernières sont élevées et absorbées par les premières, comme nous lavons vu par un grand nombre d'exemples tirés de la Vie des saints, les mouve- ments prennent aussi la forme des régions dominantes. Or le premier résultat de cette élévation de la vie, c'est

RAPPORTS .MVSTigtES DE l" HOMME AVEC LA NATURE. 227

un dégagement tles forces organiques ; de sorte que la fa- culté motrice, qui réside à létat luteut dans le système musculaire /devient rayonnante et se produit au dehors. Llle ne meut plus seulement alors des leviers immédiate- ment soutenus par des muscles^ mais encore des leviers extérieurs; aussi dirige-t-eile la baguette d'après les lois et les formes du mouvement musculaire. Et nous retrou- vons en effet dans les mouvements de la baguette divina- toire toutes les formes de ce dernier.

Que les muscles, par quelque influence physique ou mo- rale, puissent exercer au dehors une attraction et une im- pulsion magnétique, c'est ce que prouvent, sans parler de la baguette divinatoire . une multitude de faits que Ion a observés dans la vie commune ou à l'occasion de la sorcel- lerie, lue femme nommée Berehata, vers Tan 1000, dé- ciiarge des gerbes un jour de fête. Tout à coup elle reuiarque avec effroi que ses deux mains restent attachées à Tune d'elle, mais avec une telle force que. pour leur faire là- cher prise, il aurait fallu les couper. Cet état devenant per- sistant, elle fait un pèlerinage à Tile pour invoquer sainte Valburge. elle fait sa prière devant l'autel, et sent sa main droite se détacher la première de la gerbe. Elle se jette alors à terre, s'y roule quelque temps; puis étend l'autre main, et le sacristain voit devant l'autel la paille qu'elle tenait auparavant. Elle rend grâces à Dieu de sa guérison, qui avait eu un grand nombre de témoins, et s'en retourne joyeuse chez elle. [A. S., 2o febr.) Cette femme avait été prise évidemment de crampes convul- sives. L'effort interne qui agitait les muscles s'était produit au dehors, et lui avait fait saisir convulsivement la gerbe qu'elle déposait à terre, jusqu'à ce qu'une détonte eût re-

2*28 RAPPORTS ;^n^TIûL■E? DE I."llOMME AVEC LA NATURE.

lâché le s\r,tème musculaire. Ailleurs, c'est une jeune fille, pieuse du reste et très-dévote envers les saints, mais qui aime trop le jeu de la balle, auquel les jeunes gens et les jeunes filles avaient coutume de s'amuser ensemble. Mal- gré tous les avertissements, elle ne peut renoncer à ce plaisir. Or un jour qu'elle s'y livrait avec sa passion ordi- naire, la balle s'attache tout à coup si fortement à sa main qu"ûn ne peut la lui arracher qu'avec des douleurs très- vives et à sa grande confusion. A partir de ce moment, elle renonce à ce passe -temps et mène une vie plus sé- rieuse. {Vie de sainte Vaîburge.) Une autre fois c'est un peloton qui s'attache tellement à la main d'une femme qui coud le jour de >"oël que personne ne peut le lui ôter. (A. S., 29 aug.) Une autre femme de Sarburg file ayant sa quenouille à la main droite, et tournant le fuseau de la main gauche; elle s'aperçoit que l'un et l'autre s'attachent à ses mains. Le soir, il est vrai, le fuseau se détache, mais ses doigts se recourbent vers la paume de la main. Le len- demain matin elle se rend à l'autel de Saint-Adelphe, y fait sa prière, montre au saint sa quenouille attachée à sa main, et elle s'en détache aussitôt. Mais la nuit son autre main devient percluse : elle fut guérie cependant pendant les matines, ilhid.) Biaise de Un des faits les plus frappants en ce genre s'est passé en Lorraine, en présence de Rémi, qui le i-aconte dans sa Démonolafrit'. Une femme nommée Biaise de Valfracuria demeurait en 1389 dans la même maison que son gendre, nommé Renier, qui était tailleur. Claude Gérard avait donné à celui-ci du drap pour lui en faire un pantalon, et malgré toutes ses instances il ne pouvait l'obtenir de Pie- nier. lu jour qu'il était allé chez lui pour le lui demander

ïlfracuria.

RAPPORTS MY>T1QLT.S DE l' HOMME AVEC LA NATURE. î>'29

de nouveau, ayant trouvé Biaise assise seule au foyer, il lui exposa avec emportement l'objet de sa visite. Biaise se trouva très-blessée; mais, cachant son dépit, elle invita Gé- rard à s'asseoir avec elle au foyer et à manger des pommes qu'elle faisait cuire. Gérard se laisse persuader, et prend une pomme ; celle-ci s'attache à sa main, et, comme elle était brûlante, il cherche de l'autre main à s'en débarras- ser. Mais à peine a-t-il approché cette main de l'autre que toutes les deux se collent ensemble, comme si elles nen formaient qu'une. La pomme le brûle tellement qu'il est sur le point de s'évanouir de douleur. Il crie, il court chez lui, prie les passants de venir à son aide. Les voisins arrivent, conseillent, ordonnent tout ce qui leur vient à l'esprit, s'olforcent de séparer les deux mains, mais sans pouvoir y réussir. L'un est d'avis qu'il faut le reconduire . à Tendroit môme oii le malheur lui est arrivé. Biaise se moque de lui en le voyant venir, comme s'il ne s'agissait que d'une farce; puis elle lui frotte le bras de haut en bas jusqu'à ce que la pomme tombe d'elle-même, et que les mains reprennent leur premier état. Cette femme con- naissait parfaitement, on le voit, la nature de cet accident et la manipulation magnétique qui pouvait soulager Gé- rard. Mais il est facile aussi de voir que dans ce cas et les autres que nous venons de citer se produit le revers de ce qui apparaît sous une autre forme dans la baguette. Lors- qu'on approche celle-ci d'une veine métallique, elle est mise en mouvement par le moyen des esprits nerveux , parce que ceux-ci sont plus mobiles. Mais si le métal était plus mobile, au contraire, les esprits nerveux, au lieu de remuer la baguette, seraient mis en mouvement par elle, et la baguette oscillerait , tremblei'ait ou toui'-

230 RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AA EC LA NATURE.

lierait du côté de l'organe, selon les circonstances. Après les expériences que nous venons de raconter, nous lie devons pas être étonnés de lire dans Albert le Grand , de Motu animahum, 1.3, qu'il a connu deux enfants^ ju- meaux probablement, qui avaient une propriété singulière. Lorsqu'on les approchait d'une porte fermée, l'un l'ouvrait avec le côté droit, et l'autre avec le côté gauche. Les pôles magnétiques du système musculaire s'étaient déjà dans le sein maternel partagé tellement entre les deux frères, que la prépondérance de l'action positive était tombée dans le côté droit de l'un, et celle de l'action négative dans le côté gauche de l'autre; de sorte que, lorsqu'ils étaient réunis tous les deux^ comme ils l'avaient été dans le sein de leur mère, ils formaient ensemble un aimant vital com- plet. Mais lorsqu'ils étaient séparés, le membre positif de l'opposition dominait dans l'un et agisssait au dehors, tandis que le membre négatif dominait dans l'autre; et tous deux ouvraient les portes en saisissant et écartant les verrous de fer avec leurs côtés polaires. Si dans ce cas nous voyons l'action des courants magnétiques, nous devons reconnaître celle des courants électriques dans les essais qui ont été faits sur les deux jeunes filles Dhespina et Zabetula, dont il a été question dans les journaux de Smyrne. Lorsque , placées, il semble, dans des états électriques opposés, elles saisissaient les deux bouts d'une table de bois non isolée, sans se toucher néanmoins, il se manifestait aussitôt un courant allant dans la direction de l'une à l'autre, lequel ^e trahissait d'abord par un craquement du bois, qui s'éle- vait peu à peu jusqu'à des détonations semblables à celles qui seraient résultées d'un coup de poing donné sur la table. Mais le mouvement et le bruit cessaient dès que les

RAPPORTS iâVSîlULES DE LHoMMF AVEC LA NATURE. 2U 1

jeunes filles se prenaient par la main , ou se mettaient en rapport par un conducteur.

Nous ne tlevons pas èlre étonnés davantage quand nous lisons quil y a des liommes qui font sortir d'une blessure le métal qui > éîait caché, la pointe d'une flèche, pai evemple., rien qu'à la toucher, ou même par leur seule ap- proche. Ces hommes font ce que pourrait faire en pareil cas un aimant très-fort. Tout cela n'est que l'effet de la loi i:énérale de la réaction. Les métaux, les pierres, les mi- néraux de toute espèce exercent un attrait sur tous les hommes qui sont dans un rapport naturel avec eux. Mais ils sont à leur tour attirés par ceux-ci , surtout lorsque le rapport prend sa source dans un surcroit d'énergie vitale, et que celle-ci l'emporte sur la force de l'attrait exercé par l'objet matériel. 11 en est de même du rapport qui existe entre l'eau et l'homme doué de la facuUé de découvrir les sources. L'eau qui coule sous terre, sollicitant les esprits NÏtaux en rapport avec elle, agit de telle sorte qu'ils des- cendent par une sorte de reilux avec le sentiment de quel- que chose qui les lie. C'est ce que la légende exprime à sa manière quand eUe nous parle de l'attrait des Ondhies. A ce reflux correspond un flux, dans lequel l'élément de son côté obéit et monte à son tour, ajoutant sa puissance à celle de la vie , et doublant ainsi l'énergie de cette der- nière.

Ce qui a lieu pour la teiTe et pour l'eau s'applique aussi instinctsde aux autres éléments. Comme toutes les affections de cette animaux. sorte, réfléchies à l'intérieur, se révèlent sous la forme d'instincts, les animaux doivent les ressentir plus forte- ment encore que l'homme, puisqu'ils sont dans un rapport jdus intime que lui avec la nature. C'est par suite de ce

23 2 RAPPORT> MYSTIQLFS DE L HôMMF. .VVEC L\ NATURE.

rapport aver la parlie solide et inimoliile de la terre que nous voyons dans les animaux cet attachement instinctif au sol sur lequel ils sont nés, et qui fait que le lièvre poursuivi par les chasseurs revient toujours à son gite, quelque loin qu'il s'en soit écarté. Au reste, cet instinct se retrouve jusque dans l'iiomme , et y produit souvent cette maladie mystérieuse qu'on appelle le mal du pays. Les autres éléments de cet univers, tels que l'air et l'eau , nont point, il est vrai, la même solidité ni la même im- mobilité que la terre. Cependant les nombreux change- ments auxquels ils sont sujets sont, particulièrement dans les contrées tropicales et polaires, réglés par certaines lois fixes et déterminées. Outre l'instinct casanier qui attache les animaux au sol, il en est un autre qui pousse un grand nombre d'entre eux à émigrerdans d'autres contrées; et c'est surtout entre les pôles et les tropiques que cet instinct exerce son action. Parmi tous les animaux, ceux sur les- quels il agit avec le plus de puissance sont les oiseaux, à cause de leur extrême sensibilité et de leur mobilité con- tinuelle. Aussi les voyons-nous attirés dans des contrées lointaines, les uns par le soleil qui monte, les autres par le soleil qui descend, émigrer par troupes, les un^ vers le sud, les autres vers le nord; et ce qui place les pointes de leurs bandes à angle droit vers le méridien, c'est cet aimant qu'ils portent tous au fond de leur être; de sorte qu'ils ar- rivent toujours au même lieu dans l'une ou l'autre de leurs deux patries adoptives.

11 en est ainsi des émigrations des poissons. C'est ce même instinct magnétique qui du Nord les conduit aux mêmes rochers de la côte septentrionale de l'Asie Mineure dans la mer Noire. On aperçoit ju-^que pai-mi les animaux

RAPPORTS MYSTIQUES DE l/ HOMME WEC LA NATURE. 233

de la terre forme quelques traces de cet instinct voyageur et des émigrations régulières dont il est la cause. Quant au.v migrations irrégulières et accidentelles qu'on remarque chez eux quelquefois, elles peuvent tenir en partie à un certain rapport mystérieux avec le feu souterrain, rapport qui leur fait pressentir parfois les tremblements de terre. L'homme, qui renferme en lui d'une manière éminente toutes les espèces animales, et qui, dans un certain sens, est tout à la fois animal terrestre, oiseau, poisson et zoo- phyte, ne peut manquer de prendre part aux manifesta- tions cosmiques de ces instincts. De même donc que chaque année, au commencement du printemps et de l'automne, nous voyons dans les oiseaux de passage comme des vents alizés vivants, qui vont des tropiques aux pôles et des pôles aux tropiques; de même que dans les migrations des pois- sons nous voyons comme les courants vivants de la mer, ainsi dans l'histoire, particulièrement dans les temps pri- mitifs, plus voisins de la nature, nous voyons les peuples, poussés par un instinct voyageur, traverser la terre et les mers, et inonder de leurs nombreux essaims les contrées du .Nord et du Midi. De tout cela ne devons-nous pas con- clure qu'aux instincts stables correspondent des relations avec les éléments plus solides, rapports qui, comme nous l'avons vu, produisent en certains cas particuliers des ef- fets remarquables; et que, d'un autre côté, les instincts progressifs ont leur base dans des rapports semblables avec les éléments plus mobiles, tels que l'air et le feu, et se manifestent également d'une manière plus tranchée dans certaines dispositions singulières. La vie de Thomme se trouve donc dans un rapport magnétique avec tous les (Uéments; il est attiré rt déterminé par eux en quelque

T.W RAPPORTS MYSTIOTES DE l'hOMME A^TC LA NATURE,

sorte ;, comme il les attire et les détermine à son tour; de sorte que si les tempéraments répondent en lui aux élé- ments de"la nature, il y a également de ceu?-:-là aux der- iiiers une assonance qui les unit.

11 est facile maintenant de comprendre que , lorsqu'un liomme qui déjà se trouve naturellement en rapport avec un élément particulier applique à celui-ci toute l'inten- sité de sa volonté , et se plonge en lui , pour ainsi dire , avec toute la puissance de son àme , il est véritablement ravi dans cet élément, et qu'il en résulte pour lui un rap- port analogue à celui que nous avons constaté plus haut entre certaines dispositions naturelles et les astres du fir- mament. L'élément auquel l'homme s'est livré par une sorte d'idolâtrie, et dans lequel il a placé toutes les af- fections de son cœur, devient la base, la racine de sa \ie, et la cause efficiente de toute son activité. Mais le lien qui l'attache à cet élément repose lui-même, comme nous l'avons vu, sur une certaine analogie; il met en rapport le feu interne de la vie avec le feu de la nature , le souffle vital dans les artères avec le souftle de Tatmos- phère, l'eau de la vie dans le sang avec l'eau extérieure, l'élément terrestre enfin qui gît dans le système osseux et musculaire avec la terre sur laquelle nous marchons. C'est la nature qui domine et qui règle ces rapports , et c'est l'homme qui est dominé par elle. Il n'est pas pure- ment passif néanmoins ; mais il réagit de son côté contre la puissance qui tend à l'absorber. L'àme inspirée de cette manière, ravie, rassasiée par l'élément qui s'est em- paré d'elle, prend sa forme et sa nature, pour ainsi dire, et ressent, par une sorte de sympathie magique , tous les états qu'il parcourt lui-même. Elle met en lui toutes ses

RAPPORTS MYSTIQUES DE L HOMME AVEC LA NATURE. 235

inclinations et tout son amour. C'est en lui et par lui qu'elle agit, qu'elle connaît et qu'elle contemple la na- ture. Ensorcelée par lui, elle est tout à fait sous soîi charme ; elle l'assimile et se laisse assimiler par lui . et tous deux sont liés ainsi par l'nnion la plus intime. Le ton., l'air, l'eau, ou la terre, est pour ceux qui se sont ainsi laissé dominer par lui un maître, un roi. Bien plus, dans l'antique culte de la nalure. ils le reconnaissent et l'honorent comme un dieu: ils sont ses prêtres et ses pro- phètes; ilsannoncent, propagent et exercent son culte; ils sont à la fois ses \oyants et ses magiciens, et c'est en son nom qu'ils prononcent leurs oracles, et opèrent leurs pro- diges. Telle est cette magie des éléments, qui se rattache à celle des astres, dont nous avons parlé précédemment, et dans laquelle les divers éléments produisent des etîets et établissent des rapports non moins remarquables que ceux qui résultent du commerce de l'homme avec le monde sidéral.

'236 RAPPORTS MYSTIQUES DC l" HOMME AVEC LA NATL'UE.

CHAPITRE XII

Rapports mystiques de riiomme avec le monde végétal. L'arbre p?r excellence ou Tarbre du monde dans la légende de tous les peuples. Il s'épanouit dans le froment et le vin. C'est k lui que se rattache la botanique mystique des temps anciens, dont il nous est resté encore quelques débris. Opposition entre les plantes qui excitent et cdles qui calment. L'arbre de la connaissance du bien et du mal s.e retrouve partout. Les essais de Kerner faits sur la voyante de Prevorst avec les substances végétales donnent les mêmes résultats que ceux faits avec les minéraux. L'ancien culte des plantes et des végétaux.

Les Éthiopiens se représentaient la terre, avec la multi- tude des plantes qu'elle nourrit de ses sucs, comme une table toujours abondamment servie . et à laquelle tous les hommes, conviés par le soleil, leur père, et la terre, leur mère, peuvent se rassasier joyeusement des fruits dont elle est chargée. Mais la terre nétait pas seulement pour eux une mère; elle était encore une nourrice; et, d"après une ancienne légende, au premier printemps de ce monde avait fleuri un arbre dont les fruits étaient des hommes. C'était Tarbre des arbres : il réunissait en lui toute la force et toute la vie du règne végétal, et dans son fruit était rassemblé et réuni tout ce qui est partagé dans les autres fruits de la terre et sert en eux de nourriture; de sorte que la vie, concentrée et recueillie en lui . se déployait dans une magnifique hamionie. Ils consacrèrent donc un certain arbre qui était pour eux Tarbre sacré, l'imagé de l'arbre de l'univers, lequel porte nu lieu de fruits les étoiles et les planètes, au pied duquel jailht la source des temps, dont les feuilles laissent couler un miel pur, aliment des premiers hommes, et à l'ombre duquel enfin les dieux

l

RAPPOKTs MYMIUttS Dt I.'HUMMt Wtl LA NATLKt. 237

î-ont assis comme juges. Cet arbre était à leurs yeui cummc le prêtre,, le roi et le centre vivant du règne végétal tout entier. Il était comme le médiateur entre eux et les dieux; et lorsque sous son ombrage ils présentaient à ces derniers, sur une table de pierre, l'offraiide de ses fruits, ils devaient, en mangeant ceux-ci, s'approprier la vie qui résidait en eux, et par eux la vie de Tarbre sacré lui-même; se mettre ainsi en rapport avec la vie et la vertu de tout le règne végétal, et enfin s'unir de cette manière avec h terre, leur mère, et les corps célestes.

Mais plus tard la famille humaine se partagea en di- verses tribus, et l'arbre primitif ou radical se partagea aussi entre les diverses espèces de végétaux. Chacun s'appropria ce qu'il trouva en lui de plus conforme à sa nature et à celle du pays il vivait. Or, de aième que chaque repas en particulier se rattache aune offrande générale, faite par un peuple tout entier au début de sa nationalité et de son his- toire, et tire d'elle sa vertu sanctitiante, ainsi cette olîrande elle-même se rapporte à l'offrande faite à îorigine au nom du genre humain tout entier sous l'arbre primitif, et dont le souvenir se conserva longtemps parmi les liommes,àqai il rappelait l'unité de leur race. La persée, le lebak, en Kthiopie et en Egypte; le lotus en Libye et dans l'Inde; le palmier en Phénicie et en Arabie, de même qu'à Délos; l'amandier euPhry^iie, le chêne à Dodone et chez tous les Caulois ; le frêne et le chêne dans le nord germanique, etc., sont devenus, dans les légendes des peuples, des arbres merveilleux et nationaux à la fois. Centres subordonnés du monde végétal, entourés de bosquets sacrés toujours verts et toujours épargnés par la tempête, ils rappelaient aux diverses tribus de la grande famille humaine la présence

238 RAPPORT:? MYSTIOLES DE L HUMME WLC LA NATURE.

des dieux; et c'est à eux qu'elles rattachaient et la protec- tion de ces derniers^ et leurs inspirations dans les oracles, et toutes les idées de fidélité et de justice. Chaque tribu en particulier faisait dépendre encore de son arbre favori .sa propre conservation^ sa liberté, la vie et la mort de ses membres, de même que la durée de l'univers entier tenait à Tarbre universel. Ce rapport de l'humanité avec la nature par ce quil y a de végétal dans l'homme, s'est tellement empreint dans Tesprit de Tantiquité qu'il a pénétré jus- que dans les plus hauts domaines de 1" intelligence. De même en etïét que chez les Indiens la mythologie, la symbolique, la poésie et fart ont un caractère tout végétal, ainsi, à Textrémilé de rOccident, le livre sacré des Irlandais, j'<jgham, a pris toutes les lettres dans le règne végétal; de sorte que chaque mot forme un groupe représentant les combinaisons toujours changeantes de plusieurs arbres. Puis, ces mots donnent lieu eux-mêmes à des phrases, à des pages, à des livres, lesquels , résultant de combinai- sons plus nombreuses et plus compliquées encore, repré- sentent les bosquets sacrés qui croissent autour de l'arbre principal et le cachent aux yeux des profanes.

Au milieu de tous les dons que la nature présentait pour aliments à ses enfants, elle appela bientôt leur attention sur le plus précieux, à savoir le blé; et celui-ci, répandu promptement par l'agriculture, devint la nourriture géné- rale de l'humanité. Dans le blé, la terre, comme une nour- rice bienveillante, donne sa meilleure substance, son lait à l'homme, son nourrisson : et celui-ci, par reconnaissance pour ce bienfait, finit par rattachera cette plante si pré- cieuse pour lui toutes les idées de moralité , d'ordre, de justice et tous les biens d'une vie meilleure. A ce don un

RAPPORTS MYSTIQUES DE LUOMME AVEC LA NATURE. 239

descendant du père de 1 humanité en avait ajouté un autre, ' vin, qui n.'jouit le cœur. C'était le sang généreux de la terre, comme l'appelle Androcide dans sa lettre à Alexandre le Grand; le sang du géant, comme l'appelaient les Égyptiens, qui était donné aux hommes pour breuvage. A la vue des phénomènes merveilleux produits par cette subslauce, ceux-ci, frappés par un spectacle si nouveau pour eux, crurent voir dans le jus de la grappe le secret d'un ordre de choses plus élevé et un mo^en de se mettre eri communication avec les dieux par l'inspiration de la nature. Leur attention une fois appelée de ce côté, ils se Uouvèrent bientôt amenés à de plus amples recherches; et c'est ainsi que le règne végétal tout entier leur dévoila peu à peu tous ses trésors. Ils remarquèrent que, de même que chaque plante uait sous un climat déterminé, et renferme une vie qui lui est propre, de même aussi elle est dans un rapport particulier avec certaines dispositions nerveuses, et produit dans l'organisme humain les phénomènes les plus diNers, depuis la gaieté franche et cordiale que produit le ^in pris avec modération jusqu'à la fureur sacrée des mystères de la clairvo\ance, phénomènes qui tous affec- tent les régions internes de la vie, et qui tous aussi sont unsliques dans leur nature. Toutes ces choses furent soi- gneusement observées, et servirent à des investigations plus profondes encore. Ainsi se forma peu à peu une masse de connaissances secrètes, par le moyen desquelles le contact avec la nature devint toujours plus intime, et les rapports magiques avec ses puissances toujours plus familiers. A cette époque, en effet, les choses de ce genre étaient mieux observées et avec beaucoup plus de fruit qu'elles ne le furent plus tard, lorsque l'esprit humain

240 RAPPÙRl? MY6110LLS Ut LHUMML AVEC LA NATIRE.

b' appliqua davantage à obsener et à classer les formes extérieures.

Une partie de cette botanique mystérieuse des premiers temps s"estconseiTée dans les écrits des anciens ; une autre est parvenue jusqu'à nous par la tradition et les pratiques de la sorcellerie, et on la retrouve encore en partie dans le peuple parmi les bergers , les bourreaux et les médecins populaires. Mais la plus grande partie en est perdue, selon toute apparence. Ce que Pline nous en dit au vingt-qua- trième livre de son Histoire natureUe peut déjà nous en donner une idée. D'après lui, Démocrite fait mention d'une plante nommée achemenidon, qui croît à Tardistylis dans l'Inde. Elle est sans feuilles et a la couleur de l'électrum; ses racines, sentes en forme de pastilles et mêlées avec ]e vin, effraient la nuit les malfaiteurs par des visions terri- bles qui les forcent de confesser leurs crimes. L'opliiuse, selon d'autres, croît à Eléphante en Ethiopie; elle a une couleur pâle , une forme désagréable ; ceux qui en boivent ont peur des serpents, et en viennent souvent jusqu'à se tuer eux-mêmes dans la frayeur qui les poursuit : c'est pour cela qu'on la donne aux sacrilèges. Elle a pour contrepoi- son le vin de palmier. La théangélis, qui croit sur le Liban, sur le mont Dyctis en Crète, à Babylone et à Suse, donne à ceux qui en mangent la faculté de prédire l'avenir. En Bactriane et sur le Borysthène croit une plante nommée gélophylis, qui, mêlée avec le vin et la myrrhe, produit aussi des phénomènes singuhers, et particulièrement un l'uu rire qui ne cesse que lorsqu'on a bu du vin de palmier mêlé de poivre, de miel et de graines de pin. Selon Dios- coride , la racine du manicum solanum, mêlée au vin dans la proportion d'une drachme, produit des visions singu-

l'.AF'POKTS MYt'fKiL'thi DE LHU.MML AVEC L.V NATUHE. 2il

lieres et des images agréables. Il est dit ailleurs qu'Antoine ayant défait les Parthes, ceux-ci, poussés par la faim, trouvèrent, selon Appien d'Alexandrie^ une plante dont ils crurent pouvoir manger; niais bientôt ils se mirent à tirer des pierres de la terre , poussés par une force irrésis- lil)le et persuadés qu'ils faisaient aussi quelque chose de grand ; puis ils rendirent beaucoup de bile^ et moururent ainsi. Toutes ces excitations^ on le voit, ont cela de com- mun qu'elles pi'oduisent une concentration des forces de la vie inférieure, et par suite la clairvoyance. Cependant chaque excilant en particulier se distingue des autres par quelque caractère spécitique, qui le met en rapport avec tel ou tel organe du corps humain , et qui se manifeste dans telle ou telle direction.

Lorsque, dans ces derniers temps^ la médecine s* est mise à étudier davantage ces effets singuliers^ une partie des observations faites par les anciens ont été confirmées. On a remarqué entre autres choses que le simple flair de la semence de jusquiame, particulièrement lorsque la cha- leur augmente encore son énergie, donnent à ceux qui en respirent les exhalaisons un penchant à la colère. Deux époux très-unis dailleurs ne pouvaient rester deux heures ensemble à travailler dans la même chambre sans se que- reller de la manière la plus violente. On crut qu'un sort av§it été jeté sur la chambre qu'ils occupaient, jusqu'à ce qu'enfin on eût trouvé près du four un paquet de semences (le jusquiame; et, lorsqu'on l'eût été, la paix revint dans le ménage. { Encyclopédie, t. VU, art. Jusquiame.; D'au- tres fois, après qu'on a pris cette substance, une goutte d'eau paraît un immense océan, ou bien les lettres d'un livre placé devant les yeux semblent vivre et danser en-

r

242 RAPPORTS MYSTIQUES DE l" HOMME AVEC LA NATURE.

semble. D'autres yoient double; tous les objets leur pa- raissent de couleur écarlate^ et ils finissent par perdre la vue. D'autres eniin sont pris de manie furieuse, et s'agi- tent comme des possèdes. On a remarqué que des eflets semblables sont produits par les diverses espèces de sola- num, avec cette diflérence qu'ici l'excitation, dans ses degrés inférieurs, dispose davantage au plaisir et à la volupté, tandis que la ciguë fait voir quelquefois des troupes de chats et de chiens. Les expé^ences de celte sorte devinrent tellement nombreuses qu'on nomma plu- sieurs de ces plantes d'après les etret;? singuhers quelles produisaient. C'est ainsi qu'on appela la renoncule rzoW> : la belladone, plante qui donne du courage; la pomme épineuse, herbe folle; l'ivraie, herbe qui donne le ver- tige; et le lycopersicum , pomme damour.

L'Orient surtout étudia avec un soin tout particulier ces sortes de rapports, afin d'en tirer profit à sa manière pour la satisfaction des passions. On sait quel abus on y fait de J' opium, ailn de se procurer des extases artificielles , et quelles suites déplorables résultent de cet abus. A force d'observer les propriétés des plantes, de les couq^arer entre elles et de tempérer leurs effets par des mélatiges savants, les Orientaux, avec le tact délié et le sens exquis qui leur est propre, ont fini par composer des thériaques dont ils disent des merveilles. Le docteur Kaïmpfer a eu pc- casion d'éprouver sur soi-même reiîei de Tune de ces com- positions, et nous a laissé là-dessus un récit détaillé dans son livre Amœnitatum exoticarum fasclcidi, p. 652. Il fut invité à Gami'on, le Bender-Abassi des Perses, par les Ba- nianes, avec six autres Européens, à un festin près de la ville. Lorsque, pendant le repas, on en vint à porter les

RAPPORT* MVJTIQDKS DE L HOtMK AVEC LA NATURE. 'it.J

santés, les Européens burent du vin à souhait; mais les Banicines, à qui cette liqueur élait interdite, prirent à la place quelques bouchées d'un électuaire qu'on leur avait envoyé de leur pays peu de temps auparavant. Kaïmpfer désirant y goûter, on lui en donna une bonne part, qu'il distribua aux autres, à l'exception d'un seul, qui ne voulut pas en manger, parce qu'il en connaissait déjà l'effet. Tous Curent inondés d'un bien-être qu'ils n'avaient encore jamais ressenti auparavant. Ce n'était que joie, gaieté, badinages, rire et tendresse mutuelle. Le soir, lorsque les hôtes montèrent à cheval pour s'en retourner chez eux, la chose prit une autre forme : il leur sembla qu'ils étaient emportés sur des coursiers ailés par delà les nuages et tra- versaient des ponts formés par des arcs-en-ciel; car mille lumières des couleurs les plus brillantes et les plus variées frappaient leurs regards. Arrivés chez eux, ils se mirent à table pour souper. Les mets leur parurent si succulents qu'ils se croyaient à la table des dieux. Le lendemain ils se réveillèrent sans éprouver aucun sentiment pénible. De tout ce qu'ils avaient vu ou fait la veille il ne leur resta que le souvenir de la joie qui les avait inondés, et de plus, chose assez bizarre, limpression de la crainte qu'ils avaient eue continuellement, soit en marchant, soit en allant à cheval, de tomber du côté droit. Mais pour tout le reste ils furent obligés de se le faire raconter par celui d'entre eux qui n'avait point voulu manger de l'électuaire.

L'observation des effets produits par ces plantes lit bientôt conjecturer qu'il devait y en avoir d'autres pro- duisant des effets contraires, ayant par conséquent la pro- priété de calmer et d'éclaircir l'esprit; et ce même sens de la nature qui avait découvert les plantes dont nous venons

244 RAPPORTS MYSTIQUES DE L HOMME AVEC LA NATURE.

de parler ne tarda pas à trouver aussi les autres. Si les premières agissaient sur l'organisme en polarisant ses puissances , en décomposant ses éléments , les autres de- vaient, au contraire^ faire rentrer dans son lit la vie qui avait débordé par-dessus ses rives ^ rétablir dans les forces et dans les éléments de l'organisme l'harmonie entre leurs oppositions, assoupir les manifestations de la vie infé- rieure, et donner ainsi lieu aux puissances supérieures de manifester leur action. Comme on avait rangé les substan- ces excitantes dans une série progressive , selon le degré d'excitation qu'elles pouvaient produire, on fit la même cliose pour les calmants. On plaça donc dans une caté- gorie les herbes et les plantes que la doctrine mystique et secrète de l'antiquité désignait et employait comme cal- mantes. Ainsi, par exemple, relativement à l'appétit sexuel, on opposa au satyrion^ dont le seul contact suffit pour exciter les sens, la nymphée, le daphne cneorum, Yarjnm cafitus , Vêrigeron graveolens ou le conyza, l'ail, et surtout Tasphodèle , de la famille des Us, cette plante merveil- leuse , qui, mâle et femelle , croit jusque dans le monde inférieur. [Symbolique deCreuzer, 4.) Puis venait le gui, sacré pour les Gaulois, et que les dieux eux-mêmes sèment sur le chêne qui leur est consacré; le gui, qui , coupé par les druides avec une faucille d'or, le sixième jour de la lune, lorsque celle-ci est dans sa force, et reçu, puis conservé dans une étoffe blanche, est appelé d'un nom qui signifie qu'il guérit toutes les maladies, parce qu'en eiiet il neutraUse tous les poisons et donne la fécondité. Il en est ainsi de l'ai'bre des mages nommé hom, source de toute bénédiction et de toute prospérité, couronne du règne végétal et sans lequel aucune offrande ne peut être

RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME AVEC LA NATURE. 24 J

présentée aux dieux. Puis vient ïasckitias acidaôes Indes, dont le suc, laiteux, acide et amer, calme les nerfs et les détend. Tiré solennellement de la plante qui le renferme, avec certaines cérémonies et certaines formules, cet extrait est pour les brahmes la quintessence de toute nourriture, le lait le plus substantiel de la terre, le moyen de Fim- mortalité ; et c'est pour cela qu'ils remploient dans tous leurs sacrifices.

L'antiquité, dans sa manière de considérer la nature, crut que les substances excitantes étaient principalement le produit de l'action du soleil, et portaient ainsi son em- preinte, tandis que les autres, se rapprochant davantage de la lune dans leurs effets, étaient marquées aussi de son caractère. Mais comme on voyait d'un autre côté que c'est le soleil qui agit sur la lune, et que la lune, à son tour, réagit sur le soleil, et que par conséquent, à chaque vibration positive , à chaque liaison produite par celui-ci correspond une détente et un dégagement passif produit par celle-là, on ne tarda pas à conclure que ces deux clas- ses de plantes, celles du soleil et celles de la lune, se subdi- visaient en deux parties, et que chacune renfermait des plantes excitantes et calmantes, capables d'éveiller ou de plonger dans le sommeil magnétique, avec cette seule ditTérence que les unes opéraient à la manière du soleil , et les autres à la manière de la lune. Ce n'était au reste que la répétition de ce que nous avons déjà trouvé dans le règne minéral. Toutes les plantes avaient à l'origine une racine commune s'enfonçant dans la terre, laquelle don- nait aux hommes, dans le froment, sa moelle la plus intime pour nourriture. Puis, au-dessus de la terre, s'éle- vait la vigne, terrestre par en bas, mais liélio- lunaire

246 RAPPORTS MYSTIQUES DE 1." HOMME AVEC LA NATURE.

partout ailleurs , et fournissant au genre humain une li- queur généreuse. Puis enfin venait toute la série des plantes hélio- lunaires et luni- solaires, auxquelles se rat- tache une variété infinie cVelTets et d'actions. Mais le végé- tal qui enfonce ainsi ses racines dans la terre, c'est l'arbre de la science du bien et du mal : les effets que produisent ses différents fruits sont donc partagés en bons et mau- vais, non-seulement dans Tordre matériel, mais encore sous le rapport moral. De même donc que son action ma- gique donne naissance à deux magies opposées, l'une bonne, l'autre mauvaise , ainsi, sous le rapport physique , il se manifeste comme charme et contre-charme. De même, en effet, que chaque poison a son contre-poison, ainsi tout charme a son antidote. C'est pour cela que parmi les Cory- bantes, si trente savaient charmer, vingt pouvaient dé- truire leurs charmes.

On comprend de cette manière comment l'antiquité, après s'être appliquée à rechercher les charmes de la magie naturelle , s'est mise à étudier aussi les substances qui pouvaient leur senir d'anlidote. Cette double investigation a commencé de si bonne heure que nous en trouvons l'empreinte dans les idiomes des différents peuples. Ainsi chez les Germains, lorsqu'ils étaient pa'iens encore, beau- coup de plantes tiraient leurs noms de ceux des dieux : comme le baidrian la valériane;, du dieu Balder; l'aconit ou thorshut, du dieu Thor. Mais dans le christianisme Topposi- tion se produit d'une manière encore plus tranchée. Nous voNons, en effet, que le bon principe dans les végétaux aime à prendre son nom au Christ, aux anges et aux saints, tandis que le principe mauvais emprunte les siens au diable et à sa troupe. Ainsi, d'un côté, la scabieuse s'appelle morsure

KAPFÛhTS MYSTIQUES DE LHOMME A\EC LA ^ATURE. 2i7

du diable , la jusquiame œil du diable, la belladone baie du diable, leuphorbe lait du diable, la bryone cerise du diable, la ciguë persil du diable, l'aconit racine du diable, le lycopode gritTe du diable ou poudre dos sorcières. Mais déjà nous voyons le caractère de l'antidote se produire dans rhypericuni, qui s'appelle fuite ou malédiction ou vol du diable; tandis que les plantes bienfaisantes s'ap- pellent iierbe de la grâce de Dieu , racirje du Christ, racine des anges, rose de Marie, et de mille autres noms qui expriment la victoire du bon principe. Grimm a recueilli tous ces noms dans sa mythologie allemande. Plusieurs plantes expriment à la fois les deux principes , comme par exemple l'hyoscyame, si important dans ce cercle. Une des plantes les plus énergiques dans la magie s'appelait apollinaire chez les anciens, al tercum chez les Arabes, parce qu'elle était consacrée à Apollon, tandis que les peuples chrétiens l'appelaient herbe d'Apollinaire, à cause du saint qui porte ce nom. Le nom de racine noire du Christ donné à l'ellébore semble indiquer un rapport semblable, et exprime à la fois la bénédiction et la malé- diction qui résident dans les propriétés des diverses plantes, et donnent naissance aux charmes et aux contre- charmes. Si donc la pivoine est déjà vantée par Pline comme remède contre le cauchemar; si l'herbe nommée rnoly était déjà considérée dans l'antiquité comme un pré- servatif contre la fascination ; si les lychnis , les aristo- loches, les thapsies, le tussilage, le cyclamen, la scille , le ricin ou palma christi, le fenouil et la sauge étaient reconnus généralement comme empêchant l'effet des channes , toutes ces plantes devaient cette propriété à la bénédiction que la nature y avait déposée.

248 RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hûMME AVEC LA NATURE.

Afin de comprendre, autant que la chose est possible aujourd'hui , ces idées à demi effacées d'un temps si loin de nous, nous devons, comme nous l'avons déjà fait pour le règne minéral, étudier les essais qui ont été faits en ce genre dans les temps modernes. La chose doit être natu- rellement plus difficile que pour les substances inorga- niques, parce qu'ici la vie, plus rapprochée de la matière, lie les divers éléments par des combinaisons plus simples, tandis que dans le règne végétal nous rencontrons une force vitale et des lois plus élevées, dont nous ne pouvons saisir que le jeu et les manifestations extérieures. base de toutes les plantes est la même : c'est l'oxygène, le carbone et l'hydrogène. Ce sont les voyelles, pour ainsi dire, auxquelles viennent s'ajouter comme consonnes les autres éléments, dont les combinaisons diverses com- posent en quelque sorte le dictionnaire de la langue vé- gétale. C'est de ces trois principes élémentaires que sont composées les fibres de la plante , qui forment le tissu de la moelle, des vaisseaux, du bois et de l'écorce, et qui s'épanouissent dans les branches en feuilles et en fleurs. Mais le règne végétal se distingue du règne minéral en ce qu'aucun de ces trois éléments n'est forcé d'entrer dans la combinaison avec un seul atome, mais que trois ou quatre atomes de l'un s'unissent avec quatre ou cinq de l'autre, pour en former un atome composé. Il résulte de que les substances organiques doivent manifester au dehors d'autres propriétés chimiques que les substances inorga- niques, composées des mêmes éléments ou d'éléments presque identiques associés de la même manière, et que la vie de la plante a quelque chose de plus que celle des mi- néraux, quelque chose que la natiUT physique toute seule

RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME WEC L\ NATURE. 249

ne saurait jamais donner. Et conirao ces éléments, dès que la vie s'est retirée , se séparent sans aucune altération, on doit en conclure que c'est la force vitale qui produit cette dilTérence entre la plante et les minéraux, en ajoutant aux combinaisons particulièrement caractérisées par les pro- portions pondérales . des éléments des qualités dont les degrés déterminent à leur tour la nature et l'espèce des végétaux. C'est ce que prouvent les essais faits par Kerner sur la voyante de Prevorst, avec diverses espèces de raisins qu'il lui mettait dans la main. Les uns produi- saient un étourdissement dans la tète , une fatigue dans les membres et un sommeil subit. Les autres éveillaient, au contraire, un sentiment de froid dans tout le corps ^ ou une sorte de roideur dans les nerfs. Ceux-ci répandaient dans le corps une chaleur générale , ceux - donnaient des battements de cœur et accéléraient le mouvement du sang. Les uns manifestaient; leur influence par une cha- leur locale, ou sur la poitrine ou dans les entrailles, les autres produisaient des douleurs dans les yeux, et faisaient comme flotter devant eux un nuage. Tous ces raisins étaient cependant composés à peu près des mêmes élé- ments, et toute la diftërence qui existait entre eux venait de la force vitale qu'ils puisaient dans le sol ils avaient cni, et qui remplace dans les végétaux les forces physiques du règne minéral. Nous devons donc retrouver en elle les mêmes oppositions que nous avons constatées dans ces dernières, lesquelles, agissant d'une manière positive, prennent un corps dans l'oxygène, tandis que lorsqu'elles agisesnt d'une manière négative elles se produisent au dehors dans le potassium et les substances combustibles qui leur sont analogues.

•i50 RAPPORTS MYSTîQUES DE l'hOMME AVEC LA NATURE.

Mais Kerner a essayé encore d'autres substances \égé- fales^ plus tranchéeS;, pour ainsi dire, dans leur nature que celles dont nous venons de parler. Parmi celles qui pro- duisent le sommeil magnétique, les feuilles et plus encore les baies du laurier se sont montrées particulièrement effi- caces. Il suffisait à la malade d'en tenir cinq à la main pour tomber en cet état, et sept le faisaient durer deux heures. De même que le cristal de roche la réveillait de ce som- meil, ainsi, à l'époque elle n'était plus magnétisée, les feuilles ou les baie? de laurier la replongeaient infaillible- ment dans cet état. Les sorbes produisaient le même effet, ainsi que l'arbre lorsqu'elles étaient seulement mises en rapport avec lui par un lien long de quinze aunes : l'effet était même plus fort alors que lorsqu'elle prenait à la main des branches ou des feuilles de cet arbre. Celui-ci produi- sait encore , de même que le thé vert et les châtaignes vertes non encore mûres, des éblouissements et des nuages devant les yeux; de sorte qu'elle ne sentait plus de tout son corps que la tête; mais lorsqu'elle prenait à la main des feuilles d'épinards, il lui semblait que la partie anté- rieure du cerveau était endormie, tandis que le cervelet était éveillé. L'odeur du lichen jolitus lui donnait un sen- timent agréable et le sommeil magnétique. Les figues et les feuilles de figuier, les asperges, le romarin, la sauge l'éveillaient à demi; le safran et l'ail l'assoupissaient; la fleur du lis blanc rafraîchissait tout le système nerveux et provoquait des songes.

A mesure que les oppositions paraissaient plus tranchées, les phénomènes se produisent d'une manière plus déter- minée aussi. Ainsi la racine del'artémisia vulgaris produit des vertiges etunelongue défaillance. Ramenée àelle-même

RAPPORTS MYSlIQtLS Dt L HOMME AVEC LA .>Art'RE. 2oi

par la baryte sulfatée^ la malade dit quelle voyait tantôt mie montagne, tantôt une herbe avec des lleui*i< très-pe- tites, mais que tout cela disparaissait dès que la pensée du spath se présentait à elle. Létourdissement que produisent les feuilles rouges de la fè\e est plus fort encore dans la jusquiame, qui lui donne des vertiges avec la sensation de purulysie et un demi-sommeil magnétique, tandis qu'une goutte diiuile de jubquiaiue lui faisait paraître des nuages deNant les yeux. Vn grain de rachie de belladone lui don- jiait le vertige, et il lui semblait alors que le cerveau lui branlait. Ses yeux, dont la pupille s'élargissait d'une ma- nière considérable, voyaient double, et se fermaient de telle sorte qu'on pouvait à peine les rouvrir. L'action se faisait sentir surtout dans le cervelet : un état de demi- veille survenait, mais le cristal de roche la réveillait tout à fait. Si l'on mettait la moitié d'un grain d'extrait de racine de belladone à dissoudre dans une once d'eau, si on mêlait ensuite trois gouttes de cette dissolution dans quatre onces d'eau, trois gouttes de cette seconde solution produisaient chez elle, d'une manière homœopathique, un sentiment de chaleur dans tout le corps, particulièrement à la tète et à la poitrine, un all'àiblissement dans la vue et un enroue- ment. Son corps lui semblait petit, sa tète grosse, au con- traire , et chacune de ses paroles retentissait comme un tonnerre daub son cerveau. L'agaric blanc enfin lui don- nait des éloiudissements, et il lui semblait que tout dan- sait autour d'elle dans sa chambre. Ce sentiment ne pou- ^ait être calmé que par la barUe sulfatée.

Au laurier, cette plante des prophètes, était opposé la baguette de coudrier, qui ôtait à la malade toute la force magnétique, et la réveillait complètement. D'après d'autres

232 RAPPORTS MYSTIQUES DE LliO.M.ME AVEC LA NATURE.

essais faits ailleurs sur une femme qui ne croyait point à l'influence de cette plante, elle produisit une sensation de roideur aux mains et aux pieds. Il en est de même de la fleur de plantago média et du lierre^ qui produisaient éga- lement la roideur dans les membres. Mais avec Thélianthe, la fleur du soleil, commence une nouvelle série de phéno- mènes. Cette plante, en effet, produit une vibration et une dilatation des paupières qui force la patiente à ouvrir les yeux dans toute leur grandeur, pendant que son corps se met à tourner involontairement par un mouvement circu- laire à partir de la poitrine. Le blé de Turquie non mûr encore lui faisait rouler les ncux et lui donnait des défail- lances. Le bras droit se remuait depuis le côté en remon- tant jusque vers la tète ; puis il descendait et répétait ce double mouvement . comme dans la danse de Saint- Gui, jusqu'à ce qu'en soufflant sur la malade on eût excité en elle des crampes magnétiques générales; et elle s'éveillait alors en poussant un cri. Le houblon frais encore produi- sait un rafraîchissement dans tout le corps depuis la pointe de la langue, des étourdissements dans la tête avec le sen- timent de quelque chose qui montait le long delà colonne vertébrale. Elle éprouvait aussi des commotions, après lesquelles elle se sentait forcée de remuer tout son corps^ mais le bras surtout; de sorte qu'elle se magnétisait, pour ainsi dire, elle-même en promenant sa main sur tout son corps à partir de la tète. Le geum urbanum, dans sa fleur ou simplement en herbe, et le caoutchouc lui causaient aussi des mouvements qui n'étaient pas naturels et une grande excitation nerveuse. D'autres végétaux produisaient encore des effets analogues. Ainsi, trois noix de Galle causaient une paralysie instantanée dans la colonne vertébrale; de

KAPI'OHTS >nSTlUl bS 1»K I,'ho\IME AVEr LA NATI'KE. 2o3

borte. que la iiiulado ne pouvait ni lever la tète ni se dres- ser. La parahsie partait, disait-elle, du cervelet et de la niuelle èpinière, et elle ne pouvait s'en délivrer qu'en sentant la plante noniniée calendula, et en se trottant le creux de l'occiput avec de l'huile de romarin. L'odeur de calendnla lui donnait en etlet la faculté de redresser la tête, et le frottement d'huile de romarin produisait en elle une sensation comme si quelque chose lui courait de l'oc- ciput jusqu'à l'os sacrum, et de dans le bas -ventre. Après quoi elle pouvait se relever. Si elle s'asseyait contre un placard l'on gardait des noix de galle, elle éprou- vait une paralysie dans le bras tourné vers lui. On peut encore ranger dans cette classe de phénomènes les elî'ets de la semence de ricin, qui lui endormait le bras, et de l'indigo, qui lui courbait la main comme un métal et lui doimaitdes crampes violentes dans la poitrine.

La régularité qui distingue le résultat de ces observa- tions est une preuve de leur exactitude, quoiqu'elles ne suffisent pas encore pour nous initier complètement à tous les secrets de ces domaines. Mais ce qui ressort clairement de toutes ces expériences c'est la puissance que la vie vé- gétale propre aux plantes exerce sur la vie animale, lors- que celle-ci se trouve favorablement disposée pour rece- voir son action. La vie végétale, en effet, a ses courants et ses rives, pour ainsi dire; elle se compose d'une multitude de flux subordoiHiésqui ont lieu autour de leurs axes, qui tous se réunissent en un mouvement général autour d'un axe interne, et qui forment ainsi autour de la plante une sphère d'action d'un diamètre déterminé. Si donc un homme d'une nature très-mobile entre dans cette sphère; s'il se met dans un rapport plus intime encore avec tel ou ni. S

2r)4 RAPPORTS MTSTIQIES DE LHOMME AVEC LA NATURE.

tel arbre par un conducteur-, on voit se produire aussitôt, en raison de rélement végétal que l'homme renferme eu soi;, une action réciproque entre les courants animaux et végétaux. Les uns se trouvent accélérés ou ralentis parles autres, conduits dans telle ou telle direction, placés de telle ou telle manière; et comme faction est réciproque, c'est la vie la plus forte qui l'emporte. Le laurier, avec lequel la prêtresse se met en rapport de cette manière, la rend claii voyante, et devient pour elle l'arbre des prophètes, de même que le chêne di-uidique du Zeus de Dodone, dont- l'action est encore augmentée par la source qui coule à ses pieds, excite dans les prêtres du dieu un enthousiasme que dissiperait l'action calmante d'autres espèces végétales. La vie des plantes a donc son côté électrique et son côté magnétique. Tous les deux se révèlent dans tous les do- maines du règne végétiil, de même que dans la nature inorganique. comme ici ils sont inséparables l'un de l'autre, et se provoquent réciproquement. Les végétaux ainsi modifiés doivent avoir la propriété de produire dans tous les êtres vivants accessibles à leurs influences la même disposition à laquelle ils doivent eux-mêmes leur origine. I

Or, que le règne végétal renferme en soi des dispositions électro-magnétiques qui sont comme les organes de la vie des plantes, c'est ce que prouvent les expériences faites pai' Amoretti. Celui-ci croit en effet avoir découvert que toutes les plantes sont électro-motrices non-seulement pen- dant qu'elles vivent, mais encore quand elles ont cessé de végéter: que les anthères ont un pôle positif dans la plante, tandis que les pistils se cqmportent négativement à l'égard des premiers: que toute semence propre à la germinatioii

RAPPORTS M\i>TlQlES DE L HOMMb AVEC LA NATl RE. 2.).)

il deux pôles; que dans les sexes partagés entre les dillé- rentes Heurs d'une môme tige ou distribués sur des indi- vidus séparés, les fleurs mâles ont une polarité positive, et les fleurs femelles une polarité négative; que^ dans le der- nier cas, la difîérence s'étend jusqu'à la tige et au tronc ; que, lorsque les deux semences, mâle et femelle, mû- rissent unies ensemble dans une même cosse ou séparées dans les boutons, les plantes qui sortent d'une semence positive doivent produire de nouveau une semence posi- tive aussi, et se trouvent déjà dans le germe marquées d'un caractère positif, conmie les autres sont marquées d'un caractère négatif au contraire. Que les arbres frappés de la foudre sont, depuis la racine jusqu'au sommet, et le long des branches, à des intervalles d'environ deux pieds, disposés positivement et négativement tour à tour; que cette disposition persé^ère, et qu'on la retrouve même dans le bois fossile.

11 serait curieux de savoir quel est le rapport de ce jeu des diverses forces de la vie à l'égard de l'action des élé- ments qui leur senent de voile; mais l'état actuel de la science permet à peine de résoudre ce problème d'une ma- nière satisfaisante. On sait, comme nous l'avons déjà dit, (jue le carbone, l'iiulrogène, l'oxygène et l'azote entrent dans la composition de toutes les substances végétales, et que toute la difféience de celles-ci vient de la variété qui eviste dans les rapp(jrts de ces divers éléments. Or de ces quatre élémeiUs deuv semblent avoir une polarité électro- magnétique, et les deux autres la polarité contraire. On a constaté que les combinaisons les plus simples du carbone et de l'azote, lorsque le caractère négatif domine, forment les radicaux composés qui correspondent dans le règne

2.)b IIA1'I»UKJS MVSTIUIE:> L>E L HOM-Mt A\KC LA NATURE.

organique aux corps simple du règne inorganique, tels que les métaux et les substances analogues. Comme les métaux, ces l'adicaux composés doivent donc , lorsque le caractère positif survient en eux, éprouver un changement dans leur état, changement dans lequel les nouvelles combi- naisons se partagent en deux branches, selon que l'acidité ou l'alcalinité végétale domhie en elles. Ainsi nous trou- vons dans une première série les huiles et les stéaroptènes, d'autant plus grasses et plus épaisses, et bouillant à une température d'autant plus haute que le carbone y est plus abondant, d'autant plus légères et volatiles qu'elles con- tiennent plus d'hydrogène. Puis nous trouvons dans l'autre série, d'un coté les acides quinique, méconique, lactu- cique, sinapique, fungique, bolétique, igasurique; de l'autre côté, les bases salines végétales, telles que la mor- phine, la narcotinc, la strychnine, la brucine, la quinine, l la vératrine, l'émétine, etc., puis, entre ces deux classes, d'un côté les substances astringentes, et de l'autre les amères; et cnlin autour du point d'intersection les subs- 1 tances in di frère ntes, telles que Tamidon, la gomme, les nmcilages, le sucre, etc. Mais il est très-difficile de con- . naître, d'après les expériences qui ont été faites, les effets t spéciaux de ces substances sur un organisme très-impres- sionnable, parce que tous ces essais ont été faits avec des plantes ou des parties de plantes vivantes, et composées d'un grand nombre d'éléments. 11 serait à désirer que l'on profitât de la première occasion favorable pour explorer davautatic ce domaine.

CHAPITRE XIIT

Rapports iiKifïiqiios avec le rèjciio animal. Coinmeiit l'ori^îliie des peuples agriciilleurs, pasleiirs el chasseurs, se ratlarhe àla jouissanc (In fruit (It't'endu. De la puissance magique de riiomme sur certains animaux, sur les serpents par exemple. Explication de ce symptôme pur le traitement magnt'tique des animaux. Coninienl l'honmie est dominé à son tour pnr ceux-ci. Pln'nomènes extraordinaires résul- tant ûo la morsure de la tarentule. Comment Thomme prend quel- (juffois la nature des animaux. Des loups-garous. Origine du culte rendu aux animaux dans l'antiquité.

La jouissance du fruit défendu a troublé les rapports de rhomme avec la nature; de telle sorte que, abandonnée h elle-même, elle ne lui donne que de mauvaises berbes et des ronces, et qu'il est obligé de lui arracher pénible- ment, en cultivant le sol, les herbes et les fruits dont il doit se nourrir. La même chose est arrivée dans le règne animal, et il ne nous est resté que de faibles débris de la puissance que nous avions sur les animaux à l'ori- gine. Ceux-ci se sont partagés, pour ainsi dire, en deux classes. Les uns ont conservé pour Thomme un certain at- tachement, et sont restés avec lui comme animaux familiers et domestiques : de est venue la condition de pasteur. Les autres se sont éloignés de lui, au contraire, et sont de- venus errants; ou bien, tournant contre lui leurs cornes, leurs dents ou leurs griffes, ils l'ont forcé d'employer contre eux la force et la ruse; et c'est de qu'est venue la condition de chasseur. Mais comme l'homme peut s'éle- ver au-dessus de lui-même, ou descendre plus bas encore, ses rapports à l'égard du règne animal et du règne végétal sont susceptibles aussi d'une certaine élévation ou d'une

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certaine dépression. Dans l'un et l'autre cas^ ses rapports naturels font place à des rapports magiques, qui peuvent être, ou des 'dons de la nature, ou relTet de quelque ma- lédiction ;, de quelque maladie et d'une sorte de conta- gion naturelle. Si donc l'homme peut, d'un côté, exercer une puissance magique sur certaines espèces animales, il peut, au contraire, devenir en quelque sorte leur es- clave. Dans le premier cas l'animal est humanisé, pour ainsi dire; et dans le second cas l'homme est abruti. Ce sont ces deux états que nous allons étudier dans ce cha- pitre.

La première espèce animale qui se présente ici à nos ohservations, c'est celle du serpent, de cet animal mysté- lieux sous la forme duquel a eu lieu à l'origine la pre- mière tentatioîi d'où est résulté T abrutissement primitif et radical de l'homme. Symbole de toute magie, le serpent a su charmer notre premier père par ce même regard qui en- core aujourd'hui attire les petits oiseaux, de sorte qu'ils ne cessent de voler ou de sauter jusqu'à ce qu'il les ait en- gloutis dans sa gueule. Mais il se laisse à son tour volon- tiers charmer par l'homme. Expression parfaite de l'oppo- sition qui gît au fond de tout ce qui est terresU-e, il porte la mort dans son venin et une source de rajeunissement dans sa peau. Tantôt il cherche sous la terre la fraîcheur et l'obscurité, et tantôt, au contraire, il aime à se réchauf- fer au soleil, et à cuire son venin sous ses rayons brûlants, après avoir dormi pendant l'iiiver. Animal venimeux et sa- lutaire, répandant une odeur infecte et un doux parfum , brillant de l'éclat des plus belles couleurs, ou blessant le regard par les nuances les plus repoussantes, il est, plus que tous les autres animaux, un objet de haine et d'épou-

RAPPOUTS mystiques de l'homme avec la -NATLRE. 2o9

vante pour rhomme; et cependant il peut entrer avec lui dans les rapports les plus familiers; de sorte que celui-ci, lorsqu'il en a reçu la puissance , peut attirer de leurs trous les serpents les plus venimeux , les prendre avec les mains, les rouler autour de ses bras et de son cou , et jouer avec puv comme avec les bêtes les mieux apprivoisées, tandis que les espèces innocentes sont considére'es comme portant bonheur à l'homme, qui les souiï're volontiers chez lui et les nourrit de lait ou d'autres choses. Ce rapport était déjà comiu du temps de Salomon, comme nous le voyons par ces paroles du psaume lviu: « Leur fureur est semblable a celle du serpent, à celle d'une vipère sourde, qui ferme son oreillo pour ne point entendre la voix de Tenchanteur qui sait bien enchanter, »

Pline désigne comme enchanteurs en ce genre les Ophio- gènes, dans l'Hellespont, lesquels pouvaient, par le seul contact, guérir les morsures de serpent, et en extraire le venin par la seule imposition des mains. 11 ajoute que, d'a- près Varron, il y avait encore dans cette contrée des hommes dont la salive était un excellent remède contre la morsure des serpents. 3Iais c'étaient surtout les Psylles, tribu africaine nommée ainsi de leur roi Psyllus, dont le tombeau se trouve dans les grandes Syrtes, qui se distin- guaient en ce genre; car leur corps renfermait un venin terrible pour les serpents, et exhalait une odeur qui en- dormait ceux-ci. La chose allait si loin , qu'ils avaient cou- tume d'exposer aux serpents les plus furieux les enfants nouvellement nés, afin d' éprouve)* par la fidélité de leurs femmes, parce qu'ils ne fuyaient point devant ceux (jui étaient le fruit d'un adultère. Cette tribu avait été, il est vrai , anéantie par les Nasamons, qui s'étaient empa-

2g 0 RAPPORT? MYSTIOrF> h?. L" HOMME AVFX LA NATURE.

rés de leur pays; mais la rare .^Y'tail conseryée par les vagabonds^ ou par ceux qui n'avaient pas été présents à la bataille/ et il en existait encore quelques individus. Il y avait aussi en Italie le peuple des Marses, issu d'Anguistia, fille de Circé, et qui possédait la môme vertu. Saint Au- gustin raconte de ces derniers que les serpents connais- saient si bien leur voix et leur étaient si obéissants^ que, dès qu'un Marse parlait, ils sortaient aussitôt de leurs trous. {De Genesi ad Utteram,\. u, c. 28. j Beaucoup d'autres témoins dignes de foi confirment cette assertion de sair.t Augustin. On attribuait aussi la même propriété aux Oblo- I gènes, peuplade de l'ile de Chypre; et leur envoyé Hexa- gone en donna une preuve en se faisant jeter dans un ton- neau rempli de sei^pents, qu'il conjura tous, de sorte qu'aucun n'osa lui faire de mal; mais ils s'enlaçaient dou- cement, au contraire, autour de lui, et le léchaient avec leurs langues. Il y avait aussi autrefois en Egypte des hommes qui, en claquant des doigts, attiraient ces ani- maux hors de leurs trous, et les congédiaient après leur avoir donné du vin à boire et quelque mets doux à manger. Avicenne rapporte qu'il y avait dans la Damascie des hommes dont le corps était inaccessible aux mor- sures des serpents, à moins qu'ils ne les eussent excités à les mordre, et, dans ce cas, ceux-ci mouraient à l'in- stant. Avicenne, ayant entendu parler de ces hommes, se rendit dans un endroit l'on faisait des expériences de ce genre a^ec un grand serpent; mais lorsqu'il fut arrivé, l'homme qui les faisait était mort. Cependant il vit son fils, qui faisait comme lui des choses merveilleuses. Il ajoute cependant que cette faculté ne garantissait pas contre tous ces reptiles, et que l'un de ces enchanteurs.

RAPPORT? MYSTIQIT.? DE l.'llOMMF. WEC I.V NXTIRE. 201

après avoir pris impunément iiii nombre inlini de serpeiils, fut mordu à lu lin, et en mourut.

Ce que les anciens racontent ici est lontirmé par les ex- périences des voyageurs modernes, qui ont trouvé de ces enchanteurs de serpents dans toutes les contrées du monde. Encore aujourd'hui ils sont nombreux dans l'Inde. Ils prennent, disent-ils, de la poudre de serpent et se frot- tent le corps avec un onguent de la même espèce ; après quoi ils sont persuadés qu'aucun de ces animaux ne peut leur faire de mal. On connaît les expériences faites sous ce rapport par Lane en Egypte. Il vit souvent des en- chanteurs faire sortir des serpents des trous d'une maison à l'aide de certaines formules. 11 fait remarquer^ comme Avicenne, que ces formules ne sont pas toujours sûres: et il cite l'exemple d'un enchanteur qui, après avoir ainsi dompté un grand nomljre de ces bètes, mourut mordu par un serpent à lunettes.

Quant aux enchanteurs de la Barbarie que Riley vit dans le désert pendant sa captivité, leur puissance sur ces animaux venait surtout du charme des sons et de la con- naissance qu'ils avaient des remèdes qui neutralisent leur venin. Ils se servaient surtout dans leurs expériences du serpent à quatre pieds nommé ElMi , et du Beiskah du petit Atlas, à huit pieds et d'une couleur noire. Dans une expérience dont il fut témoin, deux de ces serpents se jetè- rent sur un des Arabes qui les maniaient. Dardant sur lui leurs regards entlammés, avec des sifflements épouvan- tables, ils le mordent d'abord au-dessus de la hanche, puis au cou, et s'enroulent autour du cou, des bras et des jambes. L'Arabe, poussant des cris affreux, la bouche écu- mante. lutte sans succès contre eux. Ils le serrent tou-

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jours plus étroitemonL, de manière qu'il a peine à respi- rer. Ils le. mordent tantôt ici^ tantôt là, jusqu'à ce qu'enfui il tombe à terre le corps couvert de bave et de sang, se roule au milieu d'eflïoyables convulsions, et reste étendu sans mouvement et sans vie. Mais voici qu'on en- tend le son d'une flûte dans la chambre voisine. Les ser- pents écoutent, leur fureur s'apaise peu à peu; ils se détachent du corps de l'Arabe et retournent dans leurs cages pour y être renfermés de nouveau. Le compère qui avait joué de la flûte arrive, ouvre les mâchoires du mori- bond avec un ciseau, et lui verse dans la bouche quelques gouttes d'un liquide noir, puis il lui en frotte ses bles- sures , et lui en fait respirer les exhalaisons. Le moribond commence à donner quelque signe de vie; l'enflure se dis- sipe peu à peu ; il revient à lui en ])àillant, mais tellement épuisé encore qu'il ne peut se soutenir debout. C'était l'haleine et la bave des serpents qui avaient produit ces symptômes de mort; car on leur avait arraché auparavant leurs dents venimeuses, dont la morsure, disait l'Arabe, ne pouvait être guérie que par une puissance extraordinaire, comme celle dont l'Éternel l'avait doué lui et son compa- gnon.

Les serpents ne sont pas au reste les seuls animaux capables d'entrer dans de tels rapports avecThomme. D'a- près Pline, dans son Histoire naturelle, 1. vin, le peuple (le l'ile de Tentyre était naturellement antipathique aux crocodiles du Nil, qui fuyaient rien qu'à les sentir, comme les serpents devant les Psylles; et jamais on ne les voyait approcher de leur île. Ces insulaires, dit -il, sont petits, mais doués d'une très-grande présence d'esprit devant ces animiiux, qui du reste sont très-audacieux contre ceux qui

RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA NATURE. 2G3

fuient à leur approche, et lâches à Tégard de ceux qui les atlaqueut. Lorsqu'ils vont se baigner dans le fleuve, ils ne craignent donc pas de les rencontrer. S'ils en trouvent un, saisissant le moment favorable , ils s'élancent sur son dos, et au moment il ouvre la gueule pour les mordre ils ^ introduisent une massue; et, la prenant par les deux bouts, ils s'en servent au lieu de bride pour le conduire à terre. Aussi leur voix seule effraie déjà tellement cet animal qu'ils le forcent à rendre les cadavres de ceux qu'ils ont dévorés, pour les ensevelir. Villamont, dans son Itinéraire, 1. III , 12, rapporte que de son temps les pêcheurs de cette contrée exerçaient encore cet art. Il en est d'autres dont la voi.v exerce un pouvoir semblable sur les rats; de sorte que ceux-ci s'arrêtent dès qu'ils l'entendent. (Wierus, de Mag. infam., p. 92.) Grillaud raconte aussi dans son livre (les Sortilèges, question viii, p. 143, que peu de temps avant que le pape Adrien VI fît son entrée à Rome , il y vit un Grec qui d'un mot apaisa tellement la fureur d'un taureau sauvage qui paissait dans la forêt avec d'autre bétail, qu'il put le saisir par les cornes, et le conduire avec une corde très- faible, mais préparée d'une manière magique, l'espace de quatre à cinq milles, au miUeu de la nuit. Ce fait était connu , car plus de deux cents per- sonnes en avaient été témoins. « Plus tard, ajoute Gril- laud, je vis cet homme dans la prison du Capitole; et il avoua sans détour qu'il faisait tout cela et beaucoup d'au- tres choses encore seulement en prononçant certaines pa- roles. Il échappa de sa prison avant la fin de son inter- rogatoire, par la faveur du peuple et la protection de quelques grands. »

Si l'on vent lerhorchei- les causes de ces phénomènes, i]

204 RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC L\ NATIRE.

est facile de voir qu'elles appartiennent à différents or- dres. Il en est une d'abord qui domine toutes les autres : c'est cet instinct qui fait reconnaître à tous les animaux dans l'homme un être supérieur à eux. C'est cette supé- riorité qui lui a fait apercevoir à lui-même dans la nature la loi de la compensation , dont il a su tirer profit afin d'augmenter sa puissance. En vertu de cette loi, l'univers est disposé de telle sorte que tout se balance avec harmo- nie. L'attaque provoque la défense, le torrent qui déborde trouve une digue qui l'arrête, un lien trop serré une force qui le délie, et chaque poison son antidote. Les poisons fournis par le règne animal trouvent aussi dans le règne végétal leurs remèdes ; de sorte que la bave venimeuse du serpent se trouve paralysée dans ses effets par le suc d'une certaine plante américaine. L'homme a connu de boime heure ces antidotes, et a su de bonne heure aussi s'en servir. Ce n'est pas seulement dans les plantes, mais c'est encore dans l'homme lui-même que la nature a déposé ses poisons et ses antidotes; et l'on trouve en effet des individus dis- graciés ou favorisés par elle, qui ont en eux, comme les plantes ou certaines espèces animales, une vertu salutaire ou capable de donner la mort, laquelle, pour devenir effi- cace, n'a besoin que d'être connue de celui qui la possède. Mais de même que les poisons et les antidotes se font équi- libre dans la matière, de même aussi les forces et les ins- tincts se balancent réciproquement dans le règne orga- nique; et tout ce qui peut servir à manifester ces mouve- ments de rame et de la vie peut aussi concourir à cet équihbre. C'est ainsi que les manipulations magnétiques sont efficaces pour dompter et apprivoiser les animaux les plus féroces. Les anciens connaissaient déjà l'art d'appri-

RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA NATURE. 2^0

\ oiser les lions , et cet art reposait probablement sur le iiiaguélisme. Les expériences qu'on a faites dernière- ment avec les dompteurs d'animaux , et dans les armées pour dresser les chevaux , conduisent aux mêmes conclu- sions.

Le son est aussi un des moyens les plus efficaces en ce genre, particulièrement pour les animaux des espèces in- férieures, tels que les insectes et les reptiles. L'antiquité connaissait déjà l'influence du bruit de l'airain sur les abeilles. Mais des observations récentes indiquent de plus que toute leur économie domestique et la manifestation de l'instinct social qui les distingue à un si haut degré se rattachent aussi au son. Le serpent de son coté, qui tan- lùt dans son trou semble une matière inerte, et tantôt, semblable au métal, s'élance comme poussé par un ressort élastique, est extrêmement impressionnable sous ce rap- port. Frappé par les sons qu'il entend, il s'abandonne volontiers à leur rhythme ; il cède à leur puissance, au mi- lieu même de ses accès de fureur, et rentre docilement dans l'inertie et le silence s'écoule sa vie. Si le son exerce sur lui un tel empire, il ne peut être insensible non plus à la parole articulée. Celle-ci, en effet, lorsque la vie se trouve surexcitée d'une certaine manière, peut être entendue im- médiatement, comme elle l'est ordinairement par le moyen de l'oreille; elle peut alors, môme lorsqu'elle n'est pascom- prise, produire son effet; et c'est ainsi que l'on exphque comment ceux qui sont privés de l'usage de leurs sens peu- vent entendre néanmoins les conjurations ou les comman- dements qu'on leur adresse.

Mais si l'homme peut, en se servant de la puissance qui réside en lui, marquer, pour ainsi dire, les animaux de son

200 RAPPORTS MYSTIQUES DE l' HOMME AVEC LA NATURE.

empreinte et les assouplir à ses lois, il peut aussi de son côté se laisser dominer par eu?: : et cela peut venir soit de lui, soit de leur part. 11 peut arriver en effet que la force vitale d'un animal, enflammée par quelque surexci- tation maladive, se développe d'une manière monstrueuse; de sorte que, mise en rappart avec la force vitale de l'homme, elle absorbe celle-ci, et se l'approprie jusqu'à un certain point. On sait que le virus rabique du chien ou de tout autre animal susceptible de rage peut être inoculé à Thomme, et lui communiquer la nature animale; de sorte qu'il devient enragé lui-même, et ressent un be- soin irrésistible de mordre. Mais la nature du chien se manifeste en lui par d'autres symptômes encore. On cite entre autres un hydrophobe chez qui l'odontt était devenu tellement pénétrant qu'il sentait de loin tous ceux qui venaient le voir, et les appelait par leur nom avant qu'ils fussent devant lui. (Borell., Centiir. m , obs. 68.) D'autres phénomènes obsenés dans F hydrophobie permettent de pénétrer jusqu'à un certain point la nature de ces états extraordinaires. Plusieurs personnes ayant reçu d'un chien le virus rabique ont déclaré que leur frayeur de l'eau venait de ce qu'ils y apercevaient l'image du chien qui les avait mordues.

Nous trouvons dans les lettres du docteur Saint- André à quelques-uns de ses amis, sur la magie, une observation remarquable faite sur la tarentule, qui, innocente tout le reste de Tannée, ne devient venimeuse dans la Fouille et dans la Calabre que pendant les jours de la canicule ; de sorte que sa morsure porte au rire et aux pleurs, au som- meil et à l'insomnie, à la crainte et à la férocité, aux vo- missements et aux sueurs. Le patient dont parle Saint-

RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA NATIRE. 267

André était un Napolitain, soldat au régiment d'infanterie de la Marre, qui avait été mordu par la tarentule. Tant qu'il resta en Italie, ses accès le reprenaient une fois régu- lièrement chaque année; mais en France il en avait quatre. Il tombait dans une mélaiîcolie profonde, et c'est par que s'annonçait le début du mal. Son visage devenait blême, ses yeux hagards; il pouvait à peine respirer, et se sentait étoufler faute d'air. Puis, le mal augmentant, il était renverse à terre, sans mouvement, sans connaissance, sans souffle, et le sang lui sortait de la bouche et du nez. Il se- rait infailliblement mort si l'on ne se fût hâté de faire venir des musiciens qui lui tenaient leurs violons aux oreilles , et en jouaient aussi fort qu'ils pouvaient. Au bout de quel- que temps, ses mains commençaient à remuer, et indi- quaient ainsi le retour des esprits vitaux. Ce mouvement se communiquait bientôt au reste du corps, de sorte qu'il suivait des mains et des pieds la mesure du morceau qu'on lui jouait; et à la fin, sautant avec impétuosité, il prenait un de ses camarades, et dansait avec lui comme le virtuose le plus habile. Celte danse durait sans interruption pendant près de quarante -huit heures, à l'exception de quelques instants pendant lesquels il respirait un peu lorsqu'il était trop fatigué. On lui donnait ensuite un peu de vin et un œuf bouilli dans du lait. Dès qu'on apercevait que son accès allait le reprendre, les musiciens se mettaient à jouer, et le malade recommençait à danser. Lorsque l'ac- cès était passé, il courait par les champs, aiin de dissiper complètement par la transpiration et la sueur le principe contagieux.

Saint- André le vit plusieurs fois dan?er ainsi, un sabre nu à la main, et se l)le?ser le bnis gauche , qui était nu ;

20X RAPPORTS MY>TIQIES DF I/HO>IME AVEC LA NATURE.

mais il guérissait à l'instant ses blessures avec sa salive, qui semblait se changer en un baume salutaire. Si les vio- lons cessaient déjouer, ou si une corde se brisait, il re- tombait sans connaissance comme il était auparavant; et pour le tirer de cet état il fallait lui jouer de nouveau du violon aux oreilles. Mais l'observation la plus remarquable fut celle que fit le docteur avec le miroir. Celui-ci était sur une table, dans la chambre avait lieu l'accès, et l'on vuyaitle malade s'agenouiller souvent devant lui, connue pour y adorer quelque chose. C'est qu'il y voyait l'image dt' la tarentule qui l'avait piqué. Si Ton ôtait le miroir, ou si on le mettait du cùté opposé, le malade, quoiqu'il n'eût pu le voir, relombait aussitôt sans mouvement et sans vie. La même chose arrivait lorsque quelqu'un entrait avec un ruban noir dans le lieu oîi il était. Les violons avaient beau jouer, il fallait pour le rappeler à lui remettre le miroir à sa place ou emporter le ruban noir. La couleur rouge lui était, au contraire, très-a<:réable et l'excitait à danser. Saint- André conseilla aux médecins du régiment de le purger, de cautériser l'endroit il avait été piqué, et d'y appliquer des fers bndants. Mais il mourut quelque temps après, au milieu d'un acaès qu'il eut dans une rue et dans un lieu oii l'on ne put le secourir.

Ce qui frappe dans ce rapport, c'est d'abord cette cir- constance que les accès, après s'être produits une fois par an, au jour anniversaire avait eu lieu la morsure, paru- rent ensuite quatre fois l'année. L'influence des couleurs n'est pas moins remarquable. Le noir, qui, comme la nuit, absorbe toute la lumière, liait la vie chez le malade, et pro- duisait en lui des crampes, tandis que le rouge excitait au contraire une réaction contre le poison et le poussait à dan-

R\I-PORTS MYSTIQUES DE LHOMME AVEC L.\ NATIRE. 2(5 0

cor. La vertu salutaire de sa salive pour guérir les blessures qu'il se faisait en dansant est un fait digne aussi d'atten- tion, et que nous aurons occasion d'étudier plus tard. Mais la circonstance la plus intéressante sous tous lus rapports c'est sans contredit l'apparition dans le miroir de l'image de la tarentule qui l'avait piqué et les honneurs qu'il lui lendait. La rechute était chez lui la reproduction exacte du premier accès; l'animal qui en avait été la cause devait donc s'v retrouver. Son image, produite comme vision interne dans l'àme du patient, et réfléchie extérieurement dans le miroir, était le lien du rapport entre la tarentule véritable et ses émanations qui agissaient encore en lui. Cette image paraissait donc à la place de la tarentule elle-même dans chaque nouvel accès. Le malade, lié par ce rapport à l'es- prit animal qui le dominait, se sentait saisi par lui dans ses rechutes. Il voyait présente la bêle qui l'avait infecté de son venin ; il sentait sa vie surexcitée à son approche , et s'affligeait de son absence dès qu'on enlevait le miroir lui apparaissait son image. Il reconnaissait en elle son maî- tre, et se prosternait devant elle avec respect. Cette histoire nous découvre l'origine de Tidolàtrie et la manière dont celle-ci s'est établie dans le monde. Que voyons-nous ici en effet? In homme possédé par la tarentule. Après la pos- session vient la vision de l'objet qui l'a produite; puis un culte formel, des hommages et des danses. Or il en est ainsi de toute puissance de la nature qui s'empare de l'homme et se l'asservit. Il lui faut un culte, et l'orgie qui accom- pagne celui-ci est tout à la fois et la manifestation du mal et le remède qui le guérit, au moins pour quelque temps. Or toutes les parties de l'univers peuvent être l'objet de ce culte, et il n'est pas une seule chose qui ne puisse de-

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venir un fétic-he pour Thomme, parce qu'il n'en est pas une seule qui ne puisse s'emparer de lui et exercer sur hii un pouvoir magique. Xon-seulement la tarentule, mais le ser- pent fixe aussi quelquefois son image dans l'esprit de ceux qu'il a mordus. Et la voyante de Prevorst, ayant été mise en rapport avec une tige d'absinthe, aperçut dans ses vi- sions une montagne plantée de cette herbe, et elle ne put être délivrée de cette vue que par l'emploi de la baryle sulfatée.

Si l'homme, par la force ou par la contagion, peut tom- ber au pouvoir des animaux, il peut aussi, descendant lui- même de la hauteur Dieu l'a placé, être poussé à cet assujettissement honteux soit par quelque disposition na- turelle, soit par son abrutissement; il peut, en laissant son iaiagination s'empreindre pour ainsi dire des habi- tudes et de la condition de la nature animale, finir par prendre celle-ci, et se transformer pour ainsi dire en elle. Déjà, dès les temps les plus anciens, les légendes des peu- ples font mention de ces sortes de métamorphoses; et celles que nous raconte la mythologie reposent eîi partie sur cette croyance populaire. On connaissait alors la puissance de ces instincts violents qui résident au fond de la nature humaine, et dont chaque homme sent les atteintes dans le cours de sa vie, d'autant plus qu'à cette époque la civili- sation ne les avait point encore domptés et assouplis; et c'est de que sont venues toutes ces métamorphoses que nous raconte la mythologie, et par lesquelles les dieux pu- nissaient ceux qui avaient cédé à l'entraînement de leurs mauvaises passions. Plusieurs signes et plusieurs phéno- mènes d'un caractère équivoque, que le sens naturel des liommes de celte époqueavaitsaisisavecavidité, leur avaient

APPORTS M\STIUUES DE i/hOMME AVEC L\ NATURE. 27 1

rendu la chose croyable. Ainsi, pendant que Zeus vivait encore sur la terre, Lycaon, roi des Arcadiens, ayant servi de la cliair humaine à ce dieu, qui était descendu chez lui, c'est-à-dire lui ayant oflert des sacrifices humains, celui-ci, irrité, l'avait changé en loup, et l'avait condamné à errer dans les bois en hurlant comme les loups. A parlir de ce moment, quiconque goûtait du foie de l'enfant que les Arcadicns immolaient à Zeus Lyca^us était changé en loup de même que celui qui lui avait offert la première victime humaine; et c'est ce qui arriva à Déméncte, qui, après avoir repris sa forme primitive, au bout de dix ans, obtint le prix du pugilat aux jeux Olympiques, i Pline, 1. vui, 3 \ .) Aussi c'était un usage dans ce pays de tirer au sort chaque année quelqu'un de la famille d'Anthos, que l'on condui- sait sur le bord d'un lac. Là, après avoir suspendu ses ha- bits à un chêne, il passait le lac à la nage ; et une fois ar- rivé dans le désert il était changé en loup, et vivait avec les loups neuf ans sous cette forme. Si pendant ce temps il s'était abstenu de chair humaine, il repassait le lac à la nage, et reprenait, avec sa forme primitive, les habits qu'il avait laissés sur la rive, ayant seulement neuf ans de plus. (Jhid.)

Ces légendes ne sont point particulières aux Arcadiens. Hérodote parlant des Neuriens, Scythes d'origine, qui avaient été contraints de quitter leur patrie, chassés par les ^ serpents, dit au quatrième livre de son Histoire, 1 03 : « Ces hommes sont des magiciens; caries Scythes et les Hellènes ('fablis en Scythie rapportent que chaque >seurien est changé en loup pour quelques jours, une fois dans l'année, et qu'ensuite il reprend son ancienne forme. Je ne crois pas ce qu'ils disent, ajoute-t-Il à sa manière; mais ils le disent

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m'aiimoins, et aflinnonl la cliose par scrmont. » Ces mêmes Xeuriens, émigrant plus tard au fond du Nord, ont emporté avec eux cette légende dans leur nouvelle patrie ; et elle s'est répandue parmi les peuples slaves de ces con- trées, qui appellent le loup-garou AVilkolak en polonais, et Wakodlak en serbe. La légende s'est conservée jusqu'à nos jours le long du Bug, en Podlachie, et ailleurs. Les sor- ciers et les sorcières de ce pays ont le pouvoir de changer les gens en loups -garons en mettant sur le seuil de leur porte une ceinture tortillée, et en versant sous leurs pieds un breuvage oii l'on a fait bouillir du bois et du tilleul. Ces loups-garous se distinguent des loups ordinaires en ce qu'ils sont beaucoup plus grands et plus audacieux. Us se jettent sur les hommes en hurlant, les tuent ou les blessent; ils sont surtout très-avides du sang des jeunes gens, et at- taquent de préférence les enfants. Lorsque le temps de leur métamorphose est passé, ils tombent dans un sommeil pro- i'oiul, et se réveillent sous la forme humaine, mais nus, et de telle sorte qu'ils perdent complètement le souvenir des années pendant lesquelles ils ont vécu comme loups. (Ir- tienJcs populaires polonaises de ^Vo\ciki.)

Nous retrouvons la même légende au xv!*" siècle dans la Livonie, la Samogitie, la Courlande elles contrées envi- ronnantes. On raconte en efîet que dans ces pays, chaque année, à la fête de Noël, un personnage mystérieux par- court en boitant le pays, invitant tous les siens à le suivre; et lorsqu'ils tardent il leur envoie un homme grand et fort qui les pousse devant lui avec des fouets tressés de fil de fer, et les frappe si cruellement qu'ils s'en ressentent pen- dant longtemps. Le chef marche le premier, suivi d'une troupe iiin(.ml)rable. Ils arrivent à un tlenve, qu'ils passent

RAPI'OHIS MNSTIQLES I»L L HOM.ML AVFX LA NATlRt. 27 3

;i la nage; après quoi tous étant changés en loups se jettent sur les troupeaux qu'ils rencontrent et font tout le mal qu'ils peuvent, sans pouvoir nuire aux hommes ce- pendant. Ils vivent ainsi pendant douze jours, après les- quels ils reprennent la forme humaine près du même tleuve ils l'ont quittée. Peucer, qui raconte celte lé- gende, l'a apprise de voyageurs très-dignes de foi, qui la lui avaient communiquée d'après des informations juri- diques; et Bodin, dans sa Dcrnonomanie , 1. n, p. 200, confirme la chose parle témoignage de Languet, qui avait été en Livonie, et qui assure que c'est une croyance gé- nérale dans le peuple de ce pays. Camden raconte la même cho5e des loups-garous irlandais dans la seconde partie de son Hibernic. Nous trouvons dans cette légende un reflet de l'armée furieuse dont nous avons parlé plus haut. I.a marche de celte armée vers le mont Horsil durait douze jours, et commençait au solstice d'hiver vers la fête de Noël. Ces douze jours sont donc les jours caractéristiques qui commencent la nouvelle année. Au Ueu de la fée HoUa, c'est un boiteux qui apparaît ici, et qui désigne le soleil d'hiver, épuisé, sans force, et se traînant avec peine. L'ai'mée est suivie par celui qui fait germer, développe, et pousse en quelque sorte devant lui tous les éléments terrestres; il la fait marcher à coups de fouet. La rivière est le fleuve de l'année que le soleil traverse, et qu'il re- passe ensuite, en reprenant son éclat accoutumé.

Saint Augustin, dans sa Cité de Dieu, livre xvni, c. 18, nous parle d'une autre légende qui appartient au même cercle que celle dont il vient d'être question. « Pendant que nous étions en Itahe, dit-il, on nous parla d'une certaine -contrée de ce pays il y avait des femmes qui, pratiquant

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2 /4 RAPJ'ORTS MYSTIQUES DE L HOMME AVEC LA NATURE. ^

la mayie, donnaient à manger à cei'tains voyageurs d'un fromage qui les changeait aussitôt en bêtes de somme. Ces hommes, après avoir porté pendant quelque temps les fardeaux dont on les chargeait, reprenaient leur forme accoutumée. On disait aussi qu'ils ne perdaient point la rai- son, mais qu'ils avaient conscience de leur état, w Cette légende, qui sert de base à la fable de VAne d'or d'Apulée et à d'autres de ce genre, s'est conservée dans ces pays jusqu'au temps de Grégoire VII; car Pierre Damien lu rapporte presque dans les mêmes termes, comme un fait qui s'était passé sur la route de Piome. (Vincent de Bau- vais, jliroir naturel, livre ni, 109. j Mais l'exemple que saint Augustin ajoute à ce passage pour le confirmer nous ramène à la vérité naturelle qui sert de base à cette lé- gende : « In certain Prestance, dit- il, raconte que son père, ayant mangé chez lui de ce fromage empoisonné, s'endormit dans son lit d'un sommeil si profond qu'on ne put le réveiller. Au bout de quelques jours cependant, s'étant réveillé de lui-même, il raconta, comme s'il eût rêvé , qu'il avait été changé en cheval, et avait porté du blé à des soldats dans la PJiétique, avec d'autres bêtes de somme. On trouva à Finspection que tout ce qu'il avait raconté comme un songe avait eu lieu réellement. Un autre rapporte aussi qu'un jour, avant de s'endormir, il vit entrer chez lui un philosophe très-célèbre qui lui expliqua plusieurs propositions de Platon qu'il avait refusé autre- fois de lui éclaircir. Il lui demanda pourquoi il faisait maintenant ce qu'il avait refusé de faire auparavant. « Je ne l'ai pas fait, répondit l'autre, mais j'ai rêvé seulement que je le faisais. » Ainsi, une image fantastique montra à cet homme éveillé ce que l'autre avait vu dans le sommeil»

RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA iNATURE. 275

Ceci nous lut raconté non par des hommes peu clignes de foi, mais par des hommes, au contraire, en qui nous pou- vions avoir toute conOancc. »

Saint xVugustin n'avait pas été trompé en effet; l'appa- rition était le résultat d'un état si fréquent dans l'anti- quité que les Grecs avaient un nom pour le désigner : ils l'appelaient lycantropie ; les Arabes rappellent duUrab, d'un animal qui court sur l'eau et qui ressemble à la poule d'eau ;• car chez ce peuple^ c'est surtout sous la forme d'un oiseau qu'avait lieu cette illusion. Quelquefois cependant elle se produisait sous la forme d'un lion, comme ailleurs sous celle d'un chien, d'un ours, d'un chat; et même dans les temps plus récents il est encore fait souveut mention de ce mal, et des récits qui sont parvenus jusqu'à nous renferment plusieurs circonstances qui nous permettent de l)ien étudier cet état. Ainsi, Guillaume de Paris, dans sou livre de lliiverso, c. 13, cité par Pierre le Loyer dans ses Livres des Spectres, raconte qu'il a connu un homme lequel se croyait changé en loup, et qui, à certaines époques déterminées, se cachait dans une grotte située au milieu d'un fourré très-épais : là, plongé dans le sommeil, il s'imaginait qu'il était vraiment un loup. A force de l'é- pier, on huit par découvrir l'endroit il était, et on le trouva doraiant dans Une sorte d'extase. Dans le duché de Prusse, les paysans prirent un de ces loups-garous qui mangeaient leur bétail, et le conduisirent à leur maître. C'était un homme sauvage, difforme, ayant le visage cou- \ert de blessures et de cicatrices que lui avaient faites, di- sait-il, les morsures des chiens pendant qu'il était changé en loup, ce qui lui arrivait deu\ fois dans l'année, aux deux solstices. A ces deux époques il devenait tout à fait

iîTCs KAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA NAILRE. '

sauvage , et se sentait forcé par un instinct naturel de se cacher pendant quelque temps dans les forets les plus épaisses. Lorsqu'il devait être métamorphosé, il sentait d'abord un frisson et un tremblement dans tout le corps. D'autres^ au contraire, sont transformés subitement et ren- versés à terrCj, privés de sentiment et de^ie. On garda cet homme longtemps en prison dans le château, et on recom- manda au geôlier de l'observer attentivement, pour voir s'il ne serait pas changé en loup. Mais il conserva sa forme humaine. [Maijiolofjia, Bàle, 1674, p. oG(j.) Maiole, dans son livre des Jours caniculaires, {.\l\,Conoq. de Sa(jis p. 1-S7, raconte qu'un paysan, non loin de Riga, soupant chez le commissaire de son maître, fut renversé de son siège après le repas , et resta ainsi étendu par terre privé de tout sentiment. Le commissaire pensa que ce devait être mi loup^garou. 11 ordonna donc aux gens de sa maison d'aller se coucher, et de laisser le paysan, qui ne revint à lui que le lendemain matin ; après quoi il s'en alla. Le commissaire, ayant appris le lendemain qu'un cheval avait été tué la nuit dans la prairie, soupçonnant le paysan, le fit mettre sous bonne garde, et le questionna à ce sujet. Le paysan avoua que le soir il avait vu voler un cousin, qu'il l'avait pris pour un être malfaisant, qu'il s'était mis à le poursuivre, que le cousin s'était caché derrière un cheval dans le pré, qu'il avait voulu le tuer avec sa fau- cille, mais qu'il s'était soustrait au coup dont il voulait le frapper, et qu'à sa place il avait tué le cheval.

(iille Germar, de Lyon, fut accusé devant le parlement de Dole d'avoir tué, le jour de la Saint-Michel, sous la forme d'un loup-garou, une jeune iille de dix à douze ans, près du bois de la Serre, dans une vigne de Ghastenoi, non

R.VI'I'OKÏS MVMiyLtS 1>E L IIUMMK AVtC L.V .NAJLHK. '111

loin (le Dole; d'avoir commis le crime en partie avec ses mains, qui ressemblaient à des pattes, en partie avec ses (lents, et, après avoir mangé la chair des bras et des jambes, d'en avoir porté encore à manger à sa femme; daN oir, un mois plus tard, et sous la même forme, tué une autre jeune fille pour la manger, s'il n'en avait été empê- ché, selon son propre aveu, par l'arrivée de trois per- sonnes; d'avoir, quinze jours plus tard encore, étranglé un enfant de di.v ans dans la vigne de Gredisans, et d avoir mangé la chair des pieds, des bras et du ventre ; puis d'a- voir lue, sous la forme d'un homme, et non plus sous celle d'un loup, un enfant de douze à treize ans dans la forêt du bourg de Pérouse, avec l'intention de le manger si on ne Ten avait pas empêché. Il confessa tout sans y avoir été contraint, et fut condamné à être brûlé. (Bodin, Bémonoma- nk, \. Il, p. 2o.').) Guillaume de Brabant raconte, dans son histoire, que, de son temps, un homme intelligent d ailleurs en était venu à s'imaginer qu'à certaines époques de l'année il était changé en loup, qu'il habitait les forêts et les tannières, et en voulait surtout aux enfants. On le trouvait souvent errant dans les bois comme un fou, mais il revint enlin à lui-même. On a remarqué que ceux qui soutirent de ce mal ont le teint blême, les yeux secs et enfoncés, l'air hébété, qu'ils sont toujours altérés, que leur langue est sèche, et qu'ils n'ont presque point de salive ; (lue leurs jambes sont couvertes de plaies faites par les mor- sures des chiens. Des paysans amenèrent à P. Pompo- nace, célèbre médecin de son temps, un homme qu'ils avaient trouvé dans un champ, sur un tas de foin, et qui leur avait crié de s'en aller, parce qu'il était un loup, et qu'il les mangerait tous. Us lui dirent qu'ils s'étiûent déjà

27S RAPPORTS MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC LA .NATIRE.

préparés à récorcher, pour voir si, comme ou le dit, sou.s uue peau humaine, il cachait celle d"uu loup, mais qu'ils sétaieut enfin décidés à le lui amener. Pomponace le .uuérit par des frictions, des évacuants, des bains calmants, et en l'épuisant par des saignées. (Vierus, de Prœst. I)œ- moiL. , livre ni, p. 338.)

Ce que nous avons dit précédemment peut nous aider k expliquer ces faits. L'homme, dans la partie intime de son être, est connue un zoophyte, et se trouve ainsi en rap- port avec le monde végétal tout entier. Si , pai* une sorte de contagion , il tombe sous l'empire des lois qui gouver- nent ce domaine, il se sent attiré par lui dun attrait in- vincible, et parcourt en descendant tous les degrés qu'il a parcourus en montant dans le sein de sa mère. Il peut de cette manière prendre la nature de la plante, et deve- nir connue un zoophyte contagieux. Mais l'homme n'est pas seulement planté parmi les plantes, il est encore ani- mal parmi les animaux. 11 était même à l'origine l'animal centnd, j'éunissant en lui la nature et la puissance de tou? les autres. Tous lui étaient attachés, et n'avaient point be- soin pour lui obéir dètre contraints par la force. Il était leur maître, ils étaient ses serviteurs : il était au milieu d'eux, ils étaient autour de lui, chacun k la place que Dieu lui avait marquée. Mais lorsqu'il eut perdu l'unité de son être, et qu'il y eut laissé pénétrer quelque chose de la na- ture de la périphérie, il perdit aussi de sa puissance, et c'est alors qu'on le vit se faire le serviteur de ceux qui devaient le servir. A mesure que, quittant sa position centrale, il se mêle aux êtres particuliers qui l'entourent, ceux-ci ac- quièrent plus d'empire sur lui. Chacun d'eux, et leur nombre est immense, peut venir k son tour l'enlacer dans

nAPPORTS MYSTIQUE? DE I.'HOMME AVEC L\ NATURE. 27 0

los liens dune sympathie naturelle, s'emparer de lui et te lixer, pour ainsi dire, à la place oii il est descendu. Il prend alois la uature et la couleur de l'être avec lequel il est en- Iré en rapport; et de même que le milieu peut s'échapper dans tous les rayons et devenir excentrique, ainsi la na- Ime humaine peut prendre toutes les nuances, se produire sous le masque de tous les animaux, et suivre ainsi dans ses actions les instincts particuliers à chacun d'eux. Si donc les instincts du loup se sont développés en lui , soit ]»ar refiet d'une maladie, soit par sa propre faute, il peut être tellement dominé par eux qu'il finisse par prendre la nature de cet animal et en être comme possédé. Il peut chercher la société des loups, hurler avec eux, être re- connu par eux comme un des leurs, et être poursuivi , au contraire, par les chiens qui croient voir en lui un en- nemi. L'homme, au reste, prend ordinairement en ces cas extraordinaires la nature des animaux qu'il a habituelle- ment sous les yeux. On raconte qu'un gentilhomme es- jjagnol errait dans les Pyrénées, parce qu'il avait pris la nature de l'ours. Le Bédouin , accoutumé aux mugisse- ments des bêtes du désert, prendra plutôt la nature du ligie et du lion, ou suivra la timide gazelle à travers ses vastes solitudes. Ailleurs, ce sera le chien, le cerf ou tout autre o;nmal plus familier au pays qui donnera la forme de cette métamorphose. Les femmes sui'prises par cette contagion singulière prendront souvent la nature du chat, ou de tout autre animal ayant un rapport particulier a^ ec les instincts de leur être. Mais quel que soit l'animal qui s'empare de l'homme et (jui iniecte sa nature, il lui com- munique ses instincts et ses goûts. Le tigre lui donne sa stiif du sang: l'ours, sa nature sauvage; le citât, son h\-

280 RAF'r'ORT.> MYSTIQUES DE l'hOMME AVEC I.A NATl RE.

porrite perfidie; le loup^ la faim qui le dévore et qui cherche à se rassasier dans le sang de l'homme, même lorsqu'il n'est pas attaqué; et l'on peut voir ici un rap- port intime entre cet état et le cannibalisme des anciens temps.

Les instincts animaux de l'homme se rattachant à la nature de son tempérament, celui-ci doit avoir une ûrande influence sur la forme du mal que nous étudions en ce moment. Il se produira donc le plus souvent, chez le cholérique, sous la forme d'une bète fauve et cruelle; ciiez le mélancolique, sous celle d'un animal timide et ami de la solitude: chez le. flegmatique, sous celle d'un amphi- bie; chez le sanguin, sous celle d'un oiseau, du corbeau, de la corneille , comme nous en trouvons beaucoup d'exemples dans la sorcellerie. La contagion s'annonce ici, comme en beaucoup d'autres maladies, par un frisson et un ti-emblement de tout le corps ; puis le malade est ren- versé et tombe dans une sorte d'état extatique, pendant le- quel a conscience qu'il a de soi-même éprouve cette sin- gulière métamorphose, et contemple les images nouvelles qui s'oflrent à ses regards dans une vision tout animale, correspondant au changement qui s'opère en lui. C'est à ce cercle d'images qu'appartiennent probablement la plupart des meurtres commis , ou même avoués par les hommes atteints de ce mal. Mais à cet état d'insensibilité et de défaillance succède bientôt un état opposé, on le ma- lade , emporté par une sorte de fureur, trahit au dehors les instincts de l'animal dont il a pris la nature. Ce n'est plus seulement en imagination, mais c'est en réalité qu'il étrangle, qu'il déchire et qu'il dévore. Or comme la ^ie animale es^ dans un rapport très -intime avec l'éclal du

DFS VAMPIRES. 281

soleil et de la lune, la malatlie des hommes animaiisés de cette sorte est soumise aux: mêmes rapports ; et c'est pour cela que ce paysan dont nous avons parlé raconte que c'était toujours au temps des solstices qu'il devenait loup- garou. C'est tantôt le loup de l'été, dont le sang est en- tlammé par les ardeurs du soleil, tantôt celui de l'hiver, que la faim et le froid rendent furieux. Aussi ne faut- il pas douter qu'avec tous les autres instincts de la brute celui qui rattache le rut à certaines époques de l'année ne passe dans l'homme atteint de ce mal.

CHAPITRE X[Y

Rapports des hommos entre eux, Rapports magiques des forces de la vie inférieure dans le royaume des morts. Des vampires. Résultat des informations juridiques sur co point. Base des faits de cette sorte.

Si l'homme, outre ces rapports généraux avec tous les domaines de la nature, peut entrer encore en relation avec eux d'une manière extraordinaire et magique, il n'est pas étonnant qu'il puisse se trouver uni de cette manière à ses semblables, puisque déjà il existe entre tous les individus de la même espèce une certame consonnance, en vertu de laquelle l'un peut s'emparer de l'autre, et se l'assujettir dans toutes les régions de son être, soit pour le bien, soit pour le mal. Ce rapport toutefois commence ordinairement dans la partie inférieure et végétale de l'homme. C'est après la mort, lorsque les forces de la vie supérieure se sont retirées, et lorsque le cadavre garde encore celles qui prési- dent aux fonctions de la vie végétale, que ces rapports

282 DES yampip.es.

extraordinaires se produisent de la manière la plus frap- pante. 11 monte de dans les régions de la vie animale, et affecte particulièrement celle réside l'appétit sexuel. Après avoir commencé par l'obsession, il monte bientôt jusqu'à la possession, et conduit quelquefois à la généra- ; tion. Ces relations anormales se produisent à plusieurs degrés et sous plusieurs formes. Tantôt 1" homme encore vivant peut communiquer à distance à un autre homme vivant comme lui les émanations de sa propre vie, et exer- cer sur lui une influence pernicieuse ou salutaire. Cette faculté est quelquefois l'effet d'une disposition naturelle , et se produit par la seule présence de celui qui la possède. D'autres fois elle attend pour se manifester le comman- dement de la volonté, et certaines manipulations ayant pour but d'amener le sommeil , ou quelque autre état qui lui ressemble, comme dans le magnétisme. C'est dans cet ordre que nous étudierons ce genre de rapports sin- guliers.

Au passage de la vie organique dans la vie purement physique de la nature extérieuie se trouvent la mort et la corruption, le corps, abandonné par le principe vital qui en retenait toutes les parties, retombe dans le do- mame général de la nature, et se trouve assimilé de nou- veau par elle. Si le métal ou le fdet d'eau caché dans les profondeurs de la terre peut agir à distance sur l'homme, ou subir son action , il n'est pas étonnant que des rapports semblables puissent s'établir entre celui-ci pendant qu'il vit encore et ceux qui sont déjà sortis de cette vie et dont le cadavre repose dans la nuit du tombeau ; et c'est dans les rapports de cette sorte que trouve son explication cet éti^t singulier connu sous le nom de vampirisme.

DES VAMPIRES. 28!^

Nous commencerons d'abord par bien ctaljlir les faits, tels qu'ils sont constatés par des informations juridiques. Nous y ajouterons ensuite ceux qui ont été observés d'une ma- nière accidentelle, et ceux: que le peuple raconte à sa ma- nière , et nous essaierons ensuite de les expliquer d'une manière scientifique, en leur appliquant les principes que nous avons déjà posés plus haut.

Après qu'en 1718 une partie de la Servie et de laVala- ( hie fut échue à l'Autriche^ le gouvernement autrichien reçut plusieurs rappoiis qui lui étaient adressés par les commandants des troupes cantonnées dans le pays. On N disait que c'était une croyance générale parmi le peuple que les personnes mortes, maig vivant encore dans le tom- beau, en sortaient en certaines circonstances, pour aller sucer le sang des vivants, et entretenir ainsi sous terre un reste de santé et de bien-être. Déjà en 17 20 un rapport annonçait qu'à Kisolova, village situé dans la basse Hon- grie, un certain Pierre Plogojow itz , dix semaines environ après sa sépulture , avait apparu la nuit à plusieurs habi- tants, et leur avait tellement serré le cou qu'ils étaient morts en vingt-quatre heures; de sorte que dans l'espace de huit jours il était mort de cette manière neuf personnes, les unes jeunes, les autres âgées. Sa veuve elle-même avait été inquiétée par lui , et avait quitté à cause de cela le village. Les habitants demandèrent au commandant de Gradisca l'autorisation d'exhumer le cadavre et de le brû- ler. Le commandant la leur ayant refusée, ils déclarèrent qu'ils quitteraient tous le village si on ne leur accordait pas leur demande. Le commandant se rendit donc au vil- lage avec le curé de Gradisca. Il fit ouvrir le cercueil de Pierre, et l'on trouva son corps intact, à l'exception du

28 i r>ES VAMPIRE?.

bout du iiez^. qui était un peu desséché; mais il n'exhalait aucune mauvaise odeur, et ressemblait plutôt a un houmie endormi qu'à un mort. Ses cheveux et sa barbe avaient crû; de nouveaux ongles avaient remplacé ceux qui étaient tombés. Sous la peau extérieure, qui paraissait blême et morte , avait crû une autre peau vive : les mains et les pieds ressemblaient à ceux d'un homme en parfaite .«^anté. Comme on trouva dans sa bouche du sang tout frais encore, le peuple crut que c'était celui qu'il avait sucé à ceux qui étaient morts tout dernièrement, et on ne put l'empêcher d'enfoncer dans la poitrine du cadavre un pieu pointu. 11 sortit alors beaucoup de sang frais et pur de la bouche et du nez. Les paysans jetèrent le corps sur un bûcher et le brûlèrent.

Quelques années plus tard, un soldat des frontières qui demeurait à Haidamac raconta à son régiment qu'étant assis un jour à table avec son hôte , il avait vu entrer un inconnu qui était venu s'asseoir avec eux; que son hôte avait été très-eflrayé, et qu'il était mort le lendemain; qu'il avait appris ensuite que cet étranger, mort il y avait déjà dix ans, était le père de son hôte lui-même, qu'il lui avait annoncé et même donné la mort. Le comte Cabrera, capitaine du régiment, fut chargé d'examiner l'affaire, et se rendit au lieu et place avec d'autres officiers, l'auditeur et le chirurgien. 11 interrogea les personnes de la maison ; et comme leur témoignage fut contlrmé par celui des au- tres habitants du lieu, il fit exhumer le cadavre, que l'on trouva parfaitement conseiTé, avec un regard vif comme celui dun homme vivant. On lui coupa la tête, et l'on remit ensuite le corps dans le tombeau. Un autre homme, mort depuis trente ans, était venu trois fois, disait-on, en

DES VAMPIRES. 28^»

plein jour dan< sa maison,, el avait Iné, en leur suçant le sang, d'aboi il >on propre frère, puis un de ses (ils, et enfin le domestique. On trouva son corps dans le même état, et on le remit en terre après lui avoir enfoncé un clou dans les tempes. Cabrera en lit brûler un troisième, mort depuis seize ans, et qui, disait-on, avait tué ses deuv lils. 11 adressa son rapport aux commandants du régiment, qui renvoyèrent à la cour. Après quoi l'empereur nomma une commission, composée d'officiers, de juges, de juris- consultes, de médecins et de savants, pour étudier de plus près ces phénomènes extraordinaires. Dom Calmet cite ce fait dans sa dissertation sur les vampires.

En 17 32, on apprit que dans le village de Meduegga, en Servie, les vampires avaient apparu de nouveau. Le com- mandant supérieur de la province envoya deux officiers , Biittner et Lindenfels, en compagnie du chirurpien du régiment, Hekinger, et de deux sous-chirurgiens, pour examiner l'affaire. Ceux-ci se rendirent au lieu et place; ils entendirent les chefs et les anciens du village, et ap- prirent par eux que cinq ans auparavant F heidu que Arnod Paole, qui pendant sa vie avait avoué souvent qu'à Gos- sowa, sur la frontière de la Servie turque, il avait eu beaucoup à souffrir d'un vampire, qu' Arnod s'était rompu le cou, et que vingt à trente jours après sa mort il avait fait mourir quatre personnes; qu'on l'avait exhumé qua- rante jours environ après sa mort, qu'on avait trouvé son corps frais et intact , qu'un sang frais et vif coulait des yeux, de la bouche et du nez, que tous les draps dont il était enveloppé étaient ensanglantés , et qu'une nouvelle peau et de nouveaux ongles avaient crû à la place des an- ciens ; qu'à tous ces signes on lavait pris pour un vam-

'280 FiES VAMPIRES.

pire; que. comme on lui avaiL selon la coutume, enfoncL' un pieu dans le cœur, il avait poussé un crémissement très-distinct et répandu beaucoup de sang; qu'ils avaient aussitùt brùié le corps, et fait la même chose à quatre au- tres personnes tuées par lui, parce que, disaient-ils, tous ceux qui ont été tourmentés ou tués par des vampires de- viennent vampires eux-mêmes; qu'Arnod avait attaqué non-seulement les hommes , mais encore les animaux , et que ceux qui avaient mangé de la chair des animaux atta- qués par lui étaient devenus vampires eux-mêmes; de sorte qu'en trois mois dix-sept personnes étaient mortes, la plupart après une courte maladie ; que parmi elles se trouvait la Stanioska, qui, s'étant mise au lit très -bien portante, s'était réveillée vers minuit, tremblante et di- sant, au milieu de cris lamentables, que Millo, fils d'un heiduque, mort depuis quatre semaines, l'étranglait; qu'après cela elle avait ressenti de grandes douleurs dans la poitrine, et qu'elle était morte le huitième jour.

On se rendit au cimetière, et de. treize cadavres que Ion exhuma dix se trouvèrent à l'état de vampire, et trois seulement semblaient être moi-ts d'autres maladies ; car leurs corps étaient en putréfaction, quoiqu'ils eussent été enterrés au milieu des autres. Parmi les vampires se trouvaient aussi la Stanioska et Millo. La première avait au cou, sous l'oreille à droite, à la place Millo, d'après sa déclaration , l'avait étranglée, une tache bleue mêlée de sang, longue d'un doigt. Lorsqu'on ouvrit lecerceuil, le nez saigna, et Flekinger trouva un sang tout parfumé , ce sont ses expressions, non-seulement dans la caverne de la poitrine, mais encore dans le venti'icule du cœur : tous les intestins étaient dans un état parfait; la peau et les

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DtS VAMPIRES, 287

oncles L'taient irais. Il en fut de même de lu Miliza, qui élait devenue vampire la première, parce qu'elle avait eu, disait-on, 1" habitude de manger de la chair de brebis tuées par des ^auipires. Les heiduques s étonnèrent de trouver le corps de cette femme très-gros . car ils Favaient comme Irès-maigre au contraire pendant sa vie. Le sang était par- tout semblable à un sang frais extravasé; il n'était nulle part stagnant et coagulé. La peau et les ongles tombèrent au\ mains et aux pieds de la Stana, mais par dessous on trouva une peau et des ongles frais. Tous ces cadavres fu- rent décapités et brûlés ensuite, selon la coutume. Les actes authenti{|ues de toute cette aiîaire furent publiés alors dans la Gazette de BeJgnule, avec la signature des ofliciers et des médecins; ils furent insérés ensuite dans un grand nombre décrits. L'enquête, ordonnée par l'empereur Charles M, fut faite en présence du prince Alexandre d(; Wurtemberg, alors gouverneur de Servie, après qu'il eut reçu le serment de tous les membres de la commission . hom Calmet cite une lettre écrite par un des témoins, et dans laquelle on trouve quelques circonstances dont la certitude ne parait pas incontestable; car les informations juridiques n'en parlent pas. Il dit donc que lorsqu'on vint le soir au tombeau de Paolo on aperçut sur lui un refle seudjiable à celui de la lumière d'une lampe, un peu moins clair cependant; qu'il paraissait vivant, avait les yeux à demi ouverts et aussi vifs que ceux de toutes les personnes (jui étaient là; que son cœur même battait; que lorsqu'on leva le corps de terre, quoiqu'il ne fût ni mou , ni souple ^ ni mobile, il n'offrait néanmoins aucune trace de corrup- tion ; que lorsqu'on lui perça le cctur il en sortit une matière blanclic, mêlée de sang, sans aucune odeur: qu'il

'2iX 1>L^ \AMflHh<.

en fut de même lorsqu'on lui coupa la tète, et que dè^ qu'on l'eut remis en terre ^ avec beaucoup de chaux^ sa petite fille^ dont il avait sucé le sang auparavant, se trouva mieux. Au reste ^ les vampires suçaient indistinctement toutes les parties du corps; mais à l'endroit ils l'avaient sucé il restait toujours une tache bleue.

Le vampirisme ne s'est pas borné à la Servie ni à l'épo- que où se sont passés les faits que nous venons de raconter, mais nous le retrouvons ailleurs et en d'autres temps. Les {gazettes annoncèrent l'année 1693 et 94 qu'en Pologne, et particulièrement dans la Russie polonaise, on voyait assez souvent des vampires qui suçaient en plein jour le sang des hommes et des animaux, et que ce sang leur cou- lait ensuite sous terre de la bouche, du nez et des oreilles; de sorte qu'on les trouvait souvent nageant dans un bain de sang. Us ne se contentaient pas d'attaquer une seule per- sonne dans une maison; mais, si l'on n'y prenait garde, tous les membres de la famille devenaient leurs victimes. Quelques-uns, pour échapper à leurs atteintes, mêlaient de leur sang avec de la farine, et ceux qui mangeaient de ce pain n'avaient rien à craindre des vampires. Cette der- nière circonstance nous rappelle les Capitulaires de Char- lemagne, il est dit dans ceux pro partibm Saxo- niœ, 1-6 : « Quiconque, séduit par le diable, croit, comme les païens, qu'il y a des hommes ou des femmes qui mangent les hommes, et brûle quelqu'un sous ce pré- texte, puis donne à manger ou mange lui-même sa chair, sera puni de mort. »

En Moravie également c'était un bruit public que sou- vent, depuis quelque temps, des morts apparaissaient à leurs amis et s'assevaient à table avec eux sans rien dire,

DES VAMPIP.E5. 289

mais que celui à qui ils faisaient signe de la ièie mourait infailliblement au bout de quelques jours. Le clergé du pays avait consulté Rome à ce sujet, mais n'avait reçu au- cune réponse. On trouve sur cet objet plusieurs détails Irès-intéressants dans la Magia [losthuma, que Scherz publia en 1706. Ainsi il parle d'une femme qui, quatre jours après sa sépulture, apparut à plusieurs, tantôt sous la forme d'un chien , tantôt sous celle d'un homme, et les étouffa en leur pressant le cou et l'estomac avec de grandes dou- leurs. Elle avait aussi tourmenté les animaux, et plus d'une fois on avait trouvé des vaches épuisées et à demi mortes, ou bien encore attachées ensemble par la queue : les cris qu'elles poussaient alors indiquaient assez combien elles souffraient. Quelquefois aussi on trouvait les chevaux fati- gués, trempés de sueur, particulièrement sur le dos, es- soufflés et écumants comme après un long voyage. Cette ca- lamité dura plusieurs mois. L'auteur ajoute que dans les montagnes de Silésie et de Moravie ces choses arrivent sou- vent, qu'elles étaient néanmoins plus fréquentes autrefois que de son temps, et qu'on les voyait de jour et de nuit; que dans les maisons oii demeuraient ceux à qui en vou- laient les vampires, les choses qui leur appartenaient se remuaient d'elles-mêmesetallaientd'un lieu à l'autre, quoi- qu'on ne vît personne les toucher; qu'il n'y avait d'autres moyens de se débarrasser d'eux que de leur couper la tète et de les brûler, mais que ces exécutions se faisaient après une enquête juridique et solennelle. On citait le vampire devant le tribunal, on entendait les témoins, on examinait l'accusation, on inspectait son cadavre. Si l'on y trouvait des signes annonçant qu'il avait fait réellement le mal dont il était accusé, on le livrait au bourreau. Il y avait cepen- m. 9

290 DES VAMPIRES.

(lant des vampires qui se laissaient voir trois à quatre jours après avoir été brûlés. Pour prévenir ces malheurs , on laissait six à sept semaines sans sépulture les corps des gens qu'on soupçonnait^ et, s'ils ne se corrompaient pas pendant ce temps, on les brûlait.

Scherz raconte aussi qu'on rencontrait des vampires en Bohème et dans le Bannat. Dom Calmet rapporte dans sa dissertation que la plupart de ceux qui dans ces pays eurent à souffrir de ce mal croyaient voir un fantôme blanc qui les suivait partout; ils s'affaiblissaient et maigrissaient de jour en jour^, perdaient Tappétit, et mouraient au bout de huit, dix à quinze jours, sans fièvre ni d'autres symp- tômes que l'amaigrissement et la consomption. Deux cava- liers de la compagnie à laquelle appartenait le rapporteur cité par dom Calmet étaient morts de ce mal ; plusieurs au- tres étaient tombés malades, et seraient morts comme eux si l'on n'avait employé le remède usité dans le pays: c'était de prendre un jeune garçon et de le faire aller à cheval dans le cimetière à dos sur un étalon noir qui n'avait en- core sailli aucune jument. Si, malgré tous les efforts de son cavalier, il s'arrêtait devant une tombe, on l'ouvrait , et l'on était sûr d'y trouver un vampire bien gras et parais- sant endormi. Cette coutume est tout à fait dans les mœurs du peuple serbe, et existait probablement dès les temps du paganisme. La légende raconte aussi qu'un homme chassa un vampire en lui prenant son suaire, qu'il avait laissé au sortir de sa tombe, et en l'emportant avec lui dans le clocher. Le vampire, ne le trouvant point à son re- tour, voulut monter au clocher pour le lui arracher, mais l'autre le jeta du haut en bas. Une autre légende parle aussi du vampire Grando, dans la marche de Kring en

DES VAMPIRES. 291

Carniole, qu'on trouva tout rongé longtemps après sa mort, et dont le visage fit des mouvements comme s'il riait : même il ouvrit la bouche comme pour aspirer l'air frais. Comme on lui présentait un crucifix, il versa des larmes. Enfin, lorsque, après avoir prié pour sa pauvre àme , on iui coupa la tète, il poussa un cri, se tourna et se tordit comme s'il eût été vivant et remplit tout le cercueil do son sang.

Un fait général sert de base à tous ces récits et à tous ces phénomènes, c'est que dans le vampirisme le cadavre est préservé pendant quelque temps de la corruption. La mort, c'est-à-dire la séparation de l'àme avec le corps, est indubitable. Dans le cours ordinaire des choses, la décom- position devrait survenir aussitôt; au lieu de cela, non- seulement le corps reste intact, mais un sang pur et fluide coule dans le cœur, dans les veines et les intestins , et , continuant jusque dans les ombres du tombeau les fonc- tions qu'il remplissait pendant la vie, il secrète encore la graisse dans le tissu cellulaire ; de sorte que le corps semble acquérir quelquefois après la mort un embonpoint qu'il n'avait jamais connu pendant la vie. Dans cette turges- cence générale du tissu cellulaire , les cheveux croissent , une nouvelle peau et de nouveaux ongles se forment, à peu près comme l'on voit le serpent et d'autres animaux encore changer leur peau chaque année. Ce n'est pas la nature du sol qui produit ces effets ; car à côté des vampires .-ont enterrés d'autres corps qui n'échappent point comme eux ù la corruption : c'est donc la nature du corps lui- même qui produit ces phénomènes. Ce qui conserve celui- là, ce n'est pas la simple adhésion de ses parties, comme dans les momies d'Egypte par exemple, mais c'est un prin-

292 DES VAMPIHES.

cipe actif, un acte vital qui le dispute à la mort dans le tombeau,, et qui n'est lui-même que le résultat d'un état maladif antérieur. Toute sécrétion qui se produit dans les vaisseaux capillaires suppose un mouvement du sang dans ces parties. Or ce mouvement ne peut être après la mort ce quïl était pendant la vie; car l'àme supérieure une foi- séparée du coi^s^ tous les esprits élémentaires qui tien- nent à elle la suivent et ne peuvent plus animer les nerfs ni les muscles. Ceux-ci restent avec la masse du corps, et gardent en partie les forces vitales physiques et plastiques d'un ordre inférieur qui résident en eux : or ce sont ces dernières qui produisent les phénomènes singuliers que nous étudions en ce moment. Le sang et les vaisseaux ne sont plus animés, il est vrai, par l'esprit, ni même par la vie animale ; mais ils ont encore la vie végétale, peut-être même un degré de plus, à savoir la vie du zoophyte.

La vie végétale qui pénètre encore le sang l'empêche de se coaguler, entretient sa mobilité et la faculté qu'il a de stimuler les vaisseaux et d'exciter leur réaction. Mais ce n'est plus le sang chaud de la vie, c'est le suc froid de la plante qui monte lentement au cœur par les veines, et y redescend par les poumons pour retourner aux vaisseaux capillaires travers les artères, lesquelles opèrent ici à la manière des veines. Il augmente sa masse par l'humidité quil absorbe de l'air du tombeau, et s'assimilant les élé- ments qu'il a puisés du dehors, il donne lieu à des sécré- tions et à des formations organiques de l'espèce la plus infime. Cette rougeur des joues du vampire est comme une fleur de la mort que pousse sous la terre un reste de vie, et son embonpoint est comparable à celui des plantes qui croissent dans les mines, pâles il est vrai, mais

DES vampires;. 29H

plus larges, plus grosses et mieux fournies que celles de la même espèce qui s'épanouissent au soleil. La quantité du sang qui s'amasse de cette façon s'explique par des exemples analogues, qui prouvent que le sang peut quel- quefois se reproduire d'une manière prodigieuse. Ainsi Seb Brand écrit qu'il a connu une femme qui, dans l'es- pace d'une année, avait vomi quatre cents pots de nuit pleins de sang, et qui avec cela avait été saignée cinquante fois : le sang lui sortait par la peau. Dernièrement encore, dans le Tyrol, une formation d'eau non moins considé- rable s'est produite chez une jeune tille. Ceux qui croyaient apercevoir un souffle , ou des battements de cœur, ou des contorsions des traits chez les vampires n'étaient donc pas tout à fait dans l'erreur. C'était tautôt l'air extérieur, tan- tôt l'afflux du sang vers le cœur qui y produisait ces mou- ^ ements analogues à ceux de la vie.

Le vampire, du fond de sa tombe, exerce sur les vivants une action qui fait des vampires de tous ceux qu'elle touche. Tous en effet tombent malades, et leur mal est contagieux; l'appétit disparaît, la vie se des- sèche, la consomption survient; ils meurent au bout de quelque temps sans fièvre, et deviennent vampires après leur mort. Le mal auquel ils succombent est d'une nature entièrement opposée à l'état ils se trouvent après la mort. Ici les vaisseaux capillaires semblent développer un surcroît d'énergie , tandis qu'avant la mort la vie épuisée avait peine à remplir ses fonctions, et semblait avoir perdu cette puissance plastique sans laquelle le corps ne saurait réparer les pertes de chaque jour. La masse du sang dimi- nuait et son mouvement s'accélérait dans les grands vais- seaux; or à peine la mo/t est-elle survenue, que, par une

294 DES VAMPIRES.

réaction inexplicable, la vie végétale . qui semblait arrêtée, revient avec une nouvelle force et reparaît dans les vais- ^eaux capillaires. Le vampire mis en rapport avec sa vic- time produit en elle un état contraire au sien, de même que l'aimant se donne dans le fer un pôle opposé. Dans les deux cas il y a une action à distance, et le sentiment qui raccompagne témoigne de la nature de l'opposition qui la détermine. Pendant que le vampire regorge de sang, ceux qu'il tourmente croient au contraire qu'il leur suce le leur. Il est donc un suceur de sang, comme l'indique son nom chez les Turcs. 11 ne fait après tout que s'assimiler un élé- ment qui lui manque , un élément différent de ceux qu'il possède lui-même. Cet élément ne peut être que l'esprit nerveux dont il est privé, pendant que la vie végétale au contraire déborde en lui. Il a faim de cet élément comme la plante de la lumière; aussi 'pendant que, d'un côté, on aperçoit dans le vampire un sang extravasé, et dans se^ victimes des taches bleues marquant l'endroit elles ont été sucées, on remarque dans ces dernières des crampes nerveuses correspondant dans un sens opposé à l'appau- vrissement nerveux du premier.

Le cauchemar accompagne donc ordinairement cette maladie singulière. Le cauchemar est un fantôme blanc, une ombre muette ou une forme d'animal qui poursuit le malade, l'étrangle avec d'horribles souffrances, en lui pressant le cou et l'estomac. Toute son action semble di- rigée vers les ganglions solaires et les nerfs qui les entou- ]-ent. Ces parties de l'organisme, au reste, sont particu- lièrement accessibles à toutes les influences magiques. On remarque la même chose dans les animaux atteints de ce mal. Chez les vaches, le vampire attaque particuhèrement

I>ES VAMPIRES. 29o

la colonne vertébrale et sa continuation , par les nerfs qui y conduisent. Il mêle leur queue par des mouvements spasmodiques. Chez les chevaux destinés à traîner et à por- ter^ dont le système musculaire est très-développé et dont la nature est très-accessible aux accidents neneux^ il at- taque de préférence le dos et le système moteur. 11 les monte en croupe^ de sorte qu'on les trouve le lendemain essoufflés, écumants et ruisselants de sueur. C'est donc une action nerveuse exercée à distance qui établit un rap- port entre le vampire sous la terre et ceux qu'il visite. Le vampire , tant que son corps échappe à la décomposition . sécrète, à l'aide de ce reste de vie cadavéreuse et veni- meuse qu'il a gardée, un virus, lequel, pénétrant la terre, cherche un organisme qui soit déjà dans un rapport har- monique avec lui, afin de lui communiquer sa propre contagion. Or c'est surtout parmi ceux qui lui sont atta- 'hés par les liens du sang qu'il trouve cette hamionie. De même que le métal qui gît au fond de la terre cherche, pour ainsi dire, à se montrer au grand jour ; de même que Teau cherche la lumière par une sorte d'instinct mysté- rieux; de même que Tun et l'autre sucent en quelque fa- çon celui qui, se trouvant dans un rapport particulier avec eux, entend leur langage muet, de même aussi ce qui a vécu autrefois et garde encore un reste de vie se sent quel- quefois attiré vers les lieux qu'il a habités, et cherche à y renouer des liens qui lui sont encore chers. S'il réussit, il entre à l'égard des êtres vivants auxquels il s'adresse dans les mêmes rapports que le magnétisé à l'égard de son magnétiseur. Il reçoit d'eux une vie véritable; puis, se l'assimilant, il la change en une vie factice; et à la place de la vie qu'il prend il donne la mort, appauvrissant ainsi

2 9 Pi le bo> et le .mai vais oeil.

les autres sans s"enrichir soi-même. Les hommes en butte aux vampires sont donc vraiment possédés par les morts; et le peuple j avec son bon sens^ a vu plus clair en cette matière que les savants avec leur esprit sceptique. 11 a d'ailleurs trouvé dans l'usage de biniler les cadavres le seul remède efficace contre celte contagion^ qui, se reproduisant de temps en temps d"une manière épidémique, semble , avec la plique, se rattacher principalement à la race slave, de même que la peste à celle des Turcs ; car c'est parmi les Slaves que se sont produits tous les cas connus en ce genre. Le crétinisme. dans lequel Thomme vit de la vie des zoophytes, offre quelques analogies avec cette maladie singulière , et peut y disposer.

CHAPITRE XV

Le bon œil et le mauvais œil. Faccllé de donner la mort ou la santé avec le regard. Elle se trouve particulièrement en Espace. On la trouve encore dans certaines populations entières.

Dans le vampirisme la mort est communiquée à un être vivant par un autre déjà mort, mais possédant une vie factice et anormale. D'autres fois, cette contagion mortelle réside non plus seulement dans un corps privé de vie, mais dans des organes vivant d'une vie réelle et véritable. Cest particulièrement en Espagne que l'on trouve des hommes ou des femmes doués de cette faculté singulière. Une dame Française nommée d'Aulnoi écrit à ce sujet dans son Yoyo/je en Eqjagne , t. 11 , qu'il y a dans ce pays des gens qui ont un tel venin dans les yeux, que lorsqu'ils re-

1.1. BON ET Lt M.M.VAK- CtlL. 297

gardent fixement quelqu'un, et surtout un enfant, celui-ci meurt de consomption. Elle dit avoir connu un homme qui avait un œil contagieux, et qui rendait malade tous ceux qu'il regardait de cet œil ; de sorte qu'on le força à le (ouvrir d'un emplâtre^ car l'autre œil n'avait rien de con- tagieux. Quelquefois, quand il se trouvait chez ses amis, on lui apportait des coqs, et il disait : « Lequel voulez-voua que je tue? » Il regardait fixement celui qu'on lui dési- gnait, et bientôt la pauvre bête tournait en cercle comme prise de vertiges, et tombait morte au bout de quelques ins- tants. Vida connaissait un vieillard à Viterbe qui possédait ausssi la faculté de tuer de son regard tous les reptiles, les petits oiseaux et tout ce qui avait une vie chétive. Son mauvais œil avait des taches de sang, ses cheveux gris étaient hérissés sur sa tête et tout son extérieur était re- poussant. Au printemps, lorsque les germes commencent à pousser et que les arbres fleurissent, s'il entrait dans un jardin, c'était une véritable désolation; car toutes les fleurs qu'il regardait se flétrissaient et mouraient comme empes- tées par le souffle de la mort. (Vida, Bombycum, 1. 2.) Le médecin Borel a connu aussi dans sa pratique plusieurs hommes dont le regard était tellement contagieux, que non-seulement ils tarissaient le lait dans le sein des nour- rices, mais endommageaient encore les feuilles et les fruits des arbres, que l'on voyait se dessécher et tomber. La chose allait si loin qu'ils n'osaient plus sortir avant d'avoir donné le temps d'avertir les petits enfants et les nourrices de leur approche, et d'écarter les animaux nouvellement nés, et en général toutes les choses auxquelles ils pou- vaient nuire. Il en a connu d'autres dont le regard usait peu à peu les verres et les miroir^linnt iln ly rni;4aient, de

^A «T. MICHACL'ê \ ^\ OOLLEQ! /

298 LE BON ET LE MALVAIS OEIL.

sorte qu'ils étaient obligés d'en changer de temps en temps ;, et que souvent même il se fonnait des trous dans le verre. (Borel^ obseiv. 07 , centur. 3.j Saint- André con- naissait ime femme qui ne pouvait se servir longtemps des mêmes lunettes; elle lui en montra une paire qui était toute rongée au milieu et qui avait une multitude de pe- tites cavités.

On peut ranger dans cette classe ceux dont le souffle ou la respiration donne des maux de tête, des angoisses de cœur, ou même la fièvre, aux personnes qui sont disposées d'une manière spéciale à recevoir leurs influences; comme aussi les femmes qui, à l'époque de leurs règles, font tourner le lait, le vin, le moût, etc. Ce phénomène n'était pas inconnu des anciens; et Pline, au 1. vn, c. 2 de son Histoire naturelle, rapporte, d'après Isigone et Nympho- dore, qu'il y avait en Afrique des familles dont les mem- bres gâtaient tout ce dont ils faisaient l'éloge, desséchaient les arbres et faisaient mourir les enfants. Il y avait de ces personnages singuliers chez lesTriballes et les lUyriens, dont les yeux avaient un charme, et qui tuaient tous ceux qu'ils regardaient longtemps, surtout avec colère, et par- ticulièrement les enfants ; et ce qui était singulier en eux, c'est qu'ils avaient deux prunelles dans chaque œil. D'après ApoUonide, il y avait aussi des femmes de ce genre chez les Scythes, qui les appelaient Bylhies; et d'après Philarque il y avait dans le Pont la tribu des Thibiens et plusieurs autres encore qui possédaient la même faculté, et qui aAaientdeux pupilles dans un œil, et dans l'autre l'image d'un cheval. Ils avaient aussi la propriété de ne jamais enfoncer dans l'eau, même avec des habits très-lourds. Il en étaiU^e"fff^'f^"'^*^^^ Damon , de la tribu des Phar-

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LE B0> F.T IF MAUVAIS OEII . 299

nazes en Ethiopie , dont la sueur rendait malades tous les membres qu'elle touchait; et Cicéron regarde comme fu- neste le regard des femmes qui ont deux prunelles dans un œil. Plutarque, dans son Symposion , y, c. 1 , parlant de ce charme des yeux, dit qu'il est surtout préjudiciable aux enfants, à cause de leur complexion molle et fluide. Puis il ajoute que ces habitants du Pont, que l'on nommait au- trefois Thibiens, pouvaient nuire, d'après Philarque, non- seulement aux enfants, mais encore aux hommes, et qu'ils rendaient malades tous ceux vers lesquels ils dirigeaient leur regard, leur souffle ou leurs paroles; que cette con- tagion semblait être venue dans le pays par ceux qui y fai- saient le commerce et en emmenaient des esclaves.

C'est le mauvais œil contre lequel les anciens cher- chaient à prémunir leurs enfants par les fascines , conmie aujourd'hui encore les Espagnols par les Jdgas , et les mères italiennes par les paroles qu'elles adressent à ceux qui louent leurs enfants : Bi grazia non glidate mald'occhio. La double prunelle et les images de cheval, que l'on re- marque dans l'œil des hommes qui ont cette propriété , correspondent aux pattes de chat et aux pieds de crapaud que l'on a observés quelquefois dans les yeux des sorcières. Ces signes viennent de spasmes dans la prunelle, et in- diquent la disposition spasmodique des personnes de ce genre. La faculté de surnager dans l'eau se retrouve daus les procès des sorcières. Aussi les peuples slaves se défient des yeux profonds, très-convexes, au regard sombre, et il^ cherchent un secours contre leurs mauvaises influences auprès de ceux qui passent pour avoir la faculté d'enlever leurs charmes.

C'est cette mah'die que la jalousie des Telchines e!i-

300 LE BON ET LE MAI VAIS ŒU .

voyait aux mortels, et dont l'antiquité grecque nous ra- conte tant de choses. LesTelchines, ces chiens d'Acte'on changés en hommes, gâtaient tout ce qui approchait d'eux. La colère et l'envie étaient donc les deux principales sources du mal , qui se communiquait par une certaine fascination. Celui qui possédait cette puissance pouvait la tourner contre soi-même. C'est ainsi que l'antiquité nous raconte qu'Euthélide perdit sa beauté en la regardant d'un œil d'envie dans le cristal d'une source. La légende n'a pas manqué de s'emparer de cette croyance générale : elle nous parle d'un noble polonais qui demeurait seul dans une maison blanche, sur le bord de la Vistule. Ses voisins l'évitaient et le fuyaient avec épouvante, parce que son re- gard frappait de maladie ou de mort les hommes ou les troupeaux, mettait le feu aux greniers, et ne pouvait être lié pour un temps que par la vue d'un faisceau de pois desséchés. 11 épouse enfin la fille d'un autre gentilhomme, qui, poursuivie par les loups, avait été forcée de chercher près de lui un refuge. Mais comme son regard allait être funeste aussi à sa femme et à la fille qu'elle lui avait don- née, il s'arrache les yeux, et les enfouit près du mur de son jardin. Mais bientôt ils acquièrent sous la terre une nouvelle énergie, et finissent par donner la mort à un an- cien serviteur, le seul qui eût pu jusque-là rester auprès de son maître, et qui par curiosité les avait déterrés.

Le fond de vérité sur lequel reposent tous ces récits , c'est une afiéction interne et maladive des yeux, de cet or- gane qui est dans un rapport si intime avec la vie et toutes les affections. L'esprit vital qui réside en lui peut dégéné- rer jusqu'au point de devenir un principe de contagion, dont le cercle est d'autant plus étendu que l'action de cet

LE B0^ ET LE MAIA AIS OEIL. 301

organe est plus puissante. Dans la pbthisie, le poumon malade peut exercer à distance son action contagieuse, tandis que dans la syphilis la contagion exige le contact immédiat de l'organe infecté. Il en est ainsi des hautes ré- gions de l'organisme^ relativement aux affections de l'âme dont elles sont le siège. Celles-ci^ acquérant un degré d'é- nergie extraordinaire, préparent quelquefois dans les or- ganes qui leur correspondent un virus corrosif, ou des ef- fluves narcotiques qui infectent les êtres vivants à une distance plus ou moins grande, selon que la partie qui sert de foyer à la contagion avait dans la santé une action plus ou moins étendue. Or les courants qui partent de l'œil sont plus puissants et vont plus loin que ceux de tout autre organe. L'expérience a prouvé^ comme nous l'avons vu plus haut, que ses émanations développent en certaines circonstances, par suite de quelque dégénérescence ma- ladive, je ne sais quelles émanations corrosives, à peu près dans le genre de l'acide de spath fluor, auxquelles la du- reté même du verre ne peut résister. Si donc quelque af- fection interne vient à produire dans l'œil une altération de ce genre, les effluves dont il est le foyer, rayonnant au dehors, peuvent être dirigées par une intention positive sur un point déterminé, et y produire des effets pernicieux, semblables à ceux dont nous venons de parler. Heureuse- ment cette influence contagieuse ne se développe que très- rarement et dans des circonstances extraordinaires. Au reste, l'œil n'est pas le seul organe qui puisse ainsi darder la mort : tout autre organe capable d'agir à distance peut acquérir la même propriété : la bouche, par exemple, et la parole qui en sort avec le souffle j la peau et les exhalai- sons invisibles qui s'en échappent; la main enfln et les

302 LF. E0>- F.T LE .M\UVAI> rtlL.

émanations qui en sortent , et que la volonté peut facile- ment diriger à son gré. L'homme tout entier peut donc prendre, pour ainsi dire, la nature du serpent^ et devenir un foyer de contagion pour tout ce qui rapproche.

Mais toute infection suppose un organe sain elle s'en- gendre. Or celui-ci peut, saisi par une action violente et pernicieuse, acquérir une puissance négative plus élevée, et devenir ainsi lui-même un foyer de contagion pour les autres, comme il peut, au contraire, excité par une action bienfaisante, acquérir une puissance positive plus grande, et devenir un principe de bénédiction et une source d'in- fluences salutaires. A côté de ceux qui ont la triste facuhé de propager autour d'eux la contagion et la mort, nous trouvons donc d'autres lionmies doués de la propriété plus heureuse de guérir certains maux, certaines maladies. Ces derniers étaient assez communs autrefois, particulièrement en Espagne , le peuple les connaissait sous le nom de saludadores , qui donnent la santé, et à'ensahyiadores, qui conjurent les maladies. Ils formaient une espèce de confré- rie, dont les uns étaient sédentaires, tandis que les autres parcouraient les bourgs et les villages pour y exercer leur art. Ils portaient sur la poitrine une croix qu'ils faisaient baiser à ceux qui désiraient être guéris. Ils récitaient avec cela certaines formules, soufflaient doucement sur le ma- lade ou le baisaient: ou bien encore, dans les empoisonne- ments, dans la rage, ils leur donnaient un morceau de pain qu'ils avaient mordu eux-mêmes. Ils touchaient les plaies d'une certaine manière, et il leur arrivait souvent d'en retirer de petits morceaux de fer et de les guérir ensuite . Us prétendaient que, pour réussir dans leur profession, ils avaient besoin de boire beaucoup de vin. C'était sans doute

LE B0> ET LE MAUVAIS ŒIL. 30?.

un moyen de donner une nouvelle énergie à la faculté or- panique qui rc>idait en eux. Ceci, joint à d'autres dé- sordres inséparables de la vie errante , donna à beaucoup d'entre eux une mauvaise réputation. Il n'y avait cepen- dant entre leur vie et le don qu'ils avaient reçu aucun rapport nécessaire; d'oii l'on peut conclure que ce don était physique et naturel dans sa source. Plusieurs por- taient sur leur corps l'image d'une roue, signe du martyre de sainte Catherine. Ils prétendaient qu'un saludador qui en rencontre un autre le reconnaît aussitôt à certains signes naturels , sans même l'avoir jamais vu auparavant. Us se vantaient aussi de pouvoir impunément prendre des char- bons ardents, ou rester dans un four enflammé. L'événe- ment ne justifia pas cependant cette prétention dans ce saludador que Vair connut, et qui brùIa dans un four parce que son compagnon , ignorant qu'il y était, avait fermé la porte sur lui. Ils se vantaient aussi de voir à dis- tancC;, etTorquemada cite à ce sujet un exemple remar- quable de cette faculté.

Au troisième livre de son Jardin de Flores, 1 577 , p. 159, après avoir parlé de ces hommes en général, il dit qu'ils avaient surtout le don de guérir la rage, et de présen er de tout dommage les hommes et les animaux; qu'ils préten- daient porter empreinte sur leur palais^ ou sur une autre partie du corps, la roue de sainte Catherine; mais qu'ils se vantaient de faire plus qu'ils ne pouvaient réellement: qu'ils appartenaient la plupart à la classe du peuple , et qu'il était curieux d'entendre les formules ou les prières mal digérées, souvent inintelligibles et ridicules, dont ils se sersaient pour pratiquer leur art; que, comme la conduite de plu- sieurs d'entre eux n'était pas très-édifiante, beaucoup dou-

304 LE B0> FT I.E MAUVAIS ŒIL.

taient de la nature de leur don; mais que cela pouvait venir aussi de ce que plusieurs se donnaient pour des sa- ludadores sans Têtre en effet, 11 raconte un exemple re- marquable de guérison qui était arrivé à son père lui- même. Dans un long voyage que fit celui-ci lorsqu'il était jeune encore ^ un chien lui mordit la jambe à travers sa botte, et il sortit de la plaie une ou deux gouttes de sang. Il continua son voyage pendant trois à quatre jours en- core sans penser le moins du monde à ce qui lui était arrivé. Étant enti'é un matin dans une église de village pour y entendre la messe, il vit venir à lui un paysan qui Taccosta par ces paroles : « Dites-moi, Monsieur, un chien vous a mordu? « L'étranger, qui avait déjà oublié la chose,, lui répondit : « En effet, un chien m'a mordu il y a quel- ques jours; pourquoi cette demande? » Le paysan lui dit en souriant : <i Remerciez Dieu de vous avoir amené ici; car je suis un saludador : le chien qui vous a mordu était enragé ; et si vous aviez attendu le neuvième jour, vous étiez perdu. Pour vous convaincre que je dis vrai, je vais vous décrire le chien qui vous a mordu. » Il le fit en effet, et Torquemada ne put s" y tromper. Le paysan ajouta : « Pour vous guérir, il faut que vous restiez ici quelque temps. » Il l'emmena donc chez lui , récita certaines formules sur lui et sur tout ce qu'il mangeait, et après le repas encore. Puis il lui dit : « Il faut que vous supportiez patiemment le traitement que je vais vous faire subir. » L'étranger se montrant prêt à tout, le paysan lui fit une petite entaille au nez, en trois endroits, avec la pointe d'un couteau. Il en sortit quelques gouttes de sang qu'il mit chacune à part sur un plat : puis il fit laver la plaie avec du vin qu'il avait conjuré, ayant toujours les yeux sur les gouttes de sang

LE CALCIIEMAR. 305

jusqu'à ce qu'il eut vu un petit vers se remuer en chacune d'elles. «Vous êtes guéri, grâce à Dieu, Monsieur^ lui dit-il; remerciez-le de vous avoir amené ici. » 11 y avait aussi dans les Ardennes une famille qui prétendait des- cendre de saint Hubert et avoir reçu de lui la faculté de préserver et de guérir de la rage. C'est ainsi que les rois de France faisaient remonter à Robert , leur aïeul , et les rois d'Angleterre à suint Edouard le Confesseur, le don de guérir les écrouelles.

CHAPITRE \YI

Le cauchemar. L'incube et le succube des anciens. Ils apparaissent encore aujourd'hui sous la même forme. Explication de ce phéno- mène.

Les influences que nous avons considérées jusqu'ici agis- sent sur l'homme parfaitement éveillé: les phénomènes que nous allons étudier se produisent, au contraire, dans le sommeil naturel et maladif à la fois; de sorte qu'ils for- ment comme le point de transition entre ceux des états précédents et ceux du magnétisme. Comme ces influences échappent tout à fait à la volonté, à la conscience et à l'ob- servation de celui qui les éprouve, elles supposent en ce dernier un état passif. Cet état , c'est ce que les Allemand.» appellent alp, et qui est à peu près ce que nous nommons cauchemar. Nous le considérons ici surtout comme indi- quant ou produisant un certain rapport entre les deux sexes, et comme affectant à cause de cela les systèmes ner- veux où ce rapport a son siège. Les Romains, ayant égard à la diversité de ces rapports et à leur opposition , appe-

306 LE CArCHEMAU.

laient le cauchemar inmhus et sucmbus, ab incumbendo et smcumbendo. Les Grecs l'appelaient ep/ua/^es, c'est-à-dire insuUor, qui saute, qui se jette sur quelqu'un. Les peuples gaulois et germaniques, supposant dans cet état une in- fluence spirituelle, l'attribuaient, les premiers aux Duses ou Tauses, les seconds aux Elfes. Les médecins, le consi- dérant, à leur manière, comme maladie ou suite d'une ma- ladie, ont cherché de tout temps à le guérir par des moyens naturels, tandis que les anciens théologiens étaient plutôt disposés à y voir, dans les cas les plus graves, l'effet d'un charme. Il peut être l'un et l'autre à la fois; mais il peut tenir aussi à une disposition prenant sa source dans un lien qui se rattache aux organes sexuels et qui agit ma- Linétiquement à distance.

Paul Éginète, qui était médecin, nous en donne la des- cription suivante, 1. m, c. 15. uL'éphialtes, dit-il, tire son nom, selon quelques-uns, d'un homme qui s'appelait ainsi, ou bien encore de ce que ceux qu'il attaque se croient do- minés par un esprit. Thémison néanmoins, au douzième livre de ses Épîtres, l'appelle Fnigalion, parce qu'il étouffe la voix et l'estomac. Cette maladie vient de trop boire, et d'une digestion trop lente. Le malade a peine à respirer ; ses sens sont hébétés et paralysés ; il se sent étouffé dans le sommeil, et est surpris par un malaise subit. Sa voix est liée , et ne peut que balbutier quelques mots inarti- culés. Il lui semble, à son grand étonnement, qu'un homme ou une femme lui ferme la bouche pour l'empêcher de crier. U agite ses bras et ses jambes dans son lit pour les chasser, mais en vain. Il croit même les entendre parler et le porter au crime; bien plus, il les voit monter sur son lit, et essayer de lui faire violence. » Paul Éginète ajoute

LE CAUCHEMAU. 307

que Ion doit attaquer le mal de bonne heure^ parce qu'il peut conduire à l'apoplexie ou à l'épilepsie. Cette descrip- tion se trou^ e encore, après tant de siècles, parfaitement exacte. In médecin plus moderne Jas. Pratensis, de Cé- rebri morbo, c. 20, nous dépeint cet état dans le récit sui- vant: « Dernièrement, dit-il, un ecclésiastique eut recours à moi, implorant mon secours, et se croyant perdu, a Voyez, me dit-il, comme je suis maigre! Je ressemble à un sque- lette, moi qui avais autrefois si bonne mine. Presque toutes les nuits, une femme que je connais bien vient me trou- ver, se coucbe sur ma poitrine, me presse la gorge; de sorte que je puis à peine respirer. Si je veux crier, elle me feiTïie la bouche; si dans mon effroi je veux me lever, je ne puis remuer ni les mains pour la chasser ni les pieds pour m'enfuir, tellement elle me tient lié sous son charme. «

Le médecin, qui reconnut aussitôt le mal, se mit à sou- rire, et lui dit : « Tout cela n'est qu'une illusion de votre imagination. Comment, répond le malade, vousappelez imagination ce que je vois de mes yeux, ce que je fais avec mes mains, parfaitement éveillé et ayant l'usage de mes sens? car je la vois devant moi, je souffre ses attaques, je cherche à me défendre ; mais tout est inutile , parce que je suis retenu par l'épuisement, la crainte, l'angoisse et la violence que j'endure. J'ai couru partout comme un in- sensé, demandant à chacun secours et conseil; je me suis adressé à un Franciscain très -habile, qui m'a indiqué pour unique remède de prier Dieu avec ferveur; je l'ai fait long- temps, mais en vain. Après cela je suis allé trouver une vieille femme renommée comme magicienne. Elle m'a donné un remède connu depuis longtemps, qui devait me

308 LE CALCHE.MAH.

faire voir le jour même la personne qui me tourmentait ainsi. Ma conscience a refusé longtemps l'emploi de ce remède, que je regardais comme inutile et impie; mais enfin la patience m"a abandonné , et je me suis décidé à en faire usage. La femme qui me tourmentait est bien \ enue en effet chez moi, se plaignant de douleurs de vessie; mais, malgré mes prières et mes menaces, elle a continué k me visiter la nuit; car elle voulait me faire mourir, w (' J'eus beaucoup de peine, ajoute le rapporteur, à lui ôtcr de l'esprit cette imagination. Cependant, dès la seconde ou la troisième visite, il était déjà plus gai, et commen- çait à entrevoir la nature du mal et la possibilité de la gué- rison. » Le rapporteur ne nous dit pas s'il l'a vraiment obtenue. Cette maladie s'est produite partout et toujours, si bien que les anciens avaient un mot pour 1" exprimer. « La Drude pèse sur moi, o disaient-ils. C'est le malum dœmoniacum de Pline. Les confesseurs rencontrent bien souvent aussi dans leur pratique cet état singulier, avec des circonstances qui le compliquent quelquefois d'une manière étrange.

.Nous n'avons pas besoin de nous y arrêter longtemps ici; car il n'est qu'une autre forme du mal que nous avons étudié dans les chapitres précédents. En effet, si l'élément qui exerce sur l'homme une action magique est un élément naturel, il saisit alors la partie élémentaire de son être. Si cette influence lui vient de quelque plante vénéneuse, elle infecte la partie végétale en lui, de sorte que celle-ci ab- sorbe pour ainsi dire toutes les autres puissances. Si, au contraire, l'homme est en proie à quelque influence ani- male , la bête en lui acquiert un développement mons- trueux , et toutes ses puissances sont dirigées vers l'espèce

LE CAUCHEMAR. 309

animale dont il a pris les instincts. Il se produit dans le cauchemar un effet du même genre, avec cette différence qu'ici ce sont deux personnes humaines d'un sexe diffé- rent, dont l'une s'empare de l'autre et la tient comme hée sous son charme. C'est le cerveau ganglionnaire inférieur qui est le foyer de toutes ces aftections: mais elles se pro- duisent tantôt dans tel plexus nerveux, tantôt dans tel autre, suivant la différence des états; et, après avoir donné naissance dans les autres plexus à des réactions diverses , celles-ci se concentrent toutes dans tel ou tel ganglion. Ce sont donc les plexus du système sexuel qui reçoivent la première impression , tandis que les autres systèmes, ceux qui servent aux fonctions des sens et au mouvement, sont liés au contraire. Cependant quelquefois, rarement il est vrai, c'est le contraire qui a lieu. Ainsi nous lisons dans le Livre des Superstitions, d'un savant théologien, Martin d'Arles, qu'un prêtre le consulta au sujet d'une dame pieuse dont il était le confesseur. Il semblait souvent à celle-ci pendant le sommeil qu'elle chevauchait à travers les champs, les prairies et les ruisseaux, et que pendant ce temps un homme était près d'elle et péchait avec elle. La chose lui arrivait très-souvent. Ces excursions prouvent que dans le cas dont il s'agit le cauchemar, au lieu d'être couché sur la personne qu'il tourmentait, la portait au contraire sous la forme d'un cheval, et produisait en elle la sensation du dégagement du système musculaire. Au reste, cet état est accompagné, de même que toutes les autres surexcitations du système ganglionnaire, d'une vision qui prend diverses formes. Si dans le vampirisme il se produit sous celle d'un spectre qui suce le sang, il prend ici celle d'un fantôme qui séduit par des charmes

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troaipeurs^ qui pèse avec force sur la poitrine , ou qui en- traîne avec fureur. Et comme tous les systèmes de l'orga- nisme sont liés par une sympathie générale , la surexcita- tion qui se produit ici dans l'un s'étend bientôt à tous les autres : à l'esprit sous la forme d'une vision ; au système moteur en liant ou en dégageant son activité; aux sys- tèmes de la vie inférieure sous la forme d'un poids qui op- presse le cœur, ou d'une volupté qui le dilate. On conçoit, au reste, que cet état peut être entièrement passif en celui qui l'éprouve, lorsqu'une autre personne se trouvant avec lui dans un rapport magnétique s'est emparée de lui et Ta comme absorbé. Mais il peut surgir aussi d'une manière spontanée; et le patient-, dans ce cas, joue un rôle actif, et cherche à se mettre dans un rapport magnétique avec d'autres. Le plus souvent, néanmoins, cet état n'est qu'un jeu et un rêve de l'imagination, allant d'une personne à une autre, et les mettant ainsi dans un rapport factice sans aucune réalité.

CHAPITRE XYII

Des rapports magnétiques. Du lien magique qui existe entre le som- nambule et ceux qui sont en rapport avec lui. Marie Goffe de Roches- ter. De la faculté de se dédoubler. Le jeune homme de Londres cité par Morton. Comment le corps est enlevé à certaine distance. Elisabeth Wedering à Halberstadt.

Nous voici arrivés au magnétisme vital, à ce premier degré il forme un lien magique entre le somnambule et ceux qui sont en rapport avec lui. Dans cet état, l'àme passe tout entière, pour ainsi dire, dans le monde interne des songes; la vie extérieure se ferme, tout disparaît, tout

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s'eflace, et il ne reste plus à l'homme, de tout cet univers, que la personne avec laquelle il se trouve en rapport. Celle-ci peut à son gré le rappeler de cet état et l'y plonge;" de nouveau. Elle exerce sur lui un empire souverain^ et placée, pour ainsi dire, aux limites des deux mondes, elle est pour lui, selon les circonstances, un guide ou un sé- ducteur. Elle est en dehors du cercle le somnambule est renfermé; car elle reste dans le monde extérieur et ordi- naire; mais de elle agit sur le somnambule, qui vit, de .son côté, dans un autre monde ; de sorte que les souvenir> qu'il a gardés de sa vie antérieure et les visions qui lui ar- rivent des nouvelles régions il se trouve sont réglés et déterminés par elle. Ainsi, ce qui caractérise ce premier degré, c'est la puissance absolue du magnétiseur et l'asser- vissement complet du magnétisé. Le somnambule ne voit rien du monde extérieur avec ses propres yeux, et n'en- tend rien avec ses oreilles; ces deux sens sont entièrement Termes pour toutes les choses du dehors. 11 ne voit qu'avec les yeux et n'entend qu'avec les oreilles de celui qui le do- mine, et rien n'arrive à son esprit captif sans avoir passé par l'esprit de ce dernier. lien est ainsi des sens extérieurs. Ce que le magnétiseur goûte et sent, ce qui affecte chez lui le sens commun est perçu par celui qu'il tient en sa puis- sance. Son empire s'étend jusque sur sa volonté. Le som- nambule a perdu en quelque sorte sa personnalité, qui est comme absorbée d'une manière extérieure seulement, il est vrai, par son maître. Sa volonté est toujours libre dans son fond; mais au dehors elle est liée, et comme possédée par celle du magnétiseur, qui, devenant pour elle une se- conde cause efficiente, la dirige et la détermine à son gré du dedans au deiiors. Les pensées, les sentiments et les

312 DES RAPPORTS MAGNÉTIQUES.

affections de Tun se reflètent dans celles de l'autre. Dans ce commerce réciproque , il s'établit un double courant allant de l'un à l'autre, et traversant toutes les régions de la personnalité humaine ; de sorte que partout cependant ce qui vient du dehors est plus fort que le dedans et le domine^ sans toutefois faire à l'àme aucune violence et sans employer autre chose qu'un certain attrait ou une cer- taine impulsion qui la séduit ell' enchante. Cette action du magnétiseur sur les somnambules ne tient pas toujours à sa présence immédiate ; mais eUe se produit à distance , comme toute action magique; car dans tous les rapports d'un ordre supérieur il ne faut tenir nul compte de la quantité qui s'exprime par le temps et l'espace, par la proximité ou la distance, mais seulement de la qualité, qui se manifeste par l'harmonie ou le désaccord, l'antipathie ou la sympathie. Comme le magnétiseur, tout en restant dans le domaine de la vie ordinaire , agit néanmoins sur le somnambule, qui vit dans un monde séparé du premier par une distance infinie, on peut conclure delà que toute vie a une action à distance: et que, si cette action passe inaperçue, c'est qu'ordinairement elle ne trouve point autour d'elle d'organisation assez mobile et assez impres- sionnable pour qu'elle puisse se manifester en elle.

Mais ce rapport par lequel le magnétiseur domine et tient sous sa puissance ceux qu'il magnétise en appelle bientôt un autre tout opposé, le premier est lié par ceux-ci. Dans ce cas, le sensorium commune, foyer de la vie, n'est plus dans le magnétiseur, mais dans les somnambules, et ceux- ci peuvent dominer la personne du premier, et d'une ma- nière d'autant plus énergique que les forces internes, étant plus centrales et ayant à cause de cela une périphérie plus

PES R.VPHUKTS MAGNETIQUE^. 313

étendue , ont aussi une action plus puissante que les forces extérieures. Dans le premier cas, le magnétiseur, même lorsqu'il est à une très - grande distance de ses somnam- bules, est visible pour eux sans qu'ils le soient pour lui. Dans le second cas , ce sont eux qui, a toutes les dis- tances, sont près de lui et visibles pour lui. Leurs pen- sées, leurs images, leurs résolutions, aussi bien celles qui sont le produit d'une impulsion interne que celles qui sont le résultat de quelque excitation extérieure , leurs af- fections se reflètent dans son àme; de sorte que, dans toutes les directions, la vie ordinaire sert d'instrument à la vie extraordinaire qui s'est produite. Le premier rap- port est le plus fréquent dans la magie naturelle , et le second ne se manifeste que rarement et dans les degrés supérieurs. Le magnétiseur peut élever artificiellement ses somnambules au-dessus de la vie ordinaire , ou les n rappeler à son gré; et ceux-ci, quoique leur personnalité soit élevée à une plus haute puissance , ne peuvent se dé- fendre à l'égard du premier. Il leur faudrait pour cela une force surhumaine, capable de faire équilibre à la force humaine et naturelle de l'autre, capable de triompher des influences naturelles qu'ils en reçoivent et de dominer leur magnétiseur, qui n'est après tout à leur égard que le re- présentant de la nature et dont toute la puissance vient de celle-ci. Xous avons rencontré ce pouvoir dans un grand nombre de saints extatiques, et nous le reti'ouverons encore plus tard dans les phénomènes diaboliques. Il se produit plus rarement dans la magie naturelle; on le ren- contre quelquefois néanmois dans cette sorte d'extase qui a coutume de se manifester au moment de la mort. Pai'mi un grand nombre d'exemples de cette sorte que nous pour-

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314 DES RAPPORTS MAGNÉTIQUES.

rions citer^ nous nous contenterons de rapporter ici un fait très-remarquable et parfaitement authentique. Marie Goffe Marie, femme de J. GoCfe de Rochester^ est attaquée d'une maladie de langueur et conduite à Westmulling^ à neuf milles de sa demeure, dans la maison de son père, elle mourut le 4 juin 1 69 1 . La veille de sa mort, elle res- sent un grand désir de voir ses deux enfants, qu'elle a laissés chez elle aux soins d'une bonne. Elle prie donc son mari de louer un cheval, pour qu'elle puisse aller à Ro- chester, et mourir près de ses enfants. On lui fait observer qu'elle n'est pas en état de quitter son lit et de monter à cheval. Elle persiste, et dit qu'elle veut au moins essayer : « Si je ne puis me tenir, dit -elle, je me coucherai tout du long sur le cheval; car je veux voir mes chers petits. » Va ecclésiastique vient la voir encore vers dix heures du soir. Elle se montre parfaitement résignée à mourir et pleine de confiance dans la miséricorde divine. « Toute ma peine, dit- elle, c'est de ne plus voir mes enfants. » Entre une et deux heures du matin, elle a comme une extase. D'après le rapport de la veuve Turner, qui veillait près d'elle pendant la nuit, ses yeux étaient ouverts et (ixes et sa bouche fermée. La garde approcha les mains de sa bouche et de ses narines, et ne sentit aucun souffle :elle crut donc que la malade était évanouie, et elle ne savait trop si elle était morte ou vivante. Lorsqu'elle revint à elle, elle raconta à sa mère qu'elle était allée à Rochester, et qu'elle avait vu ses enfants, a C'est impossible, dit la mère; vous n'êtes pas sortie tout ce temps de votre lit. Eh bien, dit l'autre, je suis pourtant allée voir mes en- fants cette nuit pendant mon sommeil. » La veuve Alexan- dre, bonne des enfants, affirma de son côté que le matin,

DF.S RAPPORTS M\G^ÉT1QUES. 315

un peu avant deux heureS;, elle avait vu Marie Goffe sortir (le la chambre voisine de la sienne, l'un des enfants dormait seul, la porte ouverte, et venir ensuite dans la sienne; qu'elle était restée environ un quart d'heure près du lit elle était couchée avec l'enfant le plus petit. Ses yeux se remuaient et ses lèvres semblaient parler; mais elle ne disait rien. La bonne se montra prête à confirmer par serment devant les supérieurs tout ce qu'elle avait dit, et à recevoir ensuite les sacrements. Elle ajouta qu'elle était parfaitement éveillée, et qu'il commençait déjà à faire jour; car c'était un des plus longs jours de l'année. Elle s'était assise sur son lit, avait regardé et observé attentive- ment l'apparition , et avait entendu sonner deux heures à la cloche qui était sur le pont. Au bout de quelques instants elle avait dit : « Au nom du Père, du Fils, et du Saint-Es- prit, qui es- tu?» Aces mots l'apparition s'était évanouie. La bonne jeta vite sur elle ses vêtements pour suivre le fantôme; mais elle ne put découvrir ce qu'il était devenu. C'est alors qu'elle commença à être saisie d'un certain ef- froi. Elle sortit de la maison , qui était située sur le quai, se promena quelques heures en allant voir les enfants de temps en temps. Vers cinq heures du matin, elle frappa à la porte de la maison voisine ; mais on ne lui ouvrit qu'une heure plus tard, et elle raconta ce qui s'était passé. On lui dit qu'elle avait rêvé ; mais elle répondit : « Je l'ai vue cette nuit aussi clairement que je l'ai vue jamais dans toute ma vie. )) Une des personnes qui l'entendaient parler ainsi, Marie, femme de J. S^Yeet, apprit le matin que M^e Goffe était à la dernière extrémité et qu'elle voulait lui parler. Elle alla donc à Mulling le même jour, et la trouva mou- rante. La mère de la malade lui raconta, entre autres

316 DL? RAPPORTS MA(.NET1QLES.

choses, que sa fille avait beaucoup désiré de voir ses en- fants, et qu'elle prétendait même les avoir vus. Marie se i-appela les paroles de la bonne; car jusque-là elle n'en avait point parlé , croyant qu'il y avait eu illusion de sa part. Th. Tilson , curé d'Ayles^vorth , près de Maidstone, qui a publié ce fait, Tapprit d'une manière détaillée le jour de la sépulture de J. Carpenter. père de M. Gotîe. Le 2 juillet, il fit une enquête très-exacte auprès de la bonne et des deux voisins qu'elle était allée trouver le matin. Le lendemain la chose lui fut confirmée par la mère de M. Goffe, par Fecclésiastique qui était venu la voir le soir et par la garde qui l'avait veillée la nuit. Tous furent una- nimes dans leur témoignage: tous étaient des personnes intelligentes, calmes, incapables de tromper et qui d'ail- leurs n'avaient aucun intérêt à le faire. Ce fait réunit donc toutes les conditions qui peuvent le rendre incontestable. : The spectre, or news from the invisible world; London , 1836, p. 184.) Tilson raconte ce fait dans une lettre du fi juillet 1691 à un théologien très-connu , nommé Bar- ter, qui l'a inséré dans son livre publié en allemand , à Nuremberg, sous le titre de : la Certitude des esprits dé- montrée par des histoires incontestables.

Pour bien comprendre ce fait , nous devons nous rap- peler ce que nous avons déjà dit sur la manière dont le corps est construit. Il est bâti , pour ainsi dire, sous la di- rection de l'âme, par les esprits élémentaires, qui sont donnés à celle-ci comme instruments , et d'après un plan déterminé en grande partie, pour chaque individu, par la constitution des parents. Mais cette construction est de deux sortes. Elle se fait d'abord d'une manière typique, par le moyen des esprits supérieurs, avec les éléments

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DF.S RAPPORTS MAGNÉTIQUES. 317

appelés impondérables, lesquels, quoiqu'ils soient parta- gés en forces actives et en facultés passives, participent cependant davantage à l'unité et à la nature de l'activité spirituelle. Puis, cet édifice typique une fois bâti, les es- prits inférieurs et plus grossiers qui participent davantage à la composition et à l'état passif de la matière bâtissent le second édifice, qui revêt le premier et est plus terrestre et plus grossier que lui. Le corps est donc composé de deux corps pour ainsi dire, réunis en un troisième, et dont le premier réside dans le système et agit par le fluide nen-eux, tandis que l'autre, qui vient principalement du sang, s'empreint dans le système circulatoire, et que le lien qui les unit tous les deux se produit dans le système musculaire .

La première construction de l'édiûce est le type, et donne le plan de l'autre; et toutes les deux sont l'image de l'àme qui réside en elles: de sorte qu'on pourrait ap- peler en un certain sens la première le spectre de l'àme, et la seconde son enveloppe plastique. Tant que ces deux corps sont unis, dans le cours ordinaire des choses, par le lien de la personnalité , ils se pénètrent et se lient ré- ciproquement. Mais si ce lien est dissous par la mort, ils se séparent : l'un, celui qui a plus d'affinité avec l'àme, la suit, tandis que l'autre, plus rapproché de la nature terrestre, est absorbé par elle. Mais entre ces deux extrêmes, c'est-à-dire entre la vie ordinaire et la mort, il y a des états mitoyens dans lesquels le lien se relâche sans se rompre; de sorte que les deux natures qu'il attache ensemble s'écartent l'une de l'autre par une sorte de mou- vement excentrique. Si dans ce mouvement le premier corps, celui qui est le plus élevé et qui sert de type a

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Tautrej se détache de celui-ci par un surcroît d'énergie^ et^ sortant de l'état latent il le retient, franchit ses limites sans toutefois le quitter tout à fait, alors le spectre, se dé- gageant de l'enveloppe qui le recouvre;, apparaît d'une manière visible, à peu près comme l'éclair qui déchire le nuage. Ainsi délivré, il acquiert une unité plus élevée et une action plus puissante et plus centrale. Plus concentré, il devient présent, non partout, ce qui ne convient qu'à DieU;, mais en plusieurs lieux, selon la mesure du déga- gement qui s'est opéré en lui. L'espace disparaît dans la sphère s'étend son pouvoir, et il peut ainsi être présent le portent ses désirs, dans toute l'étendue de cette sphère. Tout en étant présente dans la partie qui est encore enveloppée sous la matière, l'àme est présente ailleurs encore par la partie typique et centrale, et se rend ainsivisible dans les éléments et les forces de cette dernière. On voit que la catalepsie et le somnambulisme, en pro- duisant une séparation de cette sorte dans les éléments dont se compose la personnalité humaine,permettent quelquefois à celle-ci d'être vue en plusieurs lieux à la fois. Mais cet état peut être aussi l'effet d'une disposition naturelle, comme le prouvent plusieurs exemples de personnes qui, quoique réunissant tous les signes d'une santé parfaite, ont cepen- dant éprouvé cette division singulière. Un jeune homme de Londres, que connut Morton, était, d'après le témoi- gnage de celui-ci, sobre, religieux, sensé, d'une imagi- nation calme et modérée, instruit, réfléchi et sérieux; on n'avait jamais remarqué en lui ni goût pour le merveilleux ni dispositions à la folie, aux songes, aux illusions, comme il arrive si souvent chez ceux qui voient des fantômes; et cependant voici ce qui lui arriva. Il était apprenti chez un

DES RAPPORTS MAGNÉTIQUES. 319

marchand de Londres^ et était sur le point de s'embarquer pour l'Amérique, ^on maitre avait un comptoir. Le vais- seau était prêt ; son maître^, ayant à faire des lettres et d'au- tres préparatifs nécessaires, ne put le prendre à table avec lui pour manger, et lui dit de rester dans son cabinet jus- qu'à ce qu'il vînt le remplacer. Après avoir mangé, il des- cendit pour l'envoyer manger à son tour, et le vit par la porte du cabinet assis près du teneur de livres , comme il l'avait laissé auparavant. Obligé à l'instant même de re- monter dans la salle à manger, d'où il venait de descendre, il laissa le jeune homme dans son cabinet sans lu#parler; mais quand il fut en haut il l'aperçut à table avec les autres gens de la maison. La chambre ils étaient assis ouvrait sur l'escalier, de sorte que de celui-ci on pouvait très-bien y voir, et qu'aucune illusion n'était possible. Le jeune homme n'avait donc pu monter l'escalier, et passer à côté de lui d'une manière naturelle, sans parler de l'inconve- nance qu'il aurait commise en agissant ainsi. Le maître ne lui adressa pas la parole, ce dont il se repentit dans la suite; mais comme il était bouleversé, il entra dans la salle à manger, qui était située à droite de celle des gens de la maison. Il envoya aussitôt quelqu'un voir si le jeune homme était réellement à table avec ceux-ci, et on l'y trouva en effet; de sorte que ce qu'il avait vu dans son cabinet ne devait être que son image.

D'autres faits qui arrivèrent plus tard prouvent que c'était chez lui une disposition naturelle. Écrivant à son maître, de la ville de Boston, il était depuis quelque temps, il lui demanda en post-scriptum des nouvellesde son frère; car, disait- il, « dernièrement, le 20 du mois de juin, à six heures du matin, étant dans mon lit parfaite-

320 f'ES RAPPORTS MAGNhTIOUE>.

ment éveille , jai vu mon frère au pied du lit^ ouvrant mes rideaux et me regardant sans rien dire. Quoique effrayé, jeus cependant le courage de lui dire : Qu" as-tu, mon frère? Il avait la tête entourée d'un linge sanglant; il était très- pâle et d"un aspect terrible. Il me répondit : J"ai été tué indignement par tel et tel, il faut que je sois vengé; puis il disparut. ■» Son frère, en effet, étudiant à Londres, avait été assommé quinze jours avant la date de la lettre dans une batterie avec un tisonnier, et était mort bientôt après de sa blessure. Morton lut la lettre une heure après son ar- rivée àj^ondres : il connaissait très-bien la personne, récriture et le frère, et ne pouvait par conséquent être trompé. -Morton, on Apparitions.]

Si le fait que rapporte Tharsander de même que plu- sieurs autres du même genre sont vrais, la seconde figure peut être aperçue et par celui à qui elle appartient et par les autres en même temps. La femme d'un employé entre dans le cabinet de son mari, et, le voyant assis à sa place ordinaire, elle doute si c'est bien lui, car elle venait de le laisser dans sa chambre en bas. Elle descend bouleversée, et lui raconte ce qu'elle a vu en haut. Celui-ci, voulant juger de la chose par ses propres yeux, monte avec sa femme, et trouve le fantôme avec sa propre forme, ha- billé comme lui, assis et écrivant à sa place ordinaire. Il savance vers lui. et lui dit : « Camarade, ce n'est pas votre place, mais la mienne : vous n'avez rien à faire ici ; allez-vous-en donc. » Comme il tirait la chaise en disant ces mots, le fantôme disparut. C"est une espèce de fée Morgane d'une espèce toute spirituelle, dans laquelle l'àme regarde par ses organes le jeu des esprits nerveux que le spectre projette hors du corps, au lieu de les renfermer en lui .

DES RAPPORTS MAGNÉTIQUES. 321

Dans les cas que nous venons de citer, c'est une image du ' orps seulement qui est projetée au loin: mais il peut ar- river que le corps lui-même soit enlevé à certaines distances déterminées par une sorte de tempête intérieure, résul- tant d'un dérangement dans l'équilibre des forces méca- niques de l'organisme. Fincelius raconte qu'à Halberstadt,

en 1.3D7.1e*2.S novembre. Elisabeth Wedering, femme E. wede-

nne. respectable et craignant Dieu , agee de vingt-quatre ans,

accoucha d'une fille, qu'elle garda et soigna avec une attention toute maternelle. Dans la nuit de l'Immaculée Conception elle avait levé et allaité son enfant, puis lavait couchée dans son berceau en la recommandant à Dieu, et >était mise au lit, ayant une senante à côté d'elle. Au bout d'un quart d'heure l'enfant se mit à crier si fort , que la servante fut obhgée d'appeler la mère. Celle-ci n'entendit rien ; de sorte que la ser\ante, étonnée, pensa qu'elle de- vait avoir quelque chose pour dormir aussi dur, elle qui auparavant entendait les moindres cris de sa fille. Elle s'a- vance donc près du lit et lui dit : « Madame, n'entendez- vous pas votre enfant crier? » Point de réponse. Elle met la main sur le lit, et ne sent rien. Effrayée, elle appelle le mari, qui dormait dans une chambre à côté, et lui dit : « Madame est partie. Dieu garde, « répond le mai'i. Il allume une lampe, prend son enfant, parcourt avec la garde tous les coins de la maison , appelle sa femme , et voit qu'elle n'a pu sortir ni par la porte de la cour ni par celle de la maison, car la terre était couverte de neige et Ton n'y apercevait aucune trace de pas. Il court au cellier et l'appelle, mais il n'entend qu'un bruit dans l'eau : il y avait en eifet dans le cellier un puits qui communiquait avec la cour des voisins; mais comme les portes étaient

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fermées, il ne fit pas attention à ce bruit. On court dans la rue, on éveille à grands cris les voisins, on leur raconte ce qui est arrivé. Le voisin Schade entend ouvrir sa porte de derrière, que l'on ouvrait très-difficilement dans le jour, et dit à sa femme : «Entends-tu? il doit y avoir un voleur dans la maison. » La femme cherche à lui persuader qu'il se trompe.

Ceux qui cherchaient Elisabeth, entendant quelqu'un remuer dans la maison de Schade, croient que c'est sa femme qui s'est levée, et frappent à sa porte pour l'avertir. La porte s'ouvre, et ils aperçoivent celle quils cherchaient. Ils lui demandent ce qu'elle fait et ce qu'elle est devenue. Tremblante et fondant en larmes, elle a à peine la force de leur dire qu'elle est sortie du puits, et ses cheveux et tout son corps prouvaient qu'elle disait vrai. On lui demande comment elle a pu entrer dans le puits et en sortir, mais elle ne put donner aucune réponse. Le puits, en effet, était couvert dans la cour, et il n'y avait qu'un petit trou par elle eût pu y entrer. Quoiqu'on ne vît pas la trace de ses pas sur la neige, on trouva cependant ses pantoufles à côté du puits; d'où l'on pouvait conclure qu'elle était entrée dans le puits en cet endroit, et qu'elle en était sortie par la porte qui donnait dans la maison du voisin : mais com- ment cela s'était-il fait, personne ne le savait. Elle resta très-faible pendant les quatre ou cinq jours qui suivirent cette aventure. Cependant le sixième jour elle se trouva assez bien, mangea, but, se promena et soigna son enfant, de sorte qu'on put espérer qu'elle irait mieux désormais; pourtant elle se plaignait toujours d'avoir un poids sur le cœur et s'inquiétait de son état. On la consola, en l'enga- geant à avoir confiance en Dieu et à tâcher de dormir, ce

DES RAPPORTS MAG.NÉTIQLES. 323

qui lui était devenu très-dificile. Elle était persuadée elle- même qu'elle serait bientôt mieux si elle pouvait dormir. Elle désirait beaucoup de la bière d'absinthe, croyant que si elle en pouvait boire elle dormirait, et elle ne cessa d'en parler pendant tout le jour le 13 décembre.

Le lendemain, entre sept et huit heures, elle prit de nouveau son enfant, l'allaita, l'emmaillolta et le mit dans son berceau en le baisant et le caressant; puis elle se mit à lable pour déjeuner sans son mari. Elle envoya ensuite sa servante au couvent de Saint-Bernard chercher de la bière d'absinthe, de sorte qu'elle resta seule à la maison. Son frère, Hans Otto, vint pour avoir de ses nouvelles. Comme il entrait dans la chambre , il la trouva au lit couchée sur le dos, les yeux fermés. Il en fut très -content, croyant qu'elle dormait, et s'en alla vite, ne voulant pas la réveil- ler. Ayant rencontré la servante qui revenait avec la bière, il lui défendit d'entrer; mais elle lui dit : « Il faut que je la réveille, car elle me l'a ordonné. »> Elle entre donc, va droit au berceau pour voir l'enfant, mais elle ne le trouve pas. Elle pense aussitôt au puits, y court, trouve l'enfant dans l'eau et ses langes pendant autour de ses jambes, quoique sa mère l'eût bien serré dans son maillot. Il fut retiré mort du puits, et visité par les deux échevins et par M. Conrad Perça, curé de Saint- Jean. Pour la mère, elle resta en extase vingt heures de suite sans bouger ni res- pirer. On la laissa donc tranquille, et l'on se mit à prier Dieu pour elle. Vers le matin elle fit quelques mouve- ments; le curé et son mari approchèrent de son lit: ils eurent beau l'appeler et la secouer, elle ne répondit rien. Mais au bout de quelque temps elle ouvrit les yeux, et leur dit : M Dieu vous assiste. » Le curé lui répondit : « Qu'il

324 DES RAPPORTS MAGNETIQUES,

VOUS assiste toujours et vous aide ainsi que nous tous. Amen, » reprit-elle. Son mari* lui demanda si elle le con- naissait. c( Oui;, dit-elle en pleurant, vous êtes mon cher mari , et celui qui est près de vous c'est le curé de Saint- Jean. » Puis elle leur dit en pleurant de prier pour elle, ce quils firent. « Pourquoi m'avez-vous éveillée, leur dit- elle, jetais si heureuse ! J'ai vu mon Sauveur et les saint.s anges; pourquoi ne m'avez-vous pas laissée dormir. » Elle se plaignit aussi que la bouche lui faisait mal : c'est qu'on la lui avait frottée avec du vinaigre et des parfums, parce qu'on croyait qu'elle était évanouie. Elle se plaignit éga- lement d'une grande fatigue et d'un grand poids sur le cœur. Après cela elle se reposa quatre heures, pendant les- quelles le curé resta toujours près de son lit. Après ce temps, elle se leva, mit la main sur le berceau à côté, et se mit à pleurer et à soupirer. On lui demanda ce qu'elle voulait; elle répondit qu'elle avait mis son enfant, et qu'elle voulait l'avoir n'importe il était. On chercha à éloigner cette pensée de son esprit; mais elle y revenait toujours, et disait : « Je n'ai qu'un enfant, mon lait est bon: donnez-moi donc mon enfant; » et elle ne se remit un peu que lorsqu'on lui eut promis de le lui donner le lendemain. Depuis le 14 jusqu'au 21 décembre, elle resta tranquille, parla peu, mais soupira beaucoup et ne de- manda plus son enfant. Les témoins du fait sont Conrad Perça, curé de Siiinl-Jean: Simon Becker, Laurent Schade.

Tel est le récit de Fincelius, qui, comme il est facile de le voir, porte tous les caractères de la vérité, quoique l'on puisse regretter cependant qu'il ne se soit pas expliqué plus clairement sur certaines circonstances particulières. La

DES RAPPORTS MAGNÉTIQUES. 325

femme dont il s'agit ici n'était ni une sainte ni une ma- gicienne; car on n'aperçoit dans toute cette histoire aucune trace d'influence diabolique ni de supercherie^ et aucun soupçon d'ailleurs ne s'est élevé contre elle sous ce rap- port. C'est donc tout simplement un malheur; un malheur naturel, il est vrai^ mais extraordinaire en même temps. Cette femme était malade par suite de ses couches, comme le prouve ce poids sur le cœur dont elle se plaignait. Son mal était neneux, comme le démontre l'insomnie conti- nuelle dont elle souffrait. Ce sommeil de vingt heures, sans souffle ni mouvement, qui survient après l'insomnie, in- dique que son état était une catalepsie, compliquée de som- nambulisme spontané. Dans cet état, comme on le sait, les spasmes toniques, oi^i tous les membres sont tendus et de- viennent roides comme des barres de fer, alternent avec la souplesse du système musculaire tout entier et une légè- reté telle , que le moindre effort suffit pour exécuter de grands mouvements, ou même pourmaintenirle corps dans une position singulière. L'exemple précité prouve que dans ces états, certaines circonstances étant données, il peut sur- venir parfois comme une tempête interne qui enlève ceux chez qui elle se déclare, et les pousse corporellement vers un point quelconque, coùime ici vers l'eau du puits. Les portes fermées par dehors et l'absence de tout vestige sur la neige démontre que la malade n'est point arrivée au puits en marchant sur la terre, mais qu'elle est sortie pro- bablement par la fenêtre, qui était ouverte, en planant dans l'air; qu'elle est descendue dans le puits et qu'elle en est remontée de la même manière, par suite de l'impres- sion que l'eau aura faite sur elle; et la grande souplesse de ses membres explique comment elle a pu pénétrer à ni 10

326 DU SOMNAMBULISME SPONTANÉ.

travers Touverture si étroite du puits. Quant au second fait, qui eut pour Tenfant de si tristes résultats, comme personne n'était présent, on ne peut savoir si sa mère rem- porta dans le puits de la même manière, ou si, par suiie d'un rapport intime avec elle, il ne fut point enlevé comme elle par une tempête interne et transporté ainsi jusqu'au puits.

CHAPITRE XVIII

Kapports magiques de rhomme à l'égard de soi-même, ou du somnan- bulisme spontané.

Les phénomènes que nous venons d'étudier nous con- duisent à de nouvelles région? dans la magie. Ici ce n'est plus un homme qui exerce sur un autre une action magique, mais c'est un état qui se produit de soi-même, et dans le- quel le sujet et l'objet sont identiques, de sorte que les phénomènes qu'il produit apparaissent comme quelque chûs^e d'inhérent à l'individualité. On désigne cet état sous le nom de somnambulisme spontané, et c'est lui que nous allons étudier dans ce chapitre. La terre a au-dessus de soi le soleil et le monde sidéral, au-dessous la lune et le monde inférieur. De même aussi l'homme a au-dessus de soi le monde invisible des esprits, au-dessous le monde extérieur et visible. Son être a deux côtés, l'un spirituel, l'autre corporel; il présente le premier au monde des esprits , et le second au monde de la nature: et de même que celui-ci est divisé en deux parhes, l'une située au-dessus de la terre, l'autre au-dessous, de même aussi l'esprit humain peut

DU SOMNAMBULISME SPONTANÉ. 327

entrer dans un commerce spirituel soit avec les intelli- gences plus élevées que lui, soit avec les puissances de l'a- hîme. La terre, outre l'élément terrestre qui la caractérise, a un élément sidéral par lequel elle entre en rapport avec les astres, et un élément souterrain par lequel elle est en rapport avec les régions inférieures de la nature. Il en est de même de la personnalité humaine. Le corps, dans ses relations avec la nature visible qui l'entoure, prend un ca- ractère terrestre et s'établit en elle comme dans sa patrie. Mais, outre cet élément terrestre qui est en lui, il a aussi un élément sidéral par lequel il aspire en quelque sorte la lumière du firmament, et un élément inférieur et souter- rain par lequel il peut pénétrer jusqu'aux sources mêmes de l'abîme.

L'homme intérieur et invisible, de son côté, a aussi, outre l'élément terrestre qui forme dans la vie ordinaire comme le noyau de son être naturel, deux autres éléments >pirituels, lun supérieur, l'autre inférieur à cette terre, et c'est par eux que les deux mondes invisibles entre les- quels il est placé peuvent solliciter son adhésion. Ainsi, les deux parties dont se compose la personnalité humaine , l'une visible, l'autre invisible, sont partagées chacune en trois régions; de sorte que l'homme apparaît partout, et dans toutes les directions, comme un médiateur ayant pour mis- ïiion de rapprocher tous les extrêmes, de concilier toutes les oppositions, et les réunissant toutes à cause de cela dans l'u- nité de son être. L'esprit, l'àme et la vie, ces trois élé- ments de l'homme invisible, ont chacun une région par- ticulière qui les attire. L'àme se plaît sur la terre et y éta- blirait volontiers sa patrie; l'esprit aspire vers les régions habitent les intelligences supérieures, et la vie descend

328 DU SOM>'\MBUM>MF. ?PONTA>"É.

volontiers dans les abîmes des puissances inférieures. D'un un autre côté, ces trois éléments ont chacun dans le corps humain un organe marqué particulièrement de leur empreinte. Ainsi, la tète est affectée à l'esprit, le torse à rame, et le système vasculaire à la vie. L'àme est donc le lien entre l'esprit et la vie, de même que le torse lie et met en rapport les deux systèmes qui leur sont spéciale- ment affectés. Mais pour cela Tàme doit participer à la na- ture des deux termes qu'elle unit : il faut donc qu'elle puisse agir et sur l'esprit et sur la vie; car elle est dans l'organisme le lien qui met en rapport l'homme supérieur avec l'homme inférieur, et l'homme intérieur avec Ihomme extérieur. Il faut qu'elle puisse pénétrer partout^ en haut, eu bas, au dedans et au dehors, afin de remplir partout la fonction qui lui est départie, et senir de lien non-seulement entre les trois éléments de l'homme invi- sible, mais encore entre chacun d'eux et l'organe coi'porel qui lui est affecté.

Mais, outre ces rapports qui existent dans l'homme entre les divers éléments de son être, il en est d'autres qui le rattachent, d'un côté, à Dieu et à tout ce qui est divin, de l'autre à la nature et à tout ce qui est naturel; de sorte qu'il appartient à la fois et au monde invisible supérieur et au monde visible de la nature. Il résulte de diverses re- lations. Et d'abord, l'esprit se connaît; il a une puissance et une vie qui lui est propre; il peut, il veut, il se meut lui-même. La vie. au contraire, est privée de ces nobles fa- cultés, et soumise dans tous ses domaines aux lois de la nécessité, tandis que l'àme, participant jusqu'à un certain point à la nature de l'un et de l'autre, a des instincts obs- curs et aveugles qui remplacent pour elle les splendeurs de

DU SOMNAMBULISME SPONTANÉ. .T2λ

1 intelligence^ et des mouvements spontanés qui lui tiennent lieu des libres déterminations de la volonté. L'esprit a pour organe le système nerveux supérieur, et la vie le sys- tème nerveux ganglionnaire inférieui- à son point de jonc- tion avec le système de la circulation. L'esprit et la vie ont un double mouvement, par lequel ils montent et des- cendent tour à tour. La vie va, d'un côté, du système vas- <;ulaire au système nerveux, et de l'autre du cervelet, sup- port de la vie plastique, au cerveau, qui est à proprement parler l'organe de la vie spirituelle. Or de même que l'esprit et la vie sont mis en rapport par le moyen de l'àme, de même que le système ganglionnaire et le cerveau sont mis en rapport par la moelle épinière, ainsi c'est dans l'àmc que les divers mouvements de l'esprit et de la vie se rencontrent, se croisent et s'unissent. Comme l'esprit est en rapport avec la nature extérieure par la vie corporelle qui lui est unie, et qu'il est assujetti à ses nombres et à ses pé- riodes, nous voyons l'homme osciller continuellement entre la \eille et le sommeil. Le monde est sorti de l'obscurité de la nuit; c'est aussi par le sommeil que la vie commence, et la veille ne vient qu'après. Pendant le sommeil, l'esprit descend , pour ainsi dire, dans le cervelet; il s'y rafraîchit quelque temps, pour remonter ensuite, et déployer les tré- sors de sa puissance et de son activité. La môme chose se produit dans les régions inférieures. La vie du système jien eux inférieur descend à son tour dans le système vas- culaire pour s'y refaire de son épuisement; puis, une fois restaurée, elle remonte à sa place pour recommencer son travail. De plus, la vie, s' affaissant dans le système gan- glionnaire pendant le sommeil, attire l'esprit des hauteurs du système nerveux il se tient volontiers, tandis que

330 DP S0.MNAMBIL1>.ME ^POMA>É.

pendant la veille, se dégageant des liens qui le retenaient, il remonte;, conformément à sa nature ;, à sa place accou- tumée.

Ce mouvement de va et vient, qui se produit avec un parallélisme parfait à travers toutes les régions de l'homme intérieur et de Thomme extérieur^ n'est pas le seul qui nous frappe dans la personnalité humaine. L'homme in- térieur est lié avec l'homme extérieur par un lien qui. par- tant de l'àme;, met en rapport l'esprit avec la vie, l'esprit avec son organe, la vie avec son support, et enlace tout r homme intérieur et extérieur dans le nœud de la vie. Ce nœud, formé dans la génération, se dissout par la mort. A peine l'homme est-il conçu dans le sein de sa mère qu'un sommeil profond s'empare de lui, et favorise le dévelop- pement de l'embryon. A peine, au contraire, la mort est- elle survenue que le corps se décompose, et marche vers une dissolution complète. Entre ces deux termes s'écoule la vie dans un doux bien-être si le nœud en est bien formé. Mais ce nœud peut être ou relâché, ou trop serré, au contraire. Dans le premier cas, l'esprit se dégage du corps, et la vie anticipe jusqu'à un certain point la mort, tandis que dans le second cas, au contraire, l'esprit s'en- fonce plus avant dans le corps, et l'homme retourne, pour ainsi dire, vers l'état de fœtus. Il résulte de une seconde oscillation, par suite de laquelle l'esprit s' affranchissant toujours davantage des hens du corps, il en résulte un re- cueillement et une concentration plus grande de l'être tout entier, tandis qu'il peut, en se jetant sans mesure au de- hors, s'y disperser en quelque sorte. Il peut sortir de une nouvelle série d'états d'une variété infinie. L'esprit, en effet, qui se disperse au dehors finit par devenu* plus ou

1

nu SOMNAMBULISME SPONTANE. 331

moins captif et enseveli dans son organe ^ tandis qu'il peut, au contraire, en se concentrant toujours davantage, se dégager plus ou moins de celui-ci et rayonner plus li- brement. Dans l'un et l'autre cas, il se produit un état maladif, parce que la santé consiste dans un juste milieu entre ces deux points extrêmes. Ces deux états peuvent être la suite d'une certaine disposition naturelle, et l'on voit souvent alors se développer ou le somnambulisme spontané d'un coté, ou le crétinismede l'autre. Ils peuvent cîre aussi la suite de quelque désordre physique ou moral qui s'est introduit dans la vie, soit par un accident, soit par une faute. Si au milieu de ce désordre l'homme con- serve encore une étincelle d'énergie, celle-ci peut produire une réaction , et par suite un bouleversement dans toute la vie, qui finit ou par la guérlson, ou par la mort physique ou morale. Dans l'un et l'autre cas, le mouvement com- mence par le système vasculaire et ganglionnaire, qui est proprement l'organe de la vie, et en suit les ramifications, il est donc nécessaire de jeter ici un coup d'oeil sur ce sys- tème, qui joue un rôle si important dans tous les phéno- mènes de ce genre.

Le système ganglioimaire, organe de la vie, s'élève par trois degrés des régions inférieures jusqu'aux régions les plus élevées d'une manière parallèle aux trois degrés par lesquels l'organe de l'esprit descend, au contraire, vers les systèmes inférieurs. La première division du système gan- glionnaire a pour centre le ganglion de forme semi-lunaire -itué vers l'artère céliaque, devant l'aorte descendante, et sa périphérie dans le tissu des fibres nerveuses les plus Unes qui revêtent les vaisseaux capillaires des intestins. Puis, du plexus solaire de ce ganglion rayonnent d'autres

332 DU S0.MNAMBILI5.ME t^rOMA.NÉ.

plexu^ : en haut celui des poumons^ en bas et à gauche celui de la rate et les deux du foie, puis ceux des reins^ et tout à fait en bas les plexus spermatiques; formant tous des centres nerveux subordonnes aux organes du même nom qui servent immédiatement à Tassimilation. Tous ces plexus, gi'oupés autour du ganglion central, sont traver- se's par d'autres tissus nerveux, destinés au système mus- culaire de cette région, laquelle s'étend depuis le pharynx et le lannx , par l'estomac , jusqu'à l'anus, et sert à l'exé- cution des mouvements involontaires de tout ce système. Cette série se prolonge depuis les plexus qui forment le nerf vague, le nerf secondaire dans les deux plexus coro- naires de l'estomac, les deux plexus mésaraïques et le plexus hypogastrique jusqu'au plexus coccigien. Tous ces centres de second et de troisième ordre, compris avec leurs rayonnements dans leur centre commun, appartiennent à la première division, dont les dernières extrémités des nerfs forment les limites.

La seconde division a pour centre principal le plexus ganglionnaire du cœur, situé à l'endroit la trachée-ar- tère se partage à droite et à gauche vers l'arc de l'aorte. Ce plexus est en rapport, par en haut, avec les deux nerfs de la langue et les nerfs cervicaux inférieurs; par en bas, avec le ganglion semi-lunaire. Il rayonne parle nerf car- diaque dans le premier ganglion fusiforme du cou, par le nerf moyen dans le second ganglion, et par le nerf infé- rieur dans le troisième ; et enfin il se rattache encore aux ganglions pectoraux par d'autres rayons qui partent de lui. Toute la série des ganglions qui, partant des ganglions cervicaux, passe par les pectoraux et les lombaires, va jus- qu'aux ganglions céliaques, en longeant la colonne verte-

M SOMNAMBULISME SPOMANK. 333

brale et Idorle , et forme dans chacun d'eux des centres subordonnés au centre commun, c'est-à-dire au plexus car- diaque. Toute cette série peut doue cire considérée comme le système qui, à ce degré, appartient immédiatement au cœur. La périphérie se termine aux extrémités nerveuses qui, raNoiuiant de tous ces ganglions sympathiques, révè- lent les \ aisseaux capillaires du tronc toul entier, depuis la face jusqu'aux dernières extrémités. La troisième divi- sion appartient au système cérébral. Les deux carotides, partant de l'aorte et pénétrant par l'os des tempes dans la <'avité intérieure, forment avec les vertébrales, lesquelles, sortant de l'artère sous-clavière, arrivent à la même cavité par la grande ouverture de l'occiput, et s'unissent dans l'artère basilaire, forment une opposition qui demande à être conciliée. Elle l'est en ce que les carotides, à la sur- face inférieure du cerveau, projettent vers les basilaires une artère dans laquelle les deux systèmes s'unisssent en un faisceau, et envoient à leur tour trois branches en avant au cerveau, deux autres par derrière au cervelet, et du milieu l'artère cérébrale, qui pénètre dans les parties les pkis intimes de l'organe. Les paires de nerfs qui, montant (lu ganglion cervical supérieur, suivent le cours des caro- tides et des vertébrales , pénètrent avec elles et par elles dans le cerveau, et s'unissent en un faisceau qui corres- pond au faisceau formé par les artères, et se divise peut- être en de petits ganglions qui n'ont pas été encore obser- ^ es; et de même qu'il est lié par des fils avec la cinquième, sixième et septième paire de nerfs, de même aussi il suit, par en haut, avec ses ramilications, jusque dans l'intérieur du cerveau, le réseau véneux triparti. Revêtant de son tissu ténu et délicat les extrémités des vaisseaux du cer-

334 DU SO.MNAMBLLISME SPO^•TA^É. *

A eau, il y forme la troisième division autour de ce centre. Mais une métamorphose magique va commencer, rappe- ler et recueillir au dedans de lui-même Thomme dispersé dans la nature pendant la veille. Or toute métamorphose naturelle commence par un état qui rapproche les opposi- tions et les ramène à l'indifférence. C'est l'état se trouve l'embryon lorsque, confié comme un germe au sein ma- ternel, et se développant dans sa première métamorphose^, il doit passer de l'eau il nage à l'air atmosphérique. Cest l'état se trouve aussi la chrysalide lorsque de chenille elle doit devenir papillon , et passe de la vie in- testinale à la vie pulmonaire. Ces deux états sont liés avec le sommeil : c'est dans le sommeil que les forces qui doi- vent être métamorphosées s'afïaissent^ et c'est sous son voile que s'accomplit l'œuvre mystérieuse. Mais cette œuvre suppose l'éveil de tout le système ganglionnaire ef du système nerveux spirituel qui correspond à celui-ci. Cet éveil doit commencer dans la région inférieure des deux systèmes, dans celte région résident les forces plastiques ;, massives et grossières de la vie, lesquelles, soustraites à la conscience humaine, travaillent en quel- que sorte dans le silence et l'obscurité le lissu compacte du corps. Ce procédé de concentration, quand il commence, trouve l'homme dispersé dans la nature et troublé par les soins incessants de la veille, et il doit faire cesser la lutte des oppositions qui se produisent pendant le jour. U participe donc tout d'abord à ses agitations, et ne rétabht l'ordre et le calme dans l'organisme que peu à peu. L'homme, aux premières atteintes du sommeil, tlotte donc entre ces deux mouvements, dont l'un le porte au dehors, tandis que l'autre cherche à le rappeler au dedans. Tantôt la vie, re-

ni SOMNAMBl'LISMi: ïiPOMA>[:. 335

foulée dans fon fond avec une certaine énergie^ commence à s'y recueillir; tantôt, repoussce avec violence au dehors, elle se disperse de nouveau dans le monde extérieur. La lumière et l'obscurité, le froid et le cliaud se succèdent pendant quelque temps; et cet étal d'agitation se manifeste quelquefois au dehors par des ciampes et des efforts con- \ulsifs, auxquels succède, à de courts intervalles, un état .-oporeux. Mais bientôt la concentration des forces de la vie s'étend, jusqu'à ce qu'enlin le sommeil, remportant la ^ictoire, appesantit les sens et les organes. Dès lors le côté interne de la vie est éclairé par une lumière intérieure, de même que dans l'état de veille le côté extérieur est éclairé pai- la lumière de la nature.

Lorsque l'homme passe du sonuneil à la veille, les puis- -tinces de la vie sortent de l'indillérence il les tenait; leurs oppositions, leurs pôles, pour ainsi dire, se produisent de nouveau, et recommencent à lutter; et les puissances >upérieures absorbent les inférieures. Quand r homme passe de la ^eille au sommeil, c'est le contraire qui arrive : ce sont les puissances inférieures qui absorbent les autres, et qui acquièrent un nouveau degré d'énergie. Dégagées da- vantage des organes qui les contiennent, devenues moins matérielles, elles sont par même plus puissantes; car c'est une loi que plus une chose se rapproche de l'esprit, plus elle est forte : c'est dans les ganglions, et particuliè- rement dans le ganglion semi-lunaire, que leur action se manifeste. Ainsi, concentrer les forces de la vie inférieure, et par suite polariser davantage les puissances qui tieiuienl à elle, tel est le résultat général de cet état. Le cours du sang autour du cœur et des esprits nerveux autour du centre du système ganglionnaire se resserre, et son cercle

336 PL 50M>AMbl I.l.'-ME ^POMA>E.

se rétrécit. Par suite de celle concentration plus grande du système nerveux ^ le mouvement des fluides qui tra- versent l'organisme devient moins rapide; le cours du sang vers les régions extérieures semble presque arrêté tout à fait; la respiration a de plus longs intervalles; le- besoins naturels ne sollicitent plus l'organisme : mais, d'un autre côté, le mouvement des esprits nerveux est plus accéléré daiis le cercle ils se sont retranchés^ et l'on dirait que la circulation nerveuse va remplacer celle du sang.

La partie la plus basse du système nerveux supérieur, c'est-à-dire le derrière et le bas de la moelle épinière, s'é- veille aussi de son côté; et comme cette partie sert aux fonctions les plus inûmes de 1" esprit^ celles-ci doivent ac- quérir une nouvelle énergie. Ainsi, tandis que d'un côté les forces inférieures qui président aux mouvements demi- Aolontaires reçoivent leur direction du plexus solaire comme dans le somnambulisme, la même chose a lieu pour les fonctions des sens. Ceux-ci, saisis dans la partie tournée Aers le monde visible, par ce charme magique qui frappe tout ce qui est extérieur dans l'homme, semblent fermés et liés au dehors, et n'avoir plus de rapport avec le cer- veau; mais en revanche ils s'ouvrent au dedans, et dé- pendent, pour leurs opérations, du ganglion semi-lunaire. C'est à lui qu'ils sont soumis tant que dure cet état, ils sont comme sa bouche; il est pour eux comme l'estomac, qui reçoit et digère tout ce qu'ils lui apportent. En effet, dans l'état de veille chaque sens a son courant particulier; mais dans le sommeil le goût et l'odorat d'abord, puis louïe et la vue s'unissent, se concentrent, et forment tous comme un sens unique et général placé autour de l'œso-

DU SOM.NAMBLLISMt i;POMA>E. 337

phage et de 1 épigastre, et qui n'a plus besoin pour perce- Aoir les objets d'un organe particulier; car, par suite de celte nouvelle énergie qu'il a acquise, il pénètre la ma- tière et r espace , et perçoit les objets sous la forme du sens le plus élevé et par le moyen de la lumière organique propre à cette région. C'est à l'aide de ce sens général que l'honmie distingue l'eau magnétisée de celle qui ne l'est pas, qu'il sent la corruption dans les profondeurs de la terre, et pénètre les mystères du règne minéral, végétal et ani- mal, et ceux même de l'homme, son semblable. Tous les autres mouvements vitaux se trouvant également dévelop- pés et dans leur intensité et dans l'étendue de leur action, tous les actes de la vie jusqu'à la reproduction prennent un caractère magique, tandis que l'on voit s'établir au dehor> ces rapports nombreux et mystérieux qui comprennent depuis la rhabdomantie jusqu'à cette union magique^ la- quelle lie le somnambule à son magnétiseur.

Mais le plexus solaire n'est qu'un centre relatif auquel se rattachent seulement les organes et les fonctions de la vie inférieure. L'union qu'il produit n'est donc aussi qu'une union relative, qui ne s'applique qu'à cette région. Or le mouvement une fois commencé ne s'arrête pas en- core ; des abîmes les plus profonds de la vie il monte à des régions plus élevées. Une nouvelle crise va donc surgir à la suite de nouvelles tempêtes, plus impétueuses encore que celles qui ont amené la première. Le mouvement s'é- tend à cette partie du système ganglionnaire située immé- diatement au-dessus de la première, et qui a pour cercle tout le système du nerf sNmpathique avec ses ramifications dans le torse, et pour centre le plexus cardiaque. De même que le tronc renferaie les intestins, ainsi le svstème

338 L»l SOMNAMbll.ISMK SPOMANÉ.

du nerf sympathique renferme les nerfs intestinaux , qui prennent de lui leur point de départ. Et tandis que le ganglion "semi- lunaire est seulement le centre du dernier système nerveux^ le plexus cardiaque est à la fois le centre et des ganglions sympathiques et du ganglion semi -lu- naire : il a donc une unité plus haute et plus large. Et réveil qui se produit en ce système est d'une nature supé- rieure aussi ; de sorte que le premier comparé à lui est comme un sommeil. Le premier résultat de ce second éveil dans une région plus élevée^, c'est que les régions in- férieures delà vie deviennent pour l'homme un objet qu'il peut voir et contempler par un regard intérieur. Les som- nambules, en effet, arrivés à ce point, voient quelquefois le plexus cardiaque, et distinguent les tilets blancs et mas- sifs de ce tissu nerveux. L"n autre résultat, c'est que tous les phénomènes qui accompagnent cet état sont propor- tionnés k la nature des régions il a lieu. Ce mouvement, suivant le cours du système sympathique dans ses gan- glions, le long de la colonne vertébrale, éveille tout le côté postérieur de la moelle épinière qui s'étend jusqu'au pont de Varole, et atteint de cette manière le domaine des mouvements spontanés. Il n'est donc pas étonnant que le changement qui s'accomplit se manifeste dans ce domaine. Aussi, c'est dans le système musculaire que la lutte des oppositions se concentre; et Ton voit alors succéder tour à tour à la roideur cataleptique une souplesse extraor- dinaire , qui s'étend quelquefois jusqu'aux os. De des crampes violentes qui contractent le corps, tantôt en avant, tantôt en arrière, et le fon.t tourner tantôt autour d'un axe, tantôt autour d'un autre. De encore tantôt ce poids qui entraine le corps vers la terre, tantôt cette agi-

PI >0>1>AMBLLIS.ML ^.POMAM:. 339

li(é qui fceiiiblc lui donner des ailes comme à l'oiseau. Les régions inférieures se trouvant ainsi transportées dans les légions moyennes de l'organisme, les fonctions de la vie supérieure se produisent i^ous les formes de celles -ci : les sens se détachent du plexus solaire, qui leur servait de centre dans le premier état^, et se groupent autour d'un centre nouveau, à savoir le plexus cardiaque. Le sens général participe à cette élévation; il est moins grossier, plus clair, plus libre dans son coui's, plus pénétrant, plus étendu. Il n'est plus tixé à l'épigastre; mais il peut se transporter indistinctement aux doigts des mains ou des pieds, au bout du nez ou à toute la surface de la peau, et apporter ainsi de partout les perceptions attachées aux divers sens dans l'état ordinaire. Les forces actives de l'organisme prennent part de leur côté à ce mouvement de concentration. Plus dégagées de leur organe maté- riel, plus rapprochées de la volonté , elles sont en même temps plus puissantes, plus indépendantes : aussi opèrent- elles d'une manière plus magique, et sont infatigables flans leur action.

Mais la lutte n'est pas encore terminée, car l'union la plus haute n'est pas accomplie; il faut pour cela que le coté nocturne de la vie passe dans le côté diurne , et que ces deux étals n'apparaissent plus que comme deux aspects ditrérents d'un être identique. Le plexus cardiaque réunit i)ien, il est vrai, les ganglions sympathiques avec le gan- glion céliaque; mais au-dessus de lui, dans le système cérébral, se produit une autre opposition qu'il faut ré- concilier encore. De nouvelles tempêtes annoncent donc l'approche d'une nouvelle crise, dans laquelle les forces et les puissances de la vie se concentrent davantage, et

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340 KL SO.M.NA.MBLLISME ^rOMA.NL. M

qui^ à travers des oscillations nombreuses et profondes, 'jonduit enfin au plus haut degré de l'état de veille inté rieure/ c'est-à-dire à la clairvoNance proprement dite. Le centre de tout ce mouvement n'est plus dans les plexus du ; cœur, mais dans le cerveau , et sa sphère s'étend dans le tissu des nerfs sympathiques les plus déliés, et jusque dans les dernières extrémités des fibres médullaires du cerveau. L'autre système nerveux, depuis la moelle épinière posté- rieure jusqu'au pont de Varole et au cervelet, s'éveille aussi pendant que le cerveau est plongé au contraire dans le sommeil extérieur. L'homme parvenu à ce degré voit comme au-dessous de lui ceux qu'il a parcourus jusque là. L'intérieur de son corps devient visible pour lui ; les ré- gions inférieures de l'organisme lui apparaissent dans une lueur faible encore comme celle du crépuscule, les régions moyennes dans une clarté parfaite, et les régions supé- rieures dans une lumière qui leur est propre. Les sens re- tournent à leur place, mais la lumière qui éclaire l'œil Aient du dedans, et non plus du dehors. 11 voit par une \ision centrale et en esprit, par une vision qui est à elle- même sa propre lumière. Il entre dans un rapport immé- diat avec les objets. Voir et connaître sont pour lui une seule et même chose; et, pénétrant au delà du voile des ap- parences et des formes, il s'attache à l'essence même des choses. Il se sert pour penser d'une sorte de symbolique pénétrante et mystérieuse, comme d'un voile spirituel. Ce qui distingue les fonctions de l'esprit dans la clairvoyance, c'est qu'au lieu de saisir les objets comme il le fait dans la vie ordinaire, il est saisi par eux. Or ce caractère se re- trouve aussi dans les fonctions de la volonté ; de sorte que tous ses actes portent l'empreinte de l'inspiration, et la

DE LA StCO.NDL VLt. Si 1

lutte finit ou par une crise salulaii», qui amène la gue- rison, ou par la mort.

CHAPITRE XIX

Bases physiques de la mystique diabolique. De la seconde vue et ài' la vue à distance. Disposition à la seconde vue chez certains insu- laires du .Nord, en Islande. Les lumières dans le pays de Wales. Cette faculté se retrouve chez les Gaulois, les Germains, les Slaves et les Finnois.

S'il est vrai que tous les domaines de l'être se tiennent par un lien qui leur est commun, les régions invisibles doivent être aussi dans un rapport réciproque avec la partie invisible de Tliomme. C'est sur cette relation mutuelle qu'est fondée la communion des deux Églises, militante et triomphante. De même que la doctrine sur les anges gardiens et sur les prières pour les morts s'appuie sur la communion des saints , ainsi la foi au monde des esprits doit être justifiée par des faits ayant rapport à celui-ci ; et tout nous mène à reconnaître la providence divine dans le gouvernement de l'univers. Mais comme ces rapports sont d'une nature toute spirituelle, ils sont ordinairement inaccessibles aux sens. Il peut arriver, néanmoins, que les deux termes de ce rapport se rencontrent et se recon- naissent d'une manière sensible. Dans ce cas, le rapport appartient, en partie du moins, au domaine de la nature, et donne lieu à un ensemble de faits qui, naturels d'un côté, surhumains de l'autre, portent en eux le caractère de faits psychiques et magiques à la fois. Nous avons constaté jusqu'ici une multitude de faits de cette sorte dans les régions inférieures de l'être; il serait donc étrange

342 DE LA SFXCNDK VUE.

que nou? ne le^ tiouvabsioiis pas dans les légions supé- rieures. La terre ç, il est vrai, forme un tout: elle est comme -une île flottante dans les espaces, toutes les parties sont liées par des instincts communs. Mais la terre n"est pas seule dans le monde comme en un désert; elle se trouve sympathiquement en rapport avec d'autres corps^ et tous ensemble sont attirés autour du soleil comme autour d"un centre commun. Pourrait -il en être autre- ment dans le royaume des esprits?

L'homme peut entrer de deux manières dans un rapport \isible avec les esprits. Et d'abord, il n"est pas tellement renfermé dans son corps que son regard ne puisse en cer- taines circonstances percer son enveloppe^ pénétrer jus- qu'au fond des choseS;, et considérer ce qui est caché sous le voile grossier des phénomènes extérieurs. Cette faculté^ dans ses degrés inférieurs, est à la vérité bornée aux objets matériels, dans lesquels l'esprit contemple les puis- sances naturelles et invisibles qui y résident; mais lors- qu'elle est arrivée à un degré plus élevé, l'homme peut quelquefois contempler l'esprit d'un autre homme sous le voile du corps qui le cache, deviner ses secrets et lire dans son avenir. Il peut aller plus loin encore : son œil intérieur peut acquérir une telle perspicacité et une telle énergie, que, semblable à un télescope puissant , il aper- çoit dans un immense lointain les formes les plus déli- cates et les plus insaisissables. 11 n'a plus besoin alors d'un corps étranger, comme d'un point de départ pour sa vi- sion; mais il peut contempler les âmes séparées et les re- connaître plus ou moins clairement. En effet, quoique la mort ait brisé les liens qui attachaient ces âmes à leur corps, elles n'ont pas perdu néanmoins toutes les forces de

DE LA SECONDE VIE. 343

la vie corporelle ; mais il leur en est resté quelque chose qui doit servir plus tard, lors de la résurrection générale, à recomposer ces organes dont elles ne se sont pas sé- parées par toujours. Elles peuvent donc, à l'aide de ces forces qui leur sont restées, se rendre sensibles aux hommes qui vivent sur la terre, et converser avec eux. Bien plus, elles peuvent, par certaines opérations natu- relles, en faisant usage de ces forces, manifester leur présence, même à ceux dont le regard intérieur ne se dis- tingue par aucune disposition extraordinaire.

Cependant les faits de ce genre ne peuvent être très- fréquents : c'est même la facilité avec laquelle on a débité et cru une multitude d'histoires fausses ou douteuses en cette matière, qui a contribué à l'obscurcir; et, par une réaction nécessaire , après avoir cru trop légèrement, on a refusé de croire, môme à ce qui était incontestable. Ce monde et le monde des défunts ne se touchent que rare- ment, et par quelques points seulement; pour tout le reste, ils sont séparés par un abîme infranchissable. Mais quelque rares que soient ces conjonctions de deux per- sonnes d'un monde différent, elles ont lieu quelquefois néanmoins, soit parce que le regard de Thomme, par suite de quelque développement extraordinan^e, voit dans une lumière naturelle ce qu'il ne peut voir ordinairement, soit parce que l'àme séparée se rend visible à l'homme, à l'aide des forces physiques qui lui sont restées. Dans les deux cas, ces faits seront plus ou moins rares, selon la condition des personnes qui sont acteurs dans ces sortes de scènes; de telle façon, néamiioins, que dans le premier cas la position de l'homme qui voit, et dans le second celle de l'àme qui est vue a plus d'influence.

344 DE LA SECONDE VUE.

Les régions invisibles renferment plusieurs ordres d'es- prits. Plus ceux-ci sont rapprochés de nous, plus aussi nos rapports avec eux doivent être fréquents et faciles. Or il n'en est point qui soient plus voisins de l'homme que ceux qui ont une nature commune avec lui , qui ont été autre- fois ce que nous sommes nous-mêmes, et qui doivent par conséquent tenir toujours à nous par les liens d'une sym- pathie particulière. On conçoit donc que l'homme puisse quelquefois, sans même avoir besoin que son regard inté- rieur soit élevé à une très-grande puissance, queThomme puisse converser avec les esprits de cet ordre. Le somnam- bulisme spontané peut donner lieu aussi à des rapports de ce genre, en aiguisant le sens général et en lui donnant une perspicacité extraordinaire. Mais pour monter plus haut dans la hiérarchie des esprits, pour entrer en rapport avec les anges, le somnambulisme et la magie naturelle ne suffisent plus : il faut une élévation mystique de l'àme, pro- duite par une ascèse longue et sévère, telle qu'on la trouve dans la vie d'un grand nombre de saints. Les apparitions d'esprits ne diffèrent pas seulement par les degrés sont placés ces derniers, mais encore par leur opposition. Parmi eux, en effet, les uns sont bons, et servent à propager le bien, tandis que les autres sont mauvais, et s'efforcent de porter l'homme au mal: et de résultent des rapports entièrement opposés.

Nous commencerons par considérer ici la faculté de seconde vue, parce qu'elle se rapproche le plus de celles dont nous avons constaté jusqu'ici l'existence, et qu'elle peut à cause de cela servir de point de transition aux nou- velles études que nous allons entreprendre. Ce don se retrouve comme disposition naturelle dans le nord de la

DE LA SECONDE VUE. 34o

(irande- Bretagne. Il est plus rare chez les habitants des montagnes, plus fréquent chez les insulaires, et il y est connu sous le nom de second sight ou seconde vue. Ceux qui le possèdent s'appellent, en langue gaélique Taishatrim et Phissichin. Ce dernier mol vient de la racine Phis , sa- voir d'avance, et le premier de Taish , qui signifie une ombre que l'on ne peut loucher avec les mains, qu'on peut cependant voir avec les yeux. Dans l'île de Faroë , oii cette disposition est assez commune, on les appelle hommes creux. Ce don n'est pas seulement d'hier dans les îles et les montagnes de la Grande-Bretagne, mais il y a existé de tout temps; il était plus fréquent au commencement du siècle dernier, et bien plus encore avant que le chris- tianisme se fût répandu dans ces contrées. Il ne se montre pas seulement d'une manière sporadique en tel ou tel vil- lage, mais on le retrouve en même temps dans des lieux éloignés de cinquante milles et plus encore les uns des autres, et dont les habitants n'avaient pas le moindre commerce ensemble. Il ne dépend ni du sexe, car les tommes et les femmes le possèdent également ; ni de l'âge, car on a vu des enfants crier d'effroi dans leur ber- œau lorsqu'un adulte avait une vision tout près d'eux. On a vu même des chevaux, des vaches, des chiens s'agiter, ei trahir quelque trouble en ces circonstances; et l'on a conclu qu'ils participent aussi à cette faculté. Mais la con- clusion n'est pas rigoureuse, et il est plus probable qu'ils ressentent seulement l'émotion du voyant sans voir ce qu'il voit.

Cette disposition ne dépend point non plus du tempé- rament ni de l'état de la santé. Ceux en qui elle se trouve ne sont point des gens mélancoliques, des rêveurs, des

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enthousiastes dontrimasination se laisse facilement (rom- per. Elle n'est point non plus considérée comme une fa* veur par ceux qui la possèdent^ mais plutôt comme un don fâcheux et désagréable^ dont ils voudraient bien être délivrés. Ils sont simples dans leur vie, sobres et tempé- rants , comme le sont tous ces habitants des îles et des montagnes, exempts par conséquent des maladies chro- niques et hystériques. Ce don ne recherche pas davantage les natures faibles et maladives, mais il descend sur qui il lui plaît; et on Ta vu quelquefois passer dans les fa- milles, comme un héritage, de père en fils, tandis que d'autres fois, au contraire, il disparaît dans une maison pour apparaître dans une autre. On le reçoit quelquefois^ dans la vieillesse, sans savoir comment il est venu. On a remarqué aussi que ces visions n'ont jamais lieu dans l'ivresse. Ceux qui ont ces apparitions sont ordinairement des gens simples, ignorants, sincères; ils racontent ce qu'ils ont vu, sans y attacher aucune importance. Ceux qui ajoutent foi à leurs visions ne se laissent pas non plus tromper facilement ; ils remarquent auparavant si la vi- sion s'accomplit réellement; et dans ce cas ils ne foni point violence à leurs sens ni à leur raison, et ne rejettent point lévidence. Il s'agit donc ici, on le voit, d'une fa- culté naturelle, qui, pour être éveillée, n'a besoin d'au- cune préparation extérieure, et qui paraît se rattacher .i une disposition particulière du système nerveux. En effet, on a remarqué que ceux qui commencent à exercer cette faculté tombent souvent en défaillance loi-sque, après avoir eu une apparition la nuit hors de la maison, ils approchent ensuite du feu. Il est encore remarquable que, lorsque plusieurs de ces voyants sont ensemble, ils n'ont pas tous

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en même temps la même vision ; mais si l'un d'eux voit quelque chose, et touche un de ses confrères, ou lui met le pied sur le sien , celui-ci a la même vision que lui , ce qui prouve que ce don peut être communiqué. On peut conclure de que, si plusieurs voyants se tenaient par la main et formaient une chaîne , tous verraient la même chose, ce qui semble indiquer que cette faculté a son siège dans répigastre et dans les plexus solaires.

Cependant elle ne paraît pas tellement fixée sur cette ré- gion qu'elle ne puisse résider aussi dans les divers sens. Ainsi plusieurs sentent d'avance avec l'odorat le poisson que l'on doit apporter à la maison. Ce n'est là, il est vrai, que le degré le plus infime de cette faculté. D'autres fois, un cri annonce la mort prochaine de quelque personne ; et ce cas est si fréquent , que ce cri a un nom particulier, taïsk, et dans les Pays-bas œrath. Mais c'est le plus souvent par les yeux que s'exerce ce don. Lorsque la vision se pro- duit dans toute sa force, les paupières s'écartent; quel- quefois même elles rentrent et se replient d'une manière convulsive, de sorte que l'œil regarde fixement devant lui. l/apparition s'empare tellement alors du voyant, qu'il ne peut rien voir autre chose, ni penser à quoi que ce soit. Il paraît pensif ou gai, selon la nature de sa vision. Celle- ci ordinairement est très- courte , et ne dure qu'autant de temps que le voyant peut regarder fixement et sans cli- gner. Ceux qui ont de l'expérience s'appliquent à tenir les yeux immobiles, afin de faire durer plus longtemps l'appa- rition; mais les novices, Umides encore, ne la voient qu'en passant, et l'agitation de leurs paupières prouve as- sez la frayeur dont ils sont saisis.

Le voyant ne sait d'avance ni l'objet, ni le temps, ni le

348 DE LA SECONDE VUE.

lieu de la vision qu"il doit avoir : elle le surprend, et il ne fait rien pour lamener. Quelquefois aussi la même appa- rition est vue en même temps par différentes personnes qui vivent assez éloignées les unes des autres. Parfois le voyant voit à des distances considérables et jusqu'en Amé- rique. Souvent ce sont des objets de la nature ou de l'art, des maisons, des jardins, des arbres, des vaisseaux, etc., qu'il aperçoit dans des lieux ces objets n'existent pas encore, mais oii ils doivent se trouver plus tard. Son re- gard pénètre même parfois jusque dans les régions invi- sibles, et voit les esprits sous la forme de femmes, d'ani- maux ou de globes de feu, quoique cette espèce de vision soit devenue très-rare depuis cent cinquante ans , époque le don de seconde vue a commencé d'ailleurs à dis- paraître peu à peu. Les esprits se font reconnaître par le son d'une harpe, ou d'un fifre, ou par le cri d'un coq. Quelquefois aussi on a entendu dans l'air pendant la nuit des voix chanter des chants irlandais, dont quelques-uns, dit Martin , se sont conservés dans la mémoire des hommes les plus croyants. Un de ces chants rappelait la voix d'une femme morte depuis peu, et se rapportait à son état dans l'autre vie. On aperçoit souvent dans ces récits quelques reflets de sorcellerie, comme chez le voyant de Knockow, qui est tout à coup renversé de son siège, parce qu'il a vu une femme demeurant loin de là, qui est éprise d'amour pour lui, et qui, la colère sur les traits, l'injure à la bouche, le menace de la tête et des mains jusqu'à ce qu'il tombe.

D'autres ont à côté d'eux un esprit. Il en est un en par- ticulier, bien connu parmi le peuple sous le nom de Bro\v- nie, lequel apparaissait souvent dans les familles considé-

DE LA -SECONDE VUE. 349

rables, soit des îles^ soit du continent, sous la forme d'un homme svelte , avec les cheveux bruns. Il était toujours présent sous la forme d'un jeune homme près de l'un de ces voyants, en compagnie avec un autre nommé Meigmal- loch , qui avait la forme d'une jeune fille; et l'on croyait qu'ils appartenaient tous les deux à une ancienne famille, nommée Granz, doii était issu ce voyant, et chez laquelle le don de seconde vue était très-prononcé. On racontait de ce dernier que, lorsqu'il regardait le feu, il savait d'avance les étrangei*s qui devaient venir le voir le lendemain ou les jours suivants. 11 indiquait leurs vêtements, leur armure et quelquefois même leurs noms. S'il perdait quelque pièce de bétail, il disait à son domestique il pouvait la trou- ver, si elle était couchée dans la boue ou sur la terre sèche , si elle était déjà morte ou si elle devait mourir avant qu'on put la retrouver. Quelquefois l'hiver, lorsqu'il était assis auprès du feu avec d'autres, il leur disait de faire place pour quelqu'un qui se trouvait au milieu d'eux, quoiqu'ils ne le vissent point, il voyait toujours ces deux esprits près de lui, et quelquefois il en voyait d'autres encore. Tanlùt il paraissait irrité, tantôt soucieux, quoique rien de ce que voyaient ceux qui étaient présents ne fut de nature à l'é- mouvoir.

Ordinairement ce sont les hommes, ou les diverses posi- tions dans lesquelles ceux-ci peuvent se trouver, la nais- sance, le mariage, des querelles, des guerres, des batailles. tel ou tel genre de vie ou de mort, la sépulture , etc., qui sont l'objet de ces visions. Pour ce qui concerne les hommes, il n'est pas nécessaire qu'ils soien^ connus d'a- vance du voyant. ïl n'est pas nécessaire davantage que l'objet de sa vision appartienne au cercle ordinaii-e des

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Macdonald images qui occupent son esprit. Aichibald Macdonakl;, dans file de Skye, voyant célèbre ;, arrivant un jour au village de Knockow, raconta aux gens de la maison^ avant le souper, qu'il avait vu dans le jour une chose singulière qui ne lui était encore jamais arrivée. Il avait vu un homme avec un grand bonnet, et qui branlait continuel- lement la tête. Ce qu'il y avait de plus bizarre, c'est qu"il portait une petite harpe à quatre cordes seulement, au bout de laquelle étaient deux bois de cerf. On se moqua de lui en lui disant quil avait rêvé : mais il insista, et dit que son tour de rire viendrait bientôt. Quatre jours plus tard , il revint dans son vUlage. Or, trois ou quatre jours après son retour, un homme se présenta chez lui , tel qu'il l'avait vu d'avance, avec un bonnet, une harpe, et branlant la tète quand il jouait, car il avait deux sonnettes à son bon- net. C'était un pauvre homme qui faisait de la musique pour vivre, et qu'on n'avait encore jamais vu dans le pays. Lorsque Macdonald avait eu sa vision , cet homme se trou- vait dans l'ile de Barray, éloignée de plus de vingt milles de l'endroit oii se trouvait le voyant. Tous les habitants du lieu confirmèrent la vérité du fait.

Les visions qui ont pour objet les divers états de la vie humaine sont accompagnées de signes symboliques qui in- diquent les circonstances particulières de l'événement, de sorte que l'interprétation de ces visions suppose une cer- taine habileté, qui ne s'acquiert que par l'étude ou l'expé- rience. L'époque l'événement doit arriver est ordinaire- ment indiquée par celle du jour se montre l'apparition. Si celle-ci a lieyi le matin, c'est un signe que son accom- plissement aura lieu dans quelques heures; si c'est à midi, il aura lieu dans le cours de la journée ; si c'est le soir, lé-

DE LA SECO>DL VUE. 331

vénenient arrivera la nuit ; si c'est la nuit enfin , il s écou- lera entre elle et son accomplissement autant de semaines, (le mois ou même d'années qu'il s'est déjà écoulé d'heures dans la nuit. Quelquefois cependant les visions ne s'accom- plissent point pendant la vie du voyant; d'autres fois elles ne sont comprises qu'après l'événement. Vers le milieu du siècle dernier, un fermier de Glenary revenait à midi avec Lg fermier son fils , pendant l'été , de Glenshiray, l'avaient appelé Glenary. ses affaires. Arrivé au pont de Gairan, comme ils tour- naient du côté d'Inverness, ils voient arriver vers eux un grand nombre d'hommes armés. L'avant-garde avait at- teint déjà Kilinalieu, et marchait en bon ordre ;, entourée de beaucoup de femmes et d" enfants. Le soleil était clair et brillant, de sorte que l'éclat des armes éblouissait nos deux voyageurs. Ceux-ci s'arrêtent de temps en temps, et comp- tent jusqu'à seize paires d'étendards. Le père, qui avait servi autrefois dans les Montagnards , explique à son fils étonné et qui l'accablait de questions, ce que c'était que cette armée. Il croyait qu'elle venait d'Irlande, qu'elle avait dé- barqué à Kyntyre, et qu'elle allait descendre en Angleterre ; qu'elle pouvait être, d'après son calcul, plus nombreuse que les deux armées à la bataille de Culloden. Au détour du chemin , ils se trouvent si près de lavant-garde qu'ils distinguent très-bien les traits et le costume de celui qui marchait à cheval à la tête de la troupe; et le père con- seilla à son fils de se détourner un peu pour ne pas être entraîné par elle. Celui-ci grimpe par-dessus une digue de pierre qui se trouvait de côté, à une certaine distance de la route, et va plus loin, caché par elle. Lorsqu'il se crut en sûreté, il revint trouver son père, qui, plongé dans une mé- ditation profonde, ne pensait plus à l'armée. Et voici qu'à

352 HE LA SECONDE VUE.

leur •^mnd etonnemeiit ils ne voient plus rien. Ils rencon- trent un liomme à che^ al qui aA ait traverser les rangs de la troupe^ mais qui n'avait rien remarqué; il se plaignait seulement de la chaleur et de Tair étoulTant qui Tempêchait de respirer, et accablait tellement son cheval qu'il était obligé de le conduire. La vision ne s'est pas accomplie jus- qu'à cette heure. [Xevss f'rom the invisibh uorld , p. 382. D'autres signes symboliques accompagnent encore ces vi- sions. Si quelqu'un doit mourir tranquillement dans son lit, il apparaît avec son suaire, qui le couvre de bas en fiaut^ et d'autant plus que sa mort est plus prochaine. S'il doit mourir de mort violente., il apparaît ayant de l'eau jusqu'au COU; ou une épée dans la poitrine, ou une corde autour du cou , ou sans tète , selon le gem'e de mort dont il doit mourir, tandis que les mariages sont annoncés par une ou plusieurs femmes qui apparaissent à côté d'un homme.

Cette syml)ohque. signe caractéristique de toute vision , se produit également ailleurs. Les Islandais qui ont le don de seconde vue prétendent que dès l'enfance, sans le se- cours d'aucun art ni d'aucun moyen extérieur, sans être malades ni de corps ni d'esprit, par une disposition pure- ment naturelle, ils voient d'une manière claire et distincte apparaître l'ombre d'un homme, ou l'esprit de la nature qui est en lui^, sous la forme d'un animal, et connaissent d'a- près celle-ci ses inclinations et ses penchants. Ils savent plu- sieurs heures d'avance que telle ou telle personne absente doit arriver; et quand on leur demande comment cela peut se faire, ils répondent que l'ombre de celui qu'on attend marche souvent devant son corps, et que c'est cette ombre qu'ils voient. Ils peuvent aussi, d'après la forme qui leur

DE LA SEr.ONDi: VUE. 3oo

psl devenue vibible, deviner les pensées les plus secrètes^ ou du moins les dispositions et le caractère. Ainei, par exem- ple^ lorsqu'ils voient un homme sous la forme d'un loup, ils en concluent qu'il a l'intention de commettre un vol;, ou que du moins il est porté au vol de sa nature. Si c'est sous la forme d'un renard . ils jugent que c'est un homme rusé^ perfide ou dissimulé, tandis que la forme du lion indique le courage et les résolutions généreuses. Souvent ils aver- tissent les marchands danois qui viennent faire le commerce chez eux de prendre garde à telle ou telle personne, parce qu'ils ont vu leurs deux esprits se quereller, et qu'ils en ont conclu qu'il devait bientôt éclater entre eux quelque inimitié; et l'expérience confirme ordinairement leurs pré- \isions.

Dans le pavs de Galles, les signes de mort prennent une Les lumié- aulrc forme. Ce sont des lumières, appelées dans la langue "^^pav^de ^ du pays canhuinatt cyrth , c'est-à-dire des petits corps, Galles que l'on observe surtout dans les comtés de Cardigan , de Carmarthen et de Pembrock. Ces lumières ressemblent à celle d'une lampe, avec cette difl'érence qu'elles brillent et s'éteignent alternativement, surtout lorsque quelqu'un \ient vers elles: après quoi elles se remettent à briller de nouveau derrière lui. Elles sont si fréquentes en ces contrées qu'il existe à peine un homme âgé qui ne les ait vues au monis une fois pendant sa ^ie. De tout cela on peut conclure que ce sont des feux follets qui forment la base de cette sorte de vision. Mais il parait que la clair- AONance des habitants du pays s'est emparée de ce phéno- mène naturel, la transporté pour ainsi dire du domaine physique dans le domaine psychique, et s'en est fait une !j0rle de séméiotique donnant des résultats assez surs. Car

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il ne s'agit pas seulement, comme on peut le conclure du grand nombre de lumières visibles dans ce^ contrées, il ne s'agit pas seulement ici de visions grossières, accessibles aux sens dans l'état ordinaire; mais il s'agit encore d'ap- paritions subtiles et délicates qui ne sont visibles que pour des yeux très-développés.

Ces lumières ne voltigent pas seulement autour des champs et des prairies, mais elles pénètrent encore dans l'intérieur des maisons. Ainsi l'on raconte qu'à Cardigan un des habitants du lieu, sétant mis au lit avec toute sa famille, se réveilla après minuit, et vit entrer dans sa chambre une de ces lumières, puis une seconde, puis une troisième, jusqu'au nombre de douze, avec la forme d'hommes, excepté deux ou trois, qui ressemblaient à des femmes portant de petits enfants dans leurs bras. Bientôt après il lui sembla que la chambre devenait plus claire et plus grande, et que les lumières se mettaient à danser. Puis elles s'assirent autour d'un tapis, comme pour man- ger, et, le regardant en souriant, l'invitèrent à manger avec elles, quoique cependant il n'entendit aucune voix. Il invoqua la protection divine , jusqu'à ce qu'enfin une voix lui dit, dans la langue du pays, d'être tranquille. Après avoir regardé ainsi pendant quatre heures, il cher- cha à éveiller sa femme; mais il n'y put réussir. Après que la danse eut duré quelque temps encore dans une autre chambre , les lumières disparurent , et lui se leva ; mais, quoique la chambre fût petite , il ne put trouver la porte, jusqu'à ce que ses cris eussent éveillé les gens de la maison. Le juge de paix du lieu rend à cet homme le témoignage que c'est un père;de famille pauvre, mais honorable et jouissant de la meilleure réputation. Comme

DE LA SECCTNDE VUE. 3oo

il ne demeurait qu'à deux Qiillesde chez lui , il le fit venir, et lui fit croire qu'il lui déférerait le serment relati- vement à ce fait; mais il se montra très- disposé à faire ce qu'on lui demandait, (Barter, la Certitude des espnis , p. 152.)

La femme de charge du baronnet Budds, à Llangathen, entre dans la chambre dorment les servantes, et y aper- çoit cinq lumières. Quelque temps après on peint de nou- veau la chambre, et, pour la faire sécher plus prompte- inent, on y place un grand bassin avec du charbon. Cinq des servantes se mettent au lit dans cette chambre le soir, selon leur coutume ; mais il était trop tôt, et on les trouva étouffées le lendemain matin. [Ibid., p. 143.; —Quelque- fois ces lumières sont un présage pour le voyant lui- même. Cath. W'yat, dans la ville de Tenby, se trouvant un soir dans sa chambre à coucher, aperçoit droit au- dessous d'elle deux lumières. Elle veut les écarter avec la main , mais n'y peut réussir, et elles disparaissent en- suite d'elles-mêmes après quelques instants; mais Cathe- rine accouche bientôt après de deux enfants morts. Da- vis , après avoir prêché un sermon solennel devant le jury, revenait chez lui. Vers le crépuscule du soir, lorsque le ciel était encore très-clair, il lui sembla par deux ou trois fois voir voler derrière lui, entre l'épaule et la main, quelque chose de blanc de la grosseur d'une noix; et la même sensation revenait toujours de nouveau après qu'il avait fait soixante -dix à quatre-vingts pas. Il n'y fit pas d'abord grande attention, et crut que c'était le collet de son habit qui produisait cet effet. Mais l'objet devenait tou- jours plus rouge. C'était, dit -il, un feu d'une^ lumière et d'une couleur pure et claire. Il détourna son cheval

356 DK LA ^EC(»DK VLt.

deu.v ou trois foi^ pour voir d'oh cela venait et ce que c'était; mais il ne put rien apercevoir. Dès qu'il se retour- nait pour continuer son chemin , le même phénomène re- commençait. On pourrait croire qu'il ne s'agissait ici que d'un pliénomène électrique; mais ce qui suit contredit cette supposition. En effets comme Davis traversait le bourg de Llaurislid sans s'y arrêter, la lumière qui l'avait accompagné jusque-là le quitta comme pour entrer dans une auberge située à l'entrée du village, au moment oii il passait devant la porte. Il ne la vit plus, mais il fut in- quiet, et s'arrêta dans une autre auberge à l'autre bout du village. il racontii à l'hôte ce qui lui était arrivé. Celui-ci le redit le lendemain à quelques-uns des membres du jury, et ceux-ci à d'autres^ de sorte que bientôt il ne fut plus question que de cette histoire. Or, il arriva pen- dant cette même session qu'un gentilhomme, Guillaume Lloyd, tomba malade, et fut attaqué en retournant chez lui d'un accès si violent qu'il fut obligé d'entrer dans la maison devant laquelle la lumière avait quitté Davis, et il \ mourut au bout de quatre jours. [Ibid., p. 142.) Morris Griftith, prédicateur très-pieu\, se trouvant à Tre-Daveth , vit une grande lumière descendre de la col- line dans le vallon : elle était très-rouge, et se tenait à un quart de lieue environ sur le chemin qui mène à l'église de Lanferchllavvddoy. Morris passa promptement de l'autre côté de la colline pour mieux voir. Il aperçut la lumière se diriger vers le cimetière, s'y arrêter quelques insianls et entrer dans l'église. Il attendit un peu, la vit ressortir de l'église et s'arrêter encore quelque temps à un certain endroit du cimetière, après quoi elle disparut. Peu do temps après mourut le filsd'un habitant du lieu, nommé

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Higgon. La bière s'arrêta un quart d'heure au lieu s'était arrêtée la lumière., à cause d'une rivière qu'il fal- lait passer, et le corps fut enterré enï?uite au lieu même la lumière avait disparu auparavant.

Ces apparitions se reproduisant dans ces contrées d'une manière aussi fréquente et sous des formes aussi diverses, on se mit à comparer ces signes avec les événements qui en étaient l'accomplissement, et l'on se fit ainsi, comme dans le Nord, certaines règles dont on se servit pour inter- préter ces \isions. Lorsque la lumière est petite . pâle ou bleuâtre, elle signifie un accouchement prématuré ou le cadavre d'un enfant. Si elle est grande et forte, c'est un adulte. S'il n eu a deu\ ou trois grandes, ou plus encore, mêlées avec de petites,, elles signifient un nombre égal de morts^ pris les uns parmi les enfants, les autres parmi les adultes. Si deux lumières viennent de lieux différents, la même chose arrive pour les cadavres. Si l'une se détourne un peu du chemin qui conduit à l'église, elle annonce un obstacle qui arrêtera la marche du comoi funèbre. Au reste , ces lumières se retrouvent non-seulement dans le pays de Galles, mais encore dans l'île de Man. Le com- mandant de Belfast^ Leathes. en 1690, ayant perdu sur mer treize hommes dans une tempête , un vieux prêtre le lui dit au moment il débarquait. Le commandant lui demanda comment il le savait. Il répondit que c'était par treize lumières qu'il avait vues se diriger vers le cimetière. Lue mort prochaine est annoncée quelquefois aussi par les ténèbres. Martin rapporte que de son temps, à Bommel en Hollande, il y avait une femme qui voyait une fumée obscure autour de la tête de ceux que menaçait une mort prochaine. Et comme l'événement justifiait souvent ces

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prévisions, cette faculté lui attira en même temps et beau- coup de visiteurs et de grandes persécutions.

Ce don ne se borne pas à la Grande-Bretagne^ mais on le retrouve ailleurs pamii le peuple bien plus souvent qu'on ne croit. Les montagnes de la Grande-Bretagne, de même que les Hébrides et le pays de Galles, sont habitées par les restes de la race gallo-bretonne. On peut donc con- jecturer de que ces visions se produisant surtout chez eux, elles sont comme un privilège du peuple gaulois, et que par conséquent nous devons les retrouver parmi les autres branches de ce peuple. En effet, elles se sont mon- trées fréquemment encore au commencement du siècle dernier dans le Dauphiné et les Cévennes, et la révolte qui eut lieu à cette époque dans ces contrées était en partie fondée sur des visions de cette sorte. Les peuples germa- niques n"ont point été étrangers à cette faculté, qui jouait un rôle important parmi les Âh-unes. Encore aujourd'hui, on la trouve souvent en Westphahe, par-ci par- en Suisse et en Souabe, aux environs de Salzbourg et ailleurs. Elle se montre aussi chez les peuples slaves; on la voit du moins se produire à un haut degré en Bohême, pendant les guerres de religion. Mais c'est surtout chez les peuples finnois d'origine que cette faculté semble avoir acquis son plus grand développement, et c'est ce qui a rendu cé- lèbres dans la magie ces peuples, non-seulement en Eu- rope, mais encore dans tout le nord de l'Asie, ils se sont étabhs. On voit que ce sont principalement les peuples du Nord et dans le Sud les habitants des mon- tagnes qui possèdent à un plus haut degré ce don; parce que, placés davantage sur la limite du monde intérieur et du monde visible, leur àme oscille plus aussi entre le sens

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iitérieur et le sens extérieur, et que par conséquent les \ isions des deux naondes alternent plus facilement chez - Li\ que chez les habitants des grasses vallées, qui sont plus

ittachés au monde extérieur.

Qu'il me soit permis de rapporter ici un fait de seconde Note du

., . . ,. i i traducteur.

'le que j ai connu avant son accomplissement , et qui a par

conséquent pour moi tous tes caractères d'un fait incontes- table. Presque toutes les personnes, d'ailleurs, qu'il concer- nait sont encore vivantes. Je me trouvais dans l'automne de 1839 en Pologne, dans le duché de Posen, au château de R., chez M"^^ la comtesse M..., une des femmes les plus re- marquables du pays sous tous les rapports, et dont la mort a été sentie comme un malheur public. Elle avait confié ses trois filles aux soins d'une gouvernante écossaise, missR..., qui passait pour avoir le don de seconde vue, et qui paraissait, il faut en convenir, très -peu flattée de la faculté qu'on lui attribuait. L' année précédente , le comte W..., frère de la com- tesse M..., avait épousé la princesse S. . .Pendant la cérémonie du mariage, qui se faisait à la chapelle du château, la jeune comtesse M. . . , nièce du fiancé, fut p/rise d'un accès de sensibi- lité qui la força de sortir avec sa mère et miss R...,sa gou- vernante. Celle-ci, la voyant pleurer, dit à sa mère : « Pauvre Marie! elle n'a qu'à pleurer; car avant un an son oncle sera veuf; avant deux ans il épousera la princesse T..., sa belle- sœur, et Marie épousera elle-même le prince S..., frère de celle-ci. » La mère et la fille n attachèrent, comme on le pense bien, aucune importance à cette prophétie; et lorsqu'elles me la racontèrent, huit mois apurés environ, elles ne faisaient encore qu'en rire; car rien jusque-là n'avait fait pressentir encore qu'elle dût être accomplie. Cependant , vers la fin de mon séjour au château deR. . . , une lettre annonça que la com-

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tesse W. . . venait de mettre au monde un fih ; et deux joun plus tard une seconde lettre annonçait que sa santé donnait de graves inquiétudes. Pour la première fois nous commen- çâmes tous à considérer d'une manière strieuse ta prophétie de miss h... La comtesse J/... partit pour aller donner ses soins à sa belle-sœur, et je repartis moi-même pour Paris , après ravoir priée de me donner des nouvelles de sa sœur. Quelques jours après mon arrivée à Paris, je reçus une lettre qui 7n' apprenait sa mort. La comtesse M... vint avec sa fa- mille passer l'hiver de 1840 à Paris. Il y avait à peu près deux mois qu'elle y était lorsque son frère arriva, avec l'in- tention d'aller à Rome demander les dispenses nécessaires pour épouser sa belle-scntr. Le mariage se fit an bout de l'année, et trois ans plus tard environ la jeune comtesse Marie épou- sait le prince S... ; de sorte que la vision de miss R... était accomplie juscpi' au bout. Je demandai souvent à miss R...de quelle manière , par quel procédé elle avait ces sortes de vi- sions ou de pressentiments . Elle me répondit toujours qu'elle ne pouvait l'expliquer; qu'elle se sentait saisie par une image ou par un sentiment dont elle ne pouvait se rendre corniste, et qui la forçait ù parler. Au reste, elle neparaissait attacher aucune importance à ce don : bien loin de là, elle h regardait comme quelque chose de très-pénible et de trés-gè- nant, dont elle aurait bien voulu être délivrée. Il était , di- sait-elle, héréditaire dans sa famille; et elle avait déjà été bien des fois avertie de cette manière des événements qui de- vaient arriver plus tard.

Le don de seconde vue nous a conduit aux limites du monde des esprits. Ce don n'est après tout que la faculté de voir à distance ; mais il n'élève point le regard de l'homme au-dessus du monde ordinaire; car ce sont ou des hommes

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vivants ou des événements qui doivent s'accomplir sur la terre que voient dans leurs visions ceux qui ont reçu cette faculté. Celle que nous allons étudier maintenant a bien une autre portée; car elle lire l'homme qui la possède du cercle de cette vie et du monde nous vivons^ pour l'élever jusqu'aux régions habitées par les intelligences. Ce com- merce, avons-nous dit, de l'homme avec les esprits peut avoir lieu de deux manières : ou par un développement extraordinaire du regard intérieur de l'homme, ou par une certaine condescendance de la part des esprits, qui, prévenant ce dernier, se rendent visibles pour lui à l'aide des forces naturelles qui leur sont restées. Dans ce cas, les esprits peuvent entrer en rapport avec l'homme, ou par le moyen de certaines images visibles pour les sens, même dans l'état ordinaire, ou par le moyen de certaines opéra- tions naturelles qui frappent son attention. La première catégorie comprend à peu près toutes les apparitions de fantômes, et la seconde tous ces bruits singuliers qu'on ne sait comment expliquer ni à qui attribuer (1). Dans les de- grés inférieurs, ces deux choses sont ordinairement sépa- rées ; mais lorsque l'une de ces deux classes de phénomènes reproduit d'une manière plus frappante, l'autre ne tarde pas à se manifester. Déjà bien avant le christianisme le peuple croyait aux apparitions de fantômes; mais ce n'est que depuis la prédication de l'Évangile que l'on a com-

(1) Le nom d'esprits frappeurs explique très -bien la nature des agents qui produisent ces sortes de phénomènes. C'est donc le nom que nous emploierons pour les désigner, et que fauteur aurait sans doute employé lui-même s'il avait été connu au moment il écrivait; d'autant plus qu'il traduit mieux que tous les autres le mot dont se servent les Allemands pour expliquer ce genre de phénomène.

(Note du Traducteur.)

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362 DE LA SECONDE VUE.

mencé à saisir la tendance spirilualiste de ces faits extraor- dinaires. L'histoire des premiers temps de TÉglise nous raconte un grand nombre d'apparitions de défunts. Déjà saint Martial, évêque de Limoges, voyait monter au ciel sous la forme de flamme ardente l'àme de saint Valère lors- qu'elle souffrit le martyre sous Vespasien; et tous les Pères de l'Église, depuis saint Justin, confirment la vérité de ces apparitions par quelques exemples particuliers. Elles n'ont point cessé jusqu'à nos jours, et de tout temps elles ont occupé l'attention par quelques nouveaux phénomènes plus ou moins frappants. Mais comme ce sujet, à cause des illusions auxquelles il pouvait donner lieu, surtout dans ces degrés inférieurs, a suscité de nombreuses contro- verses qui, sans écarter les doutes, semblent avoir épuisé la matière, et qu'aux degrés les plus élevés les faits sont tellement frappants qu'ils portent avec eux leur propre justification, nous ne nous arrêterons point à les étudier ici, mais nous passerons immédiatement à l'autre classe de phénomènes, qui, se produisant au grand jour, prêtent moins au doute et à l'erreur.

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CHAPITRE XX

Des esprits frappeurs. Ces esprits apparaissent dès les temps les plus anciens. Des esprits qui apparaissent à Hasparius Eubedi, dans le diocèse de saint Augustin, et chez le médecin Elpide au temple de Théodoric, roi des Ostrogoths. Les faits de ce genre ne sont admis qu'après un examen attentif. Ce qui s'est passé à Salanianque , à Munchhof près de Gratz.

De tous temps et chez tous les peuples il s'est produit dans le voisinage de l'homme des effets qu'il s'est vu con- traint d'attribuer à l'opération des esprits, parce qu'aucune cause physique ne pouvait lui en donner l'explication. Comme les manifestations de ces esprits ont en général quelque chose d'indéterminé, de singulier, quelquefois même de bruyant et d'espiègle, les Allemands ont employé pour les désigner un nom qui exprime bien ce caractère. La familiarité avec laquelle les plus innocents parmi ces êtres approchent de l'homme, et l'aident dans les soins du ménage, se tenant seul à la maison, soit dans la cour, les u fait confondre dans l'opinion du peuple avec les anciens nains ou génies familiers, lesquels pénétrant la matière, se fraient partout un libre accès et savent aussi se rendre invisibles. Les Grecs les appelaient y.yfjxùm, et ils avaient beaucoup de rapport avec les Cabires. Dans le Nord on les a appelés Kobold, à cause des services qu'ils aiment à rendre aux hommes. Us s'appellent TruUes, chez les Sué- dois; Gobelins et Lutins, chez les Français; Trazgos, chez les Espagnols; FarfarelU, chez les Italiens; Coltren, chez les Russes. Le peuple les connaît partout, comme on le voit, et partout aussi ils jouissent d'une assez bonne répu- tation, et passent pour des lutins famiUerS;, avec lesquels.

364 DES ESPRITS FRAPPEURS. ^

surtout a^ aiit le christianisme, on vivait dans des relations intimes et dont on récompensait les services par de petites offrandes.

La légende, chez les peuples du Nord, raconte que lors- qu'un lutin veut sétahlir dans une maison, il ramasse en tas des morceaux de bois, et met dans le baquet au lait de la fiente de plusieurs animaux. Si le lendemain le maître de la maison boit du lait avec sa famille, ou sïl ne défait pas le bois quil a mis en tas, le lutin reste près de lui, de- meure dans le bûcher, et cherche à gagner la faveur des gens de la maison en apportant du blé qu'il prend dans les greniers des autres, ou du ijois, ou en faisant quelque autre chose de ce genre. Ces rapports famihers excitèrent lîientôt après l'apparition du christianisme quelques scru- pules; ils disparurent peu à peu, et de familiers qu'ils étaient ces esprits semblent être devenus jaloux et mé- chants , et prendre plaisir à tourmenter les hommes par des bruits singuliers et inexpUcables. Nous trouvons sur ce sujet, chez tous les peuples, une multitude de récits, tous plus extraordinaires les uns que les autres, attestés par des témoins iiTécusables, offrant par conséquent tous les caractères de vérité que Ton peut désirer. Il est donc nécessaire que nous nous arrêtions quelque temps sur ce sujet, et que nous cherchions à découvrir la cause cachée sous ces phénomènes extérieurs.

Nous avons dit que les faits de ce genre sont fréquents déjà dès les premiers siècles du christianisme, sans parler des temps qui l'ont précédé. En effet, saint Augustin dans la Cité de Dieu, 1. xxu, c. 8, raconte que des esprits de cette sorte inquiétaient la maison de campagne d'Haspa- rius Eubedi, dans le diocèse d'Hippone, et qu'il y envoya

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un de ses prêtres, qui les conjura et lit cesser tous les bruits. Au temps deThcodoric, roi des Ostrogoths, la mai- son du médecin Elpide était aussi habitée par des lutins Elpide qui lui jetaient souvent des pierres. Il pria saint Césaire d'Arles à son passage de le délivrer de ces esprits. Le saint purifia la maison avec de l'eau bénite, et cette plaie dis- parut pour toujours. [Act. S., 27 aug.) Le même saint, visitant son diocèse^ arriva dans un canton nommé Succen- triones. Il y avait un établissement de bains magnifique; mais tous les passants s'entendaient appeler de par leurs noms, après quoi on leur jetait de grosses pierres; de sorte que personne n'osait plus passer par cet endroit. L'ecclésiastique qui écrivit plus tard la vie du saint, et qui avait coutume de porter devant lui le bâton pastoral, ayant oublié celui-ci dans l'église voisine, les habitants du lieu, joyeux de cette circonstance, le suspendirent au mur des bains, et la plaie disparut. 'Ibid.'

Le prêtre George, disciple de l'archimandrite Théodore, raconte dans la vie de celui-ci que de son temps, dans la maison d'un tribun nommé aussi Théodore, les hommes Théodore. et les animaux étaient importunés en diverses manières par des lutins. Lorsque les gens de la maison étaient à table, on y jetait des pierres, de sorte qu'ils étaient tou^ épouvantés. On brisait aussi le fil sur le métier des ser- vantes, et enfin toute la maison se remplit d'une telle quantité de serpents et de souris, que personne n'osait plus y demeurer. Le seniteur de Dieu, y étant venu, y passa la nuit dans les chants et la prière, y jeta partout de l'eau qu'il avait bénite, et la délivra ainsi de cette calamité. Si- gebert, dans sa Chronique, à la date de l'année 958, parle aussi des apparitions qui eurent lieu à Camnuz, près de

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366 DES ESPRITS FRAPPEURS.

Hingen. On y jetait des pierres et l'on faisait du bruit^ jus- qu'à ce qu"enfm Tarchevèque de Mayence y eût envoyé des ecclésiastiques, qui mirent fin à tout ce désordre. Trithème parle, à la date de Tannée i 130, d'un lutin nommé Hûl- chen, qui était à la cour de Bernard d'Hildesheim, aidant les gens de la maison de ses conseils, de son concours et de ses avertissements. Il est devenu célèbre dans la légende, qui montie encore le sentier par lequel il accourut un jour du château de W'inzenburg à Hildesheim. Plus tard il est question du lutin qui, d'après Guillaume de Paris, s'était établi dans une maison de la paroisse Saint-Paul, à Poi- tiers, lequel brisait les fenêtres et les vitres, et jetait des pierres sans toutefois blesser personne. A partir de cette époque, les récits de ce genre deviennent toujours plus nombreux et plus détaillés. 11 ne faut pas croire cependant qu'ils fussent alors adoptés sans aucun examen. Partout, même en Espagne, que l'on se représente ordinairement comme le pays de la superstition, partout on cherchait à se rendre un compte exact de ces faits.

Voici ce que nous raconte à ce sujet Antoine de Torque- mada, dans son Jardin de Flores : « 11 y a environ dix ans, lorsque j'étais encore à l'université de Salamanque, il y avait dans cette ville une femme considérable, veuve et déjà âgée, et qui avait chez elle quatre ou cinq servantes, dont deux jeunes et bien faites. Le bruit se répandit qu'il y avait dans la maison qu'elle habitait un trazgo ou lutin, qui y faisait toute sorte de tours. Entre autres, il jetait du haut du toit des pierres en telle quantité, que, quoiqu'elles ne fissent aucun mal, ehes étaient cependant fort incom- modes pour les gens de la maison. Les choses en vinrent au point que le corréddor en eut connaissance, et voulut

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aller au fond de l'afFaire. Il vint donc à la maison, accom- pagné de plus de vingt hommes qui se trouvaient présents, et chargea un alguazil avec quatre hommes de visiter aux flambeaux , avec le plus gi-and soin , tous les coins un homme pourrait trouver à se cacher. Ils firent exactement ce qu'on leur avait ordonné, et il ne manquait plus que de lever les parquets; car du reste il n"y avait pas un coin qu'ils n'eussent fouillé. Ils retournèrent donc vers le cor- régidor, et déclarèrent que personne ne pouvait être caché dans la maison. Celui-ci s'adressa à la veuve, et chercha à lui persuader qu'on la trompait; que c'étaient probablement ses jeunes senantes qui entretenaient des amants, et que le meilleur moyen de se débaiTasser de cette plaie, c'était d'observer attentivement toutes leurs démarches. La bonne dame fut toute bouleversée, et ne savait que répondre. Elle persistait néanmoins à croire qu'il y avait quelque chose de réel dans ces pierres que l'on jetait à chaque instant, et que l'on ne pourrait s'en préserver malgré toutes les précautions. Le corrégidor et ceux qui étaient avec lui la quittèrent en continuant de se moquer d'elle; mais à peine étaient-ils au bout de l'esca- lier qu'ils entendirent un grand bruit, et virent rouler à leurs pieds le long des degrés une telle masse de pierres , qu'il semblait qu'on en avait jeté trois ou quatre paniers. Ces pierres leur tombèrent entre les pieds , sans toutefois faire de mal à personne. Le corrégidor ordonna à ceuv qu'il avait déjà envoyés auparavant de remonter bien vite, pour prendre sur le fait celui qui avait osé leur jouer ce tour; mais, après avoir bien cherché, ils ne purent rien trouver. Pendant qu'ils cherchaient encore , des pierres commencèrent à pleuvoir en grand nombre au portail

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d'entrée. Après avoir frappé le haut de celui-ci, elles sem- blaient rebondir et tombaient en bas. Comme tous étaient confondus d'étonnement, Talguazil ramassa une des plus grosses pierres . et la jeta par-dessus le toit de la maison située en face , en disant : « Que ce soit le diable ou un trazgo, qu'il me renvoie cette pierre. » Au même instant, à la vue de tout le monde, la pierre, revenant par-dessus le toit, vint frapper contre son bonnet, au-dessus des yeux, et tous durent enfin reconnaître qu'on ne les avait pas trompés. Quelque temps après, un des ecclésiastiques qu'on appelle Torres Memidas vint à Salamanque et pro- nonça quelques exorcismes dans la maison, après quoi tous ces phénomènes singuliers disparurent aussitôt. V)

Afin de donner à cette étude une base plus sûre encore, nous raconterons ici une série de faits qui ont eu lieu il y a peu de temps, et qui ont été heureusement observés par un homme impartial, sérieux, attentif et instruit, dont le témoignage doit paraître irrécusable. Ces faits se sont pas- sés à Munchhof, à une heue de Voitsberg et à trois lieues de Gratz. Ils ont été observés par H. J. Aschauer, alors administrateur à Kamach, très-savant dans la physique et les mathématiques, et qui est devenu plus tard professeur de mathématiques techniques au Johanneum, à Gratz. Je suivrai mot à mot le récit qu'il a fait lui-même de ses ex- périences, le 21 janvier 1821, dans une lettre écrite à l'un de ses amis. Je me contenterai seulement de le com- pléter de temps en temps, dans des détails de peu d'impor- tance, à Taide d'un autre récit postérieur qu'il a eu la bonté de me communiquer il y a environ neuf ans. Il pro- teste qu'il est prêt à confirmer par serment la vérité de ce qu'il raconte, et qu'il consent à passer pour un imposteur

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d la face du monde entier, si Ton peut trouver dans sa description un seul mot exagère. 11 comaience par ce que lui avait raconté son gendre Obergemeiner, propriétaire de la maison : à savoir qu'au mois d'octobre 1818, des pierres avaient été jetées plusieurs fois, l'aprcs-midi et le soir, contre les fenêtres de la chambre durez-de-chaussée; que des vitres avaient été brisées de temps en temps, mais que le bruit cessait dès que les gens de la maison faisaient la prière du soir et allaient se coucher. Obergemeiner crut d'abord que c'étaient des écoUers qui, en passant, lui jouaient ce tour; mais comme, malgré toutes les mesures qu'il prit, il ne put découvrir personne, et que Ton com- mença à entendre du bruit à la porte de devant et à celle de derrière, qui étaient fermées toutes les deux, sans que le chien aboyât, il crut que c'étaient des voleurs qui vou- laient l'attuer dehors, et il se garda bien d'ouvrir les portes. Ses gens commençaient à avoir peur, et lui-même était fatigué de ce bruit; il résolut donc de traiter l'affaire plus sérieusement. 11 alla trouver vers la fin du mois, sans le dire à ses gens, les paysans des environs, en prit à peu près trente-six avec lui, bien armés, les plaça en cercle autour de la maison à une ceiiaine distance, et, après leur avoir bien recommandé ne laisser venir ni sortir personne, il entra dans la maison avec Koppbauer et quelques autres, réunit tous ses gens pour bien se convaincre que personne ne manquait, et visita toutes les pièces depuis le toit jus- qu'à la cave. 11 était environ quatre heures et demie du soir.

Les paysans avaient rétréci toujours davantage leur cercle, et n'avaient trouvé personne; mais personne aussi, ni homme ni bête, n'avait pu pénétrer. Cependant on

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avait commencé à jeter des pierres contre les fenêtres de lu cuisine. Koppbauer se plaça à Tune de ces fenêtres, et re- garda par (dehors pour tâcher de voir dans quelle direction les pierres étaient jetées. Pendant qu'il était dans cette position, et qu'Obergemeiner était dans la cuisine avec }ilusieurs autres, une grosse pierre fut lancée contre la fe- nêtre même il était; de sorte que plusieurs vitres furent brisées derrière lui. Il en fut (rès- irrité, croyant que c'étaient ceux qui étaient dans la cuisine qui avaient jeté la pierre pom' lui jouer pièce. Mais Obergemeiner lui ayant ôté cette pensée, ils crurent tous que les pierres de- vaient être jetées de l'intérieur; et c'était en effet dans cette direction qu'elles le furent jusqu'à six heures et demie du soir, la chose cessa tout à coup. Cependant on avait continué de visiter la maison, le four, les poêles, les cheminées, en un mot, tous les endroits dans lesquels un homme ou une bête aurait pu se cacher, et les paysans de leur côté avaient continué de monter la garde autour de la maison. Tout resta tranquille jusqu'à huit heures du matin ; mais alors les pierres recommencèrent à tomber de plus belle, en présence de plus de soixante personnes. On se convainquit qu'elles partaient de dessous les bancs de la cuisine, et venaient frapper les fenêtres d'une manière tout à fait inexphcable , en décrivant une ligne courbe contraire aux lois du mouvement.

Des pierres à chaux furent lancées dans toutes les di- rections contre les autres fenêtres; elles pesaient depuis un quart de livre jusqu'à 'quinze livres. Bientôt on ne se borna plus aux pierres; mais tous les ustensiles de la mai- son , les cuillers, les pots, les plats vides ou pleins, etc., étaient lancés au milieu des gens qui étaient là, contre le

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plancher, contre les fenêtres , et avec une vitesse in- croyable. Plusieurs de ces objets brisèrent les vitres; d'autres^ quoique très-gros et lancés avec force ^ restèrent fixés au milieu des carreaux ; d'autres ne tirent que tou- cher le verre ^ et tombèrent ensuite à l'intérieur et per- pendiculairement au bas de la fenêtre. Plusieurs, quoi- qu'ils eussent été frappés par de grosses pierres lancée^ avec force, ne ressentirent le coup que faiblement, à leur grande surprise; et ces pierres, après les avoir frappés, tombaient aussi perpendiculairement à leurs pieds. 11 fal- lut songer à enlever de la cuisine les pots et tous les usten- siles. Or, pendant qu'on était occupé à cette opération, plusieurs de ces objets furent enlevés des mains de ceux qui les portaient, ou renversés en présence de tous de des- sus la table on les avait placés. Rien ne fut respecté sur celte table, à l'exception d'un crucifix ; mais les flam- beaux eux-mêmes qui brûlaient à côté furent jetés avec une grande force. Au bout de deux heures, il ne restait pas une seule vitre dans la cuisine, et tous les objets fra- giles, même ceux qu'on en avait emportés, furent mis en pièces. La maîtresse de la maison avait sauvé un plat de salade qu'elle avait mis dans le garde-manger au premier étage. Étant montée avec une servante, elle ouvrit la porte et envoya la senante chercher la salade. Mais comme celle-ci prenait le plat, il lui fut arraché des mains. La servante se sauva; la maîtresse crut qu'elle l'avait laissé tomber par peur et par maladresse, et voulut le lui repro- cher, lorsque tout à coup le plat avec la salade qui était dedans, lancé du fond du garde-manger, passa devant elle et tomba dans le vestibule. Le désordre ayant cessé vers onze heures, le maître de la maison était assis dans la

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salle à manger^ au rez-de-chaussëe^ ayant devant soi une bouteille vide avec un bouchon poli à l'émeri. Tout à coup le bouchon est élevé en Tair et tombe sur la table, à côté de la bouteille. Il le remet à sa place et le presse fortement dans le cou de la bouteille; mais au bout de deux à trois secondes il est enlevé une deuxième fois, puis une troi- sième ; de sorte que le maître prit le parti de renfemier la bouteille, car il avait remarqué qu'on ne touchait à rien de ce qui était renfermé. Les jours suivants, la maison fut assez tranquille. Il fallut cependant tenir bien soHdes les vases Ton voulait cuire, et éloigner ceux qui étaient fragiles, une fois la cuisine faite.

Le témoin, auteur de ce récit, apprit ce qui s'était passé au marché de Voitsberg du maître de la maison lui-même, et le pria de l'avertir s'il arrivait quelque chose de nou- veau. En effet, on l'envoya chercher vers la Toussaint, et il accourut aussitôt. A son arrivée, il trouva la maîtresse de la maison et Koppbauer seuls à la cuisine , occupés à ^•ecueillir les aiorceaux d'un pot qu'il avait entendu tom- ber à terre pendant qu'il entrait. Comme il était dans la cuisine avec les deux autres, chacun à deux pas environ de son voisin, une grosse cuiller à pot en fer fut lancée de la planche elle était , avec une incroyable vitesse , contre la tête de Koppbauer, et tomba perpendiculaire- ment à ses pieds. Cette cuiller pesait bien trois quarts de livre; de sorte que, lancée avec force comme elle était, elle aurait causer une forte contusion; mais Koppbauer dit qu'il n'avait senti qu'un attouchement très-léger. Le témoin resta deux jours dans la maison , mais ne vit rien jusqu'au second jour à quatre heures après midi. Comme il ne pouvait rester toujours dans la cuisine, à cause de la

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fumée el d un mal d'yeux, plusieurs fois pendant son ab- sence des pierres furent jetées dans les fenêtres. Il examina les paratonnerres et tous les objets au moyen d'un élec- Iromètre qu'il avait apporté avec lui, mais ne trouva nulle part d'accumulation de fluide électrique. D'ailleurs, même lorsque les objets étaient lancés avec le plus de force, il n'y avait ni dégagement de lumière ni bruit. La cuisine était tellement placée, qu'aucun homme ne pouvait agir d'une manière médiate ou immédiate sur les objets qu'elle contenait; el le témoin, à la vue des phénomènes qui se passaient sous ses yeux, eut beau chercher une cause natu- relle pour les expHquer, il n'en put découvrir aucune. Obérée meiner avait de son côté proposé un prix de mille florins à celui qui trouverait la cause de ces événement? singuliers.

Le second jour, vers quatre heures après midi, le témoin était au bout de la cuisine, ne sachant que penser de tout ce qu'il voyait. 11 y avait au-dessus et vis-à-vis de lui une grande planche étaient les plats. Entre lui et son œil, qui regardait par hasard de ce côté, il n'y avait rien qui put intercepter le regard. Or il vit tout à coup se déta- cher sans bruit de la planche une soupière en cuivre re- vêtue de fer, et qui pouvait contenir de la soupe pour douze hommes environ. Elle vint vers lui presque horizontale- ment, avec une incroyable vitesse, et passa si près de sa tête, que le courant d'air lui souleva les cheveux sans qu'aucun bruit, aucun sifflement se fît entendre; après quoi elle tomba avec un grand bruit, mais sans aucun dommage. Tous ceux qui étaient présents furent confon- dus d'étonnement; et il ne manquait pas de témoins, car on accourait de toute part pour voir ces choses extraordi-

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naires. Quelques instants après, la servante voulut râper du pain ; comme elle se détournait pour mettre le pain et la râpe dans un plat de bois^ celui-ci se mit en mouve- ment avec une vitesse modérée;, effleurant le foyer jus- qu'au bord. il fut jeté par terre ^ comme s'il avait été lancé avec une grande force^ de sorte qu'il rebondit plu- sieurs fois, et le pain râpé se répandit par toute la cuisine. Le témoin assure que personne de ceux qui étaient pré- sents n'y avaitmis la main, et qu'il en est aussi sûr que de son existence.

Vers cinq heures^, il vint un étranger qui prétendit que la cause de tout ce mouvement était un homme caché dans le tuyau de la cheminée^ quoique celle-ci fût remplie de fumée à l'intérieur. Le témoin, impatienté d'une ex- plication aussi ridicule, le mena vers la porte^, dans un en- droit où, de son propre aveu^ personne ne pouvait viser du tuyau de la cheminée. Il y avait un plat de cuivre, sur une planche basse, personne hormis eux ne pou- vait atteindre. Le témoin dit à l'autre : u Que diriez-vous si ce plat, sans que nous y missions la main, était jeté de l'autre côté? » A peine avait-il flni de parler que le plat s'envola, et l'étranger resta confondu. A partir de ce mo- ment jusqu'à neuf heures et demie du soir, il ne fut plus rien jeté en sa présence. Seulement, lorsqu'il voulut sus- pendre son chapeau à un long clou , dans la chambre à coucher du maitre de la maison, son chapeau lui fut jeté par terre quatre fois de suite. Tous les mets étant cuits, ils résolurent de vider, en cinq qu'ils étaient, la cuisine, et n'y laissèrent que trois objets : un emporte-pièce de fer- ])lanc pour les pâtes, à la fenêtre de derrière; un plat de fonte plein d'eau au foyer, et un seau d'eau en bois avec

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deux branches de fer vis-i-Tis de remporte-pièce par terre. Les portes et les fenêtres grillées étaient fermées comme toujours, et il n'y avait que quatre personnes dans la cuisine. Il n"y eut rien pendant longtemps; et comme ils avaient veillé toute la nuit précédente^ ils voulurent aller se coucher; mais comme ils étaient à la porte, l'em- porte-pièce fut jeté horizontalement au milieu d'eux; ils le remirent à sa place, et fermèrent les portes.

Au bout de dix minutes environ, le seau d'eau, pesant environ quinze livres, qu'ils avaient laissé par terre, tom- ba perpendiculairement du haut de la voûte de la cuisine, sans qu'ils pussent comprendre comment il y était monté, puisqu'il n'y avait rien en haut l'on pût suspendre quoi que ce soit. La moindre déviation aurait suffi pour le faire tomber sur une des personnes présentes. Ils se placèrent autour du foyer ayant chacun une lumière à la main; de sorte qu'aucun ne pouvait toucher le pot de fer sans être vu. Celui-ci fut tout à coup renversé, jusqu'à ce que la dernière goutte d'eau se fût écoulée. La chute n'avait point suivi les lois ordinaires; mais elle avait été beau- coup plus lente, comme lorsqu'on veut vider un vase peu h peu; et il se releva de la même manière. Après cela il ne tomba plus rien pendant quelque temps. Quatre des as- sistants sortirent de la cuisine , le cinquième y resta seul renfermé tandis que les autres voyaient par une ouver- ture tout ce qui se faisait autour de lui; car ils pouvaient l'apercevoir ainsi qu'une grande partie de la cuisine. Comme il était assis tranquillement, une lumière à la main, des coquesd'œuf furent jetées de tous les coins sans qu'ils pussent comprendre d'où elles venaient, puisqu'ils avaient tout emporté, jusqu'aux moindres choses. Ceci dura en-

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viron une heure, avec quelques courtes interruptions; puis il ne se fit plus rien pendant toute la nuit et les jours suivants. Le témoin partit le lendemain ^ après être reste trois jours dans la maison, et c'est par d'autres qu'il apprit ce qui suit.

Au bout de quelques jours de calme , les roues du mou- lin^, qui était à six minutes environ de chemin de la mai- son^ s'arrêtèrent de temps en temps. Le meunier fut jeté de son ht avec le lit lui-même, les lumières s'éteignirent, et différents objets furent jetés devant la porte. Au bout de quatre à cinq jours, tout ce désordre cessa; mais les pots ou d'autres objets étaient encore de temps en temps jetés par terre dans la cuisine. Après cinq à six semaines d'in- terruption, un dimanche, avant midi, pendant que tous les autres étaient à l" église, la mère d'Obergemeiner et sa femme étaient devant le foyer, s'entretenant de ce qui s'était passé, et se montrant la place la plupart des pots étaient tombés. Tout à coup le pot le plus grand passe devant elles et tombe par terre. A partir de ce mo- ment il n'arriva plus rien : du moins le maître de la mai- son, qui n'aimait pas en général à parler de cette affaire, n'en dit plus rien au rapporteur. Au reste, ces événements avaient fait sensation auprès des employés du gouverne- ment, et le district d'Ober-Greiffeneck envoya son rapport au cercle de Gratz le 7 novembre 1818. Ce rapport est caractéristique. On y lit entre autres choses : « Quoique nous ne soyons plus dans ces temps d'ignorance chaque phénomène dépassant l'intelligence du vulgaire était at- tribué à la magie ou au démon , tandis que les hommes plus habiles et initiés aux sciences naturelles mettaient souvent à profit cette croyance superstitieuse, et, au lieu

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de se servir de la supériorité de leur science pour com- haltre l'erreur^, cherchaient plutôt leur avantage dans la propagation des opinions les plus erronées, il est remar- quable néanmoins qu'à une époque le flambeau de la civilisation a mis depuis longtemps en fuite tous les dé- mons , les nouveaux progrès de la physique et de la chimie ont mis au grand jour les forces de la nature ca- chées auparavant, il est remarquable que l'on voie se pro- duire des phénomènes inaccoutumés, et que les hommes compétents n'ont pu expliquer malgré robservation la plus attentive. »

Le rapport s'accorde dans tous les points essentiels avec le récit d'Aschauer. Il y est fait mention de la pré- sence de ce dernier en compagnie du chapelain Hœtzel, et de sa parfaite compétence en ces sortes d'affaire. Il y est parlé aussi d'une enquête faite sur l'invitation des magis- trats par le sieur Gayer, fabricant de verres à Oberndorf , avec son appareil électrique; après quoi le rapport finit en ces termes : « Le magistrat du cercle, pouvant charger les savants de la capitale de faire de nouvelles enquêtes , dai- gnera d'autant plus prendre les mesures nécessaires pour découvrir ces phénomènes singuliers que cette histoire a déjà fait ici une sensation générale. La superstition chez les uns , l'hypocrisie chez les autres , voit avec joie cet événement, et l'explication naturelle de ces prétendus miracles peut seule combattre un préjugé auquel le vul- gaire s'attache par ignorance ou par malice. « La décision du gouvernement fut que c'était un homme caché dans le tuyau de la cheminée qui était probablement l'auteur de toute cette histoire. On chargea cependant trois professeurs du Jolianneum. ceux de géologie, de minéralogie, dechi-

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mie et de botanique , de procéder à une enquête; mais ils crurent au-dessous de leur dignité de chercher un lutin, et ils refusèrent la commission. Plus tard, lorsqu'il ne se passait plus rien dans la maison, un employé de la police s'y rendit, et trouva naturellement un champ ouvert à toutes les suppositions ; mais la plus amusante est assuré- ment celle qui prétendait que tous ces événements n'é- taient que des tours de physique qu"Aschauer avait joués aux gens de la maison. On ensevelit ainsi dans l'oubli une chose qui ne laissait pas que d'être embarrassante.

Nous avons heureusement dans le récit de ce témoin tout ce qui constitue un témoignage soUde et incontestable. L'auteur est un homme véridique, respectable, digne de foi, qui, bravant la plaisanterie, n'a pas craint de se mettre en avant ; un mathématicien, sachant par état ce qu'il faut pour un jugement exact et concluant; un homme connais- sant parfaitement les forces de la nature, et sachant ce qui doit lui être attribué. Il a commencé ses observations avec la défiance d'un homme raisonnable, et les a continuées sans prévention. Elles ont été répétées souvent et dans des circonstances différentes, et ont duré assez longtemps pour conduire à un résultat positif. Bien plus, tenant compte de toutes les suppositions, il a fait ses essais avec inteUigence, et obsené leurs résultats avec attention . Il ne manque donc rien à ses observations; et pour tout es- prit impartial elles ont la même valeur qu'a pour tout savant une série d'observations astronomiques faites à l'ob- servatoire de Green-^ich. Lorsqu'un homme comme notre témoin, cédant à l'évidence, déclare qu'il est convaincu qu'aucun appareil physique, aucun prestidigitateur, quelque habile qu'on le suppose, n'a pu produire les

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choses qui se sont passées sous ses yeux, c'en est assez pour que Ion doive, bon gré malgré, ajouter foi à sa parole, et chercher d'autres causes que les causes^hysi- ques ordinaires.

Or^ comme aucune de ces causes n'est visible, il faut nécessairement la chercher dans le domaine invisible. Ine force motrice a agi, on ne peut en douter. Cette force n a- gissait pas par nécessité , mais en beaucoup de choses elle s'est évidemment déterminée d'après son bon plaisir; c'était donc une force libre. Cette force pouvait se mettre en rap- port avec ceux qui étaient présents , car elle entendait ce que ceux-ci se disaient, et agissait en conséquence, comme on a pu s'en convaincre lorsqu'elle a si bien réduit à néant, sur l'invitation du témoin, l'explication singuhère donnée par un étranger à ces phénomènes et dans plusieurs autres circonstances encore. C'était donc une force intelhgente et spirituelle ; mais elle était en même temps capable de motifs moraux; car pendant qu'elle brisait les fenêtres et les usten- siles de la cuisine, ne craignant pas de porter ainsi préjudice au propriétaire de la maison, elle évitait avec soin de bles- ser aucun des assistants. Les motifs rehgieux ne lui étaient même pas étrangers; car pendant que ses caprices s'exer- çaient sur tous les objets, nous l'avons vue respecter le crucifix placé sur la table , quoiqu'elle eût renversé les flambeaux qui brûlaient à ses côtés. Cette puissance intel- ligente et morale était douée aussi , ou d'une plus grande habileté, ou d'un empire tout particulier sur les forces physiques dont elle disposait ; car elje faisait par elles des choses que l'homme le plus fort aurait pu à peine exécuter. C'est ainsi que nous avons vu les pierres jetées par elle dé- crire une ligne spirale, contrairement à toutes les lois de

380 DES ESPRITS FRAPPEURS .

la physique. Ellef était douée aussi d'une énergie singulière,

car les objets étaient mis en mouvement par elle avec une vitesse mcroyable : une fois même avec une telle rapidité que l'œil n'avait pu la suivre, comme par exemple lorsque le seau d"eau fut enlevé à la voûte sans que personne pût comprendre comment cela s"était fait.

Les masses mises en mouvement étaient souvent consi- dérables, et la vitesse très-grande; et cependant le résultat en était si médiocre à la fin, que ces objets restaient quelque- fois arrêtés dans les vitres, ou tombaient perpendiculaire- ment aux pieds des personnes qu'ils avaient frappées. La force qui les mettait en mouvement pouvait donc augmen- ter ou diminuer à son gré, et il était facile de voir qu'elle ne suivait point les caprices du hasard, mais qu'elle était dirigée par un but raisonnable, qui était de ne faire de mal à personne. Si l'on suppose que cette force était bonne de sa nature, il faut admettre qu'elle se réglait et se modérait elle-même ; et si elle était mauvaise , elle devait être gou- vernée par une loi supérieure. Dans l'un et l'autre cas, c'était donc une force libre, dirigée par la raison. S'il en est ainsi, si les faits sont incontestables, si ces conclusions sont rigoureuses, il faut reconnaître qu'il y avait en jeu ou des esprits immatériels et invisibles, ou du moins des hommes capables de se rendre invisibles ou d'agir à dis- tance. Or, quelque hypothèse que l'on admette, ces faits, on le voit, appartiennent à la magie. Tout cela n'est que la conclusion rigoureuse de prémisses incontestables, tandis que nier les faits parce qu'on ne peut les expliquer, c'est une foHe; et les laisser de côté, sans se donner la peine de les étudier, c'est une indigne lâcheté d'esprit.

i/esprit frappeur de tedworth. 38i

CHAPITRE XXI

L'esprit frappeur de Tedwortli.

Aux faits que nous venons de raconter nous en ajoute- rons un autre non moins intéressant, qui nous est rapporté dans le plus grand détail par Glainvil, chapelain du roi Charles II d'Angleterre, dans son livre intitulé Sadducismus ti'iumphatus. Glanvil, à Plymouth en 1636, avait fait ses études à Oxford, et mourut en 1680, après avoir rempli plusieurs fonctions ecclésiastiques. Il était contemporain du fait qu'il raconte, et il jouissait d'ailleurs de la réputation d'un homme véridique, honorable et intelligent. Nous ne ferons que traduire ici, en l'abrégeant, le récit quil nous a laissé de cette histoire singulière, qui paraît indiquer une action à distance. Pendant un séjour que fit dans la ville de Lugarspal, au mois de mars de l'année 1661, M. Mom- pesson de Tedworth, dans le comté de Wilts, il entendit battre du tambour dans la rue, et demanda au bailli de la ville, chez qui il se trouvait précisément alors, ce que cela signifiait. Celui-ci lui répondit que depuis quelques jours un mendiant qui avait, croyait-il, un faux passe-port, leur fatiguait les oreilles du bruit de son tambour. M. Mom- pesson envoya quérir cet homme, et lui demanda qui l'a- vait autorisé à parcourir ainsi le pays avec son tambour; sur quoi le mendiant lui montra son passe-port et son au- torisation signés de William Cavsley et du commandant Ayliff de Gretenham. Mompesson, qui connaissait très- bien l'écriture de ces deux messieurs, se convainquit que le permis et le passe-port étaient faux. Il fit donc

382 l"esprit frappeur de tedworth.

saisir le tambour, et chargea l'huissier de conduire le mendiant devant le juge de paix le plus voisin pour être puni. Le -drôle avoua son imposture, et pria seulement qu'on lui rendît son tambour. Mompesson répondit que, si le commandant Avliff lui donnait un bon témoignage , il le lui rendrait, mais qu'il le garderait jusque-là. Il laissa donc cet homme entre lesnjains de l'huissier; mais il paraît que celui-ci, effrayé .par ses menaces, le laissa s'é- chapper.

Vers le milieu du mois d'avril suivant, comme Mom- pesson se préparait à faire un voyage à Londres, le bailli de Lugarspal lui envoya le tambour du mendiant. Lorsqu'il fut de retour, sa femme lui raconta que pendant son ab- sence elle avait eu grand'peur des voleurs. A peine avait-il passé trois nuits à la maison que les mêmes choses qui avaient effrayé sa famille se renouvelèrent. On entendait de grands coups à la porte et du côté extérieur de la maison . Il prit ses pistolets, visita tous les coins, ouvrit la porte l'on frappait ; mais le bruit passa vers une autre. Il ouvrit aussi cette dernière, et fit la ronde autour de la maison sans rien pouvoir découvrir ; seulement le bruit devenait toujours plus fort et plus creux. Après qu'il se fut remis au lit, il entendit sur le toit de la maison un bruit de tam- bour qui dura quelque temps, et se perdit ensuite dans Tair.

Ce bruit devint fréquent; il se renouvelait ordinairement cinq nuits de suite, et cessait pendant trois nuits. Il se fai- sait au côté extérieur de la maison, et il commençait au moment l'on se mettait au lit. Un mois plus tard, il se mit à retarder un peu , et ne commença plus qu'une demi- heure après qu'on était couché; il continuait cinq nuits

l'esprit frappeur de tedworth. 383

sur sept, pendant deux heures de temps et dans la chambre avait été déposé le tambour. Ce bruit s'annonçait par un gémissement dans l'air au-dessus de la maison , et se terminait par un coup de tambour comme quand on relève la garde. Ceci dura deux mois, pendant lesquels Mompes- son se tint toujours dans la chambre se faisait le bruit , afin de mieux voir ce que ce pouvait être. Sa femme étant accouchée sur ces entrefaites, il se tit très- peu de bruit dans la nuit, et on n'entendit plus rien pendant trois se- maines. Mais le tapage recommença bientôt plus fort qu'au- paravant, et tourmenta particulièrement les enfants. Eu effet, leurs lits étaient frappés avec une telle force qu'il semblait qu'ils allaient être mis en pièces. Si on y mettait la main, on ne recevait aucun coup , mais on les sentait violemment secoués. Pendant une heure de temps on en- tendait frapper des marches guerrières bien connues ; puis il semblait qu'on grattait avec des griffes de fer sous les lits des enfants. L'esprit soulevait ces derniers et les pour- suivait de chambre en chambre , laissant tous les autres tranquilles. On les porta en plein jour au lit dans le gre- nier, où aucun bruit ne se faisait entendre jusque-là ; mais l'esprit les y suivit bientôt.

Le 0 novembre 1661, on entendit un bruit terrible. Un des domestiques qui était dans la chambre des enfants, voyant deux planches remuer, en demanda une; sur quoi la planche s'avança vers lui à une coudée de distance sans qu'il vît personne la porter. Il cria aussitôt : (c Mets-la-moi dans la main ; » et à l'instant même elle approcha plus près de lui, et vingt fois de suite avança et recula de la même manière, jusqu'à ce que Mompesson lui eût interdit cette familiarité. Ceci arriva en plein jour, en présence des gens

381 l'esprit frappeur de TEDWoRTH.

qui remplissaient la chambre. On sentit aussi cette fois une odeur de soufre très-forte. Vers la nuit, un ecclésiastique , M. Gregg*, vint à la maison avec plusieurs voisins, et se mit en prière avec eux à côté du lit, au milieu du vacarme. Tant que la prière dura, le bruit se retira dans le grenier; mais, la prière une fois finie , il revint dans la chambre était le lit. Tous virent alors les sièges danser en rond, les souliers des enfants leur voler par -dessus la tête, et tout ce qui était mobile se remuer dans la chambre. Un bois de lit fut jeté contre l'ecclésiastique , et l'atteignit à l'épaule, mais aussi doucement que l'aurait pu faire un peloton de laine. Mompesson, voyant que l'esprit s'acharnait contre les enfants, les transporta dans une maison voisine, à l'excep- tion de sa fille aînée, âgé de dix ans, qu'il fit dormir dans sa propre chambre. Mais dès que l'enfant était au lit, le bruit recommençait, et il dui-a ainsi pendant trois semaines. On remarqua que l'esprit répondait exactement, en battant du tambour, à toutesles questions qu'on lui faisait. Comme il venait beaucoup d'étrangers dans la maison étaient les enfants, leur père les fit revenir et fit placer leur lit dans le salon de réception, qui n'avait point été inquiété jusque- là; mais l'esprit les y suivit encore, se contentant toute- fois de les tirer par les cheveux et par leurs vêtements de nuit.

On remarqua que, lorsque le bruit était plus fort , au- cun chien ne bougeait autour de la maison, quoiqu'il fût quelquefois si violent qu'on l'entendait dans les champs à de grandes distances, et qu'il réveillait les voisins , bien que la maison ne tînt à aucune autre habitation. Souvent les domestiques étaient enlevés avec leurs lits, et déposés doucement à terre sans avoir aucun mal; quelquefois aussi

1/ ESPRIT FRAPPEUR DE TEDWORTH. 385

ils sentaient un poids très-lourd sur leurs pieds. Vers la fin de décembre 1661, le bruit du tambour devint plus rare; mais on entendit à la place un bruit comme si quelqu'un eût compté de l'argent, ce que Ion attribua à une parole de la mère de Mompesson. La veille, en effet, celle-ci, par- lant avec un de ses voisins des fées et de lor qu'elles avaient coutume de laisser après elles, avait ajouté qu'il serait bien juste qu'elles en fissent autant cette fois pour les dédomma- ger de tous les ennuis quelles leur avaient causés. Après cela le bruit devint moins fort et moins à charge, et l'es- prit se contenta de quelques espiègleries. Le jour de Noël, avant l'aurore, comme un des enfants se levait, on lui jeta au talon le loquet de la porte , quoiqu'il fût attaché avec une pointe tellement fine qu'il était très -diffi- cile de la tirer. La nuit après Noël, les vêtements de M""* Mompesson furent traînés autour de la chambre, et sa Bible cachée dans la cendre. Les tours de ce genre se répétaient souvent. Plus tard, l'esprit tour- menta d'une manière très - pénible un des domestiques de Mompesson, nommé Jean. C'était un garçon vi- goureux et intelligent. Plusieurs nuits de suite l'esprit chercha lui ôter ses couvertures pendant qu'il était au lit, et il y réussit quelquefois, quoiqu'il les retînt avec force. On lui jetait ses souliers à la tête ; d'autres fois il lui semblait qu'on lui liait les mains et les pieds. Il avait re- marqué cependant que, lorsqu'il pouvait faire usage de son épée et en frapper autour de lui, l'être invisible qui le te- nait s'en allait. Bientôt après, le ûls de Th. Bennet vint à la maison, et raconta à Mompesson quelques paroles qu'a- vait dites le tambour dont il a été parle plus haut, et qui avait travaQlé comme journalier chez son père. Il paraît

ir

386 l'esprit frappeur de tedworth.

que Tesprit en fut très-mécontent;, car à peine furent-ils au lit que le tambour commença à battre ;, de sorte que rëtrangér se releva, et réveilla son domestique ;, qui dor- mait avec Jean. Dès que celui-ci fut seul , il entendit du bruit dans la cbambre, et vit se diriger vers son lit quelque chose qui était revêtu de soie. Il prit son épée, mais sentit comme une force qui la retenait. 11 fut obligé de faire un effort pour s'en rendre maître, et le fantôme sortit à l'in- stant. Il avait déjà remarqué que les armes lui faisaieiU peur.

Au commencement de janvier 1662, on entendit quel- que chose qui chantait dans la cheminée et descendait en- suite. On aperçut aussi une nuit des lumières dans la maison. Une d'elles vint dans la chambre couchait Mompesson. La flamme paraissait bleue et brillante, et produisait une certaine fixité dans les yeux de ceux qui la regardaient. Après la lumière , on entendit quelqu'un monter sans souliers dans les escaliers. La lumière parut encore quatre ou cinq fois dans la chambre des enfants , et les servantes assurèrent que la porte en avait été fer- mée et ouverte au moins dix fois devant leurs yeux, et qu"à chaque fois il leur avait semblé que cinq ou six hommes entraient, que quelques-uns faisaient le tour de la chambre , et que parmi eux se trouvait une personne qui faisait du bruit comme avec de la soie. Pendant que l'esprit frappait fort, en présence d'un grand nombre de gens, un des assistants lui cria : « Satan , si c'est de toi que se sert celui qui tambourine, frappe trois coups, et pas davantage, w Les trois coups eurent lieu , et l'on n'en- tendit plus rien. L'homme frappa ensuite lui-même, pour voir s'il n'obtiendrait pas de réponse comme d'habitude;

l'esprit frappeur de TEmVORTH. 387

mais l'esprit garda le silence. Pour s'assurer davantage de la chose, il dit à l'esprit de frapper cinq fois si c'était lui qui tambourinait, et de se taire tout le reste de la nuit. Il en fut ainsi en effet. Ceci arriva en présence de Th. Cham- perlam , du comté d'Oxfort, et de plusieurs autres témoins. Le samedi malin, 10 janvier, une heure avant le jour, on tambourina devant la porte de la chambre de Mompes- son. Puis le bruit passa à l'autre bout de la maison, devant la porte des étrangers qui y dormaient. On y joua quatre ou cinq marches militaires, après quoi le bruit se dissipa. Une nuit que le forgeron du village était couché avec Jean , ils entendirent tous les deux un bruit, comme si l'on eût ferré un cheval, puis quelqu'un sembla prendre avec une pince le nez du forgeron. Un matin , Mompesson entendit un grand bruit dans la chambre qui était au-des- sous de lui et dormaient les enfants. 11 descendit vite un pistolet à la main , et comme il entrait il entendit une voix qui criait : « Une sorcière, une sorcière! » Puis tout resta tranquille. Une nuit, l'esprit, après avoir hanté le lit de Mompesson, se dirigea vers un autre était sa fille ; et pas- sant par-dessous, d'un côté à l'autre du lit, il l'enlevait à chaque fois, et l'on entendait dans le lit trois sortes de bruits. On chercha à atteindre l'esprit avec une épée, mais il évita le coup en se cachant sous l'enfant. La nuit suivante , il re- vint haletant comme un chien essoufflé. Quelqu'un essaya de le frapper avec une tringle de lit, mais on la lui arracha des mains, et on la jeta par terre. Plusieurs personnes étant venues, la chambre se remplit d'une odeur de fleurs très- désagréable, et devint très-chaude, quoiqu'elle n'eût pas été chaufîée et que l'on fût en plein hiver. L'esprit continua une heure de temps encore de haleter et de gratter, et se

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retira ensuite dans une chambre voisine;, il frappa un peu, et lit entendre comme un bruit de chaînes. Ceci se ré- péta deux ou trois nuits de suite. Bientôt après, la Bible de M""^ Mompesson fut trouvée dans la cendre ;, les pages en bas^ ouverte au troisième chapitre de saint Marc^ il est parlé des esprits impurs qui se prosternèrent de- vant le Sauveur, et de la puissance donnée aux apôtres de chasser les démons. La nuit suivante^ on répandit de la cendre dans la chambre , et le matin on trouva dans un endroit l'empreinte d'une forte griffe, dans un autre celle d'une griffe plus petite, et dans un troisième endroit quel- ques lettres qui ne signifiaient rien et dans lesquelles on ne vit qu"un griffonnage inexplicable.

C'est vers ce temps que Glanvil arriva pour étudier les faits extraordinaires dont il avait entendu parler. Le tam- bourinage et les grands bruits avaientxléjà cessé; mais les voisins lui confirmèrent une grande partie des choses qu'il avait apprises et dont ils avaient été témoins. A cette époque, c'était aux enfants qu'en voulait l'esprit, et il commençait à les tourmenter du moment ils étaient au lit. Le soir de son arrivée, vers huit heures, la chose re- commença comme de coutume, et une servante descendit aussitôt pour l'annoncer à Glanvil. Celui-ci, accompagné de Hill, son ami, qui était venu ave.c lui, et de Mompesson lui-même, monta dans la chambre. Comme ils étaient en- core sur l'escalier, ils entendirent un grattement singu- lier, et, une fois qu'ils furent dans la chambre, Glanvil s'assura que le bruit se faisait derrière l'oreiller des enfants et contre la taie : il ressemblait à celui que ferait un homme en grattant avec ses ongles. Il y avait dans le lit deux petites filles de sept à huit ans., bien tranquilles:

l'esprit frappeur de tedworth. 389

leurs mains étaient iiorsde la couverture, et le grattement sous leurs têtes ne pouvait venir d'elles. Elles e'taient telle- ment accoutumées à ces sortes de choses qu'elles n'en paraissaient pas très-effrayées. Elles avaient d'ailleurs tou- jours quelqu'un près d'elles. « Me tenant à la tête du lit, dit Glanvil, je passai la main sous l'oreiller, à l'endroit l'on grattait. Mais dès que j'y avais la main le bruit passait k un autre endroit du lit, puis revenait à la première place dès que la main n'y était plus. On m'avait dit que l'esprit imitait les bruits qu'on faisait. .Je voulus voir si c'était vrai; je grattai donc contre le bois du lit cinq fois, sept fois et dix fois de suite, et à chaque fois l'esprit répéta le même nombre de coups. Je cherchai avec soin sous le lit et der- rière, j'ôtai toute la garniture jusqu'aux sangles; j'exami- nai le mur derrière le lit; bref, je fis tout pour découvrir s'il n'y avait point quelque supercherie. Mon ami en fit autant de son côté, mais nous ne pûmes rien trouver; de sorte que je fus alors convaincu, comme je le suis encore aujourd'hui, que le bruit venait d'un esprit ou d'un dé- mon. Après une demi-heure environ , l'esprit passa au mi- lieu du lit sous les enfants, et se mit à haleter comme un chien essoufflé. Je mis ma main à l'endroit, et je sentis le lit frapper ma main comme si quelque chose le soulevait du dedans. Je saisis les plumes pourvoir s'il n'y avait point quelque chose de vivant; puis je regardai partout dans la chambre s'il 'n'y avait point de chien ou de chat ; les autres en firent autant, mais nous ne trouvâmes rien. Le mouvement que faisait l'esprit en haletant était si fort, que les fenêtres en tremblaient visiblement. Ceci dura une demi-heure en notre présence, et plus longtemps encore après notre départ. Pendant que l'esprit haletait ainsi, je

390 l'esprit frappeur de tedworth.

vis se remuer dans un sac qui était près d'un autre lit quelque chose que je pris pour une souris ou un rat. J'al- lai, -je pris le sac par un bout avec une main, et de l'autre je tàtai jusqu'à l'autre bout sans rien trouver. Il n'y avait personne dans la chambre qui eût pu produire ce mouvement, car il paraissait venir de l'intérieur du sac. »

Pendant tout ce temps Glanvil n'eut pas un moment de peur. Comme il dormait la nuit dans une chambre avec son ami, il fut éveillé avant le jour par le bruit de quelqu'un qui frappait très-fort devant sa porte, et il réveilla son com- pagnon. 11 adressa plusieurs questions à l'esprit; mais ce- lui-ci continua de frapper sans lien répondre, « Au nom de Dieu, dit Glanvil, qui es -tu? et que veux -tu? Je ne veux rien , » répondit une voix. Tous les deux crurent que c'était un domestique de la maison, et se rendormirent. Mais lorsqu'ils racontèrent le matin au maître de la mai- son ce qui était arrivé, celui-ci leur dit que personne de la famille ne dormait là, ou n'avait eu quelque chose à faire en cet endroit, et que ses gens ne venaient que quand il les appelait , ce qu'il ne faisait jamais avant le jour. Ses gens confirmèrent son dire, assurant que ce n'étaient pas eux qui avaient fait le bruit. Le matin, son domestique vint lui an- noncer que le cheval qu'il avait monté était tout en nage, comme s'il avait marché toute la nuit. Ils se rendirent à l'é- curie, et trouvèrent que la chose était ainsi. Ils s'assurèrent que ce cheval, qui du reste s'était toujours bien porté de- puis longtemps, avait été soigné convenablement par le palefrenier. Celui-ci ayant plus tard fait avec lui un ou deux milles de chemin dans une plaine , le cheval devint boi- teux ; et une autre fois, après avoir ramené péniblement

l'esprit FRAPrLUP. DE TEDWORTH. 391

<on iiiailre à la maison , il tomba malade le second ou le troisième jour, sans qu'on pût savoir ce qu'il avait.

Tn jour Mompesson, ayant aperçu quelques morceaux de bois remuer dans la cheminée, tira un coup de pistolet _, après quoi on vit quelques gouttes de sang au foyer eldans l'escalier. Le calme revint dans la maison pour deux ou trois nuits; mais l'esprit reparut ensuite et se mit à tour- menter un petit enfant, de telle manière qu'il ne pouvait dormir tranquille deux nuits de suite. L'esprit ne pouvait souffrir aucune lumière dans la chambre, mais il les em- portait dans la cheminée ou les jetait sous le lit. Le pauvre enfant avait tellement peur qu'il fallait des heures en- tières pour le rassurer; et l'on fut obligé de l'emporter une seconde fois avec les autres hors de la maison. La nuit sui- vante, vers minuit, l'esprit monta l'escalier, frappa à la porte de Mompesson , puis alla trouver son domestique , et lui apparut au pied de son lit. Celui-ci ne put distinguer exactement sa forme : il crut voir cependant une grande figure avec deux yeux rouges et étincelants, qui le regar- dèrent fixement, et disparurent ensuite. Une autre nuit, en présence de plusieurs étrangers, l'esprit se mit à filer comme un chat dans le lit des enfants; en même temps la garniture du lit et les enfants eux - mêmes furent soulevés avec une telle force, que six hommes ne pouvaient les ar- rêter. On emporta donc les enfants atin de défaire le lit; mais à peine les avait- on mis dans un autre lit que celui- ci fut secoué plus encore que le premier. Ceci dura qua- tre heures. Les jambes des enfants étaient poussées si fort contre les colonnes du lit qu'ils furent obligés de se lever et de rester debout toute la nuit. L'esprit se mit à verser les vases de nuit dans les liis et à y jeter de la cendre. 11 mit

392 LESPRIT FRAPPEUR DE TEDWORTH.

dans le lit de Mompesson une longue fourchette de fer, et dans celui de sa mère un couteau dont le tranchant était par dehors. Il remplit les plats de cendre^ jeta de côté et d'autre tous les objets j, et le bruit continua ainsi sans interrup- tion. Au commencement d'avril 1633^ un étranger étant venu dans la maison passer quelque temps^ tout son argent lui fut noirci dans sa poche^ et Mompesson trouva un matin dans son écurie son cheval étendu par terre avec une de ses jambes de derrière si bien encalée dans sa bouche que plusieurs hommes eurent beaucoup de peine à l'ôter avec un levier. Il se passa beaucoup d'autres choses remarqua- bles encore; mais le récit de Glanvil ne va pas plus loin. Mompesson ne lui écrivit qu'une fois depuis^ pour lui an- noncer que la maison avait été inquiétée plusieurs nuits de suite par sept ou huit figures de forme humaine^, mais qui toutes s'étaient sauvées dans le jardin dès qu'on avait tiré un coup de pistolet.

Cependant le tambourineur dont nous avons parlé fut traduit devant les assises de Salisbury. Il avait été d'abord mis dans les prisons de Gloucester pour vol. un homme du comté de \Nilts étant allé le voir, il lui demanda ce qu'il y avait de nouveau dans le pays. Le visiteur répondit qu'il ne savait rien, a N'avez -vous pas entendu parler, dit le prisonnier, du tambour que l'on entend dans la maison de ce monsieur de Tedworth? Certainement, dit l'autre. Eh bien ! c'est moi qui le tourmente ainsi, et il n'aura de repos qu'après m' avoir donné satisfaction du tort qu'il m'a fait en me prenant mon tambour. » Il fut traduit comme magicien devant les assises de Sarum. Tous les faits cités plus haut furent attestés avec serment par le curé de la paroisse et plusieurs habitants des plus distingués de

l" ESPRIT FRAPPEUR DE TEDWORTH. 393

reiidroit, qui en avaient été témoins de temps en teDips pendant plusieurs années; et le drôle fut condamné au bannissement. II fut embarqué; mais il échappa^ on ne sait comment, profitant, dit -on, d'une tempête et de l'effroi des marins. Il est remarquable que pendant le temps qu'il fut absent et en prison tout fut tranquille dans la maison, mais que le bruit recommença dès qu'il fut échappé. Il avait servi sous Cromw ell, et parlait souvent de livres qu'il avait reçus d'un vieillard qui passait pour magicien.

Cette affaire, on le pense bien, tit grand bruit et excita, comme il arrive toujours en pareil cas, de grandes con- tradictions. Ceux qui connaissaient Mompesson ne pou- vaient douter de sa véracité. Son témoignage ne pouvait être récusé, car il possédait toutes les qualités d'un bon témoin. Les choses s'étaient passées dans sa maison, non pas deux ou trois fois, mais plus de cent fois, pendant trois années de suite, et il les avait observées avec la plus grande attention. 11 n'avait pu être trompé par un de ses domes- tiques, et Timposture , si elle avait eu lieu, n'aurait pu manquer pendant un si long temps de se trahir à la tin. Attribuer toute l'affaire à une disposition mélancolique de Mompesson est tout aussi impossible; car il faudrait sup- poser qu'il avait communiqué ses dispositions à toute sa famille. Il n'est pas plus raisonnable de supposer qu'il ait connu la supercherie. Sa réputation, sa fortune, l'état de ses affaires , la paix de sa maison , tout souffrait de ces événements extraordinaires. Ceux qui étaient incrédules le regardaient comme un imposteur; les autres voyaient dans cette calamité un jugement de Dieu, qui voulait punir en lui quelque crime secret. Sa fortune souffrait de ce concours immense de peuple qui accourait de partout chez

394 l'esprit frappeur de TED^VORTH.

lui. Ses affaires étaient arrêtées^ ses domestiques décou- ragés^ de sorte qu'à la fin il pouvait à peine en trouver pour le servir^, sans parler de l'émotion continuelle de sa famille^ de l'obligation de transporter sans cesse les en- fants d'une chambre ou d'une maison à l'autre et des bruits qui duraient pendant des nuits entières. 11 était impossible de supposer qu'il se fût incommodé lui-même pendant si longtemps, uniquement pour le plaisir de tromper et de faire parler de lui. Comment d'ailleurs, parmi les hommes toujours si nombreux qui ne croient point à ces sortes de choses et qui étaient venus avec l'in- tention de découvrir l'imposture, ne s'en est-il pas trouvé un seul qui ait trouvé la véritable cause de ces événements, d'autant plus que tous avaient la plus grande hberté sous ce rapport , et pouvaient fouiller tous les coins de la mai- son? Bien loin de là, plusieurs s'en retournèrent avec des idées bien différentes de celles qu'ils avaient apportées.

La nouvelle de ce qui se passait dans leWiltshire parvint bientôt à la cour, et le roi Charles II envoya plusieurs personnes pour examiner la chose de plus près. Or il n'y eut rien pendant la nuit que les envoyés du roi passèrent dans la maison. Dès lors tout fut fini. Comme cet Espagnol qui, n'ayant point vu le soleil pendant les vingt jours qu'il avait passés en Angleterre, en conclut qu'il n'y avait point de soleil dans le pays, on dit aussi que, les seigneurs de la cour n'ayant rien remarqué dans la maison pendant la nuit qu'ils y avaient passée, il n'y avait rien de réel dans tout ce qu'on avait publié; et devant ce témoignage négatif tous les témoignages positifs devaient se taire. Glanvil avait publié ce qui s'était passé dans les trois premières éditions de son livre sans trouver de contradicteurs. 11

L ESPRIT FRAPPEUR DE TEDWORTH. 39o

lui arriva désormais de tous côtés que Ton savait bien qu'il n'y avait rien de vrai dans toute cette affaire, que lui Glanvil et Mompesson avaient avoué eux-mêmes que toute cette histoire n'était qu'une invention et une duperie. On accourut de toute part chez Glanvil pour lui demander s'il avait fait sérieusement cet aveu ; et il se fit bientôt autant de bruit dans sa maison , par tout ce concours de gens , qu'il s'en était fait dans celle de Mompesson; de sorte que, fatigué de toutes ces questions, il se décida enfin à donner une seconde édition de son ouvrage. Cependant, comme il tarda quelque temps encore à la publier, cet aveu prétendu de sa part prit consistance et devint un fait acquis. Glanvil , de son côté, travaillait à sa nouvelle édition lorsqu'il fut surpris par la mort, en 1(380; mais elle ne fut publiée que plus tard, et contenait dans l'introduction une lettre que Mompesson avait écrite le 8 novembre 167 2, oii il disait entre autres choses : « On m'a souvent demandé si je n'avais pas avoué à Sa Majesté, ou à quelque autre, que tout ce qui s'était passé chez moi n'avait été qu'une duperie. J'ai répondu, comme je le ferais encore sur mon lit de mort, que je serais un imposteur et un parjure si j'admettais une supercherie il n'a pu y en avoir aucune, comme je l'ai affirmé par serment devant les assises, avec le curé du lieu et deux témoins honorables. Si le monde refuse de croire à ce que je dis, ceci ne me regarde pas; mais je prie Dieu de me délivrer à l'avenir de ce malheur ou d'autres semblables.» On se tut, et l'on chercha à ensevelir le plus possible la chose dans l'oubh. C'est ainsi qu'on agissait alors dans ces sortes d'affaires; c'est ainsi qu'on a continué d'agir pendant tout le xvni'^ siècle, et encore aujourd'hui on ne sait pas faire autre chose.

396 LES ESPRITS FRAPPEURS.

CHAPITRE XXII

1

l/espiit frappeur deWesley; celui du château de Hudmiihlen, de Dre- pano, celui de Stratford-Bow, celui d'André Welz àDottingen, celui de Callo à Mélita, celui de Saint-\ork, celui de la cure de Groben, etc.

L esprit Aux faits que nous venons de raconter nous en ajou-

ippeur VVesle\

ppeur (le jgj.Qj^g plusieurs autres du même genre ^ qui montreront

comment les esprits frappeurs ont la faculté de connaître les pensées de l'homme et d'entrer dans ses vues. Au com- mencement du siècle précédent , un esprit de cette sorte hanta la maison paternelle de Wesley, fondateur de la secte des Méthodistes. Cette maison était située à Epworth, dans le Lincolnshire, le père de Wesley était alors se- nior; et le bruit commença le l^"" décembre 1716, par des gémissements devant la porte de la salle à manger, et dura jusqu'au 27 janvier 17 17; de sorte qu'on eut tout le temps de bien étudier cette affaire. Tous les membres de la famille étaient sans peur et sans préjugés. Ils firent tout ce qu'on peut faire en pareil cas pour découvrir l'erreur ou la supercherie; et Samuel, fils du senior, homme sincère- ment religieux, comme on le sait, nous a conservé les ré- sultatsde l'enquête tels qu'il les avait trouvés dans le jour- nal de son père, dans les lettres de sa mère , de ses frères et sœurs. Cette histoire réunit donc tous les signes d'une authenticité parfaite. La famille de Weslay pria le père d'adresser la parole à l'esprit qui les tourmentait. Un soir donc, vers six heures, il entra dans la chambre des enfants, il entendait des gémissements et des coups. Il conjura l'esprit de parler, s'il en avait le pouvoir, et de lui dire pourquoi il hantait ainsi sa maison. L'esprit ne répondit

LES ESPRITS FRAPPEURS. 397

pas, mai? frappa trois coups, selon sa coutume. W'esley prononça un nom, et lui dit que, si c'était le sien , il eût à frapper, dans le cas il ne pourrait parler. Mais l'esprit ne frappa plus tout le reste de la nuit. W'esley répéta plu- sieurs fois la même chose plus tard, suivant l'esprit de chambre en chambre, de jour et de nuit, avec ou sans lu- mière, et lui adressant la parole quand il le sentait appro- cher. Mais il n'entendit jamais une voix articulée. Vne ou deux fois seulement, il entendit deux ou trois sons très- faibles, un peu plus distincts que le sifflement d'un oiseau, mais très-ditTérents du bruit que font les rats. Une fois, comme il était dans la cuisine et qu'il frappait avec un bâton les poutres du plancher, l'esprit lui répondit en frappant à chaque fois aussi fort que lui. W'esley fit alors ce qu'il avait coutume de faire en entrant dans une chambre : il frappa, d'après une série régulière, i-2, 3, 4, 0, 6-7 coups. L'esprit parut être embarrassé, et ne ré- pondit point de la même manière. Il était remarquable que lorsque la famille était réunie autour de W'esley pour prier, et que celui-ci était arrivé à la prière pour le roi et son héritier, l'esprit frappait très-fort au-dessus de leurs têtes, et que ce bruit se répétait quand ils répétaient la prière,, tandis qu'il n'avait point lieu quand on l'omeltait, de sorte que les enfants disaient qu^il était Jacobite.

Si nous pouvons ajouter une foi entière au récit que le l esprit d( curé Feldmann nous a laissé sur l'esprit familier qui de- "^^^^^ ' meura de 1584 à 1588 dans l'ancien château de Hude- mûhlen,dans le Lunebourg, ce dernier parlait bien plus volontiers que celui de W'esley. ]l avait commencé aussi par faire du tapage, puis il s'était mis à parler en plein jour avec les domestiques, qui d'abord en avaient été très- ni. 12

\

398 LES ESPRITS FRAPPEURS.

effrayés, mais qui plus tard s'étaient accoutumés à lui. 11 se mit ensuite à parler en présence même du maître de la maison , aux repas de midi et du soir, avec les personnes présentes;, aussi bien les étrangers que les autres. 11 riait, jouait toute sorte de tours, faisait des vers, chantait des cantiques. C'est ainsi qu'il chanta une fois à la Pentecôte un cantique au Saint-Esprit d'une voix très-hante et assez agréable, qui ressemblait à celle d'une jeune fille ou d'un jeune garçon. Il disait qu'il était chrétien comme un autre, qu'il espérait bien aller au ciel; qu'il n'avait rien de commun avec les lutins; que ceux-ci étaient les fantômes du diable. Comme on lui disait un jour que, s'il était un bon chrétien, il devait prier Dieu, il se mit à réciter le Fater. Mais quand il fut arrivé à ces paroles : « Délivrez- nous du mal, » il les prononça tout doucement. Il balbu- tiait aussi beaucoup en récitant le Credo, et prononçait d'une voix enrouée et très-peu distincte ces paroles : a Je crois à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair et à la vie éternelle, w L esprit de 11 y avait aussi vers le même temps, en 1 585, à Drepano, chez les habitants de ce lieu, un esprit familier qui par- lait avec les gens de la maison, et leur faisait des niches. Il jetait des pierres, mais sans faire de mal; il lançait en l'air les ustensiles du ménage sans les briser. Cependant une fois, comme un jeune homme jouait d'un instrument à corde, il l'accompagna en chantant des chansons scan- daleuses. Le maître de la maison étant allé avec sa femme dans une i.utre ville, l'esprit les y accompagna; et comme ils revenaient à la maison, trempés de pluie, il les pré- céda, et avertit avec de grands cris les gens d'allumer du feu, en leur disant que le maître arrivait trempé de pluie

LES ESPRITS FRAPPEURS. ^^99

jusqu'aux os. Mais celui-ci prit très-mal la chose, et le menaça de faire venir un père jésuite pour le chasser de la maison. Là-dessus l'esprit se mit à faire beaucoup de tapage et de menaces, et dit que, tant que le père jésuite resterait dans la maison, il se cacherait. Malgré cela, l'homme alla trouver le père, et lui raconta toute l'affaire, en implorant son secours. Celui-ci ne crut pas devoir aller lui-môme dans la maison, à cause du bruit que cela pour- rait faire; mais il l'exhorta à se purifier, lui et sa famille , par les sacrements de pénitence et d'eucharistie. Il leur défendit en même temps de parler avec l'esprit, et de lui demander des choses cachées, en leur disant qu'ils devaient bien plutôt regarder tout ce qu'il disait comme des men- songes. Il donna au père un agnus dei pour le suspendre au cou de sa tille, qui était plus inquiétée que les autres. Us tirent ce qu'il leur avait conseillé , et furent délivrés. fDelrio, 1. \I, c. 2.)

Lorsque l'esprit qui hantait la maison de Wesley com- mença son tapage , les parents n'avaient point voulu croire au récit de leurs enfants à ce sujet; et la mère en particulier avait attribué tout ce bruit à des souris ou à des rats, qui les avaient déjà troublés auparavant , et qu'elle avait chassés alors avec le bruit d'une corne. Elle eut donc recours de nouveau à l'instrument dont les sons avaient si bien réussi; mais cette fois il ne produisit aucun effet; à partir de cette même nuit, au contraire, le bruit devint beaucoup plus considérable, et la nuit et le jour, et elle se convainquit qu'il ne pouvait provenir d'aucun homme, tant il était extraordinaire. 11 était manifeste, comme le dit une des filles de ^Vesley, que le grand inconnu était blessé de l'interprétation que l'on donnait à son langage

400 LES ESPRITS FRAPPEURS.

inexpliquable, et voulait montrer à toutes les personnes \

de la maison qu'elles n"y entendaient rien. La même chose

est arrivée souvent ailleurs , mais surtout dans le fait qui

s'est passé à quatre milles de Londres, près de Stratford-

Bow, au commencement du siècle précédent, et qui nous

est rapporté par Glanvil. Le docteur Gibbs, prébendier de

L'esprit de Westminster, homme calme et intelligent, passant par cet Stratford- ^ -, ,i , , , , , ^

gjj^y endroit en allant de Londres a Essex, se rendit sur la

demande d'un ami dans une maison hantée par des esprits. Il ne s'y était passé encore rien de très-extraordi- naire, si ce n'est qu'une jeune fille avait senti Faltouche- ment d'une main froide et était morte peu de temps après. Mais comme le docteur revenait de son voyage quelques semaines plus tard, et passait par le même endroit, il trouva la maîtresse de la maison à la porte, et elle lui ra- conta que depuis qu'elle l'avait vu ils avaient eu beaucoup à souffrir; de sorte qu'ils avaient été contraints de se loger au rez-de-chaussée. Comme il ne croyait point aux choses de ce genre, il put à peine s'empêcher de rire de ce qu'elle lui disait. Mais pendant qu'il parlait encore avec elle, une fenêtre des appartements supérieurs s'ouvrit tout à coup, et Ton aperçut voler en lair un morceau de vieille roue, après quoi la fenêtre se referma. Elle se rouvrit au bout de quelques instants, et il en sortit cette fois un morceau de tuile. Le docteur impatienté sentit un vif désir d'étu- dier la chose de plus près et de prendre sur le fait le drôle qui s'était permis de lui jouer ce tour. Il offrit donc d'en- trer dans la chambre, si on voulait l'y conduire; mais comme personne dans la maison n'osait le faire, il se dé- cida à monter seul. Comme il entrait dans la chambre, il trouva jetés pêle-mêle sur le plancher les sièges, les bancs,

LES ESPRITS FRAPPEURS, 401

les flambeaux, les lits, etc.; mais il ne vit personne. Comme il réfléchissait sur ce que cela pouvait être, il voit un lit se remuer et tourner en cercle pendant quelque temps, puis se poser doucement à terre. Surpris à ce spectacle, il attend^uelques minutes ; et dès que le lit ne remue plus, il s'avance, le soulève, et regarde attentivement si on n'y a point attaché quelque fil très-mince ou même un cheveu , ou s'il n'y trouvera point un trou ou une cheville qui au- rait pu servir à y fixer queique chose. Il examine avec la même attention s'il n'y avait point au plafond de fil ni de trou; mais il s'assure après une inspection très-exacte qu'il n'y a rien de tout cela. 11 va du coté de la fenêtre, et at- tend là quelques instants. 11 voit un autre lit se lever de lui-même en l'air, et faire mine de marcher sur lui. Il commence à croire qu'il y a -dessous plus qu'il n'avait conjecturé d'abord. 11 se relire promptement vers la porte, sort, et la ferme après lui pour plus de sûreté. A peine est -il sorti que la porte s'ouvre de nouveau, et il voit les bancs, les flambeaux, les lits, les sièges se lancer après lui, comme si on en voulait à sa vie; mais aucun de ces objets cependant ne le blessa. Il vit bien alors que ce n'était pas sans motif que la maîtresse de la maison avait peur. Lorsqu'il fut en bas, et pendant qu'il parlait avec d'autres de cette affaire, une pipe fut jetée de la table contre le mur, et brisée. Les habitants de la maison furent obligés de la quitter plus tard tout à fait. Glanvil, qui rapporte cette histoire, la tenait de Henri More, à qui le docteur Gibbs l'a- vait racontée lui-même.

Si les esprits frappeurs voient ainsi et entendent ce que les hommes font ou disent, ils peuvent aussi quelquefois se faire voir et entendre de ces derniers. Lu famille de

402 LES ESPRITS FRAPPEURS.

Wesley avait entendu plusieurs fois l'esprit qui hantait la maison marcher comme un homme vêtu d'une robe de chambre' très-large. 11 se montra enfm à la mère. Elle en- tendit un jour frapper dans la chambre des enfants sous un lit. Comme elle regardait pour voir ce que c'était», il lui sembla que quelque chose courait et s'en allait; mais elle ne put décrire exactement la forme de l'objet; il lui sembla pourtant qu'il ressemblait à un chien basset. Une autre fois le domestique était assis seul en bas à la cuisine , au- près du feu. Il vit sortir du trou était la cendre et cou- rir autour de la cuisine quelque chose qui ressemblait à un lapin, mais plus petit encore, dont les oreilles étaient rabattues sur le cou et la queue relevée. 11 courut après lui avec les pinces; mais comme il ne put le trouver, il eut peur et sortit de la cuisine. L'esprit de Hudemûlhen se montra une fois aussi sous la forme d'un serpent enroulé, une autre fois comme un enfant de trois ans, ayant deux couteaux en forme de croix dans le cœur. 11 jouait avec les enfants sous la forme d'un petit enfant ayant des che- veux blonds et une robe de velours rouge; une autre fois il tendit une main d'enfant au maître du château, qui l'a- vait souvent prié de se faire voir; une autre fois enfin, il lui apparut comme une tête de mort.

Ramond, comte de Corasse, dans les Pyrénées, avait, d'après Froissard, un esprit familier nommé Orton, qui le visitait le soir et à minuit et causait avec lui, ce qui ef- frayait grandement sa femme. Le comte le pria souvent de se montrer. Après un long refus, il lui apparut enfm sous la forme de deux épis qui paraissaient s'entrelacer. Le comte en colère l'ayant grondé, il se présenta à lui un matin sous la forme d'un porc très-grand, mais aussi très-

LES ESPKirS FRAPPEUR?. ÎOij

maigre. Le comte lança ses chiens sur lui, el Ortou ne re- vint plus. L"an 1689, vers la Saint-Jacques, un esprit fa- milier sannonça chez André >Velz, à Dœttingen, dans les p^^j'JJJÎjJj® domaines du comte de Hohenlohe. Il jouait toute espèce de tours. Dans les commencements il était invisible; une lois pourtant il se montra sous la forme dun oiseau gris ({ui volait dans la chambre. Bientôt les enfants préten- dirent qu'ils le voyaient sous toute espèce de forme, avec une tète de chien, tantôt debout, tantôt marchant à quatre pattes. Plus tard il prit la forme d'une femme avec un ju- pon gris et une robe noire et courte ; le visage tantôt voilé, tantôt découvert ; et il paraissait alors laid, vieux, ridé et menaçant; mais les enfants n'avaient point peur de lui. Tantôt, lorsqu'une des filles voulait boire, il lui apparais- sait du fond du pot sous la forme d'un chat; tantôt il se jetait du haut du toit, il disparaissait dans l'air; tantôt il se rapetissait jusqu'à la forme d'un œuf de poule. Un nommé François, qui servait chez le comte, a puisé ce récit dans les actes et l'enquête faite par les magistrats du lieu. L'esprit frappeur du couvent de Maulbrunn, dont les feuilles de Prevorst ont parlé dernièrement, apparut aux soldats qui le poursuivaient sous la forme d'un chat noir descendant les escaliers. Ceci rappelle les figures d'ani- maux sous lesquelles l'homme apparaît quelquefois dans la seconde vue. Ici c'est le caractère qui se reflète chez le voyant dans ses ditîérentes formes, tandis que les esprits familiers semblent prendre la forme qui répond le mieux à leur inchnation dominante, ce qui s'accorde très-bien d'ailleurs avec la nature de ces esprits intermédiaires, qui, placés sur la limite des deux règnes, se cachent volontiers sous une forme empruntée au règne inférieur.

404 LES ESPRITS FRAPPEURS.

Ordinairement les esprits familiers sont dans un rap- port particulier avec un des membres de la famille, soit par une "inclination naturelle , soit par l'effet de quelque contrainte; ou bien encore parce qu'ils ont besoin d'un rapport de ce genre pour se soutenir dans une région qui leur est étrangère. L'esprit frappeur qui hanta en 1665, pendant trois mois de suite, la maison de Goldner, mar- chand à Thorn, en voulait surtout à son fils âgé de treize ans. Il lui apparaissait sous la forme tantôt d'un bouc ou d'un chevreuil, tantôt d'un oiseau ou d'une autre bête, le jetait par terre et Tinquiétait de mille autres manières. (Zernaka, Chronique de Thorn.) esprit de L'esprit de W'esley en voulait principalement à l'une de ^^'*^ ses filles nommée Hetty. Il changeait de lieu avec elle, et c'était sous elle que se faisaient entendre le plus souvent les coups. Parmi les cas de ce genre, un des plus frappants est celui qui eut lieu à Malte, au commencement du xvm^ siècle. vivait V. Callo, canonnier, qui avait une fille de neuf ans, laquelle avait vu en songe pendant un mois des fantômes qui lui promettaient de grandes ri- chesses. Elle raconta à ses parents ce qui lui était arrivé, et leur décrivit les fantômes qui se présentaient à elle. Bientôt ils lui apparurent même le jour. Elle n'en vit qu'un d'abord, puis deux , puis davantage encore; et parmi eux elle reconnut des femmes qu'elle avait vues antérieure- ment dans ses songes. Ces fantômes se firent connaître à elle sous les noms de Jean, de Bernard, etc., et conti- nuèrent de lui promettre de grandes choses. Ils lui dirent que, si elle le voulait, elle et sa famille parviendraient aux honneurs, qu'ils les enrichircàent, et leur donneraient de l'or et des pierres précieuses qu'ils gardaient dans des

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LES ESPRITS FRAPPEURS. 405

giises cibandonnces. Spes, c'était le nom de Id jeune fille;, i.'iit la seule de la maison qui vît et entendît ces hôtes inguliers. Ils lui firent d'abord quelques petits présents en fruits, en argent et autres choses semblables, qu'elle recevait dans les commencements avec une certaine crainte. Mais elle devint plus hardie lorsqu'ils lui eurent dit qu'ils étaient des créatures de Dieu comme elle, qu'ils connaissaient des trésors cachés dans les églises de Sainte- Catherine de ïierba, de Sainte-Sophie et de Saint-André ; qu'il lui serait facile de les avoir, si elle voulait tuer dans l'une d'elles un coq blanc, porter du miel dans la seconde, et un poisson dans la troisième. Ceci dura environ deux ans. Ils lui apportèrent un jour des figues dans le mois de janvier. Elle les vit plusieurs fois manger à table comme elle; ils lui guérirent même une fois avec un onguent un ulcère qu'elle avait à la tète.

Comme il ne lui arrivait rien de mal, son père tolérait tout cela comme un jeu; il désirait seulement voir aussi ces esprits familiers, et dit à sa fille de leur demander qu'ils se fissent voir à lui. Ils répondirent qu'il ne pouvait les voir maintenant, mais qu'il le pourrait peut-être à l'heure de la mort. 11 y avait dans la maison un fils qui servait tous les jours comme clerc le prêtre à l'autel. C'é- tait le seul de la famille qu'ils ne pussent souffrir; et s'il ^enait pendant qu'ils parlaient avec la jeune fille, ils lui faisaient la moue, et disaient du mal de lui. Cette circon- stance donna des soupçons au père ; et comme d'ailleurs sa fille grandissait, il ne voulut pas souffrir plus longtemps ces visites équivoques. Il chargea donc son arme, et con- vint avec sa fille qu'elle l'avertirait par un signe lorsqu'ils viendraient parler avec elle sous l'arbre qui leur servait

4 OH LES ESPRITS FRAPPEURS.

de rendez-vous. Ils vinrent, mais courroucés cette fois et .-e plaignant des mauvaises dispositions du père à leur égard, quoiqu'ils n'eussent jamais fait que du bien a la famille j el ils lui montrèrent la clef de son arquebuse, qu'ils avaient emportée. Le père reconnut alors que c'é- taient des esprits; il raconta la chose au curé, qui bénit la maison. Pendant la cérémonie, la jeune fille entendit les esprits qui s'enfuyaient de l'étage supérieur dans le jardin, et qui l'appelaient par son nom en poussant des plaintes. On était arrivé à l'année 1603 , et la jeune fille avait onze ans. Or un père jésuite ayant été envoyé dans le canton pour y prêcher le carême, le père lui raconta tout ce qui s'était passé. Le bon religieux recommanda à la famille tout entière de se purifier par le sacrement de pénitence, et donna à la jeune fille une image de saint Ignace en lui disant de la présenter aux esprits quand ils reviendraient, en renonçant à eux pour toujours. Elle le promit, et eut le courage de le faire. Dès que les esprits virent l'image, ils entrèrent en fureur, vomirent force injures, suitout contre les jésuites, et se cachèrent dans les ténèbres. Ils se montrèrent cependant encore, non plus sous forme humaine, mais comme des monstres vomissant du feu; mais ils furent chassés de nouveau par l'image, et ne parurent plus pendant tout le temps que vécut la jeune fille. Elle fut malade au ht pendant un mois entier, par suite de la peur qu'elle avait eue, et la famille fut éprou- vée dans la suite par beaucoup de malheurs. [Gloria pos- fhuma S. Ignatii , part. III, p. 221.)

Les phénomènes qui accompagnent l'apparition de ces esprits frappeurs sont de plusieurs sortes. Ainsi, par exemple, le contrôleur des mines d'Olaus Borrichius, qui

LFS E<;PRITS> FRAPPEURS. 407

:\ ait chez lui des provisions considérables de blé^ de fruits t d'épiceries, parce qu'il demeurait loin de la ville ^ outes les fois qu'il assistait à l'église au service divni , ou ([u'il était aux mines^ trouvait à son retour le blé, l'orge, les pois , la moutarde par terre dans sa chambre, chaque chose à part, et formant des pyi-amides ou de petites tours si artistement faites et gardant si bien l'équilibre que tous ceux qui les regardaient en étaient dans l'admiration. Les voisins du contrôleur lui dn-ent que c'étaient les esprits souterrains des mines qui voulaient plaisanter, et lui an- noncer ainsi le bonheur qui l'attendait, ce que l'événe- ment justifia plus tard. \In Actis Medicis D. Thom. Bar- tholini, vol. 111, obs. fi8.) L'esprit frappeur de ^Yesley commençait ordinairement ses scènes par un bruit que NVesley comparait à celui que fait une meule de moulin qui tourne lorsque Je vent change tout à coup, mais que ses enfants comparaient à celui que fait de la ferraille que l'on remue. D'autres fois il semblait qu'un menuisier rabo- tait des planches. Puis l'esprit frappait trois coups une fois, deux fois, trois fois, et ainsi de suite pendant plusieurs heures. Tous les membres de la famille entendaient ces coups à la même place, tantôt dehors, à la porte du jardin , puis une demi-minute après au-dessus de leurs tètes. Les coups étaient forts et creux, et tels que personne ne pou- vait les imiter. Lorsqu'on visitait les chambres, le bruit se faisait entendre chaque fois dans celle qu'on venait de quitter, ouverte ou fermée. 11 imitait tantôt le bruit de la danse , tantôt le gloussement d'un dindon ; tantôt il sem- blait qu'on répandait une masse d'argent , tantôt qu'on jetait avec force du charbon par terre. Quelquefois les plats dansaient sur la table en présence de Wesley ; les portes

408 LE!> EïPBlTS FRAPPEURS.

5"ouvraient et se fermaient; et comme la clanche du loquet s" élevait et s'abaissait, une de ses filles voulut la tenir une fois par de"dans : mais elle s'abaissa malgré tous ses efforts^, et la porte frappa violemment contre elle, quoiqu'on ne vit personne dehors, \\esley lui-même se sentit pressé contre le coin de son secrétaire, ou bien contre une porte. Au reste les enfants tremblaient toujours dans le sommeil, avant de se réveiller, quand l'esprit était près d'eux. Un dogue que Wesley s'était procuré, précisément à cause de ces bruits, aboya très-fort la première nuit, mais se tut ensuite , et semblait avoir plus peur que les enfants. îsprit de Des bruits singuliers commencèrent à se faire entendre l'an 167 9, entre dix et onze heures du soir, chez sir^Yil- liam York, à Lessinghall, dans le Lincolnshire. On entendit d'abord un grand tapage au loquet de la porte extérieure ; de sorte que la maîtresse de la maison, dans l'absence de son mari, croyant que c'étaient des voleurs, fit sonner du cor vers la ville voisine, pour demander du secours. Le bruit dura jusqu'à ce que l'on fût venu au secours, mais on ne trouva personne. On n'entendit plus rien jusqu'au mois de mai de l'année suivante. Le vacarme recommença à cette époque sans qu'on pût jamais découvrir personne, lors même qu'on regardait par les fenêtres au clair de lune. Le bruit passa du dehors dans la maison. Un soir .es gens ayant entendu du bruit sous le vestibule , voulu- rent voir ce que c'était, et ils trouvèrent les sièges placés tous au milieu. Ils les remirent à leur place, et s'en allè- rent dans la cuisine ; mais le même biniit les rappela bien- tôt au même endroit, et ils trouvèrent tous les sièges dans le corridor qui allait de la cuisine au vestibule. C'était surtout à une porte qui s'ouvrait sous l'escalier que le

LES ESPRITS FRAPPEURS. ^0!^

bruit se faisait entendre le plus souvent. William ferma donc la porte, et prit la clef sur lui; mais le bruit con- tinua, même lorsque d'en haut il éclairait la porte. 11 l'en- tendit une fois comme il était à une coudée de distance de celle-ci : il l'ouvrit, visita le lieu avec le plus grand soin, mais ne trouva personne. A peine avait- il tourné le dos que le bruit recommença, pour passer de dans une chambre vide : il semblait qu'un homme y allait et venait; tantôt qu'il courait, tantôt qu'il marchait sur des échasses, et de plus il frappait de temps en temps cinq ou six coups au plafond. Le bruit devenait toujours plus fort, de sorte que la famille pensa à quitter la maison. AYilliam ayant sur les entrefaites fait venir des plombiers pour raccommoder les gouttières, l'esprit imita parfaitement le bruit que faisaient les ouvriers en frappant. U en fut de même pendant que les charpentiers taillaient du bois dans la cour; si bien que le patron déclara qu'il aurait cru que c'étaient ses ouvriers s'il n'avait su qu'ils étaient à la maison.

Un parent de William étant venu le voir, le tapage augmenta. L'esprit frappait si fort contre' la porte qui était sous sa chambre qu'il ne pouvait mieux le comparer qu'au bruit du bélier dont se servaient les Romains; et le charpentier déclara qu'aucun homme ne pouvait employer une telle force sans briser en morceaux les portes les plus solides : cependant aucune n'était endommagée. On enten- dait aussi tambouriner à la porte dans le vestibule , et le bruit changeait à la manière de ceux qui tambourinent. William ayant placé dans le vestibule une lumière sur un grand chandelier, le bruit continua lorsqu'il fut entré dans sa chambre avec tous les gens de la maison pour faire la prière du soir. Puis, lorsqu'il descendit, il trouva la bou-

410 LES ESPRITS FRAPPEUR?.

gie la mèche en bas et le chandelier jeté dans le corridor de la cuisine. 11 eut beau interpeller l'esprit j, celui-ci ne lui répondit point, et n'interrompit son jeu que pour le re- prei]dre à un autre endroit. La paix revint dans la maison, au bout de trois mois , lorsque ^Villiam fut forcé d'aller h Londres pour le parlement. Cette histoire réunit toutes les conditions d'une parfaite authenticité. Elle a été écrite par Wiche, qui habitait la même paroisse que NYilliam , et qui l'a envoyée, dans le temps même elle s'est passée, àRi- chardson, à Cambridge, lequel l'a adressée de son côté au docteur H. More. Celui-ci, après avoir pris les informa- tions les plus exactes auprès d'un témoin oculaire, l'a re- cueillie dans sa continuation de la collection de Glanvil. William York avait pris des précautions qui rendaient toute supercherie impossible, et il est évident qu'il y avait un agent invisible. Cette histoire a été publiée du vivant de tous les témoins, et ils étaient nombreux ; car il y avait vingt personnes dans la maison et autant de fermiers qui montaient la garde. Elle a donc toute la certitude d'un fait historique. esprit da Le presbytère de Grœben , après avoir été hanté long-

resbytere temps par un esprit frappeur, était redevenu tranquille Grœben.

pendant cinq semaines. Mais le curé ayant eu le malheur

de dire, le 2'J juillet 1718, devant ses moissonneurs, que c'étaient probablement de mauvais drôles qui lui avaient joué ce tour, le bruit recommença aussitôt. Ce qui parais- sait le plus extraordinaire au curé, c'est qu'il avait remar- qué en plein jour que des pierres étaient lancées sur le toit de l'écurie d'un endroit dans la cour il n'y en avait point auparavant, et que même plusieurs partaient du mur du presbytère vis-à-vis de l'écurie, et tombaient sur le toit,.

LtS KM'RITS FHAPPtLRJ. ï l I

quoiquon n'aperçût clans le mur ni trou ni ouverture. Ouelquefois aussi^ quand il regardait de sa chambre de tra- vail dans sa cour, des pierres lancées d'en bas passaient devant sa tête ; et même une fois, le 2 août, elles partirent de trois endroits en même temps. Ce qui n'était pas moins singulier, c'est que les pierres étaient sèches, même lors- qu'il pleuvait.

Un esprit de ce srenre hanta en 174G la maison du curé L esprit d'. ' presbyter*

de Walsch, dans la basse Alsace, comté de Dachsbourg. Il de

avait cela de particulier quil n'agissait jamais qu'en plein ^^ ^^ ' jour. Au commencement, des vitres furent brisées et d'au- trespierres lancées ensuite, avec une merveilleuse habileté, à travers les trous déjà faits. Le curé ayant béni sa maison, l'esprit ne fit plus rien aux fenêtres; mais il continua de jeter des pierres aux gens de la maison , sans toutefois les blesser. 11 paraissait surtout avoir pris la servante pour point de mire de ses maUces. Un jour qu'elle avait planté des légumes dans le jardin, il arracha tous les plants et en ht un tas. On trouva une fois la pioche enfoncée de deux pieds dans la terre. Une autre fois une corde et deux pièces d'argent qu'elle avait serrées la veille dans son tiroir furent trouvées dans un autre endroit. Elle avait beau gronder et menacer, l'esprit continuait toujours ses espiègleries. 11 portait dans la cour, ou même dans le cimetière , les plats de la cuisine, remplissait d'herbes, de son et de feuilles d'arbres un pot de fer et le suspendait au-dessus du feu. Un jour que la servante avait cassé deux œufs dans la poêle pour le curé, comme elle se détournait afin de prendre du sel, l'esprit cassa en sa présence deux autres œufs. Quel- quefois il dessinait des cercles sur le plancher avec des pierres, du blé ou des feuilles; puis, en un cUn d'œil, il

412 LES ESPRITS FRAPPEURS.

défaisait devant tous ceux qui étaient présents ce qu'il ve- nait de faire. Le curé, fatigué de toutes ses malices^ fit venir Tadministrateur du village, et lui déclara qu'il se voyait forcé d'aller demeurer ailleurs. Au même instant, on vint lui annoncer que l'esprit avaitarraché les légumes du jardin et y avait enfoui l'argent qu'il avaitlaissé dans sa chambre, ils se rendirent au jardin , et trouvèrent les choses telles qu'on les leur avait diles. Lorsqu'ils revinrent à la maison, ils trouvèrent l'argent dans la cuisine. Enfin, deux em- ployés du comte de Leiningen , étant venus à Walsch et ayant entendu parler de cette affaire, conseillèrent au curé de charger deux pistolets, et de les tirer du côté ii apercevrait ces sortes de mouvements singuliers. L'esprit jeta dans le sac de l'un de ces employés deux pièces d'ar- gent, et disparut pour toujours. Dom Calmet a consigné ce fait dans sa dissertation sur les revenants ; il le tenait du curé lui-même, homme respectable et tout à fait digne de foi.

L'an 1 o83, la maison d'un curé, non loin de Wurzburg, fut aussi hantée par un esprit frappeur. Les gens de la maison et les voisins rapportèrent que tous les ustensiles étaient jetés par terre avec force. Des flambeaux allumés , mis en grand nombre dans une chambre, furent tous éteints à la fois sans qu'il fit du vent. Les oreillers et les couettes étaient enlevés des lits pendant qu'on dormait. On serrait la gorge aux gens de la m.aison , de sorte qu'ils croyaient étouffer; à chaque instant ils voyaient et entendaient des choses épouvantables. Le curé, effrayé et ne sachant plus que faire, pria le rec'eur du collège des jésuites de lui envoyer un prêtre. Celui-ci se rendit le soir prudem- ment à la maison. Pendant qu'il y était, un plat fut

LES ESPRITS FRAPPEURS. 413

lancé a^ec une telle force contre le mur que les assistants faillirent mourir de peur. Il mit son étole, et passa dans une chambre haute le tapage était le plus fort. Il y com- mença les cérémonies usitées par l'Église en pareil cas. Et comme il n'y avait personne pour répondre, il retourna \ ers la famille, et leur recommanda de renoncer à toute erreur et de se purifier par le sacrement de pénitence. Ils le firent, et la maison resta tranquille. Lorsque l'esprit amilier de Dœttingen commença ses manœuvres, les en- tants de la maison trouvèrent d'abord dans le fumier quel- ques pièces d'argent, que leur mère renferma dans un bahut ; mais elles disparurent bientôt. La même chose ar- riva pour des œufs que l'on trouva hors de la maison, en- tiers ou seulement avec les coques vides. Des habits, le couperet, la pierre à aiguiser, des plats, etc., disparais- saient en plein jour de la chambre ou de dessus la table , et on les retrouvait ensuite, après avoir bien cherché, dans le jardin d'un autre paysan. Un témoin assure que , sous ses yeux et en présence de plusieurs autres personnes, un chaploir fut placé sur la table, les portes et les fenêtres étant fermées; puis, après être devenu invisible un in- stant, il parut de nouveau à la porte de la chambre. Sou- vent l'esprit ôlait aux enfants leur ceinture , leur tablier, ouvrait ou fermait en plein jour le bahut de la maîtresse. Au milieu de tout cela, on ne voyait rien, et l'on ne pou- vait deviner d'où venait tout ce désordre.

414 DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS.

CHAPITRE XXIIT

Transition des pliénomènes naturels aux opérations des mauvais esprits. Le démon de Sigebert à Camnuz. près de Bingen. Ce qui s'est passé en 1333 à Sctiildach dans le WUrtemberg , à Riga en 1583. dans l'imprimerie de Labhart à Constance, à Woodstock dans l'ancien palais du roi. Ces phénomènes se rattachent quelquefois à la mort d'une personne, comme k Radwell, près de Halle. Ce qui s'est passé dans la mission d'Itatina dans l'Inde. Quelquefois tout l'effort des esprits tend à empêcher le progrès dans le bien. Ce qui s"est passé sous ce rapport à Pirza au Pérou. Parallèle dans l'Irlande protestante.

Les effets que r.ous avons considérés jusqu'ici semblent incliquer que la malice et l'espièglerie ne sont pas étran- gères au royaume des esprits. On dirait que ceux-ci aiment à regarder de temps en temps à travers ces masques comi- ques l'empressement et l'agitation des pauvres mortels, à être témoins de leur prétendue habileté, à les voir se pa- vaner dans leur sotte gravité et s'enorgueillir de leur vaine civilisation, qui ne croit pas, mais qui tremble; qu'ils ai- ment à descendre de temps en temps parmi eux dans un moment de bonne humeur, pour les agacer et se moquer d'eux. Ils semblent, au reste, s'acquitter assez bien de cette l'onction; toutefois on voit qu'ils redoutent ceux qui ne badinent pas avec eux. L'ironie a une certaine affinité avec l'esprit malin; aussi y a-t-il quelque chose de déré- glé et de désagréable dans le comique de ces esprits; et à travers leurs plaisanteries nous avons vu plus d'une fois percer comme un éclair la lumière équivoque du feu qui les dévore, et il a fallu c]ue l'Église employât contre eux ses exorcismes. Déjà leur nature se trahit ici par la préférence marquée qu'ils ont pour les formes des animaux. Mais ce caractère indécis encore, qui ose à peine de temps en temps

DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS. 41o

dépasser les bornes d'une certaine neutralité presque inno- cente, se produit au gi-and jour dans une autre série de phénomènes que nous allons étudier désormais, d«Liisla malice envieuse et la méchanceté de la bête jusqu'à la fu- reur vraiment satanique, et nous ne pourrons plus douter de la présence des esprits de l'abime.

C'est déjà un esprit de ce genre qui s'est révélé dans le Ledémoi . . , -, - -, T.." 1 . 1 ' de Camnii

lutm de Camnuz, près de Bingen, dont nous avons parle

plus haut" et dont il est fait mention dans la chronique de Sigebert. Il avait commencé, lui aussi, par faire du bruit et par jeter des pierres; mais il en était bientôt venu jusqu'à mettre le feu aux greniers et aux maisons. Il aimait à se montrer sous une forme humaine, et apprenait à ceux à qui on avait volé quelque chose était l'objet qu'ils avaient perdu, accusant tantôt celui-ci, tautôt celui-là d'un vice ou d'une mauvaise action qui pouvait le déshonorer, et semant ainsi la discorde parmi les habitants du heu. Il en était un surtout à qui il semblait en vouloir davantage : car. après lui avoir brûlé sa maison, il le poursuivit sans re- lâche; et afin d'exciter tout le voisinage contre ce pauvre homme, qui n'avait jamais fait de mal à personne, il pré- tendit que c'était lui qui avait appelé sur ce lieu la malé- diction divine. Aussi ses voisins le chassèrent, de sorte qu'il se vit sans abri. Il eut beau prouver son innocence en portant un fer embrasé, l'esprit n'en mit pas moins le feu à ses récoltes pendant quelles étaient encore ramassées en tas dans les champs. Ses voisins se virent à la fin dans la nécessité d'instruire de tout ce qui se passait l'évèque de Mayence. Celui-ci envoya quelques prêtres pour bénir les champs et les cours. Dans les commencements, l'esprit panit céder à la force des prières de l'Eglise, et disparut pour

416 DES OPÉRATIONS DES MALVAIS ESPRITS.

quelque temps. Mais h peine les prêtres furent- ils partis quil revint^ et dit : « Pendant que cette prêtraille marmot- tait je^e ?ais quoi;, je me suis caché sous le manteau de Tun d eux^ qui, poussé par moi^. a commis un crime cette nuit. » Puis il poussa un grand cri, et quitta ce lieu pour toujours. Mwjica, Eisleben^ 1600, fol. 20.)

Un fait semblable se passa dans le Wurtemberg, à Schil- dach, en lo33, d'après le témoignage du jurisconsulte Ca- merarius. Un esprit hantait déjà depuis quelques jours Tau- berge de rÉtoile d"or. située sur le marché : on y entendait des cris et des sons extraordinaires. Comme on crut que la servante de la maison était comphce de ce mauvais esprit, on la renvoya. Mais au bout de quelques jours uu incendie épouvantable éclata dans la maison, et se répandit en deux heures par toute la ville avec une telle rapidité que les voisins n'eurent pas le temps d'accourir au secours et de prendre les mesures nécessaires pour éteindre le feu. Ce qu'il y avait de singulier, c'est que des globes de feu pleu- vaient çà et sur les maisons, de sorte que ceux qui étaient accourus pour éteindre le feu chez les autres voyaient der- rière eux leur propre maison en flammes. L'incendie était tellement violent qu'on eut beaucoup de peine à préserver le château de Landskrona, bâti en pierres sur la montagne, et loin de la ville. Camerarius apprit cette histoire, quel- ques années avant de F écrire, de la bouche du curé de Schil- dach et de plusieurs autres personnes très-dignes de foi, qui en avaient été témoins oculaires. Le curé, vieillard res- pectable, ajouta à son récit plusieurs autres détails singu- liers sur les ruses et les tours de ce démon, qui savait imiter la voix de plusieurs oiseaux, et charmer l'oreille par les plus douces mélodies. Ce bon vieillard portait sur sa tête grise

DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS. 4 I 7

une couronnede cheveux blancs mêlés de cheveux d'autres nuances. Or cette couronne lui était venue d'un cercle que le démon lui avait mis sur la tête en lui demandant ironi- quement s'il connaissait aussi la voix du corbeau; après quoi, il avait poussé un tel cri que tous les assistants saisis d'effroi n'auraient pu le supporter longtemps. Le curé ajou- tait en rougissant qu'il avait rappelé en détail à plusieurs personnes et à lui en particulier les fautes secrètes qu'ils avaient commises; de sorte que tous s'étaient retirés con- . fus. {Operœ horarum subcisivarii.m, centuria prima ; Franc- fort, 1602, G. 74.)

Cinquante ans plus tard . en 1 .583 , une maison de Riga Le dém fut hantée aussi par un esprit après la mort d'un de ceux ^ ^= qui l'habitaient. Pendant que les gens de la maison étaient à tablC;, celle-ci leur fut enlevée sans que l'on vît personne. Toute la paille qui était ramassée en tas fut hachée très- menue; les portes des chambres, quoique fermées au ver- rou et munies de cadenas . furent ôtées de leurs gonds, et d'énormes pierres enduites de poix furent lancées d'en haut. Un Polonais qui était présent alors fut atteint d'une pierre au crâne , de sorte qu'il resta plusieurs jours à demi mort. Un prêtre qui avait été témoin de tous ces faits bé- nit la maison avec l'encens et l'eau bénite , et tout ce dé- sordre disparut avant même qu'il eut eu recours aux exor- cismes accoutumés, ce que les propriétaires de la aiaison affirmèrent dans la suite avec de grandes actions de grâces. ' Litterœ coUegii F. S. Rigensis illius anni. ;

Ce qui est arrivé en 1746 dans l'imprimerie de Labhart , Le dém»

à Constance, est très-remarquable sous ce rapport. On en- '^®l'°^P_ ^ ^ rtr mené d

tendit d'abord des soupirs dans un coin de la chambre des Labhar compositeurs, et ceux-ci ne firent au commencement que

418 DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS.

sen arauser. Mais dans les premiers jours de Tannée sui- vante, au lieu de soupirs, on entendit dans ce coin des coups très-forts. Les ouvriers eux-mêmes recevaient des soufflets, et on leur jetait à terre leurs chapeaux et leurs bonnets. On ât donc venir les capucins du lieu pour conjurer l'es- prit, et pendant trois jours, en effet, on n'entendit plus rien; mais ensuite le tapage devint plus fort qu'aupara- vant , et les caractères s'envolaient de tous côtés par les fenêtres. On appela un célèbre exorciste, qui continua les exorcismes pendant huit jours; mais malgré cela le dé- sordre continua, et l'exorciste s'en alla. Les compositeurs transportèrent les casses des lettres du mauvais coin elles étaient au milieu de la chambre, croyant par se donner un peu de repos: mais l'esprit les souffleta comme aupa- ravant. On apporta des reliques ; mais le frère qui accom- pagnait l'exorciste reçut de tels soufflets que tous les deux s'en retournèrent à leur couvent. D'autres vinrent, bénirent de Teau, du sable et de la cendre qu'ils répandirent dans la chambre et sur le plancher. Puis ceux qui étaient pré- sents tirèrent leurs épées, frappèrent à droite et à gauche , et crurent apercevoir sur le sable des traces de pieds : c'é- taient probablement les leurs. Il leur sembla aussi que l'es- prit s'était sauvé sur le poêle, puis sous la table. Mais il s'éleva une poussière et une fumée tellement épaisses qu'ils ne se reconnaissaient plus les uns les autres, et pri- rent tous la fuite. Le désordre continuait cependant; le conseiller Labhart, propriétaire de l'imprimerie, reçut une blessure grave à la tête. Deux ouvriers qui couchaient ensemble furent tournés sens dessus dessous dans leur lit et jetés par terre. Il fallut à la tni quitter la maison pen- dant la nuit.

DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS. 419

In paysan d'Ahnansdorf , qui passait pour être très-ha- bile dans l'art de conjurer les esprits, fut appelé ; mais il fut aussi tellement souffleté qu'il reconnut son impuissance. Il en fut de même de la femme du bourreau, qui passait aussi pour très-habile dans cet art; du curé de Walburg, qui \intavec quatre autres, et fut obligé de s'en aller au bout de trois jours. Le bourreau lui-m.ême fut reçu par une grêle de pierres et de coups, si bien qu'il se hâta de prendre la laite. Ainsi le champ de bataille était resté au démon. li continua pendant quelque temps encore àjeter et à frapper; il fit même quelques blessures par-ci par-là; renversant par terre ceux qui venaient visiter la maison par curiosité, leur jetant de l'eau, les accablant de coups, et les poursuivant jusque dans la maison voisine. Enfin, le 8 février, la porte de l'imprimerie s'ouvrit pour la dernière fois; quelques objets furent encore jetés pêle-mêle dans la chambre, puis la porte se referma, et Ton n'entendit plus parler de rien dans la maison. In rehgieux, probablement l'un des exor- cistes, raconta ces faits, dont il affirme la vérité sur son honneur, dans une lettre du 8 août 17 48, adressée à dom Calmet, qui l'a insérée dans sa dissertation sur les appa- ritions, ch. xxxix. Il est arrivé dans cette histoire ce qui arrive souvent dans les maladies, l'ignorance des mé- decins, celle du malade et de sa famille semblent concou- rir pour aggraver le mal; de même ici l'esprit, ceux qui le conjuraient et ceux qu'il tourmentait semblent lutter d'inconséquence, de légèreté, de violence et de préci- pitation.

Dans le fait que nous allons raconter, des causes toutes Le démo

contraires semblent avoir produit les mêmes résultats. En „. ^^

\\ oodstoc 4 fi49, des commissaires furent envoyés par Crom^vell pour

420 DES OPÉRATIONS DES MAUVUS ESPRITS.

prendre possession du palais rovcil de \N'Oodstock. lis y ar- rivèrent le i 3 octobre^, et s'établirent dans les appartements royaux, faisant leur chambre à coucher de celle du roi, leur cuisine de l'antichambre, leur brasserie de la salle du con- seil, et leur cabinet de travail de l'autre salle. Ils firent mettre en tas, dans la salle à manger, le bois de l'ancien chêne royal, qui faisait l'ornement du parc et qu'ils avaient fait couper jusqu'à la racine. Les deux premiers jours, ils furent peu inquiétés; mais le 1 6 ils crurent voir venir dans ieur chambre à coucher quelque chose qui ressemblait à un chien et rongeait les cordons du lit. Comme le lendemain ils les trouvèrentparfaitement intacts, de même qu'un quar- tier de bœuf qui était par terre sur le plancher, ils com- mencèrent à réfléchir. La nuit suivante, il leur sembla qu'on jetait de la salle à manger dans la salle d'audience tout le bois du chêne royal, et qu'on lançait en l'air les siè- ges et les bancs. Puis l'esprit passa dans les deux cham- bres où ils étaient couchés eux et leurs domestiques, leva si haut le pied de leurs lits que leurs têtes se trouvaient tout à fait en bas, et qu'ils craignirent d'être renversés; puis il les laissa retomber avec une telle violence que le contre-coup les fit rebondir dans leurs lits. Après cela, ils furent secoués avec une telle force que, de leur propre aveu, il leur semblait qu'ils étaient balancés de çà et de là. Le 18, ils entendirent dans leur chambre à coucher un tel bruit que cinq cloches n'auraient pu, dirent-ils, en faire davantage. La nuit suivante on jeta des plats ; et l'un deux qui avait été atteint, ayant mis la tête hors du lit pour voir ce que c'était, reçut un second coup. Le 20, leurs lits furent secoués avec force; huit grands plats d'étain , trois douzaines d'assiettes, des charges entières de bois du

DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS. -^21

chêncroyalfurent jetés dans leur chambre, et malgré cela ils trouvèrent tout à sa place. Ils prirent avec eux le gar- dien du château avec son chien. La première nuit ils furent tranquilles; mais la nuit suivante le tapage recommença, et le chien n'aboya qu'une fois en poussant une plainte épouvantable. Le 24,1e bois du chêne fut de nouveau jeté contre leur lit avec un tel vacarme que l'un de ceux qui ('taient dans l'antichambre crut qu'on les assommait. Il alla donc pour voir ce que c'était, et trouva tout tranquille. Mais comme il se remettait au lit, il y trouva trois douzaines d'assiettes cachées sous la couverture. Le 25 ils virent voler autour d'eux des morceaux de verres sans qu'aucune vitre fut brisée. Croyant qu'il pleuvait de l'argent, ils al- lumèrent une bougie, mais ils ne trouvèrent que des mor- ceaux de vitres. Une autre nuit, ils entendirent quelqu'un marcher dans l'antichambre, ouvrir et fermer les fenêtres, puis passer dans la chambre à coucher, il jeta plus de deux cent quarante grosses pierres, dont une partie tomba sur les lits, et tout cela avec un bruit terrible, comme si on eût tiré quarante coups d'arquebuse à la fois. Deux fois particulièrement, les coups furent tellement violents que tous en furent épouvantés, et crurent qu'on devait les avoir entendus au loin. Les commissaires et leurs domestiques furent tellement effrayés de ce vacarme que chacun im- plorait le secours de l'autre. L'un deux , revenu de son angoisse, ayant pris son épée, faillit tuer un de ses com- pagnons qui était accouru en chemise , le prenant pour l'esprit qui était cause de tout ce désordre. Ils se remirent à la fin; mais le bruit continua toujours aussi fort, et les murs furent tellement ébranlés qu'ils crurent que le château allait les ensevelir sous ses ruines.

i2'2 DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS.

La première nuit de novembre, les pierres qui avaient été jetées.la veille furent emportées : mais on jeta du verre à la place. La nuit suivante, ils crurent entendre comme le pas d'un ours qui approchait, et des pierres furent jetées de nouveau avec tant de violence que les murs et les lits en furent endommagés. Ils allumèrent des flambeaux dans toutes les salles, et firent du feu plein les cheminées; mais les lumières et les feux, tout lut éteint, et le bois fut dis- pereé dans les chambres. En même temps les rideaux des lits furent arrachés de leurs baguettes, et leurs colonnes emportées, de sorte que le ciel tomba sur eux ; et les pieds des bois de lit se fendirent en deux. Ils appelèrent leurs domestiques qui étaient couchés et trempés de sueur, tant ils avaient peur; mais avant qu'ils pussent reprendre un peu leurs sens, ils furent inondés d'une eau si puante qu'elle semblait venir d'un égout, et si verte qu'elle tacha leurs chemises et leurs lits. Toutes les fenêtres furent bri- >ées dans cette même nuit, et le vacarme fut si terrible que des braconniers, effrayés eux-mêmes, laissèrent leur furet dans les allées du parc, près de la source de Pvosemonde. Cependant, au milieu du tumulte, l'un, plus brave que les autres, demanda à Lesprit, au nom de Dieu, ce qu'il était, ce qu'il voulait et ce qu'ils avaient fait pour qu'il les tour- mentât de cette manière. Pas de réponse. Le bruit cessa quelque temps , mais revint ensuite bien plus fort qu'au- paravant, et, comme ils le disaient eux-mêmes, au lieu d'un démon, ils en eurent sept. Un d'eux alluma une bou- gie et la plaça dans une porte située entre deux salles. Or, pendant qu'un autre regardait de ce côté, il vit quelque chose pousser les bougies au milieu de la chambre à cou- cher et moucher trois fois la mèche pour l'éteindre. Il tira

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son épëe; mais une main invisible la lui arracha^ et len frappa si fort qu'il fut étourdi du coup. Après cela, le bruit devint tel que tous, saisis d'horreur, se sauvèrent dans la salle d'audience, et se mirent à prier et à chanter des psaumes, accompagnés toujours par le bruit qui retentis- sait comme un tonnerre dans les autres chambres. Enfin ils se décidèrent à prendre leur logement au-dessus de la porte du château, et partirent le dimanche suivant pour Ewelin. Mais lorsqu'ils revinrent le lundi, le diable, c'est ainsi qu'ils s'expriment eux-mêmes, ne les laissa point tranquilles, pas plus que le jour suivant, qui fut le dernier qu'ils passèrent en ce lieu.

Nous devons reconnaître que dans ce fait il pouvait bien y avoir quelque mélange de supercherie, et que ce bruit peut avoir eu pour but d'edrayer les commissaires et de les chasser du château. Mais d'un autre côté ces phénomènes offrent une analogie parfaite avec tous les autres du même genre; et il est difficile de croire que dans une maison il y avait tant de monde l'imposture n'eût pas été décou- verte si elle avait existé. Il est regrettable toutefois qu'une enquête très-exacte n'ait pas mis ce fait au-dessus de tout soupçon. Comme les commissaires se montrèrent très-in- trépides et qu'ils ne cédèrent qu'à la force, on doit suppo- ser qu'ils firent pendant le jour tout leur possible pour dé- couvrir la véritable cause de tout ce désordre, et qu'ils ne se retirèrent qu'après s'être convaincus qu'il n'y aviiit pas moyen de rester plus longtemps. Robert Plot, auteur d'une histoire naturelle, qui le premier a publié cette histoire, avait sous les yeux plusieurs documents de témoins ocu- laires, parmi lesquels s'en trouvait un écrit par une per- sonne très-instruite et très- digne de foi, qui vivait dans le

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temps et le lieu se passèrent ces événements. Il consulta sur certaines circonstances particulières d'autres témoins oculaires, et remit toutes les pièces à l'un des commis- saireSj qui déclara que ce qu'avait écrit cette personne était la pure vérité. La chose paraît donc à Robert Plot indubi- table. Cependant il ne se permet point d'en juger a priori le fondement ; mais il discute, au contraire^ les divers phé- nomènes qui se sont produits^ et conclut qu'il est impossible de les attribuer à la supercherie; et Walter Scott, par sa fantasmagorie mesquine^, explique bien moins l'événement en lui-même que lexposition romanesque et incomplète qu'il en fait.

Les phénomènes de ce genre se rattachent quelquefois à la mort d'une personne et semblent la présager. Il en fut ainsi pour A.-K. Lerchin^ servante chez A. Langen,à Rad- Avell;,près de Halle. Elle avait mené une vie très-dissolue, et avait fini par ne plus aller à l'éghse, répondant par des injures aux avertissements du pasteur. A la suite d'une couche se sentant près de sa fin, elle le fit appeler néan- moins ; mais avant qu'il pût arriver elle tomba morte sur >on lit. On 1" enterra dans un coin du cimetière, et bientôt le pasteur du lieu, Laitenberger, entendit quelqu'un mar- cher dans la chambre il couchait. Le bruit ne durait dans les commencements qu'une heure seulement, à par- tir de dix heures du soir, et chaque fois le revenant ne fai- sait qu'un ou deux pas. Plus tard, il commença déjà vers neuf heures, puis vers huit heures, et continuait jusqu'à deux heures du matin, faisant chaque fois 3-5-6 pas ou davantage encore. Le bruit était tel qu'il devait éveiher l'homme le plus profondément endormi. Le pasteur eut re- cours à la prière, et le bruit cessa pendant quinze jours;

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mais il revint ensuite, et aucune prière ne put le chasser. Le pasteur s'adressa à un Thomasien de Halle, et le pria lie venir l'aider à découvrir le fond de cette aflaire. Ils montèrent ensemble dans la chambre, visitèrent tous les degrés de l'escalier^ l'antichambre, la chambre à côté, la r-errure, les fenêtres^ les murs, les livres, répandirent du

ible et de la cendre sur le plancher et fermèrent la (liambre; mais à peine étaient -ils descendus que le reve- nant se mit à marcher comme auparavant. Ils montent, trouvent la serrure comme ils l'avaient laissée et n'aper- roivent aucune trace de pas. Le Thomasien reste assis jnsqu'à deux heures de la nuit, et remarque que le reve- nant ne retournait jamais au point d'où il partait, qu'il commençait à marcher par dehors, devant et à côté de la porte de la chambre, et que par conséquent il devait tra- verser la muraille. Il réfléchit, cherche dans son esprit, niais ne peut trouver aucune explication naturelle qui le -itisfasse.

Une fois le revenant descendit quelques degrés de l'es- i.alier, de sorte que la femme et la servante du pasteur, pouvantées, prirent la fuite. Le pasteur, qui était occupé

lire, laisse son livre, appelle sa femme et sa servante, et ^a avec elles à la rencontre du revenant, qui de son côté descend les escaliers en se dirigeant vers eux. Le pasteur lui défend au nom de Dieu de marcher. Le revenant se tait. « Es4u un bon esprit? » Silence. « Es-tu un esprit inter- médiaire? » Silence encore. « Si tu l'es, fais comme tu fai- sais tout à l'heure. » Aussitôt il marche comme aupara- vant. « Si tu es le diable, dit le pasteur, je m'étonne que lu ne fasses pas pis encore. » Le bruit augmente, a Plus fort, misérable que tu es! » Le bruit devint plus fort. Le

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revenant descend les degrés de Tescalier; le pasteur monte, au contraire, en lui disant : « Crois-tu que j'aie peur de toi? Fais ce que tu voudras; je suis plus fort que toi dans le Christ. » Le revenant se met à faire les bruits les plus bizarres; de sorte que le pasteur ne put s'empêcher de rire. « C'est bien , lui dit-il ; mais ce doit être aujourd'hui la dernière fois; va-t'en donc, et qu'on ne t'entende plus ja- mais. Essaie encore si tu le peux. » Tout est tranquille. Le revenant fait encore entendre quelques légers bruits sur l'ordre du pasteur, puis il disparaît pour toujours. Ceci arriva en 1719 : le bruit dura trois mois et fit grande sen- sation dans le pays. (Acta scholastica, vol. II, p. 132.) es esprits Delrio cite, d'après les lettres péruviennes de son ordre, n-Vlnde. i"ecueillies en 1590, le fait suivant, raconté par F. Bencius et E. Spilillus ; a Dans la mission d'Itatina, sous le P. Sa- mauiego, est arrivée une histoire remarquable et inouïe, qui a été connue de tous les habitants de la ville, et certi- liée par tant de témoins oculaires et auriculaires qu'on ne peut douter de sa vérité. Dans la maison d'une dame con- sidérable se trouvait une jeune fille de seize ans, qui avait été prise pendant la guerre et que l'on avait nommée Ca- therine au saint baptême. A mesure qu'elle grandissait, eUe devenait plus dissolue, quoiqu'elle fût punie souvent par sa maîtresse. Elle en vint à entretenir en secret un com- merce criminel avec quelques jeunes libertins. Cependant elle continua malgré cela d'aller à confesse , mais en ca- chant par honte ses péchés. Étant tombée malade au mois d'août 1590, elle fit venu- le prêtre pour se confesser; mais elle le fit superficiellement. Comme le prêtre était venu neuf fois la voir, elle dit devant les autres domestiques qu'elle avait bien été obhgée de se confesser; puis elle ajouta

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d'autres paroles iiiconvenaiites^ que les autres tout scanda- lifces rapportèrent à leur maîtresse. Celle-ci vint, et gronda Catherine comme elle le méritait; puis, prenant une ex- pression et une voix plus douces, elle demanda avec bien- veillance à la malade quelle chose elle avait cachée à son confesseur. Celle-ci lui raconta tout sans difhculté, el ajouta que toutes les fois qu'elle avait appelé son confes- seur elle avait aperçu à sa gauche un Maure qui lui con- seillait de ne pas déclarer ses péchés, parce qu'ils n'a- vaient aucune importance, et que le prêtre, si elle les lui disait, la tiendrait pour une personne dissolue, tandis que Marie -Madeleine était à sa droite et l'engageait à tout dire.

a La maitresse fit venir encore une fois le prêtre , et lui raconta tout ce qui s'était passé. Il fit de son coté ce qu'il put pour l'exciter à une pénitence sincère et parfaite; mais tout fut inutile. Plus il l'exhortait, plus elle se montrait rebelle; de sorte qu'elle ne voulait pas même prononcer le nom de Jésus. On lui présenta un crucifix, pour qu'en le regardant elle se rappelât que Notre-Seigneur était mort pour elle. Mais elle dit avec impatience : « Je sais tout cela; que voulez-vous donc? n La maitresse lui répondit : « Que tu t'adresses à Notre-Seigneur, qui te pardonnera tes péchés si tu les confesses sincèrement. Je vous en prie, du Catherine, ne m'ennuyez plus de toutes ces choses. » Sa maitresse étant partie, elle se mit à chanter des. chan- sons amoureuses et impures; et ceci dura plusieurs jours et plusieurs nuits, jusqu'à ce qu'enfin une nuit elle fit ve- nir près de son lit sa maitresse et les autres servantes, et leur dit : « J'éprouve de cruels remords, surtout à cause de mes confessions sacriiéges. » Depuis ce moment jusqu'à

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minuit tou^ ses aieinbres devinrent roides, de sorte qu'on la crut merle, et qu"on se préparait déjà à Tensevelir. Elle revint à elle cependant, et le prêtre ayant été appelé de nouveau, elle persévéra dans son impénitence. Au bout de trois heures, ses camarades Tayant engagée à prendre dans ?es mains le crucifix et le cierge des agonisants en invo- (]uant le nom de Jésus : « Quel est ce Jésus? dit-elle, je ne le connais pas. » En même temps elle se cacha dans le fond de son lit, on l'entendit causer avec un person- nage invisible. Une autre senaute, qui était au ht malade dans la même chambre, pria sa maîtresse de la faire porter dans un autre appartement, parce qu'elle voyait autour d'elle des fantômes noh's qui l'épouvantaient.

« Dans la nuit mourut Catherine, toute la maison fut remplie d'une odeur tellement infecte qu'on fut obUgé d'exposer le cadavre en plein air. Le frère de l'hôtesse fut tiré de sa chambre par le bras; une senante reçut sur les épaules quelque chose qui ressemblait à de la chaux, de sorte qu'elle en porta les marques pendant plusieurs jours ; un cheval très-tranquille auparavant devint furieux et se mit à frapper des pieds les murs de son écurie pendant toute la nuit: les chiens, de leur côté, ne firent qu'aboyer et courir. Lorsque le cadavre fut enterré, une des ser- vantes étant entrée dans l'appartement Catherine avait été malade, vit, sans apercevoir personne, voler vers elle un vase qui était en haut sur une planche. La viUe et les environs virent des tuiles et des ardoises lancées à plus de deux mille pas avec un bruit épomantable, quoiqu'il n'y en eût point dans la maison; car elle était couverte de feuilles de palmier, comme presque toutes les autres maisons de la ville. Une servante fut, en présence de toutes les autres.

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tirée parla jambe sans qu'on vit personne. Une aulre^ étant allée, le 7 octobre, chcrchenin vêtement dans le vestiaire, vit Catherine se lever et prendre un vase. Comme elle se ^auvait épouvantée, le vase frappa derrière elle avec une lelle force contre le mur qu'il se brisa en mille morceaux. Le lendemain, une croix dessinée sur le papier qui était attaché au mur de cette chambre en fut arrachée en pré- sence de tous et déchirée en trois morceaux. Le même jour^ pendant que la maîtresse soupait dans le jardin, une moitié de tuile tomba sur la table et la renversa. Un petit enfant de quatre ans qu'elle avait se mit en même temps à crier : « Maman, maman, Catherine m'étrangle. « On ne put le délivrer qu'en lui suspendant au cou desrehques. Tout cela contraignît la maîtresse à quitter sa maison et à se retirer chez une de ses parentes, après y avoir laissé quelques servantes pour la garder.

« Le 19 du mèaie mois, comme une de celles-ci entrait dans la salle à uianger, elle s'entendit appeler trois fois par Catherine. L'épouvante dont elle fut saisie lui ôta toutes ses forces. Les autres lui ayant conseillé d'invoquer le secours de Dieu, et de retourner ensuite avec un cierge allumé au lieu la voix l'avait appelée, elle le fit, accom- pagnée de deux autres plus courageuses. Lorsqu'elles furent arrivées dans la salle , elles entendirent Catherine dire à la première qu'elle devait éloigner ses compagnes, jeter le cierge parce qu'il lui faisait mal, et rester seule. Le fantôme exhalait une puanteur incroyable, et jetait des flammes de toutes les jointures; sa tête et ses pieds étaient en feu; et, comme châtiment symbolique de son liberti- nage, elle avait autour des reins une ceinture enflammée large de huit à dix doigts, et qui allait jusquà terre. La

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servante pâlit et trembla lorsqu'elle entendit le spectre lui dire : a Approche donc., je t'ai déjà appelée tant de fois! »

Celle-ci lui répondit, sans trop savoir ce qu'elle disait : <( Bon Jésus, comment ne pas être épouvantée en te voyant? «

Comme elles parlaient ensemble, un bel enfant vêtu de blanc apparut à la servante, et lui dit de prendre courage et de bien remarquer ce que Catherine lui dirait, afin de le rapporter aux autres; puis d'aller aussitôt à confesse pour se purifier de toutes ses fautes. Là-dessus Catherine lui dit : « Sache que je suis damnée, et que je soulTre hor- riblement, parce que je n'ai déclaré dans mes confessions que les fautes les plus légères, m'accusant par exemple d'avoir trop parlé, d'être portée à la colère, etc., tandis que je cachais les péchés les plus graves, et particulière- ment mes relations criminelles, .\pprends donc par mon exemple à te confesser mieux que moi, et à ne rien cacher. C'est Dieu qui m'ordonne de vous donner cet avertisse- ment, pour que vous le rapportiez aux autres. » On en- tendit alors sonner V Angélus, et le spectre se cacha dans un coin, et disparut : mais l'enfant dit à la servante de retourner vers les siens, et elle le fit. »

s esprits Dans l'histoire que nous venons de raconter, l'appari- i Pérou ^^^^ ^^ Catherine avait pour but de porter au bien ceux qui vivaient encore; mais il est d'autres cas au con- traire où, par une permission terrible de Dieu, ceux qui reviennent de l'autre monde ont pour fin d'entrainer dans l'abîme ceux qui sont encore sur la terre. Ce but apparaît d'une manière frappante dans l'histoire remarquable que le P. Chieza de Léon nous raconte dans la première partie de son Histoire du Férou. Près d' Auzerma, à Pirza, un chef indigène avait un frère nommé Tamaracunga, qui était en-

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core jeune. Celui-ci, ayant un vil" désir du baptême , nour- rissait la pensée d'aller trouver les clirétiens, pour jouir de cette faveur. Mais les démons cherchèrent à le retenir par des apparitions singulières, en se rendant visibles à lui sous la forme d'oiseaux. Le jeune homme, remarquant leur fureur, fit venir un chrétien qui demeurait dans le voisi- nage. Ce dernier, ayant appris ce qu'il voulait, fit le signe de la croix sur son front ; mais les malins esprits n'en de- vinrent que plus furieux , de telle sorte néanmoins qu'ils n'étaient visibles que pour le Péruvien, tandis que le chrétien seul, au contraire, entendait leurs sifflements, et voyait les pierres qu'ils jetaient. Heureusement il se trouva par hasard un autre Espagnol nommé Pachieco, qui s'adjoignit au chrétien dans cette nécessité. Ils virent Ta- raaracunga frémir, pâlir d'effroi, être lancé en l'air en poussant des cris de détresse, au milieu des sifflements et des hurlements des démons. Une fois, comme il tenait à la main une coupe remphe de vin, cefle-ci fut emportée en l'air, vidée du vin qu'elle contenait , après quoi elle fut versée de nouveau d'en haut comme si elle eût été pleine. Ils virent en même temps l'hidien se cacher le visage pour ne point voir les spectres effrayants qui l'assiégeaient. Pendant qu'il avait ainsi le visage couvert, les démons, sans écarter son manteau qu'il pressait sur sa bouche, lui remplirent celle-ci de craie atin de l'étouffer. Les chrétiens, qui priaient pendant ce temp;>-là, se décidèrent à le con- duire à Auzerma, pour qu'il y fût baptisé. Plus de trois cents Indiens l'accompagnèrent, mais avec une telle frayeur qu'Us n'osaient pas approcher de lui. Le chemin passait par un endroit escarpée! difficile. les démons cherchè- rent à l'enlever pour le précipiter ensuite du haut en bas :

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mais il conjura à lioute voix les chrétiens de venir à son secours. Ceux-ci accoururent: et comme les Indiens s'é- taient enfuis de .peur^, ils le prirent au milieu d'eux , le lièrent fortement avec des cordes, qu'ils attachèrent à leurs ceintures, portèrent trois croix devant lui, et ne cessèrent de prier pour sa délivrance. Us parvinrent à l'emmener de ce lieu. Mais ils ne furent pas délivrés pour cela des atta- ques des démons. 11 fut souvent jeté par terre; et comme ils montaient un endroit escarpé , ils eurent beaucoup de peine à l'arracher aux mains des mauvais esprits, qui vou- laient l'enlever.

Lorsqu'ils furent arrivés à Auzerma, tous les chrétiens du lieu se rendirent chez Pachieco, et ils virent une grêle de pierres lancées du haut des toits, et entendirent les démons crier : Hu 1 hu ! hu 1 et exprimer leur mau- vaise humeur par des bruits sauvages et souvent répétés. Ils le menacèrent de mort s'il recevait le baptême. Les chrétiens, au contraire, priaient Dieu qu'il ne permît pas aux démons de tuer en même temps son âme et son corps. Pendant qu'ils allèrent à l'église, ils furent accablés conti- Piuellement d'une grêle de pierres. Comme l'éghse n'était couverte que de branches et de paille, on n'y gardait point r Eucharistie. Quelques-uns prétendirent qu'avant d'en- trer ils avaient entendu comme des pas d'hommes qui marchaient. Lorsque les portes furent ouvertes, et pen- dant que la procession entrait , l'Indien vit les démons sous les formes les plus horribles, ayant la tête en bas et les jambes en l'air. Comme le frère Jean , de l'ordre de -Notre-Dame, se préparait à lui administrer le baptême, les démons, tout en restant invisibles aux chrétiens qui étaient présents, l'enlevèrent en l'air sous les yeux de tous, et lui

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mirent la tête en bas, comme ils l'avaient eux-mêmes. Les chrétiens, forts dans la foi, crièrent à haute voix : « Jésus, secourez-nous; » ils l'arrachèrent aux démons, qui le rete- naient avec force; et après qu'on lui eut mis une étole au- tour du cou, il fut aspergé d'eau bénite. Cependant l'église était pleine des sifflements et des hurlements des malins esprits. L'hidien les voyait continuellement, et ils l'acca- blaient de coups. Ils lui arrachèrent une fois des mains le chapeau qu'il tenait devant son visage, et lui couvrirent la figure de crachats d'une odeur infecte. Ceci s'était passé dans la nuit. Mais dès que le prêtre eut revêtu le matin ses ornements pour dire la messe, les sifflements, les hurle- ments et la fureur des démons cessèrent tout à coup. Après la fin de la messe, l'Indien demanda le baptême avec sa femme et ses enfants; et lorsqu'il l'eut reçu il se trouva tellement fortifié qu'il pria qu'on le laissât libre, pour voir ce que les démons pouvaient encore contre lui, maintenant qu'il était devenu chrétien. 11 fit trois ou quatre fois le tour de l'église en criant avec joie : « Je suis chrétien, je suis chrétien. « Et à partir de ce moment il ne fut plus inquiété.

Nous trouvons dans l'Irlande protestante un pendant de cette histoire. Lecellérierd'un gentilhomme qui demeurait Les esprits dans le voisinage du comte Orerv, avant été envové par mauvais -un maître pour faire une commission, aperçut dehors un l'Irlande and nombre d'hommes assis autour d'une table et fai- ^ iiit bonne chère. Ceux-ci le saluent et l'invitent à venir prendre place parmi eux; mais quelqu'un lui dit à l'oreille: ^< Ne fais rien de ce qu'ils te demandent, w II refuse donc de se rendre à leur invitation. La table disparaît alors ; mais la société se met à danser et à faire de la musique, et l'in- in. 13

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vite de nouveau à prendre part à leurs jeux. Ils le pres- sent et lui font en quelque sorte violence ; mais comme il refuse de céder à leurs instances, tout disparait encore. Se trouvant seul, il prend la fuite et court épouvanté chez lui. il tombe épuisé, n'en pouvant plus; et, après avoir perdu connaissance pendant quelques instants , il revient à lui, et raconte à son maître ce qui lui est arrivé. La nuit, il voit un des personnages mystérieux de la bande joyeuse qui le menace de l'enlever s'il ose mettre un pied dehors. Pour échapper au danger, il se tient renfermé dans la mai- son. Le soir cependant , pressé par un besoin , il ose, ac- compagné toutefois de plusieurs personnes, mettre un pied sur le seuil de la porte. A peine l'a-t-il fait que les au- tres s'aperçoivent qu'on lui jette une corde autour du corps et qu'on l'enlève avec une incroyable rapidité, de sorte que, malgré leur empressement, ils ne purent l'attein- dre et le ramener. Ils aperçoivent enfin un cavalier qui venait à leur rencontre, et lui crient d'arrêter celui qu'on emporte. Le cavalier voit un homme courir vers lui. Il aperçoit aussi les deux bouts de la corde, mais ne voit personne qui la tienne. Il saisit un des deux bouts de la corde , mais au même instant il reçoit sur le bras un coup très-douloureux de l'autre bout; il parvient cepen- dant à retenir et à ramener le malheureux qu'on avait enlevé.

Le comte Ojery, ayant appris cette aventure singulière, prie le maître de cet homme de le lui laisser. Le maître y consent. Maii le lendemain ou quelques jours après l'homme dit au comte que le spectre lui a apparu de nou- veau pendant la nuit, en l'avertissant qu'il serait très-cer tainenient enlevé ce jour - Ik même et qu'aucun effort ne

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pourrait le préserver du danger. On le conduit dans une grande chambre, et on lui donne pour le garder plusieurs personnes, parmi lesquelles se trouvait aussi le célèbre Borer Greatrix, le plus proche voisin du comte. 11 y avait encore au château, avec d'autres hommes considérables, deux évo- ques qui attendaient avec angoisse l'issue de cette affaire. Pendant longtemps, jusque bien après midi, il n'arriva rien; mais tout à coup on aperçoit cet homme enlevé en Tair. Greatrix et un autre, très-vigoureux aussi, lui jettent leurs bras autour de ses épaules, Tun par devant, l'autre par derrière, et le retiennent de toutes leurs forces. Mais ils sentent qu'ils sont trop faibles, et il leur échappe. Us le voient balancé en l'air pendant quelque temps au-dessus de leurs tètes. Plusieurs de la société courent et se placent sous lui, pour qu'il ne se fasse point de mal en tombant. 11 tombe enfin, et ils le reçoivent heureusement avant qu'il ait touché la terre ; de sorte qu'il échappe sans blessure au danger.

Tout reste tranquille jusqu'au soir. Avant d'aller se coucher, le comte donne à cet homme deux de ses servi- teurs pour passer la nuit avec lui. Celui-ci raconte le lende- main que le spectre lui a pendant la nuit présenté à boire une liqueur grise dans un plat de bois; qu'il s'était efforcé de réveiller ses compagnons, mais que le spectre lui avait dit qu'il se donnait une peine inutile ; que d'ailleurs il n'a- vait rien à craindre, parce qu'il était son ami; qu'il lui avait déjà donné de bons conseils dans le champ il l'a- \ait rencontré, et que sans lui il serait tombé infaillible- liienl au pouvoir de la société joyeuse qu'il y avait trouvée ; qu'il était étonnant qu'il eût échappé la veille au danger , mais que la chose ne se renouvellerait plus à l avenir; qu'il

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lui •d\ ait apporté cette liqueur pour le délivrer des deux ma- ladies dont il souffrait. Couime il avait refusé d'enboire, le fantôme lui en avait témoigné de Thumeur. et le lui avait reproché comme un manque de fidélité, ajoutant toutefois qu'il ne lui en voulait point pour cela, et que s" il buvait du suc de plantago il serait guéri de Tune de ses maladies, mais qu'il garderait l'autre jusqu'au tombeau; qu'il avait demandé au spectre s'il voulait parler du suc de la tige ou de la racme, et que celui -ci lui avait répondu : « De la racine. » L'esprit s'était donné à lui pour une certaine per- sonne qu'il avait connue; et comme il lui avait répondu qu'elle était morte depuis longtemps : u Oui, lui avait ré- pondu le fantôme, je suis mort il y a sept ans; et parce que, comme tu le sais, j'ai mené une vie dissolue, je suis depuis ce temps traîné par cette société dans un état d'agi- tation continuelle, et je souffrirai ainsi jusqu'au dernier jugement. » Puis il ajouta : w Si tu avais toujours marché en la présence de Dieu, ce qui t'est arrivé à toi-même n'aurait pas eu lieu. «> Il lui reprocha ensuite d'avoir omis sa prière la veille, lorsqu'il était allé dans les champs; puis il disparut. Les évêques, consultés sur l'usage du remède qui avait été prescrit, en défendirent sévèrement l'emploi.

Cette histoire fut envoyée au docteur More par M. C. Fowler, et Glanvil l'avait destinée pour la seconde partie de son ouvrage, elle se trouve, p. 356. Fowler ajoute que Greatrix raconta lui-même en ces mêmes termes cette hisloh'e à mistress Forerait, à Piagley, et la répéta encore une fois à table, sur la demande de celle-ci, L. Roydon, qui était présent, prit plus d'une fois des informations à ce sujet auprès de lord Orery, qui lui confirma la vérité de

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cette histoire jusque dans ses moindres détails^ à l'excep- tion d'une seule circonstance. More ajoute de son côté, dans une lettre à Glanvil, qu'il a entendu Greatrix raconter ce fait chez lord Conway, à Ragley; qu'il s'est enquis d'une manière spéciale s'il était vrai que cet homme eût été en- levé en l'air, et que Greatrix lui a affirmé de la manière la plus positive qu'il l'avait vu de ses propres yeux. Or Barter, qui connaissait personnellement le comte Orery, autrefois lord Broghil,dit de lui que c'était un homme intelligent, et qui n'était nullement disposé à la crédulité. Il est à re- ::retter que toutes les circonstances de ce fait n'aient pas été certifiées d'une manière authentique par la signature deè témoins, comme cela devrait toujours se faire dans les faits de ce genre; mais le récit, tel qu'il est, n'a rien, d'a- près tout ce que nous avons vu en ce genre , qui puisse nous le rendre incroyable. L'Irlandais, qui déjà aupara- vant était dans un rapport moral avec cette mauvaise so- ciété, entra plus tard dans un rapport physique avec elle, par ce que le spectre appelait ses accès, et la corde qui lui apparut était l'expression symbohque de ce rapport et de la puissance avec laquelle il se sentait entraîné. Ce cama- rade qui se présente à lui pour le gnider dans les régions inconnues il est tombé l'avertit de ne pas rendre ce lien plus fort encore en participant au festin ou du moins aux danses de cette mauvaise société. Puis, voyant qu'il suit ses i onseils, il veut rompre complètement le charme, et lui présente dans ce but un aliment spirituel. Mais son protégé, concevant quelques soupçons, refuse également le secours qu'il lui offre, et c'est alors que l'autre lui propose, comme moyen physique de rompre le charme", la racine de plan- tage, déjà connue dans la magie. Cependant, comme il a

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refusé le remède spirituel et plus efficace qui lui était of- fert, le moyen physique et plus faible aussi ne peut le guérir qu'à moitié.

Aux faits que vient de citer l'auteur qu'il nous soit per- mis d'en ajouter deux autres qui se sont passés de nos jours, que nous avons appris de la bouche même de ceux qui en ont été les témoins, et qui réunissent pour nous toutes les conditions qui peuvent en garantir la vérité. L'un de ces faits s'est passé dans la maison même de mon père, vers l'an 1812. Un soir, vers dix heures, ma mère fut éveillée par un bruit inaccoutumé dans la cuisine, séparée par la salle à manger de la chambre elle dormait avec mon père. Elle le réveilla en lui faisant part de ses inquié- tudes, et le pria d'aller voir si la porte de la cuisine, qui donnait dans la cour, avait été bien fermée; car elle croyait que c'était le chien qui était entré et avait causé tout ce bruit. Mon père, certain d'avoir fermé la porte le soir, at- tribua à un rêve ou à une illusion les impressions de ma mère, et l'engagea àse rendormir, comme il le fit lui-même. Mais au bout de quelques minutes ma mère entendit de nouveau le même bruit, et réveilla une seconde fois mon père. Elle ne put cependant parvenir à le convaincre; et, ne voulant croire qu'à soi, il se mit sur son séant pour ne pas s'endormir, attendant que le bruit recommençât. Il n'attendit pas longtemps, et finit par croire que sa mé- moire l'avait mal servi, qu'il avait effectivement oublié de fermer en dedans la porte de la cuisine, que le chien de garde y était entré et frappait les uns contre les autres les pots, les plats, les casseroles et tous les autres instruments

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de ménage; car c'était un bruit de cette sorte que l'on en- tendait. Il se leva donc, prit une lumière, visita la cuisinC;, y trouva tout en ordre et la porte fermée; de sorte qu'il tinit par croire qu'il avait été trompé par ses sens, et qu'il n'était pas peut-être parfaitement éveillé lorsqu'il'avait cru entendre le bruit.

Il se remit au lit, laissant toutefois sa bougie allumée pour voir si le bruit recommencerait. A peine était-il cou- ché qu'un tapage bien plus considérable encore se fit en- tendre. Certain que ce ne pouvait être dans la cuisine, il visita toutes les autres chambres de la maison, depuis la cave jusqu'au grenier. Le vacarme continuait toujours, mais rien ne paraissait. Il réveilla les domestiques qui dor- maient dans un autre corps de logis, visita de nouveau avec eux toute la maison, entendant toujours, mais ne voyant jamais rien. Le bruit avait changé de place et de nature ; il avait passé dans la salle à manger, il semblait que des pierres de vingt à trente livres tombaient de huit à dix pieds sur un meuble qui était appuyé contre le mur. Après huit ou dix coups de cette sorte, un dernier coup beaucoup plus fort que les autres annonçait une pause; puis, aussitôt après, il semblait qu'une main vigoureuse remuait une barre de fer entre des pavés. Plusieurs voisins, réveillés par le bruit, vinrent à la maison pour savoir ce que cela vou- lait dire, et aidèrent mon père à faire de nouvelles recher- ches ; car il croyait si peu aux revenants que l'idée même ne lui en était pas venue à l'esprit, et toute sa crainte était que ce ne fussent des voleurs. II se disait d'un autre côté que des voleurs avaient tout intérêt à se cacher, et qu'il était bien peu habile de leur part de manifester leur pré- sence d'une manière aussi bruyante. Il pensa donc que ce

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pouvaient être des rats. Mais comment des rats pouvaient- ils faire un tel vacarme et des bruits si divers? Tout cela le jetait dans de grandes incertitudes^, et il ne savait à quoi s'arrêter. Vers trois heures du matin , il congédia ses voi- sins et ses domestiques, en les invitant à se remettre au lit, certain que ce ne pouvait être des voleurs, et c'était le point capital pour lui. Le bruit avait donc duré quatre heures environ, et avait été entendu par sept ou huit per- sonnes. Il cessa vers quatre heures du matin.

Vers sept heures un exprès vint annoncer à mon père qu'un de ses parents, nonrmé F., était mort dans la nuit, entre dix et onze heures, et que, près de mourir, il avait exprimé de nouveau le désir que mon père se chargeât de la tutelle des enfants qu'il laissait après lui. Il avait, en effet, manifesté bien souvent ce désir à mon père dans le courant de sa maladie sans pouvoir jamais vaincre sa résistance. En vain mon père lui avait opposé la multiplicité de ses affaires et des soins dont elles étaient pour lui la cause; en vain lui avait -il désigné d'autres personnes mieux en état que lui de se charger de la mis- sion qu'il voulait lui confier; il n'avait pu, malgré toutes ses représentations, le détourner de cette idée qu'il avait emportée avec lui dans l'autre vie. La coïncidence de cette mort avec le bruit qui s'était fait entendre pendant la nuit frappa ma mère, et lui fit penser qu'elle n'était pas seu- lement l'effet du hasard. Elle insista donc auprès de mon père pour l'engager à accepter la tutelle des enfants du défunt. Mon père, ne partageant pas ses craintes, opposa toujours la même résistance. Cependant, pour la tranquil- liser, et croyant par ne s'engager à rien, il lui promit que si le bruit recommençait la nuit suivante , il accepte-

DES OPÉRATIONS DES MAUVAIS ESPRITS. 441

rait la charge qu'on voulait lui imposer. Croyant toujours que ce bruit provenait de quelques hommes qui lui en voulaient ou qui avaient l'intention de se jouer de lui, il résolut de prendre toutes ses précautions pour décou- vrir leurs artitices. 11 fit donc coucher dans sa chambre deux hommes très-forts, et qui passaient pour très-coura- geux 5 et il attendit patiemment dans son lit. A minuit, le bruit recommença, mais bien plus fort et bien plus terrible que la veille. Mon père se lève, et dit aux deux hommes qui couchaient dans sa chambre de se lever aussi et de Taider à visiter tous les coins de la maison. Mais ils étaient saisis d'une telle frayeur que rien ne put les décider à sortir de leur lit, et qu'une sueur froide coulait de tout leur corps. Mon père parcourut donc seul avec ses do- mestiques toute la maison sans rien découvrir. Le bruit dura très-peu, mais fut beaucoup plus violent que la pre- mière fois. Mon père, de retour dans sa chambre, céda aux instances de ma mère, plutôt pour lui faire plaisir que parce qu'il croyait que ces bruits venaient d'une cause extra-naturelle ; et l'on n'entendit plus rien dans la mai- son^ Trois ou quatre témoins de ce fait vivent encore au- jourd'hui, et peuvent en attester la vérité. Je l'ai entendu raconter bien souvent par mon père, qui jamais cependant n'a pensé qu'il eut rien de surnaturel. Une chose cepen- dant l'avait frappé, et lui avait donné quelque crainte. La première nuit , au moment le tapage était le plus fort, il avait appelé son chien en lui criant : A moi, à moi! Ce chien était énorme , très -fort , très - méchant, et ce cri de mon père suffisait ordinairement pour le faire bondir et hurler d'une manière horrible. Mais cette fois, au lieu de sauter comme d'habitude, il se traîna en rampant jusqu'aux

442 DES OPÉRATIONS DES M VIVAIS ESPRITS.

pieds de mon père, comme saisi d'épouTante. Cette cir- constance fit sur mon père une impression très -vive, et déconcerta ses pensées sans changer néanmoins sa convic- tion .

Un autre fait plus récent encore m'a été raconté l'an dernier en Pologne par la princesse M. S. Elle habite dans le duché de Posen un immense château qui avait été bâti pour le roi Stanislas Leczinski. Il y a quelques années, des bruits extraordinaires se firent entendre chaque nuit dans une des chambres occupées par les jar- diniers; de sorte que ceux-ci ne pouvaient doinnir. Ces chambres étaient séparées du château par les jardins. Les jardiniers avaient remarqué que le bruit avait commencé depuis l'arrivée d'un jeune garçon de quinze à seize ans. Ses camarades n'avaient rien voulu dire au prince S., dans la crainte de lui faire tort, et ne sachant pas d'ailleurs si c'était lui qui était réellement la cause ou l'occasion de ce tapage. Mais enfin, fatigués^ ennuyés et ne pouvant dormir, ils allèrent trouver un soir vers dix heures le prince pour lui raconter ce qui se passait. Le prince, la princesse, les femmes de chambre , tous les domestiques prirent des flambeaux et des lanternes pour se rendre sur les lieux. Après avoir traversé une partie des jardins, ils commen- cèrent déjà à entendre le bruit, qui devint toujours plus clair à mesure qu'ils approchaient davantage. Rendus sur les lieux , il leur sembla que les meubles et tous les objets qui se trouvaient dans la chapjbre du jeune garçon sau- taient et dansaient: mais dès qu'ils ouvraient la porte le bruit cessait, et ils ne voyaient rien. Au bout de quel- que temps, la princesse pensa que c'était peut-être la lumière qui produisait cette interruption subite du bruit.

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Elle proposa donc de prendre des allumettes chimiques , d'éteindre les lumières, et de laisser la porte entr'ouverte. Puis, quelques personnes devaient regarder dans la chambre , pendant qu'une autre ferait prendre les allu- mettes. On fit ce qu'elle désirait; elle et son mari se pla- cèrent à l'ouverture de la porte. Or, au moment les al- lumettes jetèrent de la lumière, ils virent très-distinctement le Ht, les bottes, un balai, etc., sauter dans la chambre, pendant que le garçon était au lit. Ils aperçurent aussi sur le lit du garçon et par terre des morceaux de tuile qui étaient tombés du toit, et qui ne lui avaient fait aucun mal. Ils l'interrogèrent à ce sujet, et il leur dit que depuis quel- que temps déjà il était poursuivi par cette calamité, et qu'il ne savait à quoi l'attribuer. Le prince le garda quelques mois encore: mais les jardiniers ayant appris que ce jeune homme passait dans le pays pour avoir des rapports avec les sorciers et être en commerce avec le diable, le prince se décida à le renvoyer, et le bruit cessa avec son départ.

CHAPITRE XXIV

L'action du démon paraît d'une manière certaine et positive. Des expé- riences faites à ce sujet par les directeurs de séminaires et les maîtres des novices dans les couvents. Les expériences d'Olivier Manareus, recteur à Lorette. Ce qui s'est passé h Madel en Thuringe et dans la maison du tisserand Gilbert Campbel en Ecosse , en 1654.

Pendant qu'Olivier Manareus était recteur de la maison des Jésuites à Lorette, celle-ci fut inquiétée par diverses ap- paritions sûres auxquelles ce vieillard de quatre -vingt-

444 DE L ACTION CERTAINE DU DÉMON.

six ans fit les dépositions suivantes [In processu remiss. périences Flandr., f. 11 j, p. 932-39) : D'abord, un Maure parut avec ,„,L,= un vêtement ffi'isàun novice belge, et essava de le faire apostasier. Celui-ci ne voulant point cédera ses perfides suggestions , il lui souffla sur le visage une vapeur telle- ment infecte qu'il en garda l'odeur pendant deux jours. Il fut plus heureux auprès d'un autre novice sarde, lequel quitta et la compagnie et la ville. Il commença bientôt à faire du bruit dans une chambre éloignée; il semblait que tous les meubles étaient jetés pêle-mêle, et cependant tous étaient à leur place. Lorsque les frères priaient, il frap- pait contre leur escabeau; quelquefois, du haut du plan- cher, il imitait le bruit d'un chat qui dort. Une fois, au souper, un jeune homme de vingt-trois ans reçut au côté un coup si violent qu'il jeta un cri et tomba à la renverse. D'autres fois, pendant que les frères étaient couchés, il grimpait comme un chat, puis retombait de tout son poids sur eux, ce qui leur causait une grande frayeur. Manareus avait donc pris la coutume de se promener des heures en- tières pendant la nuit, dans le corridor sur lequel s'ou- vraient les chambres des novices, afin de pouvoir à chaque instant leur donner les secours nécessaires. On employa des cierges bénits, des reliques, les prières, les exorcismes; on commanda à l'esprit, s'il voulait quelque chose, de s'a- dresser au recteur. Plus d'une fois, en effet, l'esprit envoyé vers le recteur au nom de la sainte obéissance vint frapper à sa porte. Il lui devint plus à charge dans une fièvre qu'il eut, et pendant laquelle le sommeil l'abandonna plusieurs jours et plusieurs nuits de suite. Enfin, comme il s'était un peu endormi, l'esprit frappa de nouveau à sa porte vers minuit. Le recteur, croyant que c'était un frère, dit d'en-

DE l'action certaine DU DEMON. 44 O

trer; mais lesprit se mit à frapper de nouveau^ de sorte que le père, jugeant que c'était le démon^ lui cria : « Ouvre au nom du Seigneur, et fais ce que Dieu t'a permis de faire contre moi. » Il ouvrit alors la porte]et les fenêtres avec une telle force qu'il sembla qu'elles étaient brisées. Le père éveilla son voisin pour qu'il vînt les refermer. Une fois, vers minuit, comme il se promenait dans le corridor, il entendit du bruit comme si on enfonçait le toit, et il lui sembla que quelque chose approchait toujours de lui da- vantage. 11 se mit à regarder avec attention, et vit un chien noir se jeter sur lui avec les yeux flamboyants, et passer trois fois devant lui en aboyant. Le démon fut chassé enfin par l'intercession de saint Ignace.

Il se passa en Thuringe un fait très -extraordinaire qui Le berg fit une grande sensation en Allemagne vers la moitié du ^' ^ ' xvi^ siècle, et donna lieu à plusieurs écrits. « Il y avait un pauvre homme, berger de son état, qui servait à Madel en Thuringe, chez un gentilhomme nommé JunkerVelten de Harris. In autre berger de Borstendorf, à un demi- mille au-dessous d'Iéna, vint le trouver dans les champs le jour de la Saint-Jean-Baptiste en 1559. Après lui avoir de- mandé quel était son maître et ce qu'il gagnait, il lui dit que s'il le désirait il lui procurerait un bon maître. La-des- sus, le pauvre berger répondit qu'il gagnait cinq schocks, mais qu'il avait un maître pieux, et qu'il ne désirait point en changer. Le berger de Borstendorf lui dit : « Ce que tu gagnes n'est rien, je veux t'enseigner un maître qui '2 donnera dix florins par an. » Il sut si bien gagner le pauvre berger par ses discours que celui-ci lui promit de senir un an le maître dont il lui parlait. Après quoi il reçut deux morceaux de pain, l'un blanc et l'autre bleuâtre. Ce pain

446 DE l'action certaine du démon.

n'avait point un goût naturel: il avait été pétri avec du sang de cinq animaux sauvages différents, comme le ber- ger de Barstendorf l'avoua avant de mourir^ lorsqu'il fut brûlé à Weimar^ pour cause de blasphème. Aussi^ dès que le berger de Madel en eut mangé, il se sentit très-mal dis- posé. Interrogé s'il voulait encore s'engager au service de son nouveau maître, il répondit que oui. Le berger de Borstendorf l'emmena donc dans un bois^ il vit courir autour de lui un gi'and nombre de lièvres; puis l'autre bergerie quitta. Revenu le soir chez lui. il se trouva mal. Pendant qu'il était assis sur un banc chez son maître Vel- ten, qui avait une nombreuse compagnie ce soir-là, il fut attaché avec des liens saris qu'on vît personne près de lui. Puis le démon le tourmenta en mille manières, soit au de- dans, soit au dehors, le liant avec des cordes, le garrottant avec des crochets pointus dont les pointes étaient tournées vers la gorge, et personne ne pouvait voir celui qui le liait ainsi.

« On l'envoya, au commencement de l'année 1 i560,pour servir comme berger chez Hans Poster, à Schobelau, pour voir s'il ne se trouverait pas mieux en changeant de heu. Mais le démon le tourmenta bien davantage encore, comme peuvent l'attester un grand nombre d'hommes pieux qui sont venus le voir d'Iéna et d'ailleurs. Une nuit, à Schobe- lau, le diable porta dans le grenier Une grande quantité de vieux bois , de vieux morceaux d'escaliers qu'il arrangea en forme d'édifice bizarre auquel personne ne comprenait rien. D'un côté, il y avait une échelle avec des chaînes de chariot attachées de la manière la plus extraordinaire à une colonne. Le pauvre berger y était étendu avec une grosse pierre attachée au pied , comme on a coutume de

DE l'action certaine DU DÉMON. 447

faire pour les malfaiteurs. Le pauvre homme fut souvent emporté à travers et sur les toi! s, l'on voyait très-dis- tinctement les traces de ses pieds sur la paille qui servait de toiture; de sorte qu'on ne pouvait comprendre com- ment il avait pu passer par des ouvertures aussi étroites. Souvent aussi on le laissait tomber^ travers les toits; mais, par une protection particulière de Dieu, son corps ne reçut jamais aucun dommage. Il n'y a pas longtemps encore qu'on plaça sur lui une grande porte , que Ton frappa avec un grand arbre, de sorte qu'elle se brisa, et que le sang lui sortait du cou. Toutes ces choses ont été vues en plein jour. Une fois aussi, douze hommes forts et vigoureux furent obligés de le tenir, de sorte que les gens qui de- meurent dans le même lieu racontent des choses merveil- leuses sur tout ce que soufïre ce pauvre homme en son corps. On a envoyé plusieurs théologiens et prédicateurs diéna et d'autres lieux pour chasser le démon; mais ils n'y ont pu réussir. Dernièrement encore, le malin esprit a, pendant l'été, mêlé et gâté dans les champs tous les blés du gentilhomme Poster; et la nuit il se fait un tel bruit dans la cour de Schobelau que personne ne peut y rester. Le démon a osé bàlir de nuit dans ladite cour une tour en pierre, et l'avait élevée au-dessus de terre à peu près à la hauteur d'un homme; mais le jour on n'aperçoit ni ma- tériaux ni travailleurs. Bref, on ne saurait ni écrire ni lire tout ce que ce malheureux a souffert et souffre encore du mahn esprit. Que Dieu daigne le secourir et le délivrer de ces horribles tentations. Donné le 8 juin 1 560. »

L'action du démon apparaît surtout d'une manière frap- pante dans les faits qui se passèrent depuis le mois d'oc- tobre i6.o4 dans la maison d'un tisserand nommé Gilbert

448 DE l'aCTIO' certaine Dr DEMON.

Campbel^ demeurant dans 1 ancienne paroisse de Glenluce, comté de Galloway. en Ecosse. « Un mendiant insolent. Al. Agne,-qui plus tard fui pendu à Dumfrweis pour crime de blasphème , n'avait pas trouvé suffisante l'aumône que Gilbert lui avait donnée, et lui avait, à cause de cela, fait des menaces. A partir de ce moment, le malheur sembla s'attacher à lui. Et d'abord, tous les outils dont il avait be- soin pour son état furent brisés; puis, à partir du miheu de novembre, des pierres furent lancées avec force et en grand nombre contre les fenêtres, les portes et les chemi- nées. Gilbert déclara la chose au curé du lieu et aux voi- sins; mais elle continua comme auparavant. Il trouvait souvent la trame et la chaîne coupées comme avec des ciseaux sur le métier; il en était de môme des habits, des bonnets, des souliers, même pendant que les gens de la maison les portaient sur le corps. Cependant leur per- sonne était épargnée, si ce n'est qu'ils ne pouvaient dor- mir la nuit. Les boîtes, les coffres étaient ouverts, et les objets qu'ils contenaient coupés, éparpillés ou cachés; de sorte que le pauvre homme fut obligé de renoncer à son état, qui était sa seule ressource, et de mettre en sûreté le reste de son avoir chez ses voisins. Pour lui , il resta en- core dans sa maison. On lui conseilla d'éloigner sa famille; il le fit, et le calme revint pendant quatre à cinq jours. D'après le conseil du curé, il rappela ses enfants, et la paix continua jusqu'à ce que l'un de ses fils, Thomas, qui avait été envoyé plus loin que les autres, fut aussi de retour. Le bruit commença de nouveau, et dès le lendemain, qui était un dimanche, le feu fat mis à la maison. Il fut éteint cependant sans beaucoup de dommage par les gens qui re- venaient de réglise. On ordonna pour le lendemain un

DE l'action certaine DU DÉMON. 449

jeûne et des prières, mais malgré cela le feu fut mis encore à la maison le mardi vers neuf heures du matin, et éteint heureusement Camphel, tourmenté ainsi jour et nuit, alla trouver le curé, et le pria de prendre chez lui pendant quelque temps son tils Thomas. Le curé y consentit, en lui disant d'avance que cela ne servirait de rien. En effet, quoique l'enfant fût hors de la maison, la famille fut in- quiétée jour et nuit; de sorte que jusqu'à minuit, et bien souvent même la nuit tout entière , ils étaient obligés de veiller; et pendant ce temps-là leurs habits étaient déchi- rés, cachés et jetés çà et là.

« Les prêtres du canton s'étant réunis à l'occasion d'une fête, ils persuadèrent au tisserand de reprendre chez lui son fils Thomas , quoi qu'il pût arriver. L'enfant dit qu'il entendait une voix qui lui défendait d'entrer dans la mai- son. 11 entra néanmoins, mais il fut tellement maltraité qu'il fut obligé de retourner chez le pasteur. Le lundi 1 2 fé- vrier, la famille entendit aussi une voix, sans distinguer d'où elle venait, et une conversation assez frivole s'engagea depuis le soir jusqu'à minuit. Le pasteur vint le lendemain, accompagné de quelques personnes; et, la prière une fois achevée, tous entendirent sortir de dessous un lit une voix qui disait dans le dialecte du pays : « Voulez -vous con- naître les magiciennes de Glenluce, jevousles nommerai.» Puis il leur nomma quatre ou cinq personnes mal famées. Campbel ayant remarqué qu'une de celles-ci était morte depuis longtemps : a C'est vrai, répondit la voix; mais son esprit vit avec nous dans le monde. » Le pasteur répondit : « Que Dieu te punisse, Satan, et te réduise au silence! Nous ne voulons point apprendre de toi ce que sont les gens. Tu neveux que tromper cette famille; caria division

450 DE l'action certaine du démon.

est toujours dans le royaume de Satan. » Là-dessus tous se mirent de nouveau à prier; et pendant ce temps la voix se tut. Mais la prière terminée ^ elle cria à l'enfant qui était revenu que s'il ne partait de la maison on y mettrait le feu. Le pasteur répondit : « Dieu la préservera et cet enfant aussi; car il appartient à cette famille, et a le droit de de- meurer ici. » La voix dit : « Il ne restera pas ici : il en a été chassé une fois^ il ne peut plus y demeurer, devrais-je Je poursuivre jusqu'au bout du monde. » Le pasteur ré- pondit : « Le Seigneur le défendra contre ta malice. » Ils se remirent à prier, et la voix dit : « Donnez -moi des boches et des pelles; tenez-vous éloignés d'ici pendant sept jours, et je me creuserai une tombe je me coucherai, et je ne vous dérangerai plus. » Le tisserand répondit : « Avec le secours de Dieu, tu n'auras pas un brin de paille, quand même nous pourrions obtenir par le repos. » Le pasteur ajouta : a Dieu t' éloignera en temps convenable, w La voix dit : « Vous ne me ferez pas bouger d'ici, car j'ai mission de la part du Christ pour hanter cette maison, w L'autre dit là-dessus : « Dieu saura bien en son temps t'ôter cette per- mission. » La voix : « J'ai une mission qui durera peut- être plus longtemps que la votre. « Le pasteur et un autre se levèrent, et allèrent à l'endroit d'où la voix paraissait venir pour voir s'ils ne trouveraient point quelque chose. Ils eurent beau chercher, ils ne trouvèrent rien, ce II semble, dit l'autre au pasteur, que la voix vient des enfants, w Quel- ques-uns des enfants étaient, en effet, au lit. La voix ré- pondit : « Vous mentez; Dieu vous en punira; moi et mon père nous viendrons, et nous vous emporterons en enfer. » La voix imposa silence à l'autre en lui disant : « Laisse ce- lui-ci parler; il aune mission, et il est le ministre de Dieu. »

DE l'action certaine DL' DÉMON. ioi

« Tous deux s'asseyent près de l'endroit d'où la vois paraissait venir. Une sorte de dispute s'engage entre le presbytérien et le personnage invisible, s' appuyant en grande partie sur des textes de la sainte Écriture. Lorsque l'une des parties opposait à l'autre un texte embarrassant, celle-ci lui rendait la pareille. La dispute s'écbaufTe : enfin, (omme le pasteur se tenait un peu en arrière dans la chambre, la voix cria : « Je ne connaissais pas ces passages jusqu'à ce que mon père me les eût appris. Je suis un mauvais esprit; Satan est mon père, et je suis venu pour tourmenter cette maison. » On vit apparaître aussitôt une main et un bras nus depuis le coude. La main frappa le plancher, de sorte que la maison en trembla. Puis la voix dit en poussant un cri effroyable : a Viens, mon père, viens! Je veux vous envoyer mon père. >*ele voyez-vous pas derrière vous? » Le pasteur dit : « Pendant que j'entendais le coup, j'ai vu, en effet, une main et un bras. » La voix : « Eh bien, ce n'était pas ma main, c'é- tait celle de mon père; ma main est plus noire à l'exté- rieur. Si vous voulez me voir, éteignez la lumière, et je paraîtrai au milieu de vous comme un globe de feu. » Pen- dant cet entretien le soir était venu, et l'on se préparait à s'en aller. La voix cria : « Que le pasteur ne parte pas, ou bien je brûle la maison. » Comme il était parti malgré cela, le tisserand le conjura de revenir. La voix dit alors : « Vous avez fait ce que je demandais. Ce n'est pas à cause de toi, mais pour obéir à Dieu, et tenir compagnie à ce pauvre homme. »

« On se mit à prier, et le pasteur défendit à la famille d'ouvrir la bouche et de parler avec le malin esprit, en leur recommandant, s'il venait à leur parler lui-même, de

452 DE l'action certaine du démon.

se mettre à genoux et de prier Dieu. Là-dessus la voix cria : « Comment, vous ne voulez pas parler avec moi? Eh bien, 'je bnilerai la maison, et je vous ferai toute sorte de peines. » On ne lui répondit point. On n'entendit plus rien pendant longtemps. Mais Gilbert fut encore in- quiété souvent : il n'avait pas deux jours de libres dans la semaine, et ceci dura jusqu'au mois d'avril. A cette époque, il survint un peu de mieux, jusqu'au mois de juillet. Mais de nouveaux accès revinrent alors, et la pauvre famille fut bientôt réduite à la plus grande misère; car même ce qu'elle mangeait ne lui portait pas de profit. Gilbert s'a- dressa donc au synode qui devait se réunir au mois d'oc- tobre 1633, et lui demanda s'il devait quitter la maison ou rester. Le synode envoya une commission à Glenluce, et ordonna au mois de février 1636 un jour de pénitence et des prières pour cette pauvre famille dans tout le can- ton. Les choses allèrent un peu mieux jusqu'au mois d'a- vril, et à partir de cette époque jusqu'au mois d'août on n'entendit plus rien. Mais bientôt le mal reparut de nou- veau. On cachait sous le seuil de la porte les mets apprêtés pour le repas; on versait les plats sous les lits ou même de- dans, ou bien on emportait tout, même le pain et l'eau. Pendant tout le mois d'août, personne ne put dormir dans la maison à cause du bruit continuel qui s'y faisait. Ce- lui-ci augmenta encore, et de plus, l'esprit se mit à jeter des pierres et à donner des coups. Le 18 septembre, vers minuit, on entendit une voix crier : « Je vais brûler la maison : et trois ou quatre nuits plus tard, en eflet, on mit le feu à l'un des lits; mais il fut éteint heureusement. Gilbert continua d'être tourmenté jusqu'au jour fut ré- digé ce document. »

DE l'.VCTION CERTAINC DU DÉMON. 4o3

G. Sinclare, mathéaiaticien très-connu, publia le pre- mier celte iiistoire dans son Hydrostatique. Ce n'était guère, il semble, le lieu pour des communications de ce genre; mais comme il voyait dans ce fait une preuve ma- thématique en quelque sorte de l'existence des esprits, il se mit au-dessus de toute considération, et l'inséra dans son livre. Quant au récit lui-même, il fut rédigé par le fils du tisserand lui-même , qui connaissait parfaitement toute Taffaire; et D. G. Burnet, qui a écrit l'histoire de la Ré- forme en Angleterre, assure qu'ayant vécu plusieurs an- nées à Glascow il a trouvé tout le peuple de la ville et des environs parfaitement convaincu de la vérité du fait, et qu'il n'a jamais entendu exprimer le moindre doute sur le récit qu'en a fait Sinclare ; qu'on lui reproche seulement d'être trop court; mais qu'à la vérité il aurait fallu un volume tout entier si l'on avait voulu raconter tout ce qui s'est passé ; qu'au reste on a de ce même fait une histoire complète, attestée par la signature de témoins oculaires, aux témoignages desquels Antoine Horneck, qui l'a publiée plus tard, a ajouté encore celui de plu- sieurs autres personnes du pays qui lui en ont garanti la véracité.

Comme la rédaction de ce document et la manière dont il se termine prouvent qu'il a été composé lorsque les faits étaient tout frais encore, il n'est pas possible de supposer qu'il y ait eu tromperie. Celle-ci n'a pu venir des enfants, puisque ces faits extraordinaires se sont produits aussi bien dans leur absence que pendant qu'ils étaient présents. Il serait possible toutefois que la voix fut venue d'eux, à leur insu , par suite de quelque état extraordinaire ils se seraient trouvés; mais en ce cas la chose n'en serait pas

454 DE l'action certaine du démon.

moins merveilleuse. On ne peut pas soupçonner davantage le clergé, auquel Ion a coutume de sen prendre d'abord dans les cas de ce genre; car il ne pouvait en trompant se proposer aucun but j, et d'ailleurs l'issue de toute cette af- faire n'a pas été assurément très- brillante pour lui. Le pasteur John s'est conduit très-bravement, il est vrai, mais il n'a pu venir à bout de l'ennemi. Le synode n'a pas été plus heureux. On ne peut d'ailleurs faire à l'esprit humain cette injure de croire qu'un désordre aussi bruyant, qui s'est produit en tant de manières, en présence de tant de témoins, de jour et de nuit, qui est devenu un spectacle pour tout le pays, ait pu être continué pendant deux an- nées entières par l'efTet de quelque supercherie, sans que ni les personnes de la maison, ni les voisins, ni le pasteur, ni les témoins oculaires, ni la commission du synode aient pu découvrir la moindre trace de duperie. C'est pour cela, et aussi parce que celte histoire s'est passée dans un pays protestant, que nous avons cru devoir la rapporter ici, laissant au lecteur à juger si ce n'est pas encore une ga- rantie de plus pour sa véracité. C'est peut-être aussi pour cela que les protestants ont cherché à l'ensevelir dans l'oubli.

Ainsi, en faisant la part des falsifications que le caprice, la malice , l'imposture réfléchie peuvent avoir introduites dans les histoires de ce genre, il reste encore en ce do- maine une masse de faits incontestables, qui prouvent qu'il existe un monde invisible, lequel peut disposer à son gré des forces physiques nécessaires pour la manifestation de ces phénomènes. Mais à côté de cette manière tumultueuse et saisissable dont les puissances invisibles entrent en rap- port avec nous, il en est une au lie encore qui se rattache

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DE l'action CERTAI>E Dr DÉMON. 453

principalement au sens de la vue^ qui demande le silence et ordinairement aussi Tobscurité de la nuit , et qui donne lieu à une nouvelle série de manifestations que nous de- vons étudier maintenant. Les expériences de celle sorte sont si nombreuses^ les légendes et les histoires ces faits sont racontés sont si multipliées que les bornes de ce livre ne suffiraient pas pour en contenir seulement la partie la plus importante, et que, si nous voulions épuiser la matière ;, nous serions infini. En efiet, d'un côté, la nuit et l'obscurité apportent toujours quelque incertitude et quelque doute qui provoque la critique . tandis que^ d'un autre côté, la solitude oîi se trouvent ceux k qui ces sortes de choses arrivent rend celle critique difficile , ou même tout à fait impossible. Nous devons donc abandonner la discussion de ces faits aux écrits qui se sont proposé ce but d'une manière toute spéciale, et, au milieu de cette masse de récits qui se présentent à nous , nous borner à un cercle très- étroit, et nous contenter de rapporter ce qu'ont vu les saints en ce genre. Chez eux en effet la vue est plus pénétrante, l'image plus distincte, plus précise et par conséquent plus sûre. Et d'un autre côté , quoiqu'ils soient exposés aussi à l'illusion, celle-ci doit être plus rare et moins probable chez eux; et il n'est pas permis en tout cas de supposer qu'ils aient voulu tromper sciemment. Mais comme il y a entre le monde invisible et les saints des rapports réciproques, ils peuvent se rencontrer de deux manières, selon que ce rapport vient principalement ou du premier ou des derniers. Nous l'étudierons à ce double point de vue. Mais, d'un autre côté , le monde invisible se partage en trois royaumes , lun bon, l'autre mauvais, et un troisième situé entre les deux. Nous n'avons point à

436 COMMENT LES DEMONS TENTENT LES SAINTS.

nous occuper ici du premier, en ayant déjà parlé dans la mystique divine: nous ne considérons donc que les phénomènes qui se rattachent au premier et au troi- sième.

CHAPITRE XXY

Comment Dieu permet que les démons tentent les saints pour les exercer et les purifier. Les tentations des Pères da désert, et en particulier de saint Antoine. La même chose se reproduit dans les temps les plus récents. Tentations de Jean de Castillo et de Made- leine de Pazzi.

Nous avons plus haut, à loccasion du somnambulisme spontané , e\posé le côté physique de cette magie qui naît du rapport de l'homme extérieur avec la nature physique; puis nous avons étudié les phénomènes psychiques qui résultent de ce rapport ; et nous avons ainsi parcouru le cercle entier de la magie naturelle. L"homme, avons-nous dit, a un côté diurne ou lumineux qui s'exprime dans le corps par toute cette moitié tournée vers le dehors , la- quelle comprend les systèmes nerveux, depuis le cer- veau et la partie antérieure de la moelle épinière jusqu'à cette portion du système ganglionnaire qui se rattache à celle-ci; et un autre côté nocturne ou ténébreux, qui comprend la partie postérieure de ce même système gan- gUonnaire et de la moelle épinière jusqu'au cervelet. Par le premier côté Thomme est dans un rapport réfléchi, scien- tifique et pratique avec le monde physique , et le monde psychique placé sur la même ligne que lui, tandis que par le second, lorsqu'il s'éveille en son temps, il est dans un rapport magique ou mystique avec les mêmes domaines de

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la nature. Mais ce double rapport, l'un réfléchi, l'autre magique ou mystique, peut encore exister entre T homme et Dieu, ou tout ce qui sert à Dieu d'instrument volontaire ou involontaire. Au point de transition qui conduit du pre- mier de ces rapports au second, nous trouvons cette série de phénomènes, si fréquents dans la vie des saints , par les- quels les puissances de Tabime , servant en cela d'instru- ment à la divine Providence, concourent à la perfection des élus de Dieu par les tentations qu'elles leur suscitent

l les victoires qu'elles leur ménagent. Ces attaques, quoi- qu'elles aient un bon résultat, viennent néanmoins d'un mauvais principe. Elles forment donc comme la transition naturelle à cette ascèse qui fraye les voies au mal, tandis que, d'un autre côté, les nouvelles régions qui s'ouvrent ici semblent se rattacher à celles que nous venons de quit- ter. Ainsi l'exposition de ce genre de phénomènes ne peut trouver nulle part mieux qu'ici sa place. Nous allons en- trer dans une région plus profonde : aussi tout ce qui s'est présenté à nous jusqu'ici dans un cercle plus étroit va

<i reproduire sous nos yeux avec des proportions plus larges, mais aussi d'une manière plus intelligible et plus instructive à la fois. Si donc nous n'avons pu refuser de ijous rendre à l'évidence des faits dans le domaine plus borné et purement extérieur que nous venons de parcourir, nous serons forcésde reconnaître comme bien plus certains -encore les faits que nous allons étudier, attestés comme ils

sont par des témoins pour qui la mort aurait été préfé-

able au mensonge.

On ne peut prononcer le mot de tentation sans que le s. Amoim nom de saint Antoine se présente aussitôt à l'esprit; car les tentations de cet homme illustre sont devenues prover-

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4o8 COMMENT LES DÉMO.N^ TE.NTEM LES SaINTS.

biales . et ont fourni aux arts un sujet inépuisable de com- positions. Sa biographie authentique rapporte qu'à Tàge de trente ans, pendant qu'il demeurait enfermé dans un tombeau, les malins esprits le pressèrent et le maltraitè- rent tellement que la grandeur des souffrances qu'il en- durait Tempèchait de marcher et de parler. Une fois même, le frère qui avait coutume de lui porter à manger le trouva étendu par terre comme un mort, et l'emporta chez lui. Mais à peine ce saint homme fut-il revenu à lui qu'il fallut le reporter au lieu d'où on l'avait amené. Les démons, voyant quil bravait ainsi leur fureur, n'en devinrent que plus irrités. Ils excitèrent tout à coup autour de lui un tel tapage qu'il semblait que les murs s'entr* ouvraient pour donner passage à des multitudes d'esprits mauvais. Tout le lieu il était fut bientôt plein de botes féroces, de ser- pents, de lions, de taureaux, d'ours, de panthères et de scorpions. Tous ces animaux élevèrent la ^oix, sifflant, hurlant ou mugissant autour de lui ; de sorte que le pieux solitaire souffrit de grandes douleurs, et fut réduit à une terrible extrémité. Mais son courage ne ploya point sous l'effort de cette tempête. Bien loin de là, il accueillit avec des paroles de mépris et de dérision ces fantômes qui fon- daient sur lui, jusqu'à ce qu'enfin une lumière brilla au- dessus de sa tête et chassa tous ces monstres , pendant qu'une voix mystérieuse lui promettait secours et protec- tion. A l'instant même, toutes ses douleurs disparurent , et son corps reprit sa première énergie .

Plus tard, comme il habitait un ancien château dans le désert, plusieurs personnes qui étaient venues pour le voir entendirent devant la porte la voix des démons qui se moquaient de lui, quoiqu'elles ne vissent personne par les

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fentes de sa porte. Il raconte lui-même que Satan, sous la forme d'un géant, frappa un jour à sa porte, et se plai- gnit à lui de la destruction de son pouvoir par le Sauveur, Plus tard il le vit dans une vision, élevant sa tête jusqu'aux nuages, tel que Job le décrit. Devant lui, les âmes ailées des défunts cherchaient à s'élancer vers le ciel. Celles dont le voletait plus puissant, et qui pouvaient s'élever au-dessus de sa tête, parvenaient au but; mais celles qu'il pouvait atteindre avec les mains, il les jetait vers l'abîme, dans un lac immense de feu qui étailà sespieds. [Lausiaca, c.\\\u.) Plus tard encore , pendant que le saint habitait la mon- tagne bien avant dans le désert, les visiteurs qui venaient en grand nombre le trouver dans sa solitude entendaient souvent autour de lui un mélange confus et effroyable de voix de toute sorte, un bruit de chevaux et d'armes, comme ?'il eût été assiégé par une armée d'esprits invisibles, qu'il mettait en fuite à chaque fois par sa prière. Tantôt ils lui apparaissaient sous la forme de bêtes, tantôt environnés d'éclat; mais sa parole suffisait pour dissiper ces fantômes et pour éteindre celte lumière menteuse.

D'autres saints ont encore éprouvé la même chose. Ainsi l'auteur inconnu de la Vie de saint Pacôme , abbé deTa- benna, que Denys le Petit a traduite du grec en latin, raconte que, lorsque le saint revenait au couvent, après en être sorti pour prier, les démons allaient à sa rencontre en procession, se disant les uns aux autres : « Faites place à l'homme de Dieu. » Souvent ils faisaient autour de sa cabane un tel vacarme qu'il semblait qu'ils voulussent la détruire de fond en comble. Mais dès qu'il se mettait à chanter, ils s'évanouissaient comme la fumée. Quelquefois plusieurs d'entre eux faisaient comme s'ils eussent voulu

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coudre une feuille d'arbre avec une corde, afin de lui arra- cher au moins un sourire. Quand il était à table, ils lui apparaissaient souvent sous la forme de femmes impu- dentes qui voulaient manger avec lui. Le diacre Éphrem raconte dans la Vie de saint Abraham que le démon lui apparaissait tantôt comme une lumière éclatante, d'où sortait une voix qui louait sa vie pieuse, tantôt avec une hache à la main , comme pour enfoncer sa cellule; tantôt il mettait le feu à la natte sur laquelle il priait, tantôt une troupe de mauvais esprits se jetait sur lui, afin de le précipi- ter dans un fossé. Le démon apparut à Jean, Père du désert, sous la forme d"un prêtre qui était venu lui apporter la communion ; mais le saint le reconnut bientôt et le chassa. Des faits semblables sont arrivés fréquemment dans, la vie des mystiques, jusqu'en ces derniers temps. Nous ci- terons d'abord un fait attesté par un ordre que son fonda- teur, après avoir parcouru lui-même les voies mystiques et être entré dans la vie active , a destiné principalement à celle-ci. Cet ordre , fidèle à l'esprit de son fondateur, n'a jamais approché qu'avec crainte et pnidence de ces régions mystérieuses; et, toujours en garde contre les apparences, si souvent trompeuses en cette matière, il ne s'est jamais rendu qu'à l'évidence. Cet ordre, c'est la compagnie de Jésus. Ce fait est raconté 'par Mathias Tanner, jésuite, dans un livre il décrit les vertus et actions remarquables de ceux qui se sont occupés en Europe du salut des fidèles. L'ouvrage parut à Prague, en 1694 , après sa mort. Il ra- conte , à la page 318, ce qui est arrivé à Jean de Castillo, mort en lo99 à Valladolid. Attaché d'abord à la personne de l'évêque d'Astorga , il était entré dans l'ordre, et avait été envoyé dans la maison professe de Villa-Garcia. Les

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premiers six mois de son noviciat , il ne se passa rien , si ce n'est qu'il fit des progrès rapides dans la vie intérieure, et reçut pendant ses extases des consolations et des lu- mières merveilleuses. Dans l'un de ses ravissements, il sentit au fond de son àme comme une voix qui lui disait que, s'il voulait, par amour pour Notre-Dame et son divin Fils, se conformer entièrement à la volonté divine, il devait être prêt, si cela plaisait à Dieu , à tomber sous la puissance des démons et à souffrir de leur part toute sorte de persécutions et de tourments. Il recula d'abord devant cette pensée : incertain, il ne pouvait prendre sur lui de consentir à une lutte aussi terrible. Comme cette pensée ne le quittait point , et qu'elle se représentait surtout pen- dant la prière accompagnée de vifs reproches, il résolut enfin de recommander la chose à Xotre-Seigneur et à sa Mère, et de leur demander la lumière dont il avait besoin dans sa détresse. Un jour qu"il renouvelait cette résolution pendant la messe, tenant en main la sainte hostie, il lui sembla entendre au fond de son àme Notre -Seigneur lui dire : « Est-ce donc quelque chose de bien difficile pour toi de te montrer prêt à être livré aux démons par amour pour moi, certain comme tu Tes de ma protection et de mon secours? » Ces paroles le consolèrent et lui donnèrent du courage; et il s'abandonna entièrement à la volonté de Dieu , prêt à soulXrir même les tourments de l'enfer, s'il le voulait ainsi. Quelques jours plus tard, il fut fortifié dans sa résolution par une apparition de sainte Agnès, et assuré de nouveau du secours de Dieu dans une lutte qui devait tourner également à la gloire de celui-ci et à son propre salut. Il se trouva donc disposé à souffrir toutes sortes de combats et d'angoisses.

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A peine l'apparition s'était-elle évanouie qu'il vit se pré- cipiter dans sa chambre des troupes de démons qui l'entou- rèrent en poussant des cris de joie^ et l'assiégèrent de la manière la plus pénible. Troublé et bouleversé à cette vue, il se sauve chez le maître des novices^ et lui raconte ce qui vient de se passer. Celui-ci^ non moins troublé que lui, ne savait que penser de ces conduites inaccoutumées, ni quel conseil donner. 11 le consola cependant en lui disant qu'il recommanderait la chose à Dieu^ et implorerait sa lumière pour discerner un esprit si singuher. A partir de ce mo- ment, la lutte avec les mauvais esprits devint toujours plus acharnée^ et le novice souffrit en son âme et en son corps les mêmes choses qu'un possédé, quoique Dieu ne permît jamais au démon de s'emparer de son corps; mais A\ multiplia au contraire ses consolations et ses faveurs , à mesure qu'il soutirait davantage. Au commencement, ce qui l'affligeait le pluS;, c'était la tentation de quitter la com- pagnie, tentation qui ne lui donnait de repos ni le jour ni la nuit. Une voix perfide lui disait sans cesse au fond du cœur: « Quitte cet ordre, et choisis-en un autre, et je ferai de toi un prodige de science, de sorte que personne ne te surpassera en sagesse et en érudition , et tu seras élevé aux plus hautes dignités. » Comme cela ne servait de rien, le démon le menaça de le poursuivre sans relâche jusqu'à ce qu'il eût été chassé malgré lui de la société. 'N'oyant qu'il ne réussissait pas mieux de ce côté, et que Castillo s'appliquait avec plus de zèle encore à la prière et aux autres exercices, il s'efforça, autant que possible, de l'en distraire. Quand il voulait méditer, il entendait autour de lui une musique bruyante, ou bien il voyait apparaître devant ses yeux des fantômes qui cherchaient à détourner

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son attention par les poses les plus bizarres. Souvent le matin , quand il voulait se lever, il se trouvait lié à son lit par les mains et les pieds, de sorte qu'il ne pouvait assister aux exercices de la communauté. Tout cela embarrassait singulièrement son directeur ; aussi Dieu peraiit qu'il fût éprouvé de la mcme manière. Un jour qu'il était sorti dans la campagne avec Jean, comme ils descendaient ensemble une montagne, il se sentit lié en même temps que lui dans tous ses membres; de sorte que ni l'un ni l'autre ne purent bouger de place , jusqu'à ce qu'ils fussent déliés de nouveau, après une pause assez longue, au grand ctonnement du directeur, qui s'amusa beaucoup de la chose. Lorsque le novice était seul dans sa chambre, les démons l'importu- naient tellement de leurs cris qu'il en était tout abasourdi, et qu'il avait la tête comme brisée de leurs horribles blas- phèmes.

Les attaques des mauvais esprits devinrent tellement vio- lentes et si nombreuses que son directeur crut enfin qu'il était possédé, et qu'il fit venir en secret de S.lamanque le P. Garcia, qui avait un don particulier pour chasser les démons. Pendant que celui-ci prononçait sur lui les exor- cismes , .Jean fut , pour son humiUation, tiré, jeté deçà el delà, renversé par terre, comme s'il eût été vraiment pos- sédé, de sorte que les pères n'eurent plus aucun doute, surtout lorsque le démon, sommé de partir et de donner un signe de son départ, fit ce qu'on lui commandait en éteignant tout à coup la lampe de la chapelle se faisait l'exorcisme. C'était une grande humiliation pour le pauvre novice^ car il ne lui restait plus aucun espoir de triompher des ruses du démon après tant de signes de sa présence. Il mit donc toute sa confiance dans la sainte Vierge. A son

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retour dan? sa cellule , il fui accueilli par les rires et les cris de joie des mauvais esprits^ qui s'applaudissaient de l'avoir fait passer pour un possédé., et de s"être joués de son guide en lui faisant croire qu'il était délivré. Le mal re- vint^, et Ton reconnut que tout cela n'arrivait que par une peiTuission divine. Mais comme il paraissait que les exor- cismes ne menaient à rien, les pères jugèrent que le novice ne convenait point pour la société , et on l'aurait renvoyé sans une protection spéciale de Dieu. Cependant, malgré ses tentations, on continua de l'employer aux fonctions de la compagnie, soit au dedans, soit au dehors de la maison; et si aucun jour ne s'écoulait sans un gain spirituel pour lui , aucune nuit ne se passait non plus sans qu'il eût à lut- ter contre l'enfer, qui semblait conjuré contre lui. Dès que l'aurore l'appelait à de nouveaux travaux, il quittait sa couche , fortifié par le secours d'en haut, comme s'il eût dormi profondément toute la nuit.

In jour qu'il était allé, à la fête de sainte Madeleine, prê- cher dans une éghse voisine un sermon destiné à la con- version des pécheurs endurcis , lorsqu'il fut descendu de chaire, il tomba malade d'une fièvre chaude, et fut déplus tourmenté de nouveau par les démons, de sorte qu'il fut obligé de se mettre au lit. Comme la maladie paraissait mor- telle, on en informa le collège des Jésuites, qui envoya le P. Sébastien Sarmiento, lequel fut témoin de la plu- part des faits que nous venons de raconter, et qui en apprit beaucoup d'autre? de la bouche même du novice. Il avait mission de ramener le malade au collège. Le médecin Cliva apporta la plus grande attention à suivre la maladie, qui fit de grands progrès jusqu'à la veille de la fête de sainte Anne, que Jean honorait d'une manière spéciale comme

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mère de la sainte Vierge. Il se recommanda donc, en cette circonstance, à sa protection. Les démons, s'en étant aperçus, lui dirent d'attendre la nuit, en lui promettant de la rendre joyeuse pour lui. Lorsque la communauté fut couchée, les démons se jetèrent sur lui avec un bruit épou- vantable. Ils commencèrent par éteindre sa lampe; ils ar- rachèrent de son lit ses habits et sa couverture, et les traî- nèrent dans la chambre. Leur fureur n'épargna pas même sa personne; ils le déchirèrent avec leurs griffes et le bat- tirent; et le lendemain le P. Sarmiento vit à ses mains et à ses pieds les marques des coups qu'il avait reçus. Jean , recueillant ses forces, ramasse ses couvertures et ses habits dispersés dans sa chambre, afin que personne dans la mai- son ne sache ce qui s'est passé. Mais les démons se jettent de nouveau sur lui, lui arrachent ses habits, le fouettent, le poussent deçà et delà, jusqu'à ce que la cloche donne le signal du lever. Le P. Sarmiento court à la chambre du malade, le trouve épuisé, respirant à peine, et déchiré par les griffes des démons. Il apprend bientôt ce qui s'est passé. Le médecin arrive de son côté, tàte le pouls, déclare l'état du malade très-dangereux , et prescrit un remède sudori- fique. Il revient le soir,ettrouve, àson grandétonnement, le malade sans fièvre, sans chaleur, et le poulsdansun état parfait. Il demande quel est ce malade. On lui dit que c'est un prêtre du collège, un homme comme les autres. «C'est impossible, répond-il, ce doit être un homme du ciel; car, d'après les principes les plus sûrs de la science, il n'a pu, sans un miracle, passer de l'état il était ce matin à celui je le vois ce soir. » Le P. Sarmiento, ayant passé quelques nuits auprès de lui pendant sa convalescence, en- tendit la première nuit un bruit singulier dans sa chambre.

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La seconde, comme ils s'entretenaient pieusement en- semble de la sainte Vierge, il entendit les démons qui murmuraient ces mots : « Taisez-vous, chiens, ne parlez pas de cette femme. Pourquoi nous tourmentez -vous ainsi? »

Il en fut de même de Madeleine de Pazzi. Huit jours avant la Pentecôte lo8o, elle entend une voix qui l'appelle. Elle est aussitôt ravie, et répond, selon sa coutume : « Me voici : je viens, je viens, je viens. » Puis, après quelques instants de silence, elle se parle au nom du Verbe fait cbair, et se répond à soi-même, a Sache, se dit-elle, que jusqu'à la fête que vous allez célébrer en bas, dans laquelle tu t'es liée si intimement à moi, et je me suis communiqué moi- même à toi avec tant de profusion, lu me resteras uniedans la jouissance des trésors du ciel. (Elle avait fait sa profes- sion l'année précédente, le jour de la Pentecôte.) Mais sache aussi que, ce temps une fois écoulé, je t'ôterai, comme je te l'ai déjà dit, le sentiment de ma grâce; quant à la grâce elle-même, elle sera toujours avec toi. Cette privation t'ar- rivera d'après les décrets de mon Père, pour la joie des es- prits bienheureux qui se tiennent devant le trône du Très- Haut, pour l'exemple et l'édification des créatures mor- telles, pour le supplice et la confusion des démons, pour le rafraîchissement et la consolation des âmes souffrantes et de la tienne. Car je veux agir avec toi comme un vail- lant général , qui avant d'élever un guerrier le fait passer par de nombreuses épreuves. Veille donc avec plus de soin encore qu'auparavant à garder toujours le sentiment de ton néant. Chaque vendredi, à l'heure j'ai rendu mon esprit à mon Père, tu recevras le Saint-Esprit, lors même que tu n'en aurais pas le sentiment. Tu me seras ensuite

COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS. 467

toujours unie, et ma paix sera avec toi, même au milieu des luttes continuelles que tu auras à souffrir. Car, pen- dant tout le temps que durera l'épreuve à laquelle je veux te soumettre, des lions sortant de l'enfer viendront en grand nombre t'attaquer, et ils soulèveront d'horribles tempêtes non -seulement au dehors, mais bien plus en- core au dedans de toi. Ne perds pas courage, je ne per- mettrai pas qu'ils deviennent maîtres de toi; ma grâce sera toujours avec toi ; et plus leurs assauts seront vio- lents, plus mon secours sera près de toi, quoique tu n'en aies ni le sentiment ni la perception. » Elle répondit aus- sitôt, parlant en son propre nom : « Votre grâce me suffit. » Puis elle parla de nouveau au nom de Notre-Seigneur, qui lui annonça cinq grandes tentations, mais en même temps cinq moyens de les combattre, et finit par ces paroles : « Laisse avec assurance tous les démons s'élever contre toi pour t' effrayer, el que jamais la crainte ne trouve ac- cès dans ton cœur. Au milieu des luttes les plus terribles, lorsque tu ne sauras de quel côté te tourner, el que tu croiras que je ne suis plus avec toi, tiens pour certain que je ne t'abandonnerai jamais. » Elle répondit : « 0 Verbe fait chair, ô Verbe fait chair, qui peut accomplir vos œuvres si grandes? Elles sont petites pour vous , mais grandes pour moi. Cependant votre grâce me suffit, et, fortifiée par elle , je ne serai jamais ébranlée, w

L'extase de huit jours qui lui avait été prédite arriva, et elle eut pendant ce temps un avant-goût de ce qui lui était réservé. Elle vit la fosse aux lions oii elle devait être jetée; ce que l'on reconnut clairement à ses paroles, à la pâleur de son visage et à son état vraiment lamentable. Elle vit une multitude innombrable de démons qui lui pré-

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paraient les plus terribles tentations. Elle entendit les mu- gissements effroyables des bêtes les plus féroces. Dans son angoisse/ elle se prosterna et exhala des plaintes qui arra- chèrent des larmes à tous ceux qui étaient présents ; elle invoqua le ciel et la terre et tous ses habitants. Puis s'a- dressant à Notre-Seigneur : « est^ lui dit-elle^ est, ô mon Dieu! le soleil de votre grâce? Il est obscurci pour moi^ et votre grâce m'est enlevée. Je suis comme un corps qui ne peut remuer aucun de ses membres. Ces monstres horribles m'environnent, et lorsque j'entendsleurs mugis- sements épouvantables, je sens le besoin de crier vers vous ; car si vous ôtez de moi votre bras tout- puissant, ils vont me dévorer. «

Elle fut néanmoins pendant ces huit jours fortifiée pour la lutte terrible qui lattendait; et lorsque le jour de la Pentecôte fut arrivé, et qu'elle revint de son extase, elle perdit le sens et le goût de la grâce divine. Alors commen- cèrent les apparitions affreuses des démons, et elle fut tel- lement assaillie par leurs tentations que les âmes les plus saintes en auraient frémi d'horreur. Les démons lui appa- raissaient sous diverses formes, et lui mettaient sous les yeux l'horrible multitude des crimes des hommes; et l'im- pression qu'elle en ressentait lui était insupportable. A chaque instant retentissaient à ses oreilles des hurlements affreux et d'épouvantables blasphèmes ; et elle en était tel- lement assourdie qu'elle avait peine à entendre les dis- cours des sœurs. Les démons n'épargnèrent pas son corps : tantôt ils la jetaient du haut en bas des escaliers, tantôt ils la mordaient sous la forme de serpents venimeux, et lui causaient d'affreuses souffrances. Lorsque, le soir, épuisée, elle voulut donner quelque repos à son corps, ils

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la tourmentaient pendant quatre à cinq heures de toutes manières. Un jour, lorsqu'elle fut au lit, ils lui serrèrent tellement la poitrine et la gorge que tous les traits de sod visage en étaient contractés, et que sa voix affaiblie pou- vait à peine faire entendre une plainte. Les sœurs la conso- lèrent; mais la douleur augmentait toujours, jusqu'à ce que, après une lutte de trois heures, une éruption parut sur tout son corps, et lui donna quelques moments de repos. Le démon se présenta à elle sous la forme d'un monstre qui voulait la dévorer, et sou angoisse dura deux heures. Ces épreuves continuèrent sans interruption pen- dant quatorze mois, au bout desquels elle apprit dans une extase qu'elle jouirait pendant .trois mois de quelque sou- lagement. Pendant ce temps, en effet, elle fut mieux, quoique toujours persécutée par les démons. Ayant voulu jeûner quinze jours au pain et à l'eau, un soir, comme elle était couchée sur son sac , elle fut déchirée et battue de la manière la plus cruelle pendant cinq longues heures. Il lui nnbla plusieurs fois qu'on lui dépeçait les membres l'un ciprès l'autre; de sorte qu'elle s'écriait comme saint An* toine en pareille circonstance : êtes -vous donc, Sei- gneur? Mais elle sortit toujours victorieuse de chaque épreuve, et fut dédommagée par une grande abondance de grâces.

Mais rien ne lui était aussi pénible que les tentations proprement dites qu'elle eut à souffrir. Elles étaient telles, qu'il lui semblait qu'il n'y en avait aucune au fond de ren- ier qui n'eut fondu sur elle, et ne lui eût causé d'insup- portables douleurs. Aussi, au plus fort de la tempête, elle -'écriait : Vraiment je ne sais plus ce que je suis, si je ^ais une créature raisonnable ou non; car je ne trouve en ni. 14

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moi rien de bori;, si ce n'est un peu de botine volonté de ne point offenser Dieu. .Je suis devenue comme un bourbier de tous les vices, et comme une occasion de tous les pé- chés; de sorte que je m'étonne quelquefois que Dieu veuille bien me supporter encore. Elle avait un profond dégoût pour tous les exercices de piété. Elle était tentée contre la foi d'une manière horrible : le démon cherchait à lui persuader qu'il n'y a point de Dieu, point d'autre vie; de sorte qu'elle pouvait à peine regarder les images des saints, et qia'elle entendait sans cesse au chœur des blas- phèmes ou des hurlements qui l'empêchaient d'entendre le chant des sœurs. Lorsqu'elle voulait aller à la commu- nion , elle tombait en défaillance à la vue du démon , qui semblait vouloir la tuer. Puis vinrent les tentations du coté de la sensualité^, telles que les ont éprouvées Cathe- rine de Foligno et beaucoup d'autres. Cette lutte lui donna une fièvre inflammatoire qui dura vingt jours. Le genre de vie sévère qu'elle mena pendant ce temps^, et qu'elle fut obligée d'interrompre par l'ordre de ses supérieurs la plon- gea dans d'autres tentations, et la fit douter si cette ri- gueur était agréable à Dieu. Les démons cherchèrent à lui persuader que tout cela venait chez elle de pure hypocri- sie, et ne l'empêchait point de satisfaire en secret toutes ses convoitises. Pour la consoler et pour lui représenter en même temps que le temps de ses souffrances n'était pas encore écoulé, Notre -Seigneur lui apparut au carême de 1588, par conséquent juste à la moitié de son temps d'é- preuves, comme Ecce homo , pendant une extase, et lui présenta un faisceau de myrrhe. Comprenant bien que ce symbole lui annonçait de nouvelles souffrances, elle les accepta volontiers en disant avec l'épouse du Canhque :

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Mo7î bien- aimé est pour moi un faisceau de myrrhe; il re- posera sur mon sein. Puis, tremblant de tout son corps, elle fut renversée à terre, faisant bien voir par qu'elle était en proie au dedans et au dehors aux douleurs les plus amères.

Elle fut ensuite attaquée du côté de la pauvreté; et s'é- tant délivrée de cette épreuve par l'obéissance, elle fut ten- tée d'abandonner le couvent. Elle alla chercher du secours auprès de Notre -Seigneur, en remettant les clefs du cou- vent enti'e les mains d'un crucifk. Une autre fois, comme elle était tentée de se faire du mal, elle plaça dans le sein d'une statue de la sainte Vierge qui était sur un autel le couteau que le démon voulait lai faire tourner contre elle- même. Tout cela ne Tempèchait pas d'être tourmentée corporellementparles démons, qui la tiraient deçà et delà, la jetaient par terre sous les yeux des sœurs, épouvantées et attristées à la fois. Quelquefois, lorsqu'elle passait par les lieux l'on gardait les mets, les portes des armoires qui les renfermaient s'ouvraient devant elle, et elle se sen- tait violemment tentée de prendre quelque chose, ce- qui l'humihait étrangement. Puis le soin qu'elle avait de son salut lui donnait des tentations de désespoir; et à peine celles-ci étaient-elles calmées qu'elle «était tentée contre l'obéissance; de sorte que, lorsque sa supérieure lui com- mandait quelque chose, elle se sentait portée à la contre- dire, quoique intérieurement elle fût disposée à lui obéir. Elle surmonta cette tentation par la mortification et l'hu- milité, fortifiée par un grand nombre d'apparitions, et chaque victoire lui procurait de nouvelles grâces. Mais les épreuves et les attaques des démons revenaient toujours. Lorsqu'ils lui apparaissaient sous quelque forme hideuse.

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on la voyait pâlir, et tout son corps était inondé de sueur. Plusieurs fois elle fut jetée violemment la tête contre le sol; de sorte que son visage enflait, et qu'elle devait se soumettre au traitement prescrit par le médecin. On la vit quelquefois prendre un fouet, et en frapper vivement à droite et à gauche, afin de repousser ainsi les démons. Les cinq années s'écoulèrent enfin. Le jour de Pâques 1390, elle eut une extase on lui prescrivit un jeûne de cin- quante jours pour expier les fautes légères qu'elle pouvait avoir commises pendant le temps de son épreuve. Elle obéit après en avoir reçu la permission de ses supérieurs. Elle jeûna pendant tout ce temps au pain et à l'eau; et au moment elle chantait au chœur avec les sœurs, le jour de la Pentecôte, le Te Dcum, elle eut un ravissement. Son visage devint resplendissant, et l'on reconnut à ses paroles qu'elle sentait les ardeurs de l'esprit. Les saints lui appa- rurent, la délivrèrent de la fosse aux lions, ôtèrent au dé- mon le pouvoir de l'attaquer à l'avenir, la comblèrent de dons que lui envoyait son bien-aimé; et elle parcourut triomphalement avec eux tout le couvent, afin de célébrer la victoire qu'elle avait remportée sur les puissances in- fernales. [Sa r/e,parV. Puccini, c. IV-VII.)

COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS. 473

CHAPITRE XXYl

Christine de Stiimbèle. Dominique de Jésus-Marie.

Une des Vies les plus extraordinaires sous ce rapport est (elle de Christine de Stumbèle^ écrite par Pierre de Dacie ou de Danemark^ qui avait été témoin d'une partie des faits qu'il raconte, et qui avait appris les autres soit d'elle- même^ soit de ceux qui vivaient avec elle. L'Église ne s'est jamais prononcée^, il est vrai^ sur ces faits; ils n'ont donc d'autre garantie que celle que leur donnent et leur propre physionomie et la véracité des témoins qui les attestent. Les compilateurs des Actes des Saints ont trouvé ces témoi- gnages tellement valables qu'ils n'ont fait aucune difficulté d'admettre dans leur collection les actes de la vie de Chris- tine et ses lettres, et ils ont eu parfaitement raison. En ef- fet, aucun homme impartial ne peut les lire sans être péné- tré de l'esprit de sincérité qu'ils respirent. La simplicité du récit et la difficulté de comprendre comment des âmes si simples auraient inventé de telles choses, écartent tout <oupçon de supercherie. Christine, dès sa jeunesse, semble avoir été dans une sorte de rapport naturel avec les puis- sances de l'abime, et ce rapport devint plus tard bien plus sensible encore. A la première visite que Pierre de Dane- mark lui fit chez ses pauvres parents, le 2 1 décembre 1267 iU moment il la saluait, elle fut jetée à la renverse la tète contre le mur avec une telle violence , que celui-ci en fut ébranlé. La même chose se répéta jusqu'à sept fois pen- dant leur entretien sans qu'elle laissât échapper une plainte ou un soupir. Mais au bout de quelque temps on vit la

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vierge frémir comme sous le coup d'une douleur sou- daine; et comme on lui demandait ce qu'elle avait, elle répondit qu'elle était blessée. Les femmes qui étaient assises près d'elle trouvèrent en effet à ses deux pieds des bles- sures d'oii coulait un sang frais. Pendant qu'on l'exami- nait^ elle continua de tressaillir, et à chaque tressaillement une nouvelle blessure paraissait dans un autre endroit; de sorte qu'à la fin elle en avait sept^ quatre à un pied et trois à l'autre. Pierre la regardait au moment parurent les deux dernières^ et il croit les avoir vues se former pen- dant les quelques instants qui s'écoulèrent entre leur nais- sance et la première goutte de sang.

Il apprit à connaître davantage son état dans les autres visites qu'il lui fit; il découvrit peu à peu ses stigmates, la sueur de sang et le parfum qu'elle exhalait. Il vit avec admiration les extases qu'elle avait de temps en temps. Un jour il la trouva au lit^ faible et épuisée; et comme il était allé avec plusieurs autres personnes chez Fabbesse de Sainte -Cécile de Cologne^ qui demeurait alors dans une propriété que ce monastère possédait à Stumbèle^, un ex- près vint dire au curé^, qui était de la société^ que Chris- tine avait été jetée dans une citerne pleine de boue^, et qu'on craignait qu'elle ne mourût. Us coururent vers elle, et la trouvèrent en effet enfoncée dans la boue jusqu'à la tète, que son amie Hilla de Berg avait beaucoup de peine à tenir au-dessus du bourbier. Pierre^ qui était arrivé le pre- mier^ voulut aider Hilla à la retirer; mais il n'y put réussir jusqu'à ce que les autres fussent venus; et alors on put la tirer et la porter dans son lit. Cependant elle resta sans connaissance^ et ne revint à elle qu'au bout d'une demi- heure. Elle se mit alors à pleurer amèrement^ et se plai-

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^nit à Dieu de la manière la plus touchante que ces choses lui fussent arrivées en présence de tant de témoins^ quoi- que dans cette circonstance il ne lui fût rien échappé dan> -on maintien ni dans ses poses qui fut contraire aux bien- séances. Elle raconta dans la suite que lorsque Pierre avec ses compagnons l'avaient quittée elle avait ressenti un tel frisson et une telle angoisse de cœur, qu'elle ne savait ce qui lui était arrivé , et que pour se distraire elle avait oté -on manteau et fait les lits de ses compagnes. Mais voyant (jue ses angoisses continuaient toujours;, elle était sortie de la chambre celles-ci étaient réunies j, et s'était mise à genoux devant un coffre, implorant le secours de Dieu, ou lui demandant au moins pardon. Il lui sembla alors qu'un nuage obscur et terrible était entré par la porte de la mai- son à l'Est, et s'était posé sur sa tète; mais elle ne savait plus ce qui lui était arrivé depuis ce moment jusqu'à celui oiij revenue à elle;, elle se trouva dans son lit. Une autre foiSj pendant l' Avent;, le frère Gérard de Greifen et Jacques d'Andernach étaient venus la voir. Le soir étant arrivé, comme elle devait aller au lit avec Gei-trude et Hed\vige , sœurs du curé du lieu, que Pierre loue à cause de leur ju- gement et de leur piété;, de même que HdladeBerg et une aveugle nommée AleidC;, qui étaient toujours auprès d'elle, plie les pria de la laisser se coucher avec elles. Elles y consentirent volontiers. Elle leur dit : « Je veux garder ma fourrure; >> car il faisait très-froid cette nuit-là. Mais 'd peine étaient-elles endormies qu'elles furent réveillées et ^frayées en même temps par un grand bruit. Trois portes de la maison s'ouvrirent : Christine fut enlevée entre ses deux compagnes de lit, et jetée devant la maison. Les frères et toute la famille, réveillés par le bruit, la cher-

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chèreut avec des flambeaux^ et la trouvèrent enfin demi- morte au lieu elle avait été lancée.

Bientôt après commença une nouvelle série de phéno- mènes. Pierre était allé de nouveau avec le frère Wipèrtde I Bohême rendre visite à Christine pour la consoler. Ils trou- vèrent chez elle le bénédictin Godfried , prieur de Brun- weiler, avec le cellérier de cette abbaye et le curé du lieu. Après les saluts d'usage^ ils laissèrent Christine au lit, et se mirent devant le feu, dans le vestibule, pour sécher leurs habits. Au bout de quelque temps, ils virent une masse de boue tomber sur les pieds du prieur, et ils en- tendirent en même temps partir un cri de la chambre de Christine , qui avait été salie par ces ordures, comme cela lui était arrivé souvent déjà. Ils retournèrent donc dans sa chambre. Le prieur se plaça à l'Est à la tête de son lit, le cellérier au pied , Pierre et le curé entre eux au Nord ; le mur contre lequel était le lit était situé au Sud. Ils étaient tous si près de Christine qu'ils auraient pu la tou- cher avec la main : c'est dans cette position qu'ils la virent salie plus de vingt fois sous leurs yeux de la même ma- nière; et ces ordures produisirent des ampoules sur toutes les parties du corps elles tombèrent. Le matin les dé- mons se retirèrent, mais ils revinrent le soir. Il en fut de même le lendemain. Dans le cours de la troisième nuit, comme W'ipert et le curé s'entretenaient ensemble de Christine, le premier demanda à celui-ci s'il ne savait point d'exorcisme par cœur. Le curé répondit qu'il savait celui qu'on récitait sur les enfants. Wipert lui dit d'en faire usage, que peut-être il procurerait à Christine quelque soulagement. Celle-ci leur répondit que ce serait mutile, et qu'elle devait accepter cette épreuve aussi longtemps que

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Dieu le voulait. W'ipert persista malgré cela daus sa réso- lution. Le curé récita donc l'exorcisme, et W'ipert le répéta mot pour mot. Quand ils furent arrivés à la fin, ils enten- dirent un bruit dans la chambre, et la lumière, qui était à deux coudées environ au-dessus de la tête de Pierre, s'é- teignit. W'ipert sauta elTrayé de son banc, et voulut courir à la porte ; mais comme il était au milieu de la chambre , il fut tellement inondé d'ordures qu'il cria plusieurs fois : « Hélas I j'ai perdu un œil; » puis il courut au feu , il y avait de l'eau chaude que l'on tenait prête pour ces sortes de cas , qui étaient devenus très -fréquents. Tout un côté du visage, la poitrine, les épaules et les bras étaient sales. Il se lava, et revint ensuite joyeux dans la chambre. Le len- demain matin, la scène changea. Comme ils revenaient de l'église, ils trouvèrent Christine en extase après avoir reçu la communion, et exhalant autour d'elle un parfum déli- cieux. Cependant les scènes de la veille se renouvelèrent plus tard, et Pierre en fut victime par trois fois différentes; mais il sembla qu'on en voulait surtout au frère Girard, qui, par manière de plaisanterie, s'était donné comme un bon ami du diable.

Cependant Pierre était allé à Paris. Mais il apprit par des lettres du curé, que Christine avait dictées en partie, ce qui s'était passé depuis son départ. Ses épreuves avaient pris une autre tournure. Diverses parties de son corps, ses yeux, son front, ses joues, avaient été brûlés, et il s'y était formé des ampoules comme dans les brûlures ordi- naires. Un matin on lui trouva le visage tellement enflé et couvert d'ulcères, qu'elle ressemblait aune lépreuse et qu'on pouvait à peine la reconnaître. Une nuit, une de ses compagnes fut comuie elle tellement maltraitée, qu'elle ne

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voulut plus désormais dormir avec elle. Un crâne fut porté dans la maison^ et marchait dans la chambre^ tantôt par terre j tantôt au plafond. Puis on se mit à jeter des pierres autour d'elle^ de sorte que son père reçut une bles- sure à la tête et deux au bras. Gertrude^, la sœur du curé, en reçut une au front; et une juive qui s'était vantée que l'esprit ne lui en voulait point fut au contraire fort mal- traitée. Mais c'était surtout Christine qui était l'objet delà fureur des esprits mauvais. Une fois elle reçut entre les épaules une pierre qui pesait quatre livres, de sorte qu'elle cracha le sang. Elle était souvent mordue; après quoi tout son corps paraissait couvert de plaies, et le sang lui coulait le long du dos et des flancs jusqu'aux pieds. Mais son entourage n'était pas épargné non plus. Le prieur de Brunweiler reçut onze blessures à la main ; le frère Jean de Munsindorp reçut une blessure très-large; le curé fut mordu, et garda au-dessus de la jointure du poignet une cicatrice de trois doigts. La même chose arriva à un autre religieux, à une béguine de Brun^veiler et à d'autres .

Les esprits qui faisaient tout ce mal étaient invisibles aux autres, mais non pour Christine : aussi elle savait or- dinairement d'avance ce qui allait lui arriver, et l'annon- çait quelquefois quand les circonstances le demandaient. Elle était avec cela tourmentée intérieurement par d'hor- ribles tentations ; mais elle supporta tout avec patience et résignation, de sorte qu'elle réduisit au désespoir ses per- sécuteurs. Une fois, tous les plaisirs du monde lui furent montrés, et elle sentit en même temps le désir de voir un certain homme et de lui parler. « Je connaissais cet homme, dit Pierre; c'était un personnage abominable, un assassin dont la vie n'était qu'une suite de forfaits. » La résistance

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qu elle opposa à ce désir lui causa de telles douleur^ qu'il lui sembla que sou cœur allait se briser. Comme elle ne soupçonnait aucun mal, elle s'étonnait elle-même du désir qu'elle éprouvait de voir un homme qu'elle avait en hor- reur auparavant et dont la voix lui était odieuse comme Satan lui-même. A partir de ce moment, le démon se pré- senta chaque nuit près de son lit sous la foniie de cet homme, en lui disant : a Me voici, ma bien-aiméej j'ai trouvé la porte ouverte, et je suis entré à l'insu de ton père et de ta mère; n'aie pas peur. » Puis il essayait de l'embrasser et de lui prendre les mains. Elle, croyant que c'était cet homme lui-même, retirait ses mains, se défen- dait de toutes ses forces, le conjurait à haute voix dans l'amertume de son cœur, et par la passion du Sauveur, de la laisser. Il lui disait : a Chère àme, je n'ai jamais aimé personne autant que toi. Si tu voulais seulement me don- ner un regard , je deviendrais bon ; mais si tu me le re- fuses, je persévérerai dans le mal. Je veux faire de toi une grande dame, te donner des habits et de l'argent en abon- dance. Tu ne manqueras de rien; je t'emmènerai, sans que tes parents le sachent , parmi des gens considérables, et tu seras heureuse. » Christine recueillait ses forces, se rappelant la passion du Sauveur. Le démon , yoyarvt son silence , pleurait et se plaignait en disant : a Tu veux donc me faire mourir? Je meurs si tu n'as pas pitié de moi; car je te suis tellement attaché, qu'à cause de toi je ne puis ni manger ni boire. » Un jour enfui, comme il ne pouvait vaincre sa résistance, il s'écria : « Quand tu serais Satan lui-même, je ferai de toi ce que je veux. » Il la saisit aussitôt avec violence , de sorte quelle crut que c'en était fait d'elle. Dans son angoisse^ elle implore le secours de

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Dieu^ les mains jointes et dans les termes les plus tendres. Mais ne sentant aucune consolation, elle croit que sa prière est repousse'e. Cependant son persécuteur lui ôte son voile, déchire sa robe , en disant : « Puisque tu ne me donnes aucune réponse, je dirai partout que tu as consenti à mes propositions. » Elle répond : « M la mort ni le scandale ne me font peur; la voix du diable me serait moins pénible à entendre que la tienne. » Là-dessus il tire un couteau, et le lui mettant sur le cœur : « Je te tue avec ce couteau, crie-t-il, si tu ne me dis pas que tu veux me suivre. Le Seigneur est mon fiancé, dit -elle; je lui ai donné ma foi, et je veux mourir en son nom. Non, répond le démon ; ton père et ta mère y passeront les pre- miers; je tuerai tous ceux qui demeurent dans cette mai- son ; mais je te garderai , toi. » Il tire son épée et se retire. Il semble de loin à Christine qu'il tue toutes les personnes delà maison; car elle les entend pleurer l'une après l'autre comme des gens que l'on égorge. Elle entend aussi son père dire au meurtrier : « Arrête, je vais l'engager à céder à tes désirs. « Son père vient en effet la trouver, et lui dit : a Pense, ma fille, que je n'ai jamais aimé personne autant que toi; donne à cet homme ce qu'il te demande, afin de me sauver la vie; tu n'en seras pas responsable devant Dieu. Que dites-vous là, mon père? répond-elle. Moi, abandonner Dieu, qui est mort pour nous ! Ayez cou- rage, et mourons plutôt. )> Le furieux tue le vieillard; elle le voit baigné dans son sang, et elle entend sortir de sa poitrine le râle de la mort. Le meurtrier vient à elle; mais elle lui prend son couteau et se l'enfonce dans le flanc, afin que, s'il veut lui faire violence, la douleur la sauve et r empêche de donner son consentement. Tous ses membres

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sont inondés de sang : le tentateur s'éloigne d'elle. On trouva l'épée, qu'il avait laissée^, et Christine en défaillance. Le sang coula de sa blessure trois jours et trois uuits. Elle craignait de mourir, et était horriblement tourmentée , parce qu'elle croyait s'être donné la mort. Mais comme elle pleurait dans son lit, un beau jeune homme lui appa- rut , et lui dit : (c Ne crains pas, je suis celui à qui tu as juré fidélité. J'ai vu couler ton sang; tu ne mourras pas de cette blessure, à cause de la foi que tu m'as gardée. » Il fit ensuite le signe de la croix sur la blessure, et le sang s'arrêta aussitôt, et la douleur disparut.

De nouvelles persécutions vinrent l'assaillir; elle fut en- levée par les cheveux dans sa chambre, et son corps frappa de la manière la plus violente contre le plafond. Une épée fut brandie sans qu'on vit personne la manier. Hilla en ayant été blessée , le père de Christine , qui avait entendu le bruit, accourut, et voyant l'épée brandie en haut au pla- fond, il prit une échelle pour l'atteindre; mais il reçut plu- sieurs blessures à la tête. 11 prit une lance; et alors com- mença entre celle-ci et l'épée une lutte la première fut plus souvent victorieuse. Pendant l'Avent de 1271, Chris- tine fut fréquemment enlevée en l'air, la tête en bas. Huit jours avant Noël, ses pieds furent attachés avec des bran- ches de saule, et elle fut lancée à travers la fenêtre par- dessus le jardin et la haie qui lui servait de clôture jusqu'à un arbre très-élevé. Puis elle y fut attachée avec les mains et les pieds, et resta ainsi une heure entière, jusqu'à ce que les siens, ne la trouvant point, se mirent à la chercher. Elle raconte elle - même ce fait dans une lettre à Pierre ; et le curé, qui l'avait écrite sous sa dictée, ajoute : « Lors- que j'arrivai sur les lieux, je la trouvai pendue à l'arbre;

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sa mère se lamentait près d'elle, parce qu'elle ne pouvait la délier. Tous avaient les larmes aux yeux^ et nous la dé- tachâmes de sa croix. La même chose arriva le jour de Saint-Thomas en plein midi. Elle fut jetée parla fenêtre, et attachée à un autre arbre, jusqu'à ce que nous fus- sions arrivés le cellérier de Brunweiler et moi, et nous la délivrâmes alors. »

Elle fut en proie en même temps à bien d'autres épreuves. Ses parents tombèrent dans l'indigence , et leur bien passa en d'autres mains. La petite maison qu'ils habi- taient fut brûlée, et tomba en ruine; et tous leurs amis moururent l'un après l'autre. Pierre vint encore, pour sa consolation, la voir une fois dans l'année 1279, et il lui fallut faire pour cela un long voyage. Il fut singulièrement édifié de son maintien, de son air, de sa démarche et de toute sa personne; car une grâce supérieure rayonnait de tout son être. Mais après son départ les épreuves continuè- rent, et le récit des choses qu'elle eut à souffrir jusqu'à l'année 1286, Pierre mourut, rempht encore deux livres de ses actes. Ses souffrances prirent une autre forme. Il lui sembla pendant longtemps que les démons, au miheu de l'hiver, l'arrachaient nue de son lit, la traînaient jus- qu'à une potence , dans la forêt ou ailleurs ; que ils la faisaient comparaître devant leur tribunal, et la condam- naient à toutes les tortures imaginables. La sentence, une fois prononcée, était exécutée à l'instant même. Tantôt il lui semblait qu'elle était fendue en deux ou déchirée avec des crocs, puis qu'on lui coupait tous les membres du corps, et la tête la dernière; tantôt il lui paraissait qu'elle était environnée de flammes, et que son corps était tout couvert d'ampoules ; qu'un cercle de fer rougi au feu était

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place sur sa tête et fixé à coups de marteau autour de ses épaules; tantôt ses membres étaient transpercés de lances. Tantôt elle se sentait jetée deçà et delà par les démons comme une balle; tantôt ils la précipitaient dans une chau- dière pleine de soufre et de poi\ bouillante. D'autres fois elle se voyait traînée nue dans le village de Polbegen^, poursuivie par des chiens, tournée en dérision par les ha- bitants, qu'elle distinguait ti'ès-bien, et emmenée ainsi de lieu en lieu jusqu'au marché de Cologne, et plongée enfin dans une mare infecte.

Mais chaque nuit , lorsque son angoisse était arrivée au comble, les anges venaient la consoler, guérissaient ses plaies et ses blessures, et la ramenaient chez elle parfaite- ment rétablie. Les jours de fête, particulièrement pendant l'Avent et le Carême, les démons redoublaient de fureur. Chaque jour, pendant ce saint temps, leur nombre aug- mentait dans une progression régulière, et leur rage sem- blait croître dans la même proportion , et montait au com- ble la veille de la fête. Puis, lorsqu'ils avaient épuisé tout ce que leur suggérait leur malice , ils venaient devant elle, confessaient leur impuissance , et avouaient que chaque victoire qu'elle remportait sur eux ajoutait à leur sup- plice. Mais avec le jour de la fête commençait pour elle un temps de jubilation.

Ces visions étaient souvent une réahté ; et le curé parle de temps en temps des faits dont il avait été témoin dans ce genre. Ainsi elle fut un jour jetée dans un bourbier ■oin de la maison, de sorte qu'on ne voyait paraître que le bout de son vêtement, et on la rapporta demi-morte et toute déchirée. Une autre fois , par un froid très-vif , elle fut lancée à un jet de pierre environ de sa demeure, sur

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un tas de bois dans la cour du voisin, et elle y resta jus- qu'à ce que la fille de la maison, l'entendant par hasard se plaindre pendant la nuit, alla la trouver et la ramena chez elle. On lui mit dans son lit des crapauds, des serpents et d'autres bêtes. La maison elle demeurait était remplie des bruits les plus extraordinaires; les plats et les pots étaient emportés de dessus la table pendant que la famille mangeait; on entendait sonner des cloches ou des trom- pettes, ou bien des voix chantaient autour d'elle : « Oii est ton Dieu? sont tes fous de tonsurés? Je veux les arran- ger de telle sorte qu'on ne les voie plus. » Les choses continuèrent ainsi sans interruption jusqu'à l'année 1288, il se manifesta une sorte de crise. Tous les jours, en effet, à partir de cette époque, elle nageait dans son sang, et inondait au moins deux draps. Pendant une année et demie auparavant , elle n'avait mangé que du gingembre, et tout ce qu'elle buvait semblait être changé en sang. Toutes ces épreuves cessèrent alors, et pour toujours. Elle vécut encore vingt -quatre ans, jusqu'en 1313, elle mourut, âgée de soixante-dix ans.

Nous trouvons des phénomènes semblables dans la vie de plusieurs autres mystiques, et particulièrement dans celle de Dominique de Jésus-Marie, de l'ordre des Carmes. Pendant qu'il était à Valence, il allait souvent prier dans deux chapelles qui étaient attenantes à l'église du couvent. Or un jour, les frères le trouvèrent, le matin de bonne heure, enterré jusqu'au cou dans Vm:e de ces chapelles , précisément dans un endroit le sol étajt argileux et dur, de sorte qu'on ne put le tirer de qu'avec des pio- ches. Une autre fois, près d'Alcala, comme il était à table avec d'autres ecclésiastiques chez le curé du lieu, péné-

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COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS. 485

traiit de son regard intérieur la conscience de celui-ci , et voyant qu'elle était chargée d'un péché secret^ il lui parla après le repas avec tant de force, que le curé le prit à part, le remercia et lui promit de se corriger. Mais Dominique lui annonça que s"il retombait dans son péché il mourrait aussitôt après. Le curé retomba malgré sa promesse; et au bout d'un an on fit prier Dominique de venir l'admi- nistrer. A peine fut-il entré chez le malade que celui-ci lui dit, plein de joie: « Mon Père, j'ai vu de mes yeux Notre-Seigneur crucifié, et je l'ai adoré. « Dominique, re- connaissant aussitôt son état, aperçut l'illusion dont il était victime, et lui dit que ce n'était point une véritable ap- parition , mais une tromperie du malin esprit, qui voulait le perdre. Comme il lui parlait, il vit de l'autre côté du lit et en face de lui sa propre image , et entendit le fantôme dire au malade : « Les démons ont bien des manières de tromper les hommes. Sache donc que Dieu a voulu par cette apparition te fortifier et te confirmer dans sa grâce. Mais le démon , mécontent et voyant que tu as envoyé chercher Dominique , a pris lui - même sa forme , afin de chercher à te persuader que c'est le malin esprit qui t'a apparu. Mais ne te laisse pas tromper par lui. Je suis le vrai Dominique , que tu as appelé , qui t'a converti il y a un an ; je suis venu te trouver par compassion pour toi , afin de te préserver de la tentation. Celui qui est vis-à- vis, c'est le démon; ne l'écoute pas et ne crois pas à ce qu'il te dit, si tu ne veux être damné éternellement, w Dominique , indigné de cette audace , employa tous les moyens pour confondre le diable; mais celui-ci soutenait toujours qu'il était le vrai Dominique. Après une lutte as- sez longue , le malin esprit finit par persuader le pauvre

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malade^ dont Tangoisse et Tincertitude étaient extrêmes, de s'adresser à lui comme au vrai Dominique, et de re pousser l'autre comme étant le démon. Ce que voyant Do- minique, il se prosterna devant son lit^, profondément af- fligé du danger il était. Puis^ prenant la main qui le repoussait^ il la couvrit de ses baisers^ en disant : « Je suis Dominique de Jésus-Marie, serviteur inutile et indigne de Notre-Dame du Mont-Carmel. Je ne suis pas digne de baiser cette main consacrée qui a si souvent touché mon divin Sauveur^ car je suis le plus grand de tous les pécheurs. Mais je me repens du fond du cœur de tous mes péchés, j'en demande pardon à Dieu, et j"espère l'obtenir de sa mi- séricorde. » Puis se tournant de nouveau vers le malade, il ';lui dit : « Maintenant que l'autre en fasse autant, et nous verrons qui de nous deux est le vrai Dominique. » Le prêtre, qui était instruit, accepta l'épreuve, et dit à l'apparition de prier aussi Dieu, de reconnaîti'e ses péchés, de s'en repentir et de lui en demander pardon. Le démon frémit, et s'écria : « C'est à Dieu de se repentir; qu'il me demande pardon à moi ; mais moi le lui demander, jamais. C'est lui qui a péché , et non moi. » Puis il disparut aus- sitôt. Le malade, saisi d'horreur, demanda pardon à Dominique, reçut de ses mains les sacrements, et mou- rut dans le Seigneur.

Une nuit que le même Dominique , répandant son âme devant Dieu , lui demandait de nouvelles souffrances, il vit sa cellule remplie de démons de formes horribles, etqui lui criaient furieux qu'ils avaient enfm obtenu de Dieu le pou- voir de se venger de lui. L'un d'eux s'appuya contre la porte pour la fermer; d'autres furent placés en sentinelles, et leur chef s'assit sur une espèce de tribunal, et ordonna

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qu'oïl lui amenât Dominique et que l'on fît comparaître ceux qui avaient été les témoins de ses crimes. 11 s'éleva aussitôt un mélange confus de voix diverses^, qui toutes l'ac- cusaient d'injustices nombreuses qu'il avait commises à leur égard. « Faites de moi tout ce que Dieu vous permettra de faire , répondit Dominique; car mon cœur est prêt. » lis l'accusèrent alors d'avoir un jour, en voyage j, arraché quelques mûres et de les avoir mangées avec avidité; d'avoir tenté Dieu par présomption , en priant pour la santé d'un homme atteint d'une maladie mortelle, d'avoir osé dire la messe après qu' une femme éprise d' un amour criminel pour lui, avait deux fois, dans une visite qu'il faisait à un ma- lade, mis son pied sur le sien sans qu'il lui eût témoigné son déplaisir. De nouveaux cris s'élevèrent: « Scélérat, ré- ponds maintenant, et justifie-toi, si tu peux, de ces crimes. » Il accepte la proposition, et réfute victorieusement les ac- cusations qu'on lui intente. Mais celui qui est assis sur le tribunal lui adresse la parole, et lui dit : « Impudent! tu oses contredire tant de témoins qui t'accablent de leurs témoignages ! )) Il ordonne en même temps aux bourreaux de s'emparer de lui et de le tourmenter de la manière la plus cruelle. Ceux-ci tombent sur lui comme des furies, le déchirent avec leurs dents et avec des crocs; de sorte qu'il lui semble que ses muscles , ses veines et ses .nerfs sont coupés en morceaux. L'un, sous la forme d'un serpent, s'enlace autour de ses jambes et lui fait deux morsures pro- fondes. Dominique souffre tout avec patience. Les démons, furieux de ne pouvoir le vaincre, vomissent contre lui les plus horribles blasphèmes. Indigné de leur audace, il crache sur la figure de celui qui était sur le siège, et leur présente la croix qu'il portait sur la poitrine. A l'instant

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même il fut entouré d'une troupe d'anges, qui mirent en fuite les démons , le consolèrent et guérirent ses plaies. Cependant il garda toute sa \ie la cicatrice des deux bles- sures qu'il avait reçues aux genoux. Les autres religieux avaient entendu tout ce vacarme dans sa chambre^ et trois d'entre eux étaient venus à son secours, envoyés par le prieur. Mais quoique la porte n'eût ni loquet ni serrure, ils ne purent l'ouvrir^ et restèrent ainsi à genoux devant elle en priant pour lui.

Une autre fois, pendant le carnaval j, comme il s'efTorçait de prévenir les péchés contre la majesté divine, et de demander pardon de ceux que Ton commettait, la sainte Vierge lui apparut et lui annonça que les mauvais esprits avaient reçu pouvoir de le tourmenter pendant quinze jours; mais qu'elle ne l'abandonnerait jamais, et que, ce temps une fois passé, elle viendrait le délivrer. Fortifié par cette apparition, il se rend dans sa cellule et s'y voit bien- tôt assailli par des troupes de démons, qui le renversent par terre, le foulent aux pieds et lui lient les pieds et les mains. Les frères entendent le bruit ; un grand nombre ac- courent, et le trouvent les mains et les pieds attachés par des liens invisibles; de sorte qu'on ne pouvait les déher sans lui rompre les os, et qu'il n'y avait aucun moyen de le faire bouger de place. 11 resta donc sept jours dans cet état, au bout desquels la sainte Vierge lui apparut de nouveau , et lui promit qu'il serait délivré dans sept jours, une heure avant midi. Cette apparition lui donna de nouvelles forces, et l'enflamma davantage d'amour pour Dieu; mais elle augmenta aussi la fureur des démons; de sorte qu'après l'avoir dépouillé de tous ses vêtements, jusqu'à la chemise de crin qu'il portait sur le corps, ils l'arrachèrent de son

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lit et le jetèrent deçà et delà comme une balle; et les frères le trouvèrent coua ert de plaies et de meurtrissures. Comme l'heure annoncée approchait , le prieur resta près de lui pour voir l'issue de cette affaire ;, et fut témoin de l'extase il fut plongé^ et pendant laquelle ses mains et ses pieds furent déliés d'une manière merveilleuse. Une fois revenu de son ravissement, il se leva sans difficulté , et célébra le saint sacrifice avec une grande agilité devant la communauté entière, étonnée de cette merveille.

CHAPITRE XXVIT

Les démons tourmentent le carme Franc sous la forme de lutins. Ils attaquent d'une manière sensible et palpable saint Pierre d'Alcan- tara et Sébastien del Campo. Les combats de sainte Françoise Ro- maine. Sainte Crescence de KaufTbeyern. La même chose arrive de nos jours à Marie de Moérl.

Les attaques des démons ont eu jusqu'ici un caractère tragique. Il y a cependant, même en ce domaine, des cas ils se montrent moins cruels , et semblent se produire sous la forme de lutins. C'est ainsi du moins que nous les voyons apparaître dans la vie du carme Franc. Lorsqu'il priait la nuit dans sa cellule , les bancs qui y étaient pre- naient la forme d'un homme ou d'une bête. Ce qui était obscur paraissait clair tout à coup, et ce qui était clair pa- raissait obscur. Il en était ainsi des couleurs : l'une prenait la place de l'autre, et trompait ainsi ses yeux. S'il voulait parler à l'un des frères, la forme d'un autre lui apparais- sait aussitôt. Il lui suffisait, il est vrai, de faire le signe de la croix pour dissiper l'illusion. Il arrivait souvent aussi

490 COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS.

que des objets qui étaient sous sesyeux et à ses pieds étaient enlevés subitement et cachés dans quelque coin du couvent qu'il habitait. Lorsqu'il faisait la cuisine pour les frères , les pots^ les plats, les cuillers et les autres ustensiles étaient enlevés sous ses yeux , et cachés dans des endroits l'on avait beaucoup de peine à les retrouver. Il semblait que tout cela se faisait pour lui attirer quelque désagré- ment de la part de la communauté. Quelquefois, lorsqu'il allait puiser de Teau , il lui semblait que le prieur ou quelque frère l'appelait. Obéissant comme il l'était, il lais- sait tout pour courir on l'appelait j puis, quand il était de retour, il ne trouvait plus au puits les vases qu'il avait apportés, et ne voyait personne qui les eût emportés. Il faisait alors le signe de la croix , ou disait simplement : « Dieu , secourez-moi ! » et il les retrouvait aussitôt. Il s'occupait beaucoup des malades, et les soignait avec une grande charité. S'il avait besoin de quelque chose pour eux, et qu'elle fût tout près à sa disposition, elle se ca- chait à ses regards, et il ne la voyait plus. Les malades la lui montraient du doigt en lui disant : « Elle est sur cette table, sur cette chaise. » Mais lui, comme s'il eût été aveugle, ne l'apercevait point jusqu'à ce qu'il eût élevé ses pensées vers Dieu et dissipé le nuage qui était devant ses yeux. La même chose lui arrivait dans sa cellule : on lui cachait son livre de prières, son rosaire ou d'autres objets qu'il savait très- bien y être; de sorte qu'il ne les voyait point. Mais dès qu'il élevait la voix et disait : « Au nom de Jésus de Nazareth, retire-toi d'ici , misérable, je te l'or- donne , » il entendait un rire bruyant ou un grand fracas qui ébranlait sa cellule, et il trouvait dès lors sans difficul- té ce qu'il cherchait. {Spéculum Cannel, t. II, p. 1 1, c. xxv.)

COMME>T LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS. 491

11 en fut de même à peu près de saint Pierre d'Alcantara^ s. Pien avec cette différence que chez lui l'action du démon était plus palpable. Le saint habitait une cellule très - étroite , dans laquelle il dormait un peu plus d'une heure la porte ouverte, afin qu'elle put toujours être éclairée par la lu- mière du ciel. Elle était à l'entrée d'un long corridor il passait en prière le reste de la nuit. C'était aussi que les démons hurlaient autour de lui , lui apparaissaient sous les formes les plus horribles, et lui jetaient des pierres si grosses , que le bruit réveillait les autres frères et leur faisait croire que la maison tout entière allait s'écrouler. Le matin, ils trouvaient la cellule et le corridor rempKs des pierres qu'on y avait jetées. {Sa Vie; Lyon, 1670, p. 26.)

On lit dans les actes du P. Sébastien del Campo, jésuite Sébastie à Sassari, en Sardaigne, qu'il fut toute sa vie persécuté par ^ ^"^^ les démons. Un jour, comme il était en voyage, ils firent pleuvoir sur lui des pierres qui lui causèrent de grandes douleurs, mais sans le blesser. Ils le poursuivaient jusqu'à l'autel pendant qu'il disait la messe, lui cachant son missel ou le jetant par terre, ou confondant les signets. La nuit , ceux qui demeuraient près de sa cellule entendaient dans sa chambre des bruits affreux, des chaînes, des coups, puis , au milieu de tout cela , sa voix qui disait : « Faites tout ce que Dieu vous permet, je suis prêt à tout. »

Sainte Françoise Romaine eut à supporter des épreuves S'^ Frai terribles en ce genre. Les démons, dans sa jeunesse, la ^^iJJaJne prenaient souvent par les tresses de ses cheveux, et l'en- traînaient ainsi de la galerie de sa maison dans la rue; de sorte qu'elle fut contrainte de se les faire couper. Elle se vit une fois jetée sur un cadavre en putréfaction , et

492 COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS.

roulée pendant quelque temps avec lui; et^ lorsque la vision fut évanouie, son corps et ses vêtements étaient telle- ment empreints de l'infection du cadavre qu'on ne put la faire disparaître, même après les avoir lavés plusieurs fois. Pendant longtemps encore, le souvenir seul de cette vision lui donnait des maux de cœur; de. sorte qu'elle pouvait à peine prendre le peu qui lui était nécessaire pour vivre. Souvent elle se voyait, sans savoir comment cela lui était arrivé , transportée dans sa maison , sur des planches ou des poutres si élevées qu'elle ne pouvait plus en descendre. D'autres fois elle se trouvait tout à coup dans des lieux fermés, elle n'avait pu entrer que par la fenêtre. Si elle se mettait à genoux pour prier dans sa cui- sine , les démons la tenaient pendant quelque temps sus- pendue sur des charbons allumés. Lorsqu'ils l'avaient ainsi cruellement maltraitée , ils venaient à elle comme vaincus par sa sainteté et sa constance, se prosternaient devant elle, ou mettaient leurs têtes dans son sein. Elle les repoussait avec force, et les frappait; mais elle sentait qu'elle ne frappdit que de l'air. Quelquefois ils venaient à elle sous la forme d'animaux familiers , se couchant à ses pieds, ou bien volant autour d'elle comme de blanches colombes. Si elle ne faisait pas attention à eux, ils se chan- geaient tout à coup en monstres féroces, en loups, en dragons, en lions qui ouvraient leurs gueules contre elle. Un jour, comme elle se préparait à prier, et qu'elle avait plusieurs livres de prière ouverts à côté d'elle, elle aperçut un singe énorme qui les feuilletait. Comme elle n'y faisait point attention, elle vit de plus un lion qui se mit à lutter contre le singe. Accoutumée à ces sortes de choses, elle n'y prit point garde, et ne se laissa point dé-

I

COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SALNTS. 493

ranger par eux. Au reste^ elle voyait de cette manière non- ulement les tentations dont elle était entourée, mais encore celles des autres avec lesquels elle avait quelques rapports. Elle connaissait les artifices dont le démon se •ivait pour les tromper^ et voyait avec peine comment ils ::e laissaient prendre à leurs pièges. Cette vue lui donnait ensuite de grandes inquiétudes^ parce qu'elle craignait de pécher contre son prochain par jugement téméraire. Sou- vent le vacarme qui se faisait autour d'elle était si gi-and, que son mari, son fils, sa compagne Rita et ses voisins l'en- tendaient, et accouraient à son secours. Ils la trouvaient à -enoux ou couchée par terre, se tordant ou se courbant -ous les coups qui l'accablaient _, et ils entendaient le bruit -ans voir personne. Ils la voyaient se débattre, et enten- daient les paroles que lui arrachait la douleur, sans aper- cevoir quoi que ce soit. Lorsque les assauts des démons avaient duré leur temps ou atteint leur mesure, fange qui se tenait toujours à sa droite faisait un léger signe de tête, et tout disparaissait. 'Sa T7e, par Matteotti, vol. III, p. 1-45.) Beaucoup d'autres encore ont été soumis à ces tristes preuves. Grégoire Lopez, cet homme si calme, n'y a pas échappé lui-même dans sa cabane solitaire en Amé- rique; et il avait coutume de dire qu'il s'étonnait d'avoir pu les supporter ; car leur seul souvenir lui faisait dresser les cheveux sur la tête. [Le saint Solitaire des Indes; Co- logne, 1717, p. 32.)

La vie de sainte Crescence de Kauffbeyern nous offre Sainte Creà

CGnce dans ces derniers temps un exemple frappant de ce genre

de persécutions. Morte en 1744, sa vie fut soumise à un

examen sévère^ avant la fin du siècle précédent, à cause

du procès de sa canonisation. Les faits furent confirmés

44*

494 COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS.

par ceux qui en avaient été témoins^ et publiés ensuite dans les deux volumes in-folio du procès. De plus, un de ses confesseurs, le P. Ott, delà compagnie de Jésus, a écrit aussi sa vie, et l'une des sœurs du couvent elle habi- tait, Gabrielle Morzin, qui a vécu six ans avec elle, a en i 7 48, quatre ans après sa mort, écrit ce qu'elle avait vu et ap- pris de la sainte elle-même, ou de celles qui avaient été plus longtemps avec elle. Nous pouvons donc à l'aide de ces deux documents, qui existent encore en manuscrit dans le couvent de Kauffbeyern, être parfaitement renseignés sur la manière dont s'est développée sa vie intérieure. Voici ce que la sœur Gabrielle , à la page 234 de son ma- nuscrit, parlant de la constance héroïque deCrescence, ra- conte des assauts qu'elle eut à supporter de la part des démons.

« Notre chère mère Crescence n'eut pas seulement à souffrir beaucoup extérieurement de la part des hommes, et intérieurement de la part de Dieu; mais le démon lui- même exerça d'une manière bien cruelle sa malice sur elle en lui apparaissant sous la forme des bêtes féroces les plus abominables, soit la nuit, soit le jour. Elle avait tou- jours caché par humilité cet affreux martyre , sans jamais rien en laisser apercevoir, jusqu'à ce qu'enfin Dieu lui- même la trahit par le moyen d'une autre sœur. Celle-ci, en effet, avant vu un iour le démon entrer dans la cellule

de Crescence, fut grandement effrayée. Elle l'avertit en tremblant, au nom de Dieu, de ne pas entrer dans sa cel- lule, parce qu'elle venait d'y voir entrer avant elle un homme noir d'une forme hideuse. L'humihté de Crescence s'alarma de ce que cette sœur, nommée Marie -Béatrix, avait été témoin des choses qu'elle vo,ulait cacher. Elle la

COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SALNTS. 49H

plia instamment de n en rien dire à personne; maisBéa- tiix, loin de le lui promettre, l'engagea, au contraire, à iiller déclarer la chose à la supérieure , sans quoi elle se croyait obligée de le faire elle-même. Crescence supplia Béatrix de ne rien dire. Mais celle-ci alla trouver la supé- rieure, et lui dit ce qu'elle avait vu; après quoi Cres- cence fut obligée par obéissance de lui tout avouer. J'ai appris ces choses de notre supérieure elle-même, Marie- Jeanne.

« Le démon ne s'arrêta pas là; mais la bonne Crescence eut encore à souffrir de lui bien d'autres tourments, des coups violents, des tentations effroyal^les, des images af- freuses. Elle fut tant(M enlevée, tantôt frappée ou liée; de sorte qu'elle serait morte cent fois si elle n'avait été sou- tenue par un secours surnaturel de Dieu. Souvent la nuit, l'esprit malin entra dans sa cellule, sous la forme d'un lion furieux, et l'en arracha d'une manière cruelle, l'emportant avec un bruit affreux le long des escaliers; de sorte que la tête de Crescence frappait conti-e les degrés, et que le bruit était entendu des autres sœurs. Tout cela se faisait avec une telle rapidité que celles-ci, malgré leur empressement, ne purent jamais arriver à temps pour voir ce qui se pas- sait; mais quand elles étaient sur les lieux, elle avait déjà disparu avec le démon, qui l'emportait d'un lieu à l'autre, ou même hors du couvent, en la frappant et la tourmen- tant de mille manières. Tantôt il la déposait sur le toit du monastère ou d'une autre maison, tantôt sur une haute tour de la ville. D'autres fois il l'entraînait jusqu'à la ri- vière de laWarta, la posait sur le toit du pont, la menaçant à chaque instant de .la jeter dans l'eau. Tantôt il l'attachait à un arbre, et la battait cruellement; tantôt il la pendait à

496 COMMEM LES DRMO.NS TE.NTE.NT LES SALNTS.

ce même arbre, et se moquait d'elle avec une amère déri- sion. Souvent dans le monastère^ il Fa serrée entre de grosses poutres, de sorte qu'elle ne pouvait ni bouger ni respirer; et plus d'une fois on Fa trouvée à demi morte, et les autres sœurs avaient beaucoup de peine à la tirer de 1 là. Par le froid le plus aigu, il la jetait dans le ruisseau qui traverse le couvent, jusqu'à ce qu'elle fût toute trempée ; puis il la jetait parmi des tas de bois couverts de neige: après quoi les mauvais esprits poussaient des éclats de rire et se moquaient d'elle, jusqu'à ce qu'enfin nos sœurs, après l'avoir longtemps cherchée, l'eussent trouvée sous la neige et le bois , couchée sur le visage et roidie par le froid.

Lorsqu'elle montait les escaliers, Satan était souvent là, et la poussait en bas de toutes ses forces; de sorte qu'elle rendait beaucoup de sang par la bouche et par le nez. Une fois, comme elle voulait aller chercher quelque chose au premier étage, le démon la prit et la jeta en bas au rez-de- chaussée avec une telle violence qu'elle se cassa deux dents et que le bruit de la chute fut entendu dans tout le couvent. Les autres sœurs accoui*urent aussitôt^ et la trou- vèrent à demi morte. Lorsqu'elle disait au réfectoire le mea culpa, selon l'usage de l'ordre, le démon lui frappait la tête contre le sol avec une rapidité inouïe, de sorte que les sœurs témoins de ce spectacle croyaient que sa tête allait se briser; et ceci est arrivé également d'autres fois pendant le repas, ce qui excitait à la fois et la terreur et la compassion dans Fàme de notre supérieure et des autres sœurs. Il n'est sorte de malices que le démon ne lui ait faites pendant qu'elle travaillait, ou qu'elle remphssait quelque emploi. Dans la cuisine, il lui éteignait le feu.

COMMENT LES DÉMOS TENTE.^T LES SALNTS. 497

versait les mets quand ils étaient cuits ;, ou faisait d'autres hoses semblables. Il lui répandit un jour un plat bouil- lant sur la tête, ce qui lui causa de grandes douleurs. Une autre fois, il vint la trouver dans la cuisine au moment elle venait de préparer un mets pour les sœurs , et il le lui omporta. Crescence, sans se laisser déconcerter, et forti- liée par la grâce divine, prit une cuiller à pot, et en frappa le démon de toutes ses forces; de sorte qu'il se mit à hurler et à mugir, et s'enfuit tout confus. Crescence a souffert toutes ces choses et bien d'autres encore avec une patience et une sérénité parfaites, par amour pour Dieu. Non-seu- lement son zèle ne s'est jamais ralenti dans ces épreuves; mais elle en est toujours sortie plus fervente. Toujours elle a vaincu courageusement les ennemis de Dieu, et sou- vent elle les a mis en fuite par un simple commandement de sa part. .Je tiens ces choses de notre bonne, pieuse et véridique supérieure, Marie- Jeanne Alt^voggerin. w Tous les faits racontés dans ce récit ont été prouvés d'une ma- nière authentique dans le procès de la canonisation de Crescence. Toutes ces persécutions avaient déjà commencé dès son noviciat, et avaient en grande partie pour but de la dégoûter du couvent. Elles durèrent quatre ans encore après sa profession, jusqu'à ce qu'enfin elle en fut délivrée à la suite d'un pèlerinage à Mariahilf.

Marie de Moërl a aussi, de nos jours, passé par ces épreuves terribles, que Dieu réserve quelquefois à ses élus. On ne sait pas précisément à quelle époque elles commencèrent chez elle. Ce fut probablement dans le courant de Tannée 1830 ou au commencement de la sui- vante. Déjà en 1832 elle avait presque continuellement à en souSrir plus ou moins. Des fantômes hideux lui appa-

498 CO.MMEM LES DÉMONS TENTENT LES SALNTS.

raissaient dans sa chambre, de jour et de nuit^ et même sur le chemin qui conduisait à l'égUse. Souvent, dans son effroi, elle se cachait sous son lit, ou était renversée par lerre en plein jour au milieu de sa chambre 3 ou bien en- core elle était prise tout à coup de convulsions violentes. D'autres fois elle s'attachait, glacée de crainte, au côté de son amie, qui ne la quittait jamais, ou au bras de son con- fesseur, quand il était présent. Voici sous quels traits elle nous dépeint les formes horribles qui produisaient cette impression chez elle. «Ce sont des hommes hideux qui ap- prochent de moi, tantôt seuls, tantôt plusieurs ensemble, et menacent de m'entraîner. Quelquefois je vois parmi eux de pauvres âmes, tantôt plus ou moins noires, tantôt tout en feu, qui demandent des prières. Ces fantômes me crient : « C'en est fait de toi, tu es déjà réprouvée : tu n'as plus besoin de ton confesseur, il ne peut plus te servir de rien ; » et à chaque fois mon cœur éprouve une indicible angoisse. Quelquefois ils approchent tout près de moi, veulent me prendre la main , ou mettent ma chambre en feu, de sorte qu'il semble que tout va être bnilé. Tantôt ils me poussent à renier la foi, me mettent sur la langue des malédictions et des blasphèmes contre Dieu ou la sainte Vierge . Tantôt un chat noir s'assied sur la fenêtre, et marche dans ma chambre en plein jour, » Son confesseur enten- dit une fois en effet un chat filer dans sa chambre. Il prit même un balai pour le chasser, mais il ne put le trouver, ce qui amusa beaucoup Marie, qui se mit à éclater de rire en voyant qu'il croyait que c'était vraiment un chat et qu'il ne pouvait l'attraper.

Dans ces apparitions, elle était consolée par la vue d'un bel enfant, qui, dans le dénùment de tout secours exté-

COMMENT LES DÉMONS TENTENT LES SAINTS. 499

rieur elle se trouvait, se montrait à elle une croix ou un petit bouquet de fleurs ou simplement une rose à la raain^ et se plaçait tantôt sur son lit^ tantôt sur sa table. Quand il était présent^ elle se sentait soulagée^, quoiqu'elle sût bien par expérience que toutes les fois qu'il se montrait c'était un indice de quelque nouvelle souffrance corporelle ou spirituelle^, qui s'annonçait déjà au moment il s'é- loignait. Ces fantômes ne lui causaient pas seulement de cruelles angoisses^ ils tourmentaient aussi son corps en di- verses manières. Elle était souvent arrachée de 'son lit^ quoique ordinairement elle ne pût se lever sans le secours d'un autre; et, privée de sentiment, elle se frappait la tête contre le mur et le sol de sa chambre, de sorte que l'on aurait pu croire qu'elle allait être couverte de plaies et de blessures. Mais lorsqu'elle était revenue à elle-même, elle sentait seulement des douleurs dans la tête et dans les membres. Quelquefois elle était jetée tout d'un coup sous son lit avec son drap et sa couverture , et sa tête frappait pendant près d'une heure de temps contre le sol et les planches de son lit, agitée par les crampes les plus vio- lentes. D'autres fois les hommes qui lui apparaissaient dans ses visions l'enlevaient jusqu'à la fenêtre de sa cham- bre, et lui montraient en bas des jardins couverts de fleurs, des bosquets, etc. Une pente douce, large et belle condui- sait sous ses pieds à ce déhcieux parterre, et de d'autres hommes l'invitaient à descendre. Elle avouait qu'elle l'au- rait fait infailliblement si une force invisible ne l'eût re- tenue par le talon. Il fallait ordmairement dans ces cas al- ler chercher son confesseur pour la remettre au lit , et la rappeler à elle. Ces épreuves et d'autres semblables, il est impossible de méconnaître l'action du démon, ne ces-

oOO DES VISIONS DE l' AUTRE MO.NDE.

sèreiit qu'au mois de juin 1833^ après qu'on eut^ avec la permission de Tëvêque, employé les exorcismesdeFÉglise tout à fait en secret et sans que personne le sût.

CHAPITRE XXVIII

1

Comment les saiuts réagissent sur les esprits. Les visions de l'autre monde accompagnent toujours cette réaction. Les visions de saint Cyrille ^ patriarche de Jérusalem. Celles de sainte Madeleine de Pazzi et de sainte Catherine de Gênes. Ces visions produisent des rapports entre ceux qui les ont et ceux qui en sont l'objet. Fran- çoise du Saint-Sacrement. Comment les saints prennent quelquefois sur eux les châtiments réservés aux pécheurs. Osanna de Mantoue. Liduine. Le chartreux Pierre Pétrone. Christine de Stumbèle. Christine l'Admirable. Justification de tous ces phénomènes.

Dans les phénomènes que nous avons étudiés jusqu'ici la présence des esprits se manifeste par des signes sen- sibles, quoique ces signes ne soient pas absolument néces- saires, et que les esprits puissent agir sans être visibles^ comme nous l'avons vu en partie dans les histoires de lu- tins ou de revenants que nous avons racontées. Mais il n'en est pas de même des phénomènes par lesquels l'homme réagit sur le monde des esprits. 11 faut ici de toute néces- sité qu'il voie clairement ceux qui sont l'objet de cette réaction. Dans toute action raisonnable, en effet, le but doit être aperçu. Or ici le but est caché dans les régions invisibles, et inaccessibles par conséquent à la conscience humaine dans l'état ordinaire : il ne peut donc être saisi que dans une vision extraordinaire. Si donc ailleurs celle- ci n'est qu'accessoire, elle est essentielle ici. Ces visions ont pour objet le ciel, l'enfer et le purgatoire; orl'imagi-

DES VISIONS DE l'aUTUE MONDE. 501

nation s'est eïnparée de ces régions, comme nous 1" avons dit plus haut, ajoutant ses ornements au fond simple et vrai que lui fournissent les visions des extatiques.

Ce fond simple et sans parure ressort d'une manière ad- mirable dans la vision que saint Augustin attribue à saint Cyrille, patriarche de Jérusalem, et qu'il nous a conservée dans sa deux cent sixième épître. Sans entrer dans aucun détail sur les lieux qu'habitent les âmes après cette vie, ni sur les supplices ou la félicité qui leur sont réservés , cette vision nous représente les peines de l'enfer comme étant les mêmes que celles du purgatoire; de sorte que la durée seule les distingue; mais les unes et les autres sont telles que nous ne saurions jamais les comprendre ; et il en est ainsi des délices du paradis. De même que les joies des saints diffèrent selon le degré de sainteté, et par consé- quent de connaissance de Dieu, auquel ils sont parvenus, de même aussi les supphces sont proportionnés aux pé- chés, de sorte que néanmoins les chrétiens souffrent beau- coup plus que les païens, parce qu'ils ont repoussé la grâce.

Nous remarquons la même simpHcité dans une autre vision, racontée à saint Boniface par un frère qui, après être mort dans le monastère de l'abbesseWalburge, revint à la vie , et que le saint raconte après lui à sa sœur dans une de ses lettres. Le bon frère expose dans un récit très- naïf ce qu'il a vu après que son âme s'est séparée de son corps. Il lui sembla d'abord qu'on lui ôtait tout à coup un drap de dessus les yeux^ et que tout ce qui lui avait été caché auparavant lui devenait visible : le monde avec ses diverses contrées, ses mers et ses peuples. Puis un ange resplendissant de clarté prit son âme, et l'emporta dans les

502 DES VIVIONS DE l' AUTRE MO.NDE.

airs à travers un océan de flammes qui entoure cet uni- vers. Son àme en fut gravement atteinte , mais enfin les flammes s'écartèrent dès que l'ange eut fait le signe de la croix. Son àme est conduite devant le siège du souverain Juge^ avec les autres qui arrivaient en foule de cette vie. Alors commence une lutte terrible entre les bons esprits et les démons. Tous les péchés que chacun a commis s'avancent contre lui , et l'accusent. Les mauvais es- prits s'unissent à eux, et cherchent à aggraver encore le poids de chaque péché. Mais, de l'autre côté^, les vertus et les bonnes œuvres que chacun a faites en cette vie op- posent leur voix à celle des péchés qu'il a commis. Elles paraissent alors bien plus grandes et bien plus brillantes qu'ici-bas. Elles plaident en faveur de l'àme éperdue, et les bons esprits confirment leur témoignage avec une mer- veilleuse chanté. Le frère subit cette épreuve avec tous ceux qui étaient morts en même temps que lui. Il voit aussi les luttes qu'ont à essuyer ceux qui vivent encore sur la terre, et en particulier Ceolred, roi des Merciens. Puis il voit dans les abîmes de la terre des sources de feu : c'est le purgatoire, une multitude d'àmes obscures errent dans une tristesse lamentable. Au-dessus du fleuve de flammes qui en sort est un pont de bois, sur lequel pas sent les âmes qui reviennent du jugement. Quelques-unes passent sans broncher; d'autres tombent dans les flammes, les unes jusqu'aux genoux, les autres jusqu'aux épaules, les autres jusque par-dessus la tête. Mais ehes arrivent de l'autre côté du fleuve plus belles et plus brillantes qu'elles n'étaient lorsqu'elles y sont tombées. Sous cette source , dans les abîmes les plus profonds, est situé l'enfer, retentissent des soupirs et des plaintes inexprimables

DES VISIONS DE l' AUTRE MONDE. 503

parce que la miséricorde divine n'a jamais lui dans ces lieux désolés. Enfin ^ pour consoler son àme profondé- ment attristée à cette vue, on lui montre le paradis, lieu d'ineffables délices, d'où s'exhalent de suaves parfums; et il aperçoit au milieu la céleste Jérusalem.

Plus tard, les visions des extatiques entrèrent davantage dans le détail des choses. La faculté purement intuitive dans l'homme approcha davantage aussi, de cette manière, du domaine de l'imagination, dont l'action devint dès lors iné- vitable. C'est ainsi que la légende est venue, soit du dehors, soit du dedans, se mêler à la vérité historique, de sorte qu'il est très-souvent difficile de distinguer ce qui appartient à la première de ce que la seconde a ajouté du sien. Toutefois, nous devons en ce genre accorder toujours la préférence aux visions les plus simples, l'on aperçoit une vue plus intime et plus claire dans ces régions obscures. Telles ont été en particuher celles de Madeleine de Pazzi. Comme elle était un soir avec quelques sœurs dans le jardin, elle eut un ravissement le purgatoire lui fut montré. On la vit pendant deux heures parcourir lentement le jardin, qui était assez grand, s'arrêter ici et là, pour considérer le sup- plice^'éservé à tel ou tel péché. Elle se tordait les mains de compassion, pâlissait, semblait ployer sous un lourd far- deau, et paraissait saisie d'une telle horreur, qu'on ne pouvait la regarder sans frémir. Lorsqu'elle fut arrivée au lieu souffrent les prêtres, elle poussa un profond soupir, et dit : Mon Dieu ! vous aussi en ce lieu ; et elle marcha ainsi au milieu d'eux, soupirant à chaque pas. Ceux qui ont péché par ignorance et qui sont morts à la tleur de leur vie étaient punis moins sévèrement, et leurs anges étaient à leur côté et les consolaient. Mais les hypo-

504 DES VISIONS DE l" AUTRE MONDE. ^

crites étaient cruellement tourmentés, et bien plus près de l'enfer. Les iuipatients et les opiniâtres semblaient chargés d'un lourd fardeau, sous lequel ils étaient près de succom- ber: et on la vit incliner la tète presque jusqu'à terre en passant au milieu d'eux. Regardant de cette manière, tan- tôt ici. tantôt là, elle implora une fois le secours du ciel en tressaillant d'épouvante. Après quelques instants de silence elle avança plus loin, en un lieu Ton versait du plomb fondu dans la bouche des menteurs, pendant que les avares, qui n'ont pu se rassasier de biens sur la terre, étaient ras- sasiés de supplices , et que les impudiques habitaient des lieux d'où s'exhalait une odeur insupportable. Elle vit enfin ceux qui navaient été adonnés à aucun péché en particu- lier, mais qui avaient péché un peu dans tous les genres, et qui à cause de cela participaient aussi, mais à un moindre degré, aux supplices de tous les autres. Enfin elle revint à elle, après avoir prié Dieu de lui épargner à l'avenir de telles visions, parce que son àme ne pouvait en supporter l'horreur. [Sa Vie, part. II, ch. 7.

Les visions de sainte Françoise Romaine sont plus dé- taillées encore. Le purgatoire lui parut composé de trois étages, tous remplis d'un feu clair différent du feu de l'enfer, lequel est obscur et noir. L'étage inférieur est par- tagé de nouveau en trois espaces. Dans l'un, dont le feu est plus pénétrant, sont les prêtres; dans le second, le feu est moins vif, sont le clercs, et le troisième, les châtiments sont plus doux encore, est réservé aux la'iques les plus coupables. Partout les démons se tiennent à la gauche des pauvres âmes souffrantes, et augmentent encore leui-s supplices par des railleries amères, tandis que leurs bons anges sont à leur droite, occupés à les con-

DES VISIONS DE l'autre MONDE. 505

soler. Il en est ainsi des visions de Marine d'Escobar, et plus encore de sainte Brigitte , l'on reconnaît l'influence des visions qui avaient précédé les siennes.

Afin de rendre les choses spirituelles plus accessibles à r esprit de F homme^ toujours plus ou moins esclave des sens, il a fallu de tout temps avoir recours au langage symbo- lique. Or, les symboles ont cet inconvénient qu'ils fi- nissent très-souvent par se détacher de l'idée qu'ils voi- lent et par acquérir «n quelque sorte une vie et un développement indépendant d'elle. De plus, on a senti de tout temps aussi la nécessité d'opposer à la violence des passions qui entraînent le cœur de l'homme la crainte et Ihorreur du châtiment. Cette intention, bonne en soi , a se refléter jusque dans les extases des saints, et concou- rir à enfanter ces peintures terribles qu'ils nous ont lais- sées. Mais on a plus d'une fois oublié que toute exagération >e détruit elle-même. Les faibles furent découragés par et poussés au désespoir; de sorte que l'Église dut inter- venir pour réprimer ces pieux excès. Ceux-ci provoquè- rent, au contraire, une réaction chez les hommes d'une trempe plus forte et plus énergique ; de sorte qu'après avoir protesté pendant quelque temps contre eux par une oppo- sition sourde , ils finirent par les rejeter hautement, et par ne plus vouloir reconnaître même les choses certaines, ou qui du moins se tenaient dans les bornes d'une juste me- sure. Ainsi, en invoquant toujours par un zèle exagéré la justice divine sans faire mention de sa miséricorde, on prépara l'excès opposé de ceux qui, n'ayant égard qu'à la miséricorde, oublient tout à fait la justice. Parmi les modernes, sainte Catherine de Gênes est peut-être celle dont les visions, relativement à l'autre vie, sont les m. 15

5 oc DES VISIONS 1)F. l" AL THE .MONDE.

plus dignes, les plus profondes et les plus instructives. Dès que l'àme entre dans ces régions mystérieuses de l'autre vie , il résulte ordinairement de cet état un certain commerce plus intime entre elle et ceux qui sont l'objet de ses visions, et particulièrement ceux qui sont dans le purgatoire. Ici, en effet, le besoin de secours d'un côté, la compassion de l'autre, surtout chez les femmes, rendent ce commerce plus facile et plus fréquent. Aussi trouvons- nous dans les vies des saints une foule de récits sur la forme de ces rapports mutuels, sur ceux qui servent d'intermé- diaires en ces circonstances et sur la charité des âmes dont on réclame les secours. Nous avons eu déjà occasion de citer plusieurs faits en ce genre : nous rapporterons ici comme un des plus remarquables ce qui est arrivé à Fran- çoise du Saint- Sacrement. Elle avait hérité de son père une tendre compassion pour les âmes du purgatoire , et cette compassion avait été augmentée encore par les ap- paritions de sa mère et de ses sœurs, qui étaient venues après leur mort lui demander son secours, et dont les an- goisses avaient fait une profonde impression sur elle. A partir de ce moment, elle ressentit un vif intérêt pour tous ceux qui se trouvaient dans la même position ; et il semble que ceux-ci connaissaient ses dispositions à leur égard, car ils s'adressaient continuellement à elle. Chaque ■jour, à chaque heure, aussi bien le jour que la nuit , ils venaient lui demander le secours de ses prières. Des dé- funts de toute condition, ecclésiastiques, religieux, laïques, papes, archevêques, abbés, prêtres, moines, nobles, roturiers, les uns qui pendant leur vie avaient montré un grand zèle ou avaient pratiqué dans leur ordre de grandes pénitences, les autres qui avaient pris au contraire les

DES VISIONS DK 1.' AUTRE MONDE. 507

choses moins sérieusement; de grands personnages qui avaient joui ici-bas d'une bonne re'putation, avec d'autres qui avaient été en mauvais renom ; des hommes que l'on avait pleures à leur mort comme pères des pauvres, avec d'autres qui étaient morts sur l'écliafaud, assiégeaient la lellule de Françoise, lui racontaient leurs misères, les tautes qu'ils avaient à expier, et lui demandaient secours et conseil. Comme à leur vue elle était toujours saisie d'un (el effroi que souvent elle tombait en défaillance, afin de ménager sa sensibilité , ils ne se présentèrent plus à elle -DUS leur véritable forme, mais comme des ombres llottantes, jusqu'à ce qu'elle se fût accoutumée à les voir.

Les diverses conditions se distinguaient par des signes particuliers, qui indiquaient en même temps l'abus qu'on en avait fait. Les notaires avaient une plume et une écri- tûire, les serruriers un marteau rougi au feu, les ivrognes un verre tout brûlant; les femmes qui avaient été vaines dans le monde traînaient derrière elles quelques misérables haillons, et leur visage, fardé autrefois, avait la couleur de la cendre. Tout cela n'était naturellement que l'expres- sion symbolique de leur état. Lorsque Françoise était au chœur, toutes ces pauvres âmes se tenaient à l'entrée de l'église, près du bénitier, et l'attendaient avec une Jurande dévotion pendant le temps que duraient les Heures. L'office une fois fini, elles entraient avec elle dans sa cel- lule, et lui présentaient leur supplique. Lorsqu'elle était avec les sœurs ou à la récréation, elles la suivaient et lui 1. lisaient signe de venir. C'étaient principalement aux yeux et à l'expression qu'elle reconnaissait leur état intérieur. Lé. jour des Morts l'affinence était bien plus grande autour

508 DES VISIONS DE l' AUTRE MONDE.

d'elle. Elle était entourée surtout des âmes qui avaient obtenu leur délivrance en ce jour^ et qui venaient lui ra- conter confidentiellement les choses les plus secrètes. Lors- qu'elles trouvaient leur bienfaitrice endormie, elles se tenaient autour de son lit, attendant qu'elle se réveillât, pour ne point l'efù^ayer: mais elle ne pouvait s'empêcher d'avoir pem'. x\ussi, dès qu'elle voyait le soleil se coucher, elle devenait triste , dans l'attente des visites qu'elle allait recevoir. Les défunts lui donnaient une multitude de com- missions, qu'elle exécutait dans les commencements avec une grande exactitude; mais comme ces relations deve- naient fort incommodes pour le monastère, ses supérieurs les lui interdirent. Plusieurs venaient lui apporter des messages de la part d'autres âmes qui n'osaient pas s'adres- ser à elle. Aussi ressentait-elle pour toutes ces âmes une grande compassion^ et faisait tout ce qu'elle pouvait pour les secourir, priant presque continuellement pour elles, faisant des communions , engageant les prêtres à dire des messes, jeûnant presque toute l'année au pain et à l'eau, se donnant la discipline des heures entières , offrant à Dieu pour elles son sommeil, ses souffrances, ses peurs, ses tra- vaux, ses incommodités, chaque pas, en un mot, qu'elle faisait, ne se réservant rien pour elle. Aussi leur disait- elle souvent d'une manière touchante : « Chères sœurs, je resterai longtemps en purgatoire à cause de vous, car je vous ai tout donné, et n'ai rien gardé pour moi. » Elles cherchaient alors à la consoler par leurs remercîments , et en lui promettant leur secours. (Sa Vie, par M. de Lanuza.) Il en fut de même de Jeanne de Jésus-Marie, de Gertrude de Saint -Dominique, de Bernardine de la Croix et de Bénédicte de Brescia. Toutes ces femmes

DES MSIONS DE l" AUTRE MONDE. o09

furent comme les sœurs de charité des pauvres âmes du purgatoire.

L'intérêt que montrent ici les saints en transportant aux autres les fruits de leurs bonnes œuvres, ils peuvent le manifester également en prenant volontairement sur eux les châtiments que méritent les pécheurs. En effet , dans TÉglise. la communion des saints, qui met en rapport les régions invisibles avec Tliomme qui vit sur la terre, rend possibles ces secours réciproques; et comme, d'un autre côté, le dogme chrétien repose tout entier sur la -ubstitution, ce rapport trouve encore de ce côté de nou- velles facilités. Dans l'Église, tous les éléments se pénè- trent mutuellement, et agissent les uns sur les autres. C'est même le signe distinctif de toute union organique : .mssi le trouvons-nous déjà , à un degré inférieur, il est vrai, dans le corps humain, dont toutes les parties et toutes les forces sont Uées par un commerce réciproque. Si quelque désordre ou quelque maladie s'y déclare, il s'établit ordinairement dans un membre particulier, qui devient comme le foyer du mal ; mais tous les autres pren- nent part, par une sorte de compassion, à l'état de souf- france où il se trouve, et se hâtent, pour ainsi dire, de venir à son secours. Or ceci peut arriver de deux manières: ou en donnant à l'organe malade ce qui lui manque, et en produisant ainsi une crise salutaire qui rétablit l'haraionie dans l'organisme entier; ou par une substitution en vertu de laquelle un autre membre prend sur soi, pour ainsi dire, le mal de celui qui souffre, et satisfait à sa place. Dans ce dernier cas, la maladie quitte l'organe affecté, et se jette par une métastase sur un autre, substitué au premier, et qui devient alors le fover du mal. L'action des remèdes

oiO DES VISIONS DE l" AUTRE MO>DK.

qui opèrent directement repose Mir le premier moyen , tandis que faction des remèdes qui opèrent d'une manière antipathique repose sur le second.

Comme l'organisme est soumis aux lois de la nécessité, cette substitution n'est pas libre non plus; mais elle s'ac- complit nécessairement par les forces vitales. Il n'en est pas ainsi de l'organisme moral, tel que les diverses sociétés hu- maines. Quoiqu'elles soient formées d'après le type du coi-ps humain, elles sont gouvernées par la loi de la sou- mission volontaire; il ne peut donc être question chez elles que d'une substitution volontaire aussi, en ce sens qu'un membre peut, par un acte Hbre de sa volonté, se substituer à un autre, et se porter caution pour lui. Or, cette caution est acceptée par la société tout entière , parce que chacun des membres qui la composent peut satisfaire également à la place des autres. Cette substitution se borne, dans la société temporelle, aux choses visibles; mais dans l'Église elle s'étend jusqu'aux régions invisibles. Et comme, d'un autre côté, toutes les régions, sans en excepter les régions naturelles et organiques, appartiennent au royaume de Dieu, cette substitution s'étend aussi à ces dernières. Nous voyons, en effet, les saints prendre volontairement sur eux les maladies physiques de leurs frères, et c'est le premier degré de substitution. Au second degré sont ceux qui pren- nent sur eux le châtiment des péchés des autres.

Un grand nombre de saints se sont chargés volontaire- ment des maladies de leur prochain : nous ne ferons que Osanna. citer ici quelques faits en passant. Osannade Mantoue s'é- tait offerte à Dieu, afin de satisfaire à sa justice pour son père. Mais le Seigneur n'avait pas accepté son offre, parce qu'elle en serait morte: il lui avait permis cependant plu-

DES VISIONS DE l'aUTRE MONDE. oll

ABUis fois de prendre sur elle les maladies- de quelques personnes qui lui étaient chères. Ainsi , la princesse Isa- I)elle de Mantoue était menacée de consomption , et deu\ Frères Prêcheurs qui allaient au synode étant exposés à contracter quelque maladie dans les contrées insalubres qu'ils devaient parcourir, elle demande avec larmes au Sei- gneur la permission de prendre leurs maux sur elle. Sa prière fut exaucée, et elle fut à Tinstant même prise dune lièvre violente qui la mit aux portes du tombeau. Isabelle -:uérit, et les deux religieux retournèrent bien portants à liome. Elle obtint la même chose pour le margrave de Mantoue et pour plusieurs autres personnes. {Sa Vie,\i\. 1, (h. n.) Devant la porte de la maison de Liduine était assise udume. un jour une femme à qui la souffrance arrachait des larmes. La vierge, l'entendant ainsi pleurer amèrement, appela sou confesseur, et lui demanda ce que c'était. Il lui répondit : '( C'est une sœur qui souffre horriblement, et qui ne peut trouver de repos. « Liduine la fit venir,[et lui dit : « Vou- lez-vous, ma sœur, que je vous aide dans votre affliction? Oh I je le voudrais bien, répondit la pauvre femme. Mais vous êtes déjà bien assez malade vous-même ; priez seule- ment Dieu pour moi. » La vierge s'adressa aussitôt au Sei- gneur, et à l'instant même les souffrances de cette femme passèrent sur elle ; de sorte qu'elle fut horriblement tour- mentée un jour et une nuit, au grand étonneraent des as- sistants. Souvent aussi elle prit sur son corps de grande> souffrances, après les avoir demandées à Dieu, afin d" épar- gner à la ville elle demeurait quelque danger ou quel- ({ue effusion de sang. (A. S., 1 1 april.)

Nous citerons comme exemple de l'autre genre de subs- Piene !itution celui du- chartreux Pierre Pétrone, en 1311 , ^'"°"^'

ol2 DES VISIONS DE L ALTRE MONDE.

mort en 1 361 , à Sienne. Car, premièrement, les faits sont attestés de la manière la plus authentique par des témoins oculaires, et racontés par l'un d'eux, lequel est devenu un saint lui-même à la suite des exhortations de ce saint homme, à savoir saint Colombin, fondateur des Jésuates et auteur de la vie de Pétrone. En second lieu, celui à qui Pierre s'était substitué vivait encore lorsque sa vie fut écrite; de sorte que les faits étaient très-faciles à vérifier. Quinze jours avant sa mort, le bienheureux, qui depuis si longtemps désirait de mourir, eut une vision dans laquelle le Seigneur lui apparut, et, après s'être entretenu familière- ment avec lui, lui dit : « Approche plus près, Pierre, afin que tu voies tout de tes propres yeux, w « Je fus alors, ra- conte-t-il lui-même, privé de l'usage de mes sens; et comme mon âme était plongée en Dieu avec toutes ses puissances , je me trouvai inondé d'une ineffable suavité: je vis toutes les armées célestes, et j'eus une connaissance claire et dis- tincte de toutes les âmes prédestmées, mais aussi de beau- coup de celles que l'enfer renferme en ses abimes, ou qui satisfont encore à la justice de Dieu dans le purgatoire. Chacun, quelque peu qu'il eût à souffrir, croyait qu'il souf- frait plus que tous les autres; et de même que les bienheu- reux , dès qu'ils désirent une félicité plus grande encore, ^ oient aussitôt leurs désirs accomplis, ainsi les réprouvés , lorsque, tournant contre eux-mêmes leur fureur, ils imagi- nent quelque supplice plus grand encore, voient à l'instant même s'accomplir en eux cette pensée d'une horrible ma- "uière. En contemplant le Seigneur, je vis en même temp; les œuvres de tous les mortels , les plus intimes secrets de leurs cœurs. Et afin que tu reconnaisses la vérité de ce que je te dis (il parlait à Joachim Élianus, un jeune homme qu'il

DES VISIONS DE 1/ AUTRE MONDE. 513

s'était attaché depuis longtemps et dont il avait fait son in- termédiaire entre lui et le monde), je veux te révéler tous les secrets de ton propre cœur et tes œuvres les plus cachées. N'as-tu pas, depuis que je te parle, pensé à exercer telle ou telle vertu?» Le jeune homme eflrayé lui ayant avoué que c'était vrai, le bienheureux, continuant son discours, lui découvrit les pensées secrètes de plusieurs hommes, les- quelles n'étaient connues que de Dieu seul. Il le chargea ensuite de beaucoup de commissions pour telles ou telles personnes, et qu'il devait exécuter en partie avant sa mort, en partie après ; et parmi ces personnes il y en avait beau- coup qu'il n'avait jamais vues. Il devait s'adresser à celui- ci avec un visage serein et des paroles bienveillantes, prier instamment et conjurer celui-là, traiter sévèrement un troi- sième, et d'autres plus sévèrement encore. Pour le mettre on état de mieux remplir les commissions qu'il lui donnait auprès de ces personnes, il lui fit connaître leurs pensées les plus secrètes, et qui n'étaient connues que d'eux et de Dieu. Puis, pour exciter son zèle, il lui raconta de la vie de plusieurs hommes pieux existant alors tout ce qui pouvait l'édifier et l'inspirer. Il enflamma en même temps son cœur, en s' entretenant longuement avec lui des choses divines, et il semblait en lui parlant respirer les flammes de l'amour divin. Il lui récommanda d'exécuter ponctuel- lement tout ce qu'il lui avait prescrit dès que Colombin, ({ui était alors en voyage et dont il lui annonça d'avance le prompt retour, serait arrivé et qu'il aurait pu s'entendre avec lui.

Le jeune homme, dès que Colombin fut revenu, se hâta de remplir les commissions du bienheureux. La ville de Sienne était alors divisée par des factions tellement achar-

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514 DES VISIONS DE L AUTRE MONDE.

liées l'une contre l'autre que la discorde séparait les amis, les parents^ brisait tous les liens, et que les divers partis, dans leur haine aveugle, appelaient également à leur se- cours l'ennemi extérieur. De une fermentation conti- nuelle j, des émeutes sanglantes, des mouvements tumul- tueux, des changements quotidiens dans les magistratures et les emplois , d'odieuses trahisons et des haines récipro- ques. C'était aux chefs de ces factions que Joachim devait d'abord s'adresser; car Pierre avait, dans ses visions, vu un grand nombre de ceux qui avaient pendant leur vie causé et fomenté ces maux payer chèrement leurs fautes. La mission du disciple ne fut pas sans résultat. Plusieurs , effrayés de ses paroles, se convertirent et se réconcilièrent avec leurs ennemis ; d'autres, abjurant leur orgueil et leur présomption, consentirent à faire des ouvertures de paix. Mais la mission de Joachim ne se bornait pas à ces hommes; elle s'étendait encore à d'autres qui menaient une vie cri- minelle et scandaleuse. Il gagna les uns par des paroles bienveillantes, effraya les autres par ses menaces. Ceux qui suivirent ses conseils s'en trouvèrent bien; mais bien mal en prit à ceux qui se montrèrent rebelles. J. André, sur- nommé le Taureau, recteur de l'hôpital de Sainte-Marie des Degrés, fut un de ceux-ci. Tous les avis ayant été inutiles, la mort l'enleva à l'époque qui lui avait été annoncée d'a- vance. L'abbesse du couvent de Sainte-Marie s'était mon- trée docile au commencement; mais plus tard, persuadée par de mauvais propos, elle méprisa les avertissements qui lui furent donnés. Une maladie dontJoachim l'avait mena- cée châtia sa résistance.

La magie et les évocations étaient alors en vogueàSienne, et beaucoup avaient plus de confiance dans ces tromperies

I»t> VI?10>5 1)K LALIRL MU.NDE. O l .S

de 1 enfer que dans les moyens salutaires presciibparl'K- iilise. Joachim fut envoyé aussi à ceux qui étaient adonnes "i ce crime, et ses efforts ne furent pas sans résultat. Pen- dant tout ce temps , le saint homme ne restait pas oisif dans sa cellule; il avait vu les dangers que courait le salut de plusieurs moines de son couvent ; et, enflammé de zèle poui le bien de leur àme, il commença à les attaquer d'une ma- nière indirecte. Comme il n'atteignait pas son but, il leur parla franchement, et leur découvrit les périls de lem* con- science. Sa conduite, dans les commencements, fut bien diversement jugée. Les uns l'accusaient d'outre-passer ses pouvoirs; les autres disaient qu'il était fou, d'autres qu'il était possédé, d'autres enfin que c'était un bon esprit qui parlait par lui; mais tous, dès qu'ils s'étaient donné h peine de réfléchir et de rentrer en eux-mêmes, venaient se jeter à ses pieds, vaincus par sa bonté, lui demander sa bénédiction , et lui promettre de se convertir sérieuse- ment.

Pierre, dans ses visions, avait vu ployer sous le faix de gi'andes douleurs un de ses amis encore vivant, et il avait adressé à son sujet d'ardentes prières au Seigneur ; mais il avait reçu pour réponse qu'il était arrêté dans les desseins de Dieu que la justice divine devait être satisfaite, et que cet homme devait expier ses péchés par de grande> souffrances. Pierre, ayant fait part à Joachim de sa vision, celui-ci, touché de compassion pour le pauvre pécheur, -upplia le saint de prier continuellement pour lui. Pierre lui répondit : « Le Seigneur veut que l'on endure, à cause de ce malheureux et pour sauver son àme, pendant -oixante heures, toutes les souffrances de ce monde: veux- tu, mon fils, prendre sur toi ce martyre? 11 se cou-

516 DES VlJflO.NS HE l'aLTBE MONDE.

vertira aussitôt à Dieu, et recevra de grandes lumières; et toi tu auras fait une œuvre plus grande que si tu l'avais ressuscita d'entre les morts. » Le jeune homme frémit d épouvante à cette seule proposition. « Eh bien^ lui dit Pierre, sache que j'ai pris sur moi ce martyre. A partir du moment que je vais te désigner^ tu pourras voir facilement tout ce qu'il me faudra souffrir. » Lorsque le jour indiqué fut arrivé^ c'était le sixième avant sa mort, Pierre se pré- para par la prière à l'œuvre terrible qu'il devait accomplir. Puis il fut jeté à terre avec une grande violence^ et y resta étendu comme un cadavre. Il tomba à l'instant même en défaillance et- perdit toutes ses forces; son corps devint livide, son visage creux et amaigri; ses yeux s'enfoncèrent dans leur orbite, ses tempes s'affaissèrent, et sa poitrme desséchée semblait tenir à peine à la colonne vertébrale, qui ressortait au dehors. Ses mains et ses pieds furent comme brisés, de sorte qu'il ne pouvait ni remuer les pieds, ni lever les mains vers le ciel. Au milieu des supplices dont il était accablé, sa misère était si grande que personne ne pouvait lui toucher même les ongles des pieds sans que tout son corps en frémît et qu'il grinçât des dents comme si elles allaient se briser. Il ne lui était resté que la voix; encore ne pouvait -il faire entendre que quelques sons plaintifs et mourants.

« C'était pour nous, dit son biographe, un spectacle la- mentable de voir ce saint homme en cet état, mort avant de mourir, et comme enseveli avant d'être mis en terre. » Ses frères étaient consternés , ne connaissant point la cause de ce martyre; aussi croyaient-ils que c'était le dé- mon qui le tourmentait ainsi. Joachim, Colombin et Nico- las gardaient le silence; et ce qui les désolait, c'était de ne

DES VISIONS DE LALTRE MONDE. o 1 7

pouvoir soulager leur père commun; mais du moiiït. ils ne le quittèrent point jusqu'à ce que son martyre fût termine. Ce vaillant guerrier combattit ainsi sans relâche pendant soixante heures ; puis il revint à lui^ commença à respirer un peu^ leva avec sérénité vers le ciel ses yeux, la vie s'épanouissait de nouveau, étendit les bras, éleva les mains, et sa langue se déliant peu à peu se mit à louer le Sei- gneur. Après quoi il recouvra ses forces, et se trouva inondé de telles délices qu'il lui semblait qu'il était au mi- lieu des chœurs des anges; et il s'écriait dans sa jubilation : « Attirez-moi après vous, je suis la trace de vos parfums. ■» Son désir fut exaucé ; car au bout de deux jours à peu près il tomba mortellement malade, comme il l'avait prédit . La nuit de sa mort, ses amis, Colombin, Nicolas et Termite Sanctus étaient réunis près de sa couche, et s'entretenaient avec lui de choses divines. Vers la seconde heure de la nuit, il fut tout à coup glorifié : son visage resplendit comme le soleil, et tout son corps fut inondé de lumière et de délices; de sorte que ses amis s'embrassèrent dans les transports d'une sainte allégresse. Il resta trois heures en cet état. Puis, revenu à lui, il tint les yeux fermés. Aucune parole ne sortit plus de sa bouche, et il mourut vers la sixième heure de la nuit. A peine était- il mort que celui pour qui il avait souffert fut saisi d'une telle douleur, et ressentit une telle contrition de ses péch^'s que , maudis- sant la vie criminelle qu'il avait menée, et saintement ir- rité contre soi-même, il fut pendant trois jours presque sans vie, tant était grande la désolation et l'amertuiue de son àme. A la vue de l'état était sa conscience, il se sentit si doucement attiré vers Dieu qu'il ne trouvait au- cune parole pour l'exprimer; et il confessait que ce qu'il

ol8 DEt? MSIO.NS Dt I, AUTRE MONDE. %

ëprojuvait dans son intérieur était inexplicable, et qu il n'avait jamais rien ressenti de pareil. Bientôt il acquit une merveilleuse connaissance de Dieu et des choses les plus secrètes; c'était l'efletde la grâce que Pierre lui avait mé- ritée par ses souffrances.

Joachim continua de remplir les commissions que le défunt lui avait données. L'une était adressée à la reine Jeanne de Naples, l'autre au pape d'Avignon, une troi- sième à Jean de Valois et Edouard d'Angleterre, engagé? l'un contre l'autre dans une guerre désastreuse. Il avait aussi un message pour J. Boccace et Fr. Pétrarque. Le premier était alors à la fleur de son âge et dans tout l'éclat de sa renommée. Son Bécameron avait paru, et avait bien- tôt été traduit dans toutes les langues. Dans ce temps les passions étaient si vives et les esprits si impression- nables, sa légèreté avait fait d'autant plus de mal que son l)eau langage lui avait gagné partout une foule innom- brable d'auditeurs ou de lecteurs. Joachim alla le trouver ;i Florence, et lui déclara qu'il venait vers lui, non de son propre mouvement, mais sur l'ordre de l'homme de Dieu de Siemie^ qu'il navait jamais vu , il est vrai, pendant sa vie, mais qui, dans ses visions, avait connu l'état de sa conscience; qu'alarmé des dangers que courait son àme, il l'avait envoyé pour le conjurer d'amender sa vie. Il lui (lit que, par l'abus du beau talent que Dieu lui avait donné pour sa gloire, il a\ait déjà fait beaucoup de mal, et qu'il avait été pour les autres, non-seulement par ses paroles et ses écrits, mais encore par l'exemple de sa vie criminelle, un objet de scandale et un modèle de légèreté et de liber- tinage ; que le mal semé par lui se propagerait bien davan- tage encore s'il ne se corrigeait, et s'il ne renonçait à écrire

DES Vlî?IO>6 DE I.ALTRL MONDE. . » 1 0

des livres pernicieux. Que s'il se montrait rebelle aux aver- tissements de l'homme de Dieu , il était chargé de lui dire que le temps n'était pas éloigné il serait puni de son endurcissement, et que Dieu saurait mettre, bien plus promptement qu'il ne le croyait, un terme à sa vie et à ses études.

Boccace fut fortement ébranlé par ces paroles, d'autant plus que Joachim, pour accréditer sa mission, lui avait dé- voilé les replis les plus cachés de son cœur. Il écrivit donc à Pétrarque, qu'il honorait comme son maître et son ami, pour lui faire paii de ce qui venait de lui arriver, et lui demander conseil. La réponse du poëte, lequel était alors à Padoue, nous a été heureusement conservée; elle est très- judicieuse et très-prudente. Il lui témoigne d'abord l'éton- nement et la peine que lui a causés sa lettre. II ajoute en- suite qu'il a triomphé de ces deux sentiments, et qu'il es- père lui inspirer les mêmes dispositions. Puis, entrant dans le détail des choses, il le fortifie dans le dessein qu'il a d'amender sa vie, et s'etforce de toute manière de com- battre en lui la crainte de la mort par des exemples du pa- ganisme et des passages de la sainte Écriture. Pour ce qui concerne le message qu'il a reçu, il lui dit qu'il faut con- sidérer attentivement l'âge, l'air, le regard, le maintien, les mouvements, les discours, la voix, les mœurs, etc., de celui qui le lui a apporté, et juger d'après cela de la foi qu'on doit lui accorder; que ce n'est pas la pre- mière fois que le mensonge s'est caché sous le voile de la religion. [Epistolanun senilium lib. I, epist. 5.) Boc- cace vécut encore quinze ans après cet événement et mou- rut en 1376, un an après Pétrarque, son maître. (A. S., 29 mai.)

320 DES VISIONS DE L AUTRE MONDE.

Ce qui s" est accompli eu peu de temps dans cette substi- tution grandiose de Pétrone s'est prolongé pendant de longues années chez Christine de Stumbèle. En efFet^ les luttes qu'elle supporta avec tant de constance et de géné- rosité n'avaient pas seulement pour but d'exercer sa vertu, mais encore de racheter du purgatoire l'àme de telle ou telle personne. Ainsi ^ l'àme de son père lui coûta huit nuits de cmelles souffrances ; mais elle gagna en même temps l'âme d'un jeune homme. Elle combattit pendant plusieurs se- maines pour racheter trois âmes qu'elle aimait, et mille autres furent le prix de la victoire qu'elle avait remportée. Elle obtint une autre fois de cette manière la conversion de sept meurtriers qu'elle avait vus dans une forêt éloi- gnée, sur les frontières de l'AUemagne. Les luttes inces- santes de cette vierge héroïque contre les puissances de l'enfer sauvèrent une foule de pauvres âmes, tandis qu'elles procuraient un accroissement de souffrances aux démons qui les tourmentaient. En supposant même qu'il y ait eu en tout cela beaucoup d'illusions. Dieu a certaine- ment dû lui tenir compte de son courage, de sa constance et de sa bonne volonté.

:hristine H en fut de même de Christine l'Admirable à Saint-

idrairable. ™, , , ,. ., . , . ,

Trond, et 1 on aurait peme a crou'e ce que nous raconte en

ce genre Cantimpré, son biographe, s'il n'invoquait comme garantie de la vérité des faits qu'il rapporte le témoignage de ceux qui les avaient vus et qui vivaient encore. Dès qu'elle fut ressuscitée dans l'église, pendant que l'on chan- tait pour elle l'office des morts, comme nous l'avons vu plus haut, elle commença aussitôt les pénitences pour les- quelles elle croyait que Dieu l'avait fait revenir en ce monde. Ces pénitences étaient d'une nature vraiment sin-

DES VISIONS DE i/aITRE MONDE. o21

cjulière. Ainsi elle entrait dans des fours embrasés sans être endommagée par les flammes^, quoiqu'elle en ressentît les ardeurs comme tous les autres ; de sorte que la douleur lui arrachait des cris horribles. Elle tenait ses bras et ses jambes dans le feu si longtemps que sans un miracle elle aurait être réduite en cendres. Quelquefois elle sautait dans une chaudière pleine d'eau bouillante, qui lui allait jusqu'à la poitrine ou à moitié du corps, et encore avait- elle soin d'en jeter sur les parties qui étaient libres. Elle criait alors comme une femme dans les douleurs de l'en- fantement; mais lorsqu'elle était sortie on n'apercevait sur ^on corps aucune trace de brûlure. En hiver, quand la Meuse était gelée, elle passait quelquefois six jours, et da- vantage encore, sous l'eau. Lorsqu'elle y restait trop long- temps, le prêtre qui la dirigeait venait, et du rivage la conjurait au nom du Seigneur. Contrainte alors par cette (•vocation , elle sortait de la rivière. D'autres fois encore, pendant l'hiver, elle se tenait debout sous la roue d'un moulin; de sorte que l'eau glacée lui tombait sur la tête; ou bien encore, se laissant entraîner par le courant, elle se précipitait avec lui par -dessus les roues, sans en être blessée. Elle enlaçait ses mains et ses jambes autour des roues sans que ses membres en fussent disloqués. Elle montait parfois à la potence, se pendait entre les brigands, et restait ainsi deux ou trois jours. Souvent elle visitait les tombeaux des morts pour y pleurer les péchés des hommes. Quelquefois, au milieu de la nuit, elle excitait tous les chiens de Saint-Trond, se sauvait devant eux comme une bête qui s'enfuit, se laissait traîner à travers les forêts et les haies d'épines; de sorte qu'il n'y avait aucune partie de son corps qui n'eût quelque blessure ; mais dès qu'elle en

522 DES VlSIOiNS DE i/aUTRE MO.NDE.

avait lave le sang il n'en restait plus aucune trace. Elle se jetait au milieu des ronces et des épines, de sorte que son corps tout entier était ensanglanté; et ceux qui en étaient témoins ne savaient elle prenait le sang qu'elle avait perdu : car,, outre ces pertes fréquentes, elle en perdait en- core beaucoup par les veines.

Le comte Louis de Loen avait pour elle une affection sin- cère, et ne rappelait jamais que sa mère. Étant tombé mortellement malade, il la fit venir et la pria de rester près de lui jusqu'à son trépas. Elle y consentit. Or comme elle était assise près de lui, il fit sortir tous ceux qui étaient présents ; puis , recueillant le peu de force qui lui restait encore, il se lève, se jette à ses pieds, lui confesse tous les péchés qu'il a commis depuis l'âge de onze ans, non pour en obtenir l'absolution, puisquelle ne pouvait la lui don- ner, mais afin de l'engager à prier pour lui avec plus de ferveur. Après cela, il fait rentrer les siens dans sa cham- bre , exécute ce qu'elle lui conseillait de faire, et meurt. Elle prit sur elle la moitié de la peine qu'il avait méritée, parcourut tous les lieux du château il avait péché, pleura amèrement les fautes qu'il avait commises, et on la vit sou- vent, pendant la nuit, passer alternativement des ardeurs les plus dévorantes au froid le plus aigu. Ce qu'elle avait été en Belgique, Angehne Tholomei, morte en 1300, le fut à Sienne pour fltalie. Ressuscitée par son frère saint Jean-Baptiste Tholomei, elle mena, comme Christine l'Ad- mirable, une vie extrêmement rigoureuse, et devint une des plus grandes pénitentes qu'ait eues l'Église. Sa vie tout entière se passa dans les larmes. Souvent elle se jeta dans le feu, d'où elle sortait toute noire et brûlée. D'autres fois* par le froid le plus intense, elle se jetait dans la neige, de

DES VliiION!:; DE l'aUTRE MONDE. .■>23

soiie que tous ses membres étaient roides. Elle demeurait dans des cavernes obscures ou des caves profondes, dor- mait sur la terre nue, et de plus elle fut affligée par les maladies les plus étranges. Après avoir mené ainsi une vie presque fabuleuse, elle mourut enfin pour la seconde fois. (Steill^ Epheni., 20 juin.)

Tels sont les faits les plus merveilleux et les plus ins- tructifs que les Actes des saints nous aient conservés en ce genre. Mais^ dira-t-on en lisant ces chapitres^ ce sont de dures paroles, auxquelles il est impossible de croire sans braver les lois du bon sens. On aurait raison de parler ainsi s'il s'agissait de choses renfermées dans le cercle du sens commun et de l'expérience, qui a fourni au premier les lois sur lesquelles il s'appuie. Mais les phénomènes que nous venons d'exposer dépassent ces limites. Le simple bon sens se trouvant donc trop étroit pour les comprendre, il ne peut exiger que les choses se raccourcissent en quelque sorte pour se mettre à sa portée. 11 doit s'étendre, au con- traire, et se propoilionner à eux, en complétant par l'expé- rience les lois qu'il s'est faites, et en se mettant ainsi en état de saisir ce qui lui échappait auparavant. Car nier sim- plement les faits, c'est, ici comme ailleurs, une chose im- praticable. Nous avons marché jusqu'ici pas à pas, ne posant jamais un pied en avant avant d'avoir bien affermi lautre. Nous avons prouvé chaque fait par des témoignages irré- cusables ; il serait donc puéril et peu philosophique de re- jeter comme incroyable l'ensemble de ces faits dans leur^ dernières conséquences, après avoir été réduits à l'impossi- bilité de nier chacun d'eux en particuUer. Si l'on rejette ces témoins, si Ton nie les faits que confirment leur témoi- gnage, et qui, attestés par eux, se soutiennent ensuite ré-

524 DES VISIONS DE I.' AUTRE MONDE.

ciproquenient, c'en est fait de toute vérité historique; c'en est fait même de toute vérité naturelle et par conséquent de toute vérité philosophique. Nous ne pouvons plus croire à notre propre témoignage. Une fois que la critique s'est emparée de ces faits, et a fait son office à leur égard, il faut se résigner a les accepter tels qu'ils se présentent, et il ne s'agit plus dès lors que de savoir comment la raison doit les prendre. L'esprit moderne, disposé comme il l'est à re- jeter toute influence supérieure, ne verra dans ces faits extraordinaires que refîetde quelque désordre physique et organique, et tous ces phénomènes ne seront pour lui que les délires d'un cerveau malade. Mais il en est de l'expli- cation des faits comme de leur acceptation. Protester d'une manière absolue contre eux, c'est nier l'expérience; les accepter aveuglément, malgré les contradictions de la rai- son, c'est essayer d'expliquer celles-ci d'après une loi su- périeure, c'est nier également la raison elle-même. Ainsi, vouloir exphquer ces faits d'une manière purement objective, sans tenir compte d'aucune coopération sub- jective, soit dans le domaine spéculatif, soit dans le do- maine pratique, c'est anéantir la liberté humaine. Mais essayer, au contraire, de rejeter complètement ce qu'il y a d'objectif dans ces faits, et les regarder seulement comme le jeu de l'esprit ou de l'imagination, c'est sacrifier éga- lement le monde objectif et ses lois. En effet, si des per- ceptions aussi claires, unies par les liens d'une consé- quence rigoureuse à des actions précises et déterminées, ne sont que des rêves, rien n'empêche de regarder comme un songe la vie tout entière.

Au reste, les difficultés que soulève une telle explication la rendent complètement insoutenable. Pj'enons d'abord

DES VISIONS DE l. AUTRE MONDE. o2o

le domaine spéculatif, et dans ce domaine prenons pour t?xemple ce qui est arrivé à Dominique de Jésus-Marie lors- qu'il s'est vu en face de lui-même, au lit de ce curé malade. On pourrait jusqu'à un certain point attribuer ce fait à une espèce de vertige délirant de la conscience, à un déplace- ment de l'axe de la personnalité, comme lorsqu'on voit deux images dans l'œil. Mais comment se fait-il que ce délire se soit communiqué aussi au curé, de telle sorte qu'il ait vu d'un côté le vrai Dominique et de l'autre le faux? Il fau- drait donc qu'il eût été non-seulement fou , mais encore clairvoyant. Cette explication, en voulant échapper à la réa- lité du phénomène , l'idéalise et en fait un fantôme. Mais pour que cette hypothèse se soutienne, il faut que ce fan- tôme lui-même se réalise dans un autre. On ne fait donc- que doubler la difficulté au lieu de l'écaiier, sans compter que cette hypothèse est complètement réfutée parla manière judicieuse et conséquente avec laquelle ces deux hommes agissent en toute circonstance. Que si de la spéculation nous passons à la pratique et aux déterminations de la vo- lonté faisant ceci , omettant cela, passant du mouvement au repos et du repos au mouvement , il y a des choses en effet que l'on pourra regarder comme le résultat d'un dé- sordre dans le système nerveux ou musculaire. Ainsi, par exemple, lorsque ce même Dominique ou Christine de Stumbèle ont les mains et les pieds liés, puis déliés, on peut attribuer ce phénomène à des crampes violentes; mais lors- que nous les voyons enlevés, emportés dans l'air, il serait difficile de ne voir que l'effet d'une cause purement subjective.

Jeanne Rodriguez de Burgos, lorsqu'elle allait le matin Jeanne Ro

dri^uGz

à la messe dans l'église des Déchaussés, était obhgée de °

o2C DES VISIONS bE L AUTRE MONDE.

passer devant un puits qui ressortait de l'arc de pierre d'un vieux mur, était fixée une grille de fer avec des tiges de Ter pointues. Or très-souvent, lorsqu'elle passait, elle était entraînée vers celte grille, et on la trouvait alors les pieds enfoncés dans les pointes ; très-souvent même son corps et son visage étaient tout ensanglantés. Que pouvait-il donc y avoir en elle qui la détournât ainsi du but qu'elle voulait sérieusement atteindre, à savoir l'église elle allait, pour la traîner ainsi sur ces pointes de fer? C'était, dira-t-on peut-être, l'attrait magnétique du fer. Mais comment ex- pliquer le fait suivant? Un jour, comme elle priait dans sa chambre, elle fut traînée également sur le sol, et sa tête fut introduite entre les barreaux d'une chaise, dans un espace si étroit que son cou était serré et qu'elle fut sur le point d'étouffer. Les servantes, inquiètes de sa longue absence, l'ayant cherchée, la trouvèrent en cet état, semblable à une mourante. A leurs cris accoururent son mari et un ecclé- siastique de ses amis. Tous s'efforcèrent de lui ôter la tête d'entre les barreaux elle était prise, mais sans pouvoir y réussir. L'archevêque de Burgos avait chargé précisément cet ecclésiastique de l'avertir de tout ce qui pourrait arri- ver d'extraordinaire. Celui-ci le fit donc prévenir sur-le- champ. Le prélat accourut, et son cœur se brisa quand il vit Jeanne en cet était si pitoyable. Il ordonna de scier avec précaution les barreaux de la chaise qui la tenaient serrée, et elle échappa ainsi à la mort. Qu'on dise donc ce qui avait pu introduire la tête de cette femme dans un espace qui était déjà trop étroit pour son cou. Bien plus, qu'on nous dise ce qui, dans cette circonstance, a fait concorder dune manière si merveilleuse les perceptions fausses et dé- lirantes de cette femme et de toutes les personnes présentes

DES VISIONS DE LAUTRE MONDE. 527

avec leur volonté et leurs actions, de sorte que les unes sont toujours en harmonie avec les autres. Le délire, s'il avait existé, n'aurait-il pas au contraire rompre tout lien, tout accord entre les perceptions de l'esprit et les actes de la volonté d'un côté, et de l'autre entre les divers acteurs de cette scène? Or cette confusion, ce désordre n'existe ja- mais. Bien plus, nous voyons dans le fait de Pierre Pétrone une autre pei-sonne prendre part à cetaccord, et la démence du pénitent produire une conversion subite en celui pour qui il fait pénitence.

Personne _, il est vrai, ne regardera comme réelle cette suite de supplices qui ont martArisé Christine de Stumbèle pendant tant d'années; personne ne croira qu'elle ait été réellement déchirée, déchiquetée, mise en morceaux. Tout cela s'est passé dans son intérieur et d'une manière psychique-, de sorte qu'elle n'en a eu que le sentiment sans en avoir l'effet. La racine du mal était incontestable- ment dans le tempérament mélancolique qui s'était an- noncé chez cette femme dès sa première jeunesse. C'est lui qui avait déterminé ces phénomènes extraordinaires, et donné à sa vie ce caractère sombre et ténébreux qui ne la quitta plus jusqu'à ce qu'une seconde crise ei'it plus tard produit une réaction salutaire par ces pertes de sang si considérables qui la délivrèrent pour toujours de ces fan- tômes horribles. C'est l'homme inférieur et nocturne en elle qui tourmentait ainsi l'homme supérieur; et cette lutte se reproduit surtout d'une manière frappante dans l'appa- rition de ce scélérat qui veut lui arracher l'honneur. L'homme supérieur se révolte en elle , s'oppose de toutes ses forces aux suggestions de ce monstre, et blesse dange- reusement l'homme inférieur pour sauver sa vertu. Mais

o28 DES VISIONS DE 1/ AUTRE MONDE.

dans ce combat el dans tous les autres combats de cette sorte l'homme inférieur a-t-il lutté seul et sans aucun rap- port avec-les puissances de l'abîme? Et d'ailleurs, l'épée qui fit cette blessure était-elle aussi purement imaginaire? Ces autres blessures, que tant de témoins ont vues naître pour ainsi dire sous leurs yeux, n'étaient-elles aussi que Teffet de rimagination ? Etait-ce simplement des convul- sions qui la lançaient en l'air comme une balle, ou des crampes qui la liaient à un arbre? Est-ce elle toute seule qui a pu s'attacher les pieds avec des branches de saule, et se fixer ainsi à un arbre? Et toutes ces réalités que nous avons constatées chez d'autres; cette épée qui voyage dans une chambre et qui se bat contre la lance du père ; ces pierres, cette boue, ces voix, etc., était-ce aussi dépures imaginations? A toutes ces difficultés il n'y a qu'une ré- ponse, et c'est celle-ci : De même que dans le monde matériel la vie est soumise à l'influence de certaines forces naturelles, dont les unes sont salutaires et les autres funestes, ainsi il y a dans les régions invisibles des puis- sances bonnes et mauvaises, qui en certaines circonstances, s' attachant à ce qu'elles trouvent de conforme à leur na- ture dans les dispositions, le tempérament et l'état moral de l'homme, pénètrent plus ou moins profondément dans sa vie; et c'est à l'action de ces dernières puissances que se rattachent tous les phénomènes que nous venons d'exposer. Tel est le résultat des études auxquelles nous nous sommes livrés dans cette partie du cinquième livre de la mystique, et que nous allons continuer dans les livres suivants.

TABLE DES MATIERES

CONTENDES DANS LE TROISIEME VOLUME

LIVRE V.

DU FONDEMENT HISTORIQUE, LÉGENDAIRE, PHYSIQUE ET PSYCHIQUE DE LA inSTIQUE INFERNALE.

CHAPITRE PREMIER.

De l'origine du mal. Satan et son royaume. Le déluge. Le peuple juif et le paganisme. La venue du Sauveur. Puissance de l'Église 1

CHAPITRE II

Développement du mauvais principe dans les hérésies anciennes et modernes. Des trois formes du panthéisme naturaliste dans le monde païen. Des trois formes du judaïsme dans son développement. Le paganisme et le judaïsme, plus tard le mahométisme armés contre la doctrine du Christ. Hérésies des Gnostiqiies et des Judaïsants. Elles se confondent à la fin avec le manichéisme, et. partant de l'Orient, inondent l'Occident tout entier. L'émancipation de la chair. L'orgueil enfante le sensualisme d'un côté , et le rigorisme de l'autre. Les faux prophètes et les clairvoyants opposés aux voyants et aux prophètes véritables 20

CHAPITRE III.

Développement de la mystique diabolique. L'Église commence déjà à la combattre dans la personne de saint Pierre luttant contre Simon le Magicien. Le célèbre canon Caput episcopi. Les Géludes au viii« siècle. Au ixe siècle les magiciens qui changent le temps à leur gré. Aux x^, xF et xii^, décrets de l'Église contre la magie. Les enchantements et la vaudoi-

15*

530 TABLE DES MATIÈRES.

sie. Les sorcières commencent à paraître au commencement (lu xiye siècle. Procès du carme Adeline devant l'inquisition d'Évreux. Le fortalitium fidei. La Lulle d'Innocent VIII. Législation des anciens empereurs et des anciens peuples ger- mains contre la magie. Procès de magie à la cour des Méro- vingiens. Des ordonnances faites plus tard par les empereurs et les rois au moyen âge. Manière de voir les Indiens du Malabar /i8

CHAPITRE IV.

De la légende diabolique. Comment elle est fondée sur la nature. Comment l'opposition de la lumière et des ténèbres ressort dans le poème de l'Edda. La grotte des sibylles. Le pays des ombres situé sous la terre et habité par les nains. Le royaume des morts à Gottschée. Les Ases voyageant dans les airs. La fée Holda sur le mont Hœrsil : la fée Abundia. Hugon chez les Francs , et Héra ou Hertha. La double marche des Ases et des Asines dans les douze nuits qui précèdent la nais- sance de la nouvelle année. La dame blanche et la danse des sorcières. La légende du curé de Bonueval. Vodan et l'armée des .\ses. Les volcans de la Sicile 77

CHAPITRE V.

Visions du ciel , du purgatoire et de l'enfer rapportées par la lé- gende. La grotte de Saint-Patrice en Irlande forme le point de départ de ces légendes. La légende d'ÛEnus, celle de Tundal , celle de saint Fursée d'Irlande. La Divine Comédie du Dante ' . 103

CHAPITRE VI.

De la légende magique. La tentation dans le désert. Simon le Magicien. Saint Léon et le magicien Héliodore. Virgile et le fondateur de ^aples. Sa légende donne naissance à celle d'É- lingsor.puis à celle delà table Ronde, puis enfin au combat de laWartburg. L'enchanteur Meiiin et Malagys chez les Gais. La légende magique s'attache aux objets de la nature et de l'art, et passe à la magie noire. Le docteur Faust. . . . 117

CHAPITRE VH.

CoDjnient l'univers a été créé. De la formation successive du

lABLL UE> M.VilLRES. o3 1

feu et de la leno , de lair et de l'eau, du monde végétal et animal, de Tliomme. L'homme centre de la création. Forma- tion dans l'homme et développement de la nature végétale el animale, do poisson, de l'oiseau, de l'animal terrestre, de l'homme enfin. Des quatre tempéraments : lymphatique el sanguin , cholérique et mélancolique. L'homme est dans un rapport réciproque avec l'univers entier. Ce rapport a été altéré par le péché. Il existe cependant encore d'une manière exceptionnelle en certains hommes. Possession de l'homme par la nature U2

CHAPITRE VIII.

Rapports mystiques de la vie avec le ciel et les astres. Influence des corps célestes sur les éléments par la pesanteur dans le flux et le reflux. Action du feu sur la production de la chaleur du jour et de l'année. Le magnétisme dans son mouvement quotidien, mensuel, annuel et séculaire. Comment la nature physique tout entière est dans un mouvement continuel; et comment la terre se trouve ainsi eu rapport tantôt avec la lune, tantôt avec le soleil. Action de ces mouvements sur le règne végétal, sur le règne animal et sur l'homme. In- fluence des astres sur les fièvres. Comment les astres peuvent agir aussi sur la vie par un mouvement interne et un rap- port spirituel, et donner ainsi naissance à la magie et aux visions 172

CHAPITRE I\.

Rapports mystiques avec le monde terrestre élémentaire. De la faculté de voir et de sentir les substances terrestres. De l'œil pénétrant des Zahuris. Comment la faculté de sentir réside dans le sens général de la vie inférieure. Pennel , Papponi . Acquaroni , Calamini , Rentier , etc 198

CHAPITRE X.

Action des substances physiques en contact immédiat avec l'or- ganisme. Essais de Kerner avec la voyante de Prevorst. Opposition électrique et magnétique 204

CHAPITRE XI.

La rhabdomantie. Essais remarquables de Schaeffer à Ratis-

332 TABLE DES MATIERES.

bonne. Essais de rhabdomantie faits en France dans le Dau- phiné, à la fin du siècle précédent , sur Aimar. Explication de ces phénomènes par le magnétisme vital. Autres expé- riences snv l'action de ce magnétisme. La femme Berehata. Biaise de Valfracuria. Les deux enfants dont parle Albert le Grand. Une partie de ces influences se reflète dans les ins- tincts des animaux 209

CHAPITRE XI 1.

Rapports mystiques de Thomme avec le monde végétal. L'arbre par excellence ou Tarbre du monde dans la légende de tous les peuples. Il s'épanouit dans le froment et le vin. C'est à lui que se rattache la botanique mystique des temps anciens , dont il nous est resté encore quelques débris. Opposition entre les plantes qui excitent et celles qui calment. L'arbre de la connaissance du bien et du mal se retrouve partout. Les ,

essais de Kerner faits sur la voyante de Prevorst avec les substances végétales donnent les mêmes résultats que ceux faits avec les minéraux. L'ancien culte des plantes et des végétaux 236

CHAPITRE XIII.

Rapports magiques avec le règne animal. Comment l'origine des peuples agriculteurs, pasteurs et chasseurs, se rattache à la jouis- sance du fruit défendu. De la puissance magique de l'homme sur certains animaux, sur les serpents par exemple. Explica- tion de ce symptôme par le traitement magnétique des ani- maux. Comment l'homme est dominé à son tour par c€ux-ci. Phénomènes extraordinaires résultant de la morsure de la tarentule. Comment l'homme prend quelquefois la nature des animaux. Des loups-garous. Origine du culte rendu aux ani- maux dans l'antiquité 257

CHAPITRE XIV.

Rapports des hommes entre eux. Rapports magique? des forces de la vie inférieure dans le royaume des morts. Des vam- pires. Résultat des informations juridiques sur[ce point. Base des faits de cette sorte. . . 281

CHAPITRE XV. Le bon œil et le mauvais œil. Faculté de donner la mort ou la

TABLE DES MATIERES. o33

?anté avec le regard. Elle se trouve particulièrement en Es- pagne. On la trouve encore dans certaines populations entières. 296

CHAPITRE XVI.

Le cauchemar. LMncube et le succube des ancien?, lis appa- raissent encore aujourd'hui sous la même forme. Explication de ce phénomène 306

CHAPITRE XVII.

Des rapports magnétiques. Du lien magique qui existe entre le somnambule et ceux qui sont en rapport avec lui, ifarie Goffe de Rochester. De la faculté de se dédoubler. Le jeune homme de Londres cité par Morton. Comment le corps est enlevé à certaine distance. Elisabeth Wedering à Halberstadt. 310

CHAPITRE XVIII.

Rapports magiques de l'homme à l'égard de soi-même, ou du somnambulisme spontané 326

CHAPITRE XIX.

Bases physiques de la mystique diabolique. De la seconde vue et de la vue à distance. Disposition à la seconde vue chez certains insulaires du Nord, en Islande. Les lumières dans le pays de Wales. Cette faculté se retrouve chez les Gaulois . les Germains, les Slaves et les Finnois 341

CHAPITRE XX.

Des esprits frappeurs. Ces esprits apparaissent dès les temps les plus anciens. Des esprits qui apparaissent a Hasparius Eubedi. dans le diocèse de saint Augustin, et chez le médecin Elpide au temple de Théodoric , roi des Ostrogoths. Les faits de ce genre ne sont admis qu'après un examen attentif. Ce qui s'est passé à Salamanque, à Munchhof près de Gratz 353

CHAPITRE XXI.

L'esprit frappeur de Tedvvorth. 381

CHAPITRE XXII.

L'esprit frappeur de Wesley; celui du château de Hudmiihlen, de Drepano, celui de Stratford-Bow, celui d'André Welz à Dottin-

o34 TABLE DES MATIERES.

gen, celui de Callo à Mélita, celui de Saint-Yoïk, celui de la cure

de Groben, etc 396

CHAPITRE XXill.

Transition des phénomènes naturels aux opérations des mauvais esprits. Le démon de SigeLert à Camnuz, près de Bingen. Ce qui s'est passé en 1533 à Schildach dans le Wurtemberg, h Riga en 1583, dans Timprimerie de Labhart à Constance, à Woodstock dans Tancien palais du roi. Ces phénomènes se rattachent quelquefois à la mort d'une personne, comme à Radwell, près de Halle. Ce qui s'est passé dans la mission d'Itatiua dans Tlnde. Quelquefois tout l'effort des esprits tend à empêcher le progrès dans le bien. Ce qui s'est passé sous ce rapport à Pirza au Pérou. Parallèle dans l'Irlande protestante, klk

CHAPITRE XXIV.

L'action du démon parait d'une manière certaine et positive. Des expériences faites à ce sujet par les directeurs de séminaires et les maîtres des novices dans les couvents. Les expériences d'O- livier Manareus , recteur à Lorette. Ce qui s'est passé à Madel en Thuringe et dans la maison du tisserand Gilbert Campbel en Ecosse, en 1654 443

CHAPITRE XXV.

Comment Dieu permet que les démons tentent les saints pour les exercer et les purifier. Les tentations des Pères du désert, et en particulier de saint Antoine. La même chose se repro- duit dans les temps les plus récents. Tentations de Jean de Castillo et de Madeleine de Pazzi 456

CHAPITRE XXVI.

Christine de Stumbèle. Dominique de Jésus-Marie 473

CHAPITRE XXVII.

Les démons tourmentent le carme Franc sous la forme de lutins. Ils attaquent d'une manière sensible et palpable saint Pierre d'Alcantara et Sébastien del Campo. Les combats de sainte Françoise Romaine. Sainte Cresc€nce de Kauffbeyern. La môme chose arrive de nos jours à Marie de Moërl 489

TABLE DES MATIÈRES. 535

CHAPITRE XXVIII.

Commeut les saints réa^sseat sur les esprits. Les visions de l'autre monde accompagnent toujours cette réaction. Les visions de saint Cyrille, patriarche de Jérusalem. Celles de sainte Madeleine de Pazzi et de sainte Catherine de Gênes. Ces visions produisent des rapports entre ceui qui les ont et ceux qui en sont l'objet. Françoise du Saint-Sacrement. Comment les saints prennent quelquefois sur eux les châtiments réservés aux pécheurs. Osanna de Mantoue. Liduine. Le chartreux Pierre Pétrone, Christine de Stumbèle. Christine l'Admirable. Justification de tous ces phénomènes. 500

FI?ï DE LA TABLE DU TROISIÈME VOLUME.

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